Je veux découvrir le monde. Cette pensée pulse en moi depuis quelques jours. Je sais que je ne découvrirais pas grand-chose, je n’en ai pas le temps. Je n’en ai pas la force non plus. Je le sens chaque jour je peine un peu plus à ouvrir les yeux. Pourtant, cela ne se voit pas,  ou je le cache bien. A voir. J’aime bien Aaron, même s’il est un peu space, il ne se préoccupe pas H-24 de moi…

Ca me change, et j’apprécie. J’en avais mare que chaque personne que je rencontre ne se soucie que de ma maladie. Mare de n’être vu que comme un malade. Ici, je suis vu comme un étranger, pas comme un malade, c’est subtilement plus intéressant. Et surtout plus facile à vivre.

Aujourd’hui j’ai décidé de rencontrer des animaux. Oui c’est idiot je sais, pour vous c’est normal d’en croiser tous les jours, mais moi j’ai grandi dans un hôpital aux murs aseptisés. Les animaux je les connais grâce à Arte et internet. Je ne suis même pas sûr d’avoir déjà glissé mes doigts dans le pelage d’un chat… C’était trop dangereux, il aurait pu me griffer. Me transmettre des gênes contre lesquels mon système immunitaire n’aurait pas pu luter.

Maintenant je m’en fiche. De toute manière je vais mourir. Je ne dis pas ça car je le regrette, ou par fatalité, non c’est juste un constat. Je m’habille lentement, comme d’habitude. Un jean plus ample que ce qu’il ne faut, retenu sur mes hanches par une ceinture serrée au dernier cran.  Un ample tee-shirt noir sans motif. Simple. Il fait frai, j’hésite une poignée de secondes.  Je me munis d’une écharpe rouge, piquée à Aaron… Qui risque de ne pas apprécier. Tant pis, il ne s’en rendrait compte que s’il la cherche…

Ensuite je m’oriente dans la ville. Je cherche un refuge que j’ai remarqué sur google. Je faillis par ailleurs ne pas le remarquer. Spa. C’était écrit en minuscule sur internet, et dans ma tête un spa avait un quelconque rapport avec des termes… Mais, non le sigle écrit en minuscule était en réalité SPA, service de protection des animaux. Mais dans la rue, ce n'est pas ce nom que je trouve mais "Refuge de Terrae." Un refuge dans un refuge. C'est drôle. Ce qui m'a le plus choqué sur internet ce sont les descriptions des SPA je m'attendais en entrant dans ces lieux à être choquée par l’odeur. D'être priss d’une envie de vomir. Un mélange de pisse et de javel, aux relents de peur animale. Pourtant non c'est calme et vivable et m’avance vers l’entrée du personnel où je vois une silhouette humaine se profiler.

Un jeune homme aux cheveux sombre et aux yeux étonnamment clairs… Il me demande ce qu’il peut faire pour lui.

« Me laisseriez-vous visiter votre domaine seigneur ? »

L’homme me faisant face à quelque chose de sinistre. Sa peau glabre peut-être ? Pourtant je ne pourrais dire qu’il est sinistre comme le sont les gens d’un hôpital… non, il est juste un peu… Je dirais adulte ? Oui c’est cela adulte, il n’a pas cette étincelle malgré qu’il ne semble jeune. Sans doute n’ai-je pas non plus cet éclat que laisse l’innocence dans les yeux des enfants, sans doute mon regard est-il aussi fatigué que ceux des personnes ayant trop vécues.

J’incline la tête pour acquiescer autant que pour le remercier. Je lui souris avant de prendre la direction qu’il m’a indiquée. Ce qui est le plus inattendu dans ce centre d’accueil pour animaux c’est qu’il n’y a pas de cage. Je m’attendais plus ou moins à en voir même si l’endroit n’est pas aussi sordide que ce que je m’imaginais. Non, au lieu de cela un petit grillage m’arrivant à la hanche sépare l’accueil du chenil. Je franchis une petite porte grillagée que je referme derrière moi.

