Il était aux alentours de midi cinquante. J'étais tranquillement en train de draguer parler avec Tomoe à la cafétéria lorsqu'un souvenir se présenta à mon esprit, alors que je regardai l'heure inscrite sur ma montre. Le petit Beyond me donnant rendez-vous à treize heure dans la forêt. Bah merde.
Me levant précipitamment, je me souvins que ce type était un malade psychopathe complètement instable... Par ailleurs, lorsque je lui avais proposé de venir s'établir à Terrae, il était dans l'un de ses... Meurtres sanglants. TRES sanglants, en fait... Ce type m'a fichu la frousse de ma vie. Heureusement que j'étais Sensitif ; sans ce pouvoir, j'aurai sans doute pu finir comme sa victime, que j'avais dû abandonner sur place. Mais bon, je n'avais pas le choix... C'était ainsi. Enfin bref, tout ça pour dire que j'avais vraiment peur pour ma peau si jamais j'osai arriver en retard.
M'excusant rapidement auprès de ma collègue, je quittai le self presque en courant sous les regards médusés des élèves ; amusé de cette première. Rahhh, à chaque fois que je suis avec elle, il faut qu'y ait un truc qui cloche ! La fuckin' merde ! Ça fait vraiment chier !

Arrivant en vue de la forêt, je ralentis la cadence. En fait, parfois, je regrettai tout de même de ne pas être Téléporteur. ... Quoi que, sans mes pouvoirs de Sensitif, je serai déjà mort, alors c'était pas plus mal ! Mais franchement, c'était trop la merde de devoir courir pour pas subir le courroux de ce type... Quoi que, avec un peu de chance, vu qu'il m'appréciait (pour une raison que j'ignorais complètement), il me ferait peut-être rien si j'avais quelques minutes de retard... ?
M'enfonçant peu à peu dans la forêt dense de l'Institut, je vis traîner un petit sachet contenant de l'herbe au sol. Tiens, c'était pas à Beyond, ça ? Le ramassant, remettant mes mains dans les poches, je me dirigeai vers le lieu de rendez-vous assez calmement, reprenant lentement un rythme cardiaque et de respiration normal. Foutues clopes ! J'étais incapable de courir cinq minutes sans agoniser... (Tiens, il faut que je m'en allume une...)
Alors que j'arrivai au lieu dit, voyant Beyond crispé et assez énervé (le ressentant, surtout), j'eus un petit sourire en coin, et le saluait avec nonchalance d'un geste de la main, une cigarette coincée entre mes lèvres :

- Yo !

Extirpant l'autre de ma poche, je tendis le sachet en l'air, retenu par mon index et mon majeur, et l'agitais légèrement.

- On a perdu quelque chose à ce que je vois ?

Soufflant la fumée de ma cigarette vers le haut, je ne pus retenir un sourire en le voyant littéralement se jeter sur le sachet. Il avait l'air contrarié, je ne savais pas pour quelles raisons, mais le sentiment qui prédominait était surtout le soulagement.
Tandis qu'il se roulait un joint, je m'adossai contre le tronc d'un arbre, laissant mon regard se perdre dans le vague. Sorti de mes pensées par la voix au ton quelque peu enfantin (c'est possible, ça ? j'ai dû louper un épisode...) de mon vis-à-vis, je lui adressai un sourire énigmatique.

- Eh bien, tu seras initié lorsque tu seras près à l'être...

Sachant pertinemment que ma réponse le laisserait sur sa faim, je repris :

- Ce n'est pas moi qui dirige ce genre de choses ; on ne décide pas des initiations. On ressent lorsque l'élève est prêt... Et je suppose que, pour toi, cela ne devrais pas tarder.

Croisant les bras, je laissai un petit rire sortir de ma gorge.

- De toute façon, tu seras incapable de me battre ! Pas avant d'être au moins Étoile, et encore... Avec beaucoup de chance, peut-être ? Et pour ce qui est du sang... Bah je suppose qu'un éclair en pleine tronche doit être assez... Enfin je ne m'étendrai pas sur le sujet, d'accord ? C'est mieux comme ça... Pour moi, surtout.

Je l'observais rouler sa clope, un air de délectation se glissant sur son visage. Il avait l'air exceptionnellement calme. Je trouvais ça assez étrange, le connaissant. Je décidai de répondre à sa question et le désillusionner tout de suite, histoire de ne pas avoir d'ennuis.

- Eh bien... Je n'ai pas vraiment le droit d'en parler. Et puis elle, c'était exceptionnel. Elle a eu de la chance de ne pas mourir, lâchais-je sombrement. De toute façon, seuls les Masters peuvent débloquer tes pouvoirs, et ne compte pas sur moi pour t'aider dans ta tâche. Ce serait t'exposer à un trop grand danger, et ce n'est pas ce que je souhaite.

