Je t'écoute si tu veux m'en parler. Si c'est trop dur, trop douloureux pour toi... Alors on en parle pas.

À son tour elle me laissait le choix. Cette jeune femme était trop gentille. Et j'allais briser l'image toute propre qu'elle devait avoir de moi. Quel stupidité j'avais fait. Pourtant son sourire restait doux. Elle me rassurait, m'apaisait. Aussi me décidais-je à répondre à ses questions.

Je... Je suis né dans un quartier pauvre du Brésil, ma sœur est arrivée quelques années après moi. Alors que j'avais 11 ans nos parents nous ont abandonné. J'ai commencé à me battre et à voler pour prendre soin de ma sœur. Je l'ai élevée comme un garçon, pour qu'elle soit forte. Et à force de me battre, je me suis fait une réputation et on me défiait pour de l'argent, j'acceptais... C'était souvent des combats à mort... J'ai tué des gens, Anastasya... Et maintenant je m'en veux. Mais j'ai eu ce que je méritais : un jour, il y a eu une émeute et les policiers m'ont frappé, piétiné. C'est ainsi que j'ai eu ma cicatrice sur l'œil.

Je déballais tout et ça me faisait du bien, je me sentais plus léger.

On m'a laissé pour mort et puis j'ai été recueilli par un médecin. Ma sœur m'a cru mort et est partie. Puis je suis parti à se recherche. Sans le Master qui m'a trouvé mourant de faim sur le bord d'une route déserte, je serais sûrement mort maintenant. Et j'aurais sûrement dû. J'ai trop tué pour être pardonné. J'ai développé des réflexes de tueur. Et je m'en veux.

Je me détournais d'Anastasya et regardais les gens qui se pressaient. Ils semblaient pourtant passer au ralenti pour moi. J'aurais pu dès maintenant me jeter dans le fouler et disparaître. J'avais honte. Je baissais les yeux, j'avais l'impression d'être ancré das le sol. Je n'osais regarder Anastasya, je ne voulais pas voir son beau visage figé dans la peur. Malgré tout, je le méritais. Je terminais en murmurant :

Je suis un monstre.

Anastasya resta silencieuse alors que je lâchais toutes les horreurs que j'avais pu commettre. Je le sentais partagée. Entre peur et autre chose que je ne comprenais pas. J'avais préféré me détourné d'elle plutôt que de voir sur son visage la peur que je suscitais.
Pourtant, lorsque j'eus terminé, la jeune femme se planta face à moi et fit une chose qui me laissa un temps surpris. Elle se hissa sur la pointe des pieds et m'enlaça. Tout contre mon épaule, elle parla alors :

Kyle... Tout ce que tu as fait... C'est du passé non ? Alors c'est fini, c'est ça ? Tu regrette assez ce que tu as fait pour te considérer comme un monstre, tu te punis assez pour dire ce genre de chose, tu ne crois pas ?...

Je souris. La mélancolie m'envahit. Elle pensait tellement simplement... Si seulement... Mais ce n'était pas aussi simple. Je finis par monter mes mains dans son dos pour l'enlacer à mon tour. Je murmurais alors :

Je regrette tellement, je suis coupable, dans mon pays, si on m'avait arrêté, j'aurais été condamné à la peine capitale, tu sais... J'aurais peut-être dû. Mais j'y ai échappé et me voilà dans la nature, aussi dangereux qu'avant. Anastasya... Je ne peux pas dire que ce soit fini. J'ai toujours ce... ces réflexes de tueur en moi.

Je l'écartais de moi et plongeais mes yeux dans les siens. Mon visage était froid et sérieux. Je répétais :

Je suis toujours dangereux.

Puis je détournais les yeux. Elle devait le savoir. C'était aussi simple que ça. Je retirais mes mains de ses épaules, si fines, si frêles. Il me semblait que si je la touchais à nouveau, j'allais la briser, aussi simplement qu'une brindille.

Alors que je plantais mes yeux dans les siens, je la sentis perdre légèrement son calme. Elle se tendit et ses yeux s'écarquillèrent légèrement. Je connaissais par cœur les signes du corps. Ceux-ci prouvaient qu'elle avait peur de moi en cet instant. Cette constatation me blessa mais je tentais de ne rien laisser paraître.

Je sursautais comme un animal pris au piège lorsqu'Anastasya prit mon visage dans ses mains. Elle me força à la regarder. Je n'aimais pas ça mais je la laissais faire. Elle sourit et je compris qu'elle avait chassé sa peur. Comment ? Je n'en savais rien. Elle parla et sa voix était douce et rassurante.