Dans l’enclos je vois plusieurs paniers pour chiens de différentes tailles. Il doit y avoir une vingtaine de paniers ici, mais il n’y a que peu d’occupants. J’imagine que les habitants de Terrae abandonnent plus leurs chiens en venant ici qu’à Terrae même. Certains abandonnent leur chien comme moi j’ai abandonné ma famille. Je secoue la tête croisant le regard d’un vieux labrador, son pelage beige m’attire, je n’ai pas abandonné ma famille, je leur ai permis de ne pas assister encore une fois à ma déchéance. Je m’accroupis près du vieux chien, ou du moins je l’imagine vieux.

J’hésite avant de tendre ma main, il vient nonchalamment y mettre sa truffe et flaire mon odeur. Puis il détourne la tête attendant. Son regard semble me dire « gratte-moi derrière les oreilles. » Je n’hésite pas vraiment. Ma main se pose sur sa tête, il semble apprécier la caresse, un petit chiot vient butter contre ma jambe pliée. Je ne peux m’empêcher de chuter sur mon arrière train, ce qui lui donne l’occasion de laisser échapper un petit jappement de… rire ? Il escalade ma cuisse et vient se placer non loin de mon entre jambe.

Ma main gauche caresse le vieux labrador et la droite le jeune chiot gris. Je suis aux anges, je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais caressé un animal. C’est bizarre, ils ne sont pas forcément aussi doux que des couvertures, mais en même temps, leur lente respiration, leur chaleur, fait que cela est bien plus agréable.

« Alors ? Votre balade est-elle a votre goût ? »

Je lève la tête et souris. Il porte deux grosses gamelles de croquettes qui attirent le regard des deux animaux. Ils s'’pprochent de lui et je peux me relever, j’époussette un peu mon pantalon, Aaron va me tuer, il est rempli de poils clairs… Tant pis…

« tout à fait à mon gout, mais sieur, auriez-vous d’autres fauves que des chiens en ces lieux ? »

Bien sûr je ne suis pas au zoo, mais j’aimerais voir autant d’animaux différents sur possibles.

En effet, ils sont affamés, et ils se précipitent vers la nourriture, j’imagine pourtant que ce n’est la loi de la jungle ici, ils ont largement de quoi rassasier leur faim ici. Pas la peine de se bouffer les uns les autres. D’ailleurs ça se voit sans être gras, ils ne sont pas faméliques. Je pense aussi qu’ils ne pourraient être laissés si libres sans règles, et j’imagine bien le vendeur, le gardien, le bref, le type qui m’a indiqué le chemin les engueuler. Ça doit même être comique, j’ai dans l’idée qu’il les aime tellement qu’une seule inflexion de sa voix doit être pour une pire que des coups.

Du moins, pour moi une engueulade m’a plus souvent blessé que des coups.

Je le suis au travers du chenil, nous arrivons dans un endroit qui ressemble à un aquarium géant. De la sciure recouvrant son sol me fait changer d’avis, ce n’est pas un aquarium mais un vivarium. Des petites boules de poils, enfin petites, je dirais qu’elles font la taille d’un ballon de handball, mais je n’ai jamais vu de ballon de handball. Je plis les genoux, amenant mon visage à la hauteur de celui de la petite bête à longues oreilles qui grignote ce qui semble être des graminées.

C’est trop mignon, son petit nez frémis doucement, ses yeux rouge ne me voient pas, il est concentré sur sa gamelle. Je vois ses oreilles frémir. Il ressemble étrangement à un animal utilisé par les scientifiques… Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que j’ai raison. Lui aussi n’était qu’un jouet entre les mains de scientifiques. Je grimace. Et repars à ma contemplation de l’animal au pelage si douillet. Le gérant revient, il me demande mon nom. Je m’incline dans une révérence qui n’est plus tout à fait grotesque.

