Mon deuxième adversaire s’effondre, le corps parcouru de légers soubresauts. Bon, j’ai pu mettre hors d’état de nuire deux d’entre eux ; reste à voir comment les deux plus jeunes ont réussi à se débrouiller avec les autres. Je me détourne de lui et jette un œil à Adeline, qui est un peu en difficulté, mais parvient à maîtriser l’homme qui lui fait face, en fin de compte. Un poids s’enlève de mes épaules lorsqu’elle relève les yeux vers moi, un peu essoufflée par l’effort qu’elle a dû fournir. Mais une titan, en général, peut facilement venir à bout d’un humain normal. Si elle arrive à contrôler sa force, j’entends. Je suis rassuré de voir qu’elle y parvient plutôt bien. Mieux que ce à quoi je m’attendais au final. Tant mieux, tant mieux… Sans attendre une seconde, je me tourne dans la direction d’Akihiko, qui en a déjà terminé avec son propre adversaire. Ces gosses m’impressionnent un peu. Surtout Akihiko. Il est jeune, mais il maîtrise parfaitement ses pouvoirs. Un bon potentiel, j’imagine… Enfin nous verrons bien. Peut-être qu’il est un peu jeune pour passer le palier suivant. Mais d’ici là, je ne doute pas qu’il pourra encore avancer. On a jamais fini d’en apprendre sur soi-même.
Quelques secondes passent durant lesquelles nous gardons un silence relatif, plus pour reprendre nos esprits que pour récupérer. Du moins c’est mon cas – même si je doute que, pour Adeline, ce doit être différent. Nous n’avons pas le même effort à fournir pour une même utilisation d’énergie, c’est normal. Mais j’ai tendance à l’oublier un peu, parfois. Ce qui est simple pour moi peut-être sacrément plus compliqué pour d’autres. Bref. C’est pas le problème ici.
Akihiko se tourne vers nous pour nous fournir quelques indications de plus et je me contente d’acquiescer, le temps de le laisser finir. J’essaie de visualiser les lieux grâce à ses descriptions, mais fais un peu la moue devant leur caractère un peu trop vague. C’est mieux que rien cela dit. La réplique de la terre me tire un léger soupir et je m’efforce de ne pas me passer une main sur le visage d’un geste las. Pourquoi toutes les personnes avec qui on part en mission sont toujours soit super égocentriques, soit super agaçantes ? Nan, mais c’est vrai… J’veux bien qu’il n’ait pas pu donner énormément de précisions, mais pour le moment on doit faire avec. J’ai assez souvent remarqué que le fait de ne pas avoir beaucoup de voyants présents à l’institut avait tendance à rendre les autres arrogants en leur présence. Alors que, très sincèrement, c’est un pouvoir très pratique quand on sait s’en servir. Mais il ne faut pas non plus compter que sur le voyant, il faut aussi être capable d’interpréter. Et les écouter, surtout. Au bon moment.
Perdu dans mes pensées, je ne prends pas tout de suite part à la conversation. La voix du petit Eau me ramène sur terre et je baisse les yeux vers lui, un peu perdu.

- Ah ? Nan, si, ça va. T’inquiète pas.

Je les observe tour à tour et lâche un nouveau soupir.

- Adeline, si tu ne lui fais pas confiance on y arrivera pas. Bref, on se remet en route. Akihiko on te suit. Tiens-nous au courant si tu vois d’autres choses. Je crois qu’il y a encore quelques personnes, mais ils sont un peu loin pour que je puisse le dire avec certitude. Dès que tu auras leur emplacement exact, je compte sur toi.

Nous nous remettons en route, passant par le couloir que nous a indiqué notre guide. Je regarde autour d’un air un peu perdu, perturbé. Tous les couloirs se ressemblent ici. Dire que… j’étais enfermé ici. C’est dans ces couloirs que Mitsuki m’a traîné, dans ces couloirs que j’ai tué ces types. Dans ces couloirs que nous nous sommes battus, que nous nous sommes enfuis. Un goût amer s’insinue sur ma langue mais je l’ignore royalement. Ce n’est pas vraiment le moment.
Nous débouchons ensuite sur le fameux couloir principal, où 5 portes se profilent. Je ne sais pas vraiment laquelle emprunter, j’avoue.

- Une idée d’où aller ?