Kyle. -je tressaillit à mon prénom - Si tu es ici, c'est qu'on t'as offert un nouveau départ. Oui, tu as commis des erreurs, c'est sûr. Mais il faut que tu apprennes de tes erreurs, et que tu aille de l'avant. Je suis sûre que tu en es capable.

Je souris tristement. Je voyais qu'elle voulait me convaincre. Mais j'en étais persuadé, j'étais toujours dangereux. Je tentais de la convaincre à mon tour :

Anastasya. Sais-tu quelle a été ma première rencontre ici ? J'ai rencontré Bob, un Titan, et Raven, un Marionnettiste. Sais-tu ce que j'ai fait ? J'ai tenté de tuer Bob avec un des flingues de Raven. Si celui-ci n'avait pas dévié la balle, Bob serait mort. Puis j'ai rencontrée Psychée. Et j'ai failli la tuer à cause d'un réflexe.

Je me dégageais des mains d'Anya, me baissais et ramassais un bout de branche. Je la montrais à la jeune femme, la paume ouverte.

Je pourrais te briser comme une brindille.

Pour illustrer mes propos, je refermais ma main sur la branche. Un craquement retentit et je laissais glisser les échardes qui restaient du morceau de branche par terre. Puis je relevais les yeux et regardais Anya.

Et après ça, tu as toujours foi en moi..?

Contrairement à ce que je pensais, Anya ne recula pas. Elle se campa fermement sur ses pieds et m’asséna :

Oui, toujours, parce que vu comme tu te morfonds, tu ne risques pas de faire de mal à grand monde ! Déjà, si tu as eu un flingue en main, le plus dangereux c'est peut-être ce Raven, celui qui les portait non ? D'où on se balade avec des armes ? Et puis un réflexe est un réflexe enfin ! Tu as vécu sur tes gardes pendant toute ta vie, ça ne s'efface pas aussi facilement !

Elle posa ses poings serrés sur ses hanches et fronça les sourcils. Après avoir soutenu son regard d'un air de défi quelques secondes, je baissais les yeux comme un enfant qui se faisait gronder. Elle continua, martelant ses mots :

Le problème, c'est que si tu reste à te morfondre à ce point, si tu reste dans cette optique, alors bien sûr tu n'avanceras pas ! Mais si tu profite de la chance qui t'est donné de reprendre à zéro, autre part, en essayant de réparer tes erreurs, alors là tu pourras aller mieux ! Je suis convaincue que tu peux te reprendre, mais si tu ne le fais pas, alors là tu peux être sûre que je m'en irais. Pas parce que j'aurais peur, mais parce que j'ai horreur de voir les gens ne pas aller de l'avant. Je sais que c'est dur, crois-moi. J'ai eu du mal à aller de l'avant. Mais j'ai réussi, alors je sais que tu pourras toi.

Elle avait raison et je le savais, et ça m'agaçait. Mais je m'étais assez morfondu. De plus j'avais retrouvé ma sœur. Alors quoi ? Qu'est-ce qui m'empêchait de reprendre à zéro ? Oui, je regrettais mes actes passés. Oui, j'avais peur de replonger dans ce monde qui m'avait vu grandir en violence. Mais j'étais à Terrae à présent, j'avais assez d'argent et j'étais tranquille. Anya reprit plus doucement :

Je peux même t'aider si tu veux.

Pourtant une de ses phrases me préoccupait. Je soupirais.

On ne ramène pas les morts à la vie. C'est impossible. Mais comme tu as raison, je vais essayer ta méthode. Ça ne veux pas dire que j'arrêterais de culpabiliser, tu sais. Ce que j'ai fait est fait, j'ai du sang sur les mains. Non pas que j'ai pris du plaisir à tuer, ça non. Mais au moins, j'avais l'argent pour nourrir ma sœur. M'enfin, je vais essayer de me faire pardonner par mes fantômes.

Je sourit à Anya. Elle avait réussi à me bouger. Une claque aurait sûrement eu moins d'effets. Et comme effet secondaire de m'énerver. Je m'approchais de la jeune femme et poussais le jeu jusqu'à approcher mon visage du sien le plus possible. Plantant mon regard dans le sien, je sourit à nouveau et demandais :

Ça te va comme ça ?

Voyons voir comment elle réagit maintenant. On ne prend pas impunément le dessus sur moi, non mais !