« C’est un bien grand nom que le vôtre, le mien est plus succin, n’en riez pas ! Je me nomme Destan ! Puis-je porter cet animal ? »


Je ne suis pas chez moi, je demande la permission. J'ai envie de caresser tout types d'animaux, envie de sacoir si ces grandes oreilles sont aussi douces qu'elles en ont l'air.

Remarque étant faite une idée saugrenue me traverse la tête…. J’ai envie de caresser tous les animaux possibles et imaginables dans ce refuge… Je suis curieux et j’aimerais vivre autant d’expériences possibles qu’imaginable. J’ai souvent l’impression que je vais mourir idiot. Alors même si ce n’est que pour quelques instants, même si c’est futile j’ai envie de connaitre un maximum de choses… Et je sais que c’est enfantin, mais je veux au moins une fois dans ma vie avoir la chance de caresser différents animaux. Mais ai-je envie de caresser Wyatt ?

Après tout c’est vrai qu’il a le poil long et soyeux aussi. Sans doute ses cheveux sont-ils très doux, mais je me vois mal lui poser la même question en parlant de lui que celle que je lui ai posée pour le lapin. Ça ne se fait pas, tout simplement. Le vendeur ne semble pas se rendre compte des mes pensées, heureusement, d’ailleurs mon cerveau passe de suite à autre chose quand il me passe le lapin.

HAN ! Il est tout doux. Je ne savais pas qu’un bestiau pouvait être si doux. Et il est chaud, tout chaud. Je comprends presque l’expression chaud lapin. Il remue un peu. J’essaie de le retenir avec un bras tandis que l’autre me sert à le caresser. Pourtant contrairement aux chiens, il ne réagit pas vraiment, il se met plutôt à gigoter sous la caresse. Je raffermis doucement ma prise sur lui pour qu’il ne tombe pas, il n’a pas la force du petit chiot, ni sa corpulence. Je pense donc pouvoir le retenir.

« - Alors ? Son poil est-il aussi soyeux et doux qu'il en donne l'air ?
- Oui… AÏE ! »

Le saligot m’a mordu le doigt, j’ai failli le lâcher, mais au final ce n’est pas tellement douloureux. J’ai connu tellement pire. Je le retiens alors que quelques gouttes rouges perlent sur le bout de mon doigt. Je le regarde amusé.

« Mes doigts ne sont pas des carotte tu sais ? »

Il ne semble pas comprendre ce que je lui dis. Je décide donc de le remettre dans sa cage avant d’être assez trouvé pour me faire engueuler par l’infirmière. Je le repose doucement en souriant au garçon aux cheveux noirs.

« Je crois que Pin-pin ne m’aime pas ! »

Je suppose qu’il a raison, mais en même temps Pin-pin a l’air d’être du type à manger tout le temps. Je suppose que manger est une façon comme une autre pour ne pas penser. Je garde mon avis pour moi, d’une part car je n’y connais rien en animaux, d’autre part car je ne suis pas sûr que les animaux aient une psychologie aussi développée que les humains.

Il désinfecte mon doigt, ce qui fait apparaitre un sourire sarcastique sur mon visage. Je me moque de cette blessure, et je ne comptais pas la désinfecter, quelque part ça serait drôle de mourir d’autre chose que de mon cancer me semble tout à coup excitant. Mais même si ce lapin avait la rage, cela ne changerait rien, tous mes vaccins sont à jour, comme l’on doit s’y attendre, de quelqu’un qui a passé toute sa vie entre les mains des médecins.

« Merci. »

Je le pense, même si c’était inutile. Il me mène par la suite à ce qu’il nomme le paradis des félins. Bizarrement ça ne ressemble pas à ce que je nommerais paradis des chats, mais ça doit ressembler à ceux qu’imaginent les autres personnes. Pour moi un paradis pour animal doit être dans la nature, ne doit pas avoir un seul grillage, un animal comme un homme doit être libre… ici ils sont dans une cage aux barreaux dorés. Ce qui n’est si mal dans un monde où les humains se croient supérieurs.

