- Je m'ennuiiiiiiie...

Voilà, la chose était dite. Pas grand chose de plus à rajouter, vous me direz ; ces quelques mots définissaient à eux seuls toute l'étendue de son désespoir. La rouquine avait flâné quelques temps dans la salle commune, où elle avait été incapable d'adresser la parole aux trop nombreux groupes qui s'étaient déjà formés depuis belle lurette, et avait fini par glandouiller devant la télévision, sans forcément chercher à comprendre ce qu'elle regardait. En même temps, entre la télé réalité avec des abrutis aussi ignares qu'elle, qu'elle regardait habituellement, et l'émission style "question pour un champion" version japonaise - avec les questions écrites dans des idéogrammes chelous qu'elle n'avait jamais vu ni d'Adam ni d'Eve et ne comprenait absolument pas - que les autres avaient mis, elle avait eu de quoi désespérer un peu. C'est donc en pestant contre eux qu'elle avait quitté la salle, argumentant que ceux qui regardaient des bêtises pareilles ne pouvaient pas l'amuser outre mesure. (Bon, en fait, c'est juste que l'émission ne lui plaisait absolument pas parce qu'elle ne comprenait rien aux questions...)

Elle était donc retournée dans le dortoir des filles, complètement désert à cette heure, et s'était affalée comme un phoque sur son lit en commentant son état d'esprit actuel - à savoir qu'elle désespérait de trouver un jour de quoi s'occuper à nouveau. Oui, elle désespérait un peu, la petite Aria ; mais ce n'était pas de sa faute si elle n'arrivait pas à trouver de quoi s'occuper ces derniers jours. Elle avait déjà fait du lèche vitrine la veille, et ce qu'elle avait vu ne l'avait pas vraiment convaincue. Elle ne pouvait pas parler à sa plante - tout simplement parce qu'elle n'avait pas de plante - ni à son petit animal de compagnie - exactement pour le même problème. Bref, elle s'empara de son dernier espoir, à savoir son téléphone chéri, et après s'être connectée au wifi du campus, navigua lentement sur le net, aplatie sur le ventre sur son matelas. Elle ne leva pas les yeux lorsque la porte s'ouvrit, trop prise dans la lecture d'un excellent meme au sujet d'un acteur qu'elle adorait, puis gloussa de rire en se roulant sur le dos.

Quelques mots la firent relever les yeux, et elle vit une jeune fille toute petite, toute mignonne, trooop choupi qui s'excusait en rougissant en lui disant qu'elle ne l'avait pas vue. Elle la salua et Aria, toute contente de voir ce qu'il semblait être une nouvelle tête, sauta sur ses jambes et s'avança avec un sourire. Enfin quelqu'un avec qui elle peut parler sans avoir l'air bête ! Oui parce que tout le monde sait que c'est vachement plus simple de parler à quelqu'un qui est seul plutôt qu'en groupe de dix...

- Oh, salut ! Désolée, je pensais que tu étais une des filles du dortoir... Tu viens d'arriver ? Ca va ? C'est quoi ton nom ?

La nouvelle venue fit tomber ce qu'il semblait être un carnet à dessin et Ariana s'empressa de s'accroupir pour le ramasser, son grand sourire toujours plaqué aux lèvres.

- Ohh, tu dessines ?! Ou tu écris ? Je peux voir ? Ou c'est top secret défense ?

Elle se redressa et grimaça en entendant son genou craquer douloureusement, puis lui tendit son carnet :

- Moi c'est Ariana !

Trop de bonne humeur en elle, soudainement. Comment pourrait-elle ne pas être heureuse en tombant nez à nez avec une fille aussi adorable ? Rien qu'à son visage, sa voix, et ses excuses, elle comprit qu'elle n'était pas le genre de fille à aimer s'imposer. Un peu comme elle, avant. Cette constatation la fit grandement sourire - et elle sembla soudainement comprendre qu'elle souriait un peu trop lorsqu'elle parlait aux autres, parce que ses zygomatiques la tiraient douloureusement. Elle sautilla jusqu'à la jeune fille, qui lui répondit en bredouillant alors qu'elle ramassait son carnet, sans vraiment écouter ses réponses. Finalement, elle percuta qu'elle avait à nouveau parlé et lui tendit son carnet en souriant.

Elle sembla hésiter quelques secondes, avant de lui répondre que ce n'étaient que des gribouillages et que personne n'avait jamais voulu les voir. Effarée, Ariana secoua la tête. N'importe quoi, comme si elle n'en avait pas envie ! Elle l'avait trouvée et harponnée, maintenant, elle n'allait pas la laisser filer. Elle se présenta alors, laissant son optimisme ravageur répondre à sa place. Tant qu'elle en parlait, pourquoi cette fille semblait si perturbée en la regardant ? Presque choquée ! Boarf, pas d'importance. Elle avait l'air ravie et cela l'enchantait, elle aussi.