Soudainement, je fus pris d'un grand frisson, comme annonciateur d'une tempête. Je n'avais pas tellement tort. Ma cigarette tomba d'entre mes lèvres pour finir de se consumer dans l'herbe humide. C'était mauvais. Vraiment mauvais. J'espérais du plus profond de mon cœur qu'il n'avait pas été blessé ou vexé dans mes précédents propos. C'est idiot pour moi, qui suis un Master. Un Master contrôlant les émotions. En réalité, je suis effrayé. Totalement effrayé par ce type, qui pouvait me charcuter sur un coup de tête. Il transpirait de mauvaise intentions, en réalité. Sa soif de sang devait être perceptible rien qu'en le regardant. Ses yeux rouges brûlants.
Je dû faire appel à tout mon sang-froid pour tenter de ne pas paraître effrayé, et pour réussir à utiliser mes pouvoirs pour calmer ses pulsions. Ce type, c'était certain qu'il deviendrait Tonnerre. J'espérais juste qu'il ne serait pas Sensitif. Il pourrait amadouer ses victimes bien trop rapidement... Ce serait... Terrifiant. Pour la première fois, je ne regrettais vraiment pas d'être un Sensitif. Vraiment pas, oh ça non.

Contrarié, voilà ce qu'il était. Contrarié, mais pas forcément énervé. Ce type était vraiment... Terrifiant. Bien trop lunatique, bien trop impulsif. Bien trop Tonnerre. Je n'aime pas réellement les Tonnerres, en réalité. En général, ils me font trop penser à moi. Ils me font trop penser à ce que j'étais, en arrivant à Terrae. Quelqu'un de totalement déphasé, perdu, accroché à sa manche, à elle. Ils me font trop penser à ce qu'il m'est arrivé au courant de mon séjour ici. La tristesse, le chagrin et la douleur se font toujours trop vifs. Bien trop vifs pour n'être que des cauchemars chimériques. Les Tonnerres... Me font bien trop penser à moi, aujourd'hui. Toujours aussi perdu, aussi déphasé. Mais moins dépendant des autres et plus autonome. Comme si j'étais un véritable Master.
Alors que Beyond, à mes côtés, allumait son joint, je me calai un peu plus contre l'arbre, les yeux à demi fermés, les sens néanmoins en alerte. Presque détendu, je haussai négligemment les épaules, tentant de ne pas me souvenir de mon arrivée ici. J'étais bien trop faible, à l'époque. Bien trop moi. Pas que, maintenant que je tentais de dissimuler ma véritable image derrière un masque, je sois moins faible. Mais à l'époque, dégoûté de la vie, déprimé par l'abandon de la seule personne qui aurait réellement pu compter pour moi, je ne voyais pas mon arrivée ici comme un cadeau. Un peu comme un voyage en enfer, qui s'était adouci au fil des jours, des semaines, des mois. Et, finalement, presque deux ans sont passés.

- Je ne sais plus vraiment, mais je suppose que oui.

Rouvrant légèrement les yeux, je regardai droit devant moi, perdu dans mes sombres pensées.

- Cet endroit n'est pas censé être amusant ; alors qu'il soit ennuyeux ne doit pas tellement déranger ses autres occupants, continuais-je d'un ton énigmatique.

Le calme peut souvent être bénéfique. Mais, souvent... On se retrouve devant des gens incapables de vivre sans bousculer celle des autres. Un peu comme Beyond.
Un peu comme moi.

Je grimaçai alors que je sentais l'un de ses poings s'abattre contre ma joue, puis les suivants. Je le laissai faire, ça le calmerais. Ce n'était pas comme si j'avais réellement mal, à vrai dire. Je ressentais la douleur, je savais qu'elle était présente, mais c'était tellement insignifiant... Par rapport à certaines choses qui étaient déjà arrivées.
Des choses anciennes, ou beaucoup moins, qu'importe ?
Méditant ses paroles alors qu'il repartait, mains dans les poches, je me relevai. Posant ma main sur l'une de mes joues douloureuses, je soupirai. Ce type est complètement fêlé, c'est un truc de malade.
Je levai les yeux vers le ciel. J'étais si peu amusant que ça ? Soit. Mon but n'était pas de l'être, mais d'assurer la sécurité de mes élèves, et de leur enseigner correctement à se servir de leurs pouvoirs, et non pas dans un but mauvais. La vengeance ne servait à rien, et la colère ne menait nulle part. J'en avais déjà payé les frais. Les remords et la culpabilité nous rongeront toujours. Jusqu'à l'apaisement définitif qu'est la mort.
Un sourire tordu passa sur mes lèvres.
Si Beyond était fou, je l'étais sans doute tout autant que lui.