Anastasya hocha la tête rapidement et rougit. Je ris intérieurement, car j'attendais une réaction dans ce genre. Elle acquiesça donc et changea de sujet :

Ou-... Oui oui ! Bon, on va les acheter ces pompes ?

Je ne pus m'empêcher de sourire. Son hésitation ne m'avait pas échappée. Elle se détourna, s'éloignant de moi. Elle semblait chercher quelque chose. Elle est trop mignonne quand elle est perdue comme ça ! J'éprouvais une grande tendresse pour cette jeune femme. C'est peut-être pour ça que j'éprouvais le besoin de la taquiner quelque peu ? Qui sait ?

Je pris sa main et partis en direction d'un magasin de chaussure mixte dans lequel j'avais déjà acheté de grosses Rangers. Comme elles tenaient bien quand j'allais m'entraîner dans la forêt, je décidais d'acheter mes futures baskets dans la même boutique. En plus les prix étaient plus que raisonnables et parfaitement abordables pour moi et mon petit budget. J'entrais en disant bonjour poliment et lâchais la main d'Anya. Je m'approchais pour lui chuchoter à l'oreille :

Je vais aller voir les baskets, fais un tour du côté femme si tu veux, ils ont des trucs pas mal. Je t'appellerais quand j'aurais trouvé quelque chose !

Sans attendre sa réponse, je me dirigeais vers la partie homme du magasin et commençais à détailler les baskets. Et leurs prix. Rapidement, je trouvais une paire de Vans noires ou des baskets d'une marque peu connues en cuir noir qui me semblaient plutôt confortables. Je me retournais pour voir où en était Anya puis fit signe à une vendeuse de venir. Elle s'approcha dans une attitude aguicheuse qui ne me fit pas plus d'effet que ma première chaussette. Je demandais :

Hum. Je pourrais avoir ces chaussures en pointure 43 ?

La vendeuse eut un sourire tout en maquillage.

Bien sûr Monsieur, je vais vous chercher ça tout de suite, ne bougez pas et installez-vous ! ~

Je m'assis en soupirant devant autant de bêtise. Où voulait-elle que j'aille avec mes pauvres baskets toutes défoncées..?

La vendeuse revint presque immédiatement avec les boîtes demandées. Je la remerciais avec un sourire crispé.

Faites-moi savoir si vous avec besoin, jeune homme ~ Ronronna la vendeuse.

Je soupirais à nouveau et allais enfiler les Vans lorsqu'il y eut un grand fracas. Je jetais un regard du côté du bruit et bondit sur mes pieds. Anastasya gisais au milieu d'un rayon qui était tombé. Laissant les chaussures en plan, j'accourais vers elle et m'agenouillais à côté d'elle, inquiet. Elle semblait sonnée et ça m'inquiéta d'autant plus.

Anastasya ! Ça va ? tu t'es fait mal ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je l'aidais à s'asseoir, la laissant respirer un peu et commençais à ranger les chaussures dans leur boîtes en attendant qu'elle se sente mieux. J'avais peut-être fait la moitié des boîtes avec des gestes rapides et précis, lorsque je me décidais à l'aider à se relever. Je la supportais et l'emmenais s'asseoir.

Bouge pas et reprend tes esprits, je finis de ranger et je reviens. Si tu te sens mal ou quoi, appelle-moi je suis juste à côté. D'accord ?

J'attendais d'avoir une réponse même petite et lorsque je l'eus, je me dirigeais pour aider un jeune vendeur à ramasser les chaussures restantes. La vendeuse qui m'avait servi s'y mit avec nous et commença à piailler :

C'est inadmissible ! Faire tomber un rayon ! Quelle maladresse ! - elle fronça le nez de façon assez laide - Ça se trouve, cette gamine l'a fait exprès ! Quelle effrontée ! Vous ne trouvez pas monsieur..?

Elle minauda vers moi et je lui lançais un regard où se disputait inquiétude, agacement et colère froide. Elle recula alors précipitamment et je ressentis une grande satisfaction face à sa grimace effrayée. Elle ne me dérangerais plus. Je poussais la femme plus loin et fis signe au vendeur de s'écarter. Sur ce, j'empoignais le rayon qui s'était calé contre le mur. Anya avait eu de la chance de ne pas se faire écraser. Je redressais l'édifice en fer et le recalais avant de prendre les boîtes de chaussures pour les replacer sur les rayons les plus hauts. Mes gestes trahissaient mon empressement de retourner auprès d'Anastasya et de m'assurer qu'elle n'étais pas blessée. Mon inquiétude augmentait au fil des secondes.