Quelque chose dérange. Comme si elle n’appartenait pas à l’apparence de liberté de ce lieu. Une cage, avec un chat. Allongé. Je reconnais l’odeur de la mort au premier regard. S’il n’est pas mort, cela ne tardera pas. Je m’approche, ses côtes se soulèvent à peine. Destan. Tu ne peux rien pour lui. Ne fais rien. Tu ne veux pas lui offrir une vie de souffrance, laisse le partir. Je m’agenouille, ses moustaches frémissent, il ouvre un œil… Intensément vert.

« Ce chat appartient-il à quelqu’un ? »

Quelque part je sens le lien qu’il y a entre moi et se chat. Jeunes mais destinés à mourir. Injuste sans doute, triste peut-être… Mais au fond de mois j’ai arrêté de luter contre l’inéluctable, la vie embrasse la mort, personne ne peut empêcher la roue de tourner.

Je regarde le chat et je ne m’apitoie pas, parce que je sais que si pour moi tout a été tenté, lui il lui reste sans doute une chance, une petite chance. Non Destan. Ne fait rien, tu ne pourra même pas assister à sa guérison. Tu le sais, alors ferme ta putain de grande gueule. Ce que tu vas faire est idiot, tu ne feras que rallonger sa vie de souffrances… Quand bien même guérirait-il qu’il se retrouverait bientôt chat de gouttière !

Oui… Mais moi j’aimerais vivre. Même un jour de plus.

« Si je le prends pendants quelques semaines et qu’il guérit aura-t-il le droit de revenir ici ? »

Quelques semaines. Oui. Je n’ai pas le courage de dire quelques mois, je n’ai plus cet optimisme. Pourtant pour la première fois de ma vie, je sens que je peux faire quelque chose d’utile, quelque chose qui permettra qu’une personne se souvienne de moi après ma mort, même si cette personne n’en parlera jamais à un être humain. Ce chat famélique, a peut-être un avenir… Sans moi.

Je ne serais probablement pas la personne dont parle Wyatt, je n’aimerais pas bien longtemps cette boule chétive, mais j’espère pouvoir être la personne qui lui donnera l’occasion de trouver une personne qui l’aimera. C’est stupide. Une vague pensée traverse mon esprit… Et s’il ne me survivait pas ? Alors… Alors il m’accompagnerait.

C’est une mauvaise idée. J’en ai la conviction. Mais ce chat me survivra. J’en ai aussi la conviction. Alors pourquoi pas. L’hésitation, je ne connais pas. Je n’ai pas le temps pour cela de toute manière.

« Alors je l’emporte avec moi… »

Pas je l’achète, bien sûr je règlerais ce qu’il y a à régler. Non je l’emporte. On n’achète pas un être vivant. C’est injuste. Inapproprié. Vivant il l’est encore. Le sortir d’ici est une bonne chose. Wyatt s’en occupe comme il peut, mais il n’a pas le droit d’en sauver un au détriment de tous les autres, de même qu’une infirmière ne reste pas au chevet d’un mourant mais préfère la compagnie de ceux pour lesquels elle peut encore quelque chose. C’est louable. Et la peine dans son regard quand il regarde ce petit être famélique est sincère. Pourtant il n’a pas le droit de l’emporter chez lui… Moi je l’ai.

Mais ça. Ça ne le sauvera pas. J’en ai conscience, je pourrais perdre du temps, me débrouiller seul, chercher dans l’annuaire et tout et tout… Mais je connais la mort, depuis le temps que je fleurte avec elle… Ce chat n’en a plus pour longtemps si on ne fait rien. Si je ne fais rien.

« Connaitrais-tu le nom du vétérinaire le plus proche et le moyen le plus rapide de m’y rendre ? »

Simple et efficace. Ai-je déjà dit que je n’avais plus de temps à perdre ? Je regarde le chat, le chat auquel je ne donnerais pas de nom pour ne pas l’habituer à ma présence. Il sera bientôt seul.