Bon, il faut que je me reprenne. Comme ça, voilà. Laisse donc la jeunesse (je suis vieuuux) prendre le relais, ils se débrouillent mieux que toi. C’est assez triste à dire, d’ailleurs, mais bon… Faut bien être honnête tout de même. Adeline a juste pas tout à fait la maturité pour. Et Akihiko est… un peu jeune. Mais bordel, il est plus calme que moi, je sais pas comment il fait. Je sais pas comment ils font, en fait… Bref, je crois qu’il faut que je laisse tomber pour le coup, là, ça va plus me déprimer qu’autre chose. Et c’est pas le moment de se laisser envahir par tout ça. (Notez comme je reste vague en disant « tout ça » ; c’est juste que bon, dire « faut pas que je me laisse envahir par mes démons ! » ça fait un peu con quand même…)
Le garçon passe devant nous et nous guide, et nous progressons en silence, pour lui laisser le temps de se concentrer. Adeline fait encore la gueule, et j’essaie de lui faire un petit sourire d’encouragement – oui, je sais, je suis trop bon, merci. Enfin c’est surtout pour éviter qu’elle se déconcentre et qu’elle se mette à croiser les bras en gueulant dans un coin de la pièce « BEN MAINTENANT MOI JE BOUDE NAH »… Hum. J’exagère un peu là, elle est pas de ce genre, mais bon. Évitons quand même, on sait pas à quel point ça peut être virulent une nana – surtout en période rouge, hein.
J’acquiesce lentement aux dires du voyant, confirme en ressentant la présence des deux types de l’autre côté de la porte.

- C’est probablement ce qu’on cherche, ouais. C’est pas étonnant qu’ils se soient postés là.

Puis je plisse le nez, réfléchis quelques secondes en le laissant terminer. Je visualise le tout rapidement, essayant de me créer une représentation en 3D de l’endroit et des descriptions qu’il nous fournit. Deux gardes, trois autres qui arrivent sur le côté. J’acquiesce finalement une nouvelle fois, me tourne vers les deux plus jeunes.

- Je vous laisse vous occuper des deux dans le sas. Je me charge des trois autres. Faites attention ok ? Et veillez l’un sur l’autre. Je vous rejoins après, donc attendez moi avant d’entrer dans la salle de commande. On sait pas quels mécanismes il peut y avoir dedans.

Nous avons toujours l’avantage de savoir quand nous attaquerons, peu importe s’ils sont prêts et nous attendent ou non. Et je ne doute pas qu’ils seront capables d’arrêter quelques balles à l’aide de leurs pouvoirs – l’eau et la glace peuvent très bien faire l’affaire, de même que la terre ou la pierre. Quoiqu’à son niveau, pas sûr qu’elle maîtrise la création de roche… Et au sujet de la salle de contrôle… Si c’est la même que celle de ma dernière « visite », on devrait pas avoir grand-chose à craindre. Sauf s’ils ont rajouté des fumigènes…
Je fais un dernier signe à mes deux coéquipiers et m’enfonce dans le petit passage désigné par Akihiko, longeant les murs en silence pour avoir une vue dégagée. Lorsque je sens les gardes s’approcher, je dispose quelques billes électrifiées au sol, qui explosent presque immédiatement en un flash de lumière. Aveuglés, j’en profite pour faire s’enrouler de longs filaments grésillant autour d’eux. L’un chute au sol et se débat, essaie d’atteindre son arme. Une légère impulsion électrique les tétanise, et j’en profite pour prendre une de leurs pistolets à seringues pour leur injecter une dose de tranquillisant. Ils s’effondrent au sol lourdement. Allez, dormez bien mes petits. J’ai pas envie de vous tuer aujourd’hui.
Je confisque un talkie-walkie et un autre pistolet à piston, puis fais demi-tour en voyant qu’il n’y a plus personne dans le coin pour rejoindre les deux autres, et voir où ils en sont. Dans mon oreillette, je les interroge :

- Ca va, tout le monde va bien ?

Je passe lentement le sas, prudent.

Je me contente de hausser un sourcil lorsque j’aperçois Adeline, trempée jusqu’aux os, qui se remet visiblement encore de sa petite douche. Un soupir m’échappe mais je ne dis rien, ça me blase en fait je crois. Pendant qu’Akihiko se concentre pour visualiser l’intérieur de la pièce, j’essaie néanmoins de calmer l’adolescente qui se met à trépigner. Elle râle en essorant ses fringues gorgées d’eau, n’hésitant pas à nous lancer, à tous les deux, des regards assassins. J’essaie d’avoir quelques gestes d’apaisement, de lui expliquer qu’il ne faut pas trop lui en vouloir, et me promets d’en reparler à Akihiko avant la fin de la mission. Mais pour le moment, c’est pas trop l’endroit de s’exciter comme ça, alors je préfère laisser passer. D’un geste conciliant, je dépose ma veste sur les épaules de la gamine pour qu’elle arrête de taper du pied et qu’on puisse enfin se concentrer dans le silence.
Mes lèvres se pincent lorsqu’Akihiko me donne le résultat de son enquête, et je me passe la main sur le visage. Le boîtier, ok. Il faut que je le trouve et le désactive ; je pourrai le faire à distance. Lentement, j’acquiesce.