Anya tenta de se justifier lorsque je l'aidais à se relever mais je ne lui laissais pas le temps de trop parler. Elle semblait toujours sonnée. Et ça m'avait inquiété. J'étais tout de même parti aider à ranger.

Avant que j'aie pu retourner au près d'Anastasya, elle vint me retrouver. Elle posa une boîte sur une étagère. Elle semblait aller mieux mais ça ne calma pas entièrement mon inquiétude. Elle s'excusa alors d'une petite voix :

Je suis vraiment navrée... Je suis atrocement maladroite.

Je souris. Elle n'avait pas fait exprès alors tout allait bien. De plus, rien n'était cassé. J'entendis un gloussement de la part de la vendeuse. Je lui jetais une regard. Une flamme apparut sur sa manche et elle poussa un cri strident. Je ne pus retenir un ricanement en voyant la flamme disparaître, laissant seulement une marque roussie sur la manche. Je lançais un regard à Anastasya qui esquissait un sourire discret mais satisfait. Je lui fis un clin d'œil lui faisant comprendre que j'avais vu sa petite farce et que je la trouvait très à mon goût. La farce. Quoi que la jeune femme qui l'avait faite me plaisait bien aussi... Oulah je m'égare. Revenons-en à nos moutons, euh, nos chaussures. Je me penchais d'abord vers Anastasya, encore inquiet.

Tu n'as mal nulle part, tu es sûre..? Tu as fait une jolie chute et en plus, un peu plus et tu te faisait écraser par l'étagère ! Tu m'as fait flipper, c'est le cas de le dire. Maintenant, je ne te quitte plus, c'est clair.

Sur ce, je lui pris la main et l'entraînais vers le rayon homme. Mes chaussures m'attendaient toujours. Je déchaussais les miennes et essayais rapidement les deux paires. Les Vans étaient tout de même plus confortables. Et plus classes. Assurément. Je rangeais les autres dans leurs boîte, déchaussais les Vans et m'avançais vers les caisses, surveillant le jeune femme d'un œil attentif. Je payais et remis les Vans, avant de m'avancer vers Anya.

Voilà, je suis mieux comme ça. À toi, il me semble ? À moins que tu aies besoin de te reposer..?

Les bottines qu'elle tenait à la main me semblaient parfaites pour elle. Je me pris à l'imagier dans ses bottines. Hmm... Jolie... Hum. On se reprend, Kyle, on se reprend.

Quand Anastasya m'assura qu'elle allait bien, je me rassérénais et arrêtais de la regarder sous toutes les coutures dans la peur de lui trouver un truc anormal chez une humaine. Elle finit de me rassurer lorsque je la laissais passer pour payer. Elle m'avait suivi à la caisse, comprenant sûrement que je n'osais plus la perdre de vue. Décidément, cette jeune femme était gentille. Elle paya donc ses bottines et nous sortîmes du magasin. À ce moment-là elle prit la parole :

Et voilà, tu as de nouvelles chaussures, maintenant on rentre ? Ou tu veux aller autre part ? Dans ce cas on se sépare ici ?

Je calculais rapidement le montant qu'il me restait pour survivre jusqu'à la fin du mois. J'avais encore largement assez. Il me restait la prime du dernier... Je secouais la tête, enlevant l'image du corps de l'inconnu que j'avais exécuté en dernier. Il me restait assez pour acheter une nouvelle paire de baguettes pour jouer. Je fus du coup en proie à un dilemme plutôt rude. Aller acheter de nouvelles baguettes et me ruer en salle de musique pour jouer pendant une heure, ou rester avec Anya encore un peu..? Je remarquais qu'elle semblait agitée, comme pressée de s'éloigner. Je réfléchis à nouveau, regardais le soleil qui commençait à peine à s'incliner. Si il avait fait presque nuit, j'aurais beaucoup moins hésité. Pourtant, à ce moment, je ne savais comment répondre. Je ne voulais pas paraître égoïste. Je tentais une approche, choisissant mes mots avec soin.

Hrrm... Eh bien... Je pensais aller acheter une nouvelle paire de baguettes, et aller jouer un peu en salle de musique... Si tu veux, tu peux venir avec moi, mais si tu préfères rentrer je comprendrais parfaitement. C'est comme tu veux !

Je passais une main dans mes cheveux, les ébouriffant un instant avant qu'ils retombent sur mon visage. Je soufflais un peu sur une mèche, pas très sûr de moi.