- Moi aussi, je suis contente de te rencontrer... Diane ? Non... Dylan c'est ça ? reprit-elle, songeuse.

La rouquine avait toujours un peu de mal avec les prénoms. Et avec les âges. Et avec tout, en fait. Dès qu'il lui fallait faire preuve d'un minimum de mémoire, c'était une véritable catastrophe ambulante. Malgré tout, elle réussissait à retenir les choses parfaitement inutiles, comme les mensurations de ses acteurs préférés. Vraiment...

- C'est vraiment dommage que personne n'ait voulu les voir, râla-t-elle en s'asseyant à côté de la nouvelle venue, une fois que celle-ci lui eût désigné la place. Tu es sûre que ça ne te gêne pas ? Si c'est personnel je ne regarderai pas.

Elle lui lançait ça avec assurance, tandis que sa main caressait doucement la couverture du carnet, par habitude. Ariana était maladroite, mais cela ne l'empêchait pas de savoir prendre soin des choses qui lui tenaient à cœur et particulièrement des affaires des autres. Elle ne voulait plus jamais revivre le cauchemar de renverser son jus de fruit sur le carnet à dessin d'une de ses amies. Elle en pleurait encore lorsqu'elle s'en souvenait - et surtout lorsqu'elle se remémorait l'engueulade gigantesque dans laquelle elle avait été prise.

Enfin bon. Elle secoua cependant la tête et reprit sur un ton plus doux, toute souriante.

- Tu verras, c'est chouette comme endroit ! Comme je vais pas en cours je m'ennuie un peu, mais bon... J'imagine que comme je suis là depuis pas trop longtemps il faut le temps, rit-elle. Tu as fait bon voyage ? Tu viens d'où ?

Dylan lui proposa de regarder ses dessins, visiblement un peu surprise, et pas très confiance vis à vis de son travail. Cette réaction donna envie à notre rouquine de rouler des yeux et de lui prendre le visage entre les mains pour lui faire "Mais tu es tellement mignonne, aies confiance en toi !". Elle risquait juste de la faire fuir ou, au pire, de carrément la faire flipper. Dans un sens, ce n'était pas si étonnant ; personne n'irait dire que rohlala évidemment il savait qu'il dessinait magnifiquement bien. Elle-même ne semblait pas être ce genre de personne. Plutôt discrète et timide, sans trop oser s'affirmer. Pourtant, elle était gentille : elle l'avait même invitée à s'asseoir à côté d'elle ! Sans doute était-elle aussi perdue qu'Ariana pouvait l'être ; elles se devaient donc de se soutenir dans cette épreuve. Du moins, c'est ce que pensa la jeune espagnole, qui sourit doucement en coin.

- Ne t'en fais pas, je comprends. Je dessine aussi un peu quand je m'ennuie, mais moi, je ne suis pas très très douée.

Finalement, la jeune fille préféra la bombarder de questions existentielles tout en lui racontant sa vie. Elle espérait vraiment qu'elles s'entendraient bien, et misait beaucoup sur cette simple rencontre. Certainement n'aurait-elle pas dû, mais elle sentait qu'il y avait quelque chose qui passait entre elles. L'envie de ne pas être seules, de se connaître, de discuter.

La rouquine lâcha un léger "Oh" sonore, avant de sourire largement. New York ! Ce devait être tellement bien là-bas ! Elle avait toujours rêvé d'aller aux Etats-Unis, et savoir que cette fille y habitait la rendit immédiatement extrêmement jalouse. Dans le même temps, elle semblait émerveillée. Des étoiles brillaient dans ses yeux, comme si on lui avait présenté le dernier Avengers en avant-première.

- New-York ?! C'est trop bien ! J'ai toujours rêvé d'aller là-bas ! Tu me raconteras un peu ?

Son sourire ne fana pas lorsqu'elle ajouta :

- Je viens d'Espagne, du sud. Grenade, je sais pas si tu connais ?

Finalement, Dylan reprit son carnet et Ariana crut un instant qu'elle voulait le lui retirer, aussi sembla-t-elle déçue ; pas très longtemps puisqu'elle se contenta de l'ouvrir sur ses genoux, l'invitant à plonger dans son univers. Elle n'ajouta rien, écoutant d'une oreille distraite ses réponses si elle en formulait, et laissa ses yeux courir sur les dessins. Ils représentaient une foule de chose, et certains étaient bien plus détaillés que d'autres. Cependant, dans chacun, elle perçut une envie d'évasion, de découverte, une curiosité qui la toucha à son tour.

Rapidement, elle arriva à la fin et leva les yeux vers son interlocutrice, étirant un sourire doux.