- Et il n’y a rien de relié à l’ouverture des portes, non ? lance Adeline en fusillant Akihiko du regard.

Un rapide check à l’aide de mes pouvoirs me confirme que non, et je secoue la tête.

- Rien du tout.

Je fronce les sourcils et ouvre lentement la porte, entrant en premier dans la salle. Cependant, avant de mettre un pied à l’intérieur, je me tourne vers les deux autres.

- Et sérieux, arrêtez de vous chamailler comme des gosses maintenant, ok ? Ça commence à bien faire, je fais en roulant des yeux, avant de reprendre ma route.

Mes yeux s’éclairent un instant d’une lueur or, cherchant le fameux boîtier. Il est relié électroniquement à la console et je ne mets pas longtemps à le déconnecter. Puis, m’approchant de la console tout en vérifiant que tout est bien désactivé, je pénètre dans le système. Mes doigts pianotent sur le clavier ; je contourne les pare-feu et insère la clé USB sur laquelle je stocke les données qui nous intéressent.

- Après le chargement des données, il nous restera plus qu’à emporter tout ce matos sur le bateau. Et emmener les types avec nous, donc faut voir s’il y en a encore sur l’île, je lâche à l’intention des deux élèves. Vous pouvez vous occuper de rassembler ça en attendant ? On va devoir faire pas mal d’aller-retours je crois.

Une fois le chargement terminé, je déconnecte la clé et en profite pour effacer toutes les données de l’ordinateur et puis de me charger de le détruire. Les composants grillent sur le champ et une odeur de brûlé monte à nos narines.
Je me lève et attrape des piles de dossiers et de papiers.

- On commence par y aller ? Normalement le système est KO, mais je couperai l’électricité quand on partira.

Lentement, je m’étire et fais craquer mon dos, retenant un bâillement. Je suis claqué. C’était pas spécialement éprouvant comme mission, mais bon. Le voyage l’a été, surtout pour mes nerfs. Et là, on est bientôt repartis pour deux ou trois jours de trajet, si ce n’est plus… J’espère que la mer sera pas agitée. Manquerait plus que ça, tiens… Mais bon, ça ira, pas vrai ? J’ai pas envie de passer une journée de plus sur cette maudite île. (Dire que c’est censé être un lieu magique… Perso je ressens qu’un mal-être constant depuis qu’on a posé dessus. Désolé, Terrae, tu n’as pas vraiment touché mon cœur comme tu l’aurais dû…)
L’ordinateur grille joyeusement, et nous continuons à transporter le plus de choses possibles sur le bateau. Le matériel informatique, les dossiers qui n’ont rien à foutre là, et, par la suite, les gardes que nous attachons dans la cale. Des Masters téléporteurs nous attendront probablement à l’arrivée, pour nous aider à nous en charger et nous débarrasser de leur matos devenu inutile. Plus jamais je veux avoir à retourner dans un laboratoire, après ces histoires. Il est vraiment temps que ces maudits scientifiques arrêtent de nous courir après, et comprennent qu’on gagnerait beaucoup plus à bosser ensemble qu’à se taper sur la gueule. (Enfin je dis ça, je dis rien, hein.)
Lorsqu’Akihiko retourne me voir, j’esquisse un sourire fatigué mais satisfait, puis acquiesce lentement.

- On va pouvoir y aller, oui. C’est super. Merci pour votre boulot, vous avez été géniaux.

Nous nous dirigeons jusqu’au bateau en prenant notre temps, pour profiter un peu de cette petite pause. Avant de monter, je me retourne pour contempler l’île. Prends une longue inspiration.

- J’espère que plus personne ne viendra la dénaturer, je murmure ; avant d’étirer un sourire embarrassé face à mes deux partenaires et d’embarquer en replongeant dans le mutisme.

Je m’appuie sur le bastingage et laisse mes yeux se remplir de la vue qui s’offre à nous. Un peu émerveillé, comme un gosse.
Le bateau se met en route, et l’île rétrécit bien vite à l’horizon. Allons-y, c’est parti pour un bon mal de mer…
Un regard sur mes deux partenaires, eux aussi perdus dans la contemplation de ce petit temple envahi par la nature, me fait à nouveau sourire. Ils sont pas prêts de s’entendre, hein…



HRP : Mission accompli, on rentre à la maison ! Je te laisse clore ? :3 (Pardon pour la fin nulle et rapide, mais comme ça on en a fini >O<)