- C'est vraiment joli, j'aime beaucoup. Tu as un beau coup de crayon. Tu aimes la mer ? l'interrogea-t-elle encore, tout en revenant vers le début de son carnet.

Elle refit plusieurs fois le tour des dessins, s'arrêtant un moment sur certains d'entre eux, un sourire aux lèvres. C'était si rare de trouver des personnes qui dessinaient aussi, et qui acceptaient de lui montrer si aisément ses dessins ! Elle appréciait ces moments de calme, elle aussi, et rien que voir les traits sur le papier la rendit plus sereine. Elle se sentait soudainement moins encline à sauter partout, mais ça ne voulait pas dire pour autant qu'elle était de mauvaise humeur. Disons qu'elle était juste d'humeur plus... délicate. Ce qui n'était pas plus mal, autant le dire directement. Ca la changeait un peu, de ne pas courir dans tous les sens, ou de harceler les gens avec qui elle parlait d'un flot de mots parfois incompréhensible. Au moins difficile à suivre.

Finalement, elle releva les yeux vers elle et lâcha avec un rire dans la voix :

- Je suis certaine qu'il y a des choses à raconter. Il y a toujours des endroits qui nous font rêver. Chez moi, j'aimais bien le parc, je trouvais ça calme. Quand je suis toute seule, je suis un peu moins hyperactive, lui assura-t-elle. Du coup, je courrais pas mal et me roulais un peu dans l'herbe, en attendant que le temps passe. C'était vraiment chouette, j'adorais faire ça.

Elle se rappelait des sorties avec ses amis, et retint son sourire de toutes ses forces. Elle leur parlait assez peu, avant son départ, mais avec la distance, elle comprenait de plus en plus à quel point ils lui manquaient. Alors Ariana laissa cette pensée pour le moins déprimante de côté, et se contenta de se remémorer les bons moments passés ensembles. Cette fois où ils avaient fait une bataille d'eau, et qu'ils s'étaient presque faits sortir du parc parce qu'ils faisaient trop de bruit, un été.

- Attends... Tu n'as jamais vu la mer ? lança Ariana, un peu plus fort qu'elle n'aurait voulu, sous la surprise. C'est dommage ! Il faudra profiter des vacances d'été, je crois qu'ils prévoient des sorties !

Doucement, elle se laissa tomber en arrière, sur le dos. Un peu sans-gêne, la Aria, mais elle ne pensait pas vraiment à mal.

- Mais ouiii, j'aimais tellement la mer ! Ce n'était pas très loin de chez nous, mais il fallait rouler un peu avant de l'atteindre. Une heure de route je dirais ? Enfin c'était chouette pour se faire des sorties ! On y allait de temps en temps avec mon frangin et ses potes.

Elle ne sortait pas beaucoup ? Eh ben, c'était un peu triste, quand même. Ariana ne put s'imaginer une vie où elle aurait été enfermée chez elle, entre quatre murs. Avec son frère, ça aurait été compliqué ; elle ne supportait pas de rester avec lui trop longtemps, parce que, dans un lieu clos, ils avaient tendance à s'engueuler assez virulemment. Et souvent. Ariana aimait sortir, bouger, tout le temps ; bien sûr, elle aimait aussi rester au calme, comme tout le monde, mais elle trouvait ce genre d'existence triste et morne. Elle n'était pas faite pour voir l'extérieur depuis une fenêtre ; il fallait qu'elle soit à l'extérieur. Qu'elle vive, simplement.

Alors, mal à l'aise, elle lui offrit un pâle sourire embarrassé et décida qu'il serait plus sympathique de parler d'autre chose. La mer, par exemple ! C'était tellement bien. Elle adorait ça. Alors voir le visage de l'adolescente s'illuminer lorsqu'elle évoqua les vacances d'été lui fit du bien. Alors elle se redressa, les cheveux ébourriffés, et sourit largement :

— Oh, oui, ça pourrait être génial ! On pourrait faire des trucs super cool ! J'ai jamais testé le surf, mais ça pourrait être super bien. Enfin, le surf, c'est plus dans l'océan que la mer, non ? Je sais plus... Rahh.

Le ventre de Dylan finit par grogner. Ariana sourit en coin, se remit sur ses jambes et lui tendit la main pour l'aider à se lever.

— Oui ça marche ! Viens, on va manger un truc, j'ai faim aussi. Y a plein de trucs super à la cafet. Ils ont des glaces. DES GLACES. C'est génial. Elles sont pas aussi bonnes que celles du marchand de glace, près des boutiques, mais c'est déjà pas mal !

Puis elle la tira à sa suite jusqu'à la cafet, en trottinant joyeusement.

— Tu as pu repérer un peu les lieux déjà ? Ou pas du tout ? Si t'es perdue, demande moi, hein ! Pas que je sois super efficace niveau orientation, mais voilà...