D'accord. Alors cette fois, j'en suis sûre et certaine : je n'aurais jamais dû lui dire. J'aurais dû lui mentir, parce que je préfère autant culpabiliser parce que j'ai raconté un bobard énorme à mon meilleur ami que de le voir arborer cette expression. Cette expression à mi-chemin entre la surprise, la peur et le mépris. Le dégoût, presque. Mes yeux se détournent, incapables de supporter cette vue, et mon cœur se serre. J'ai envie de pleurer, tiens. Comme c'est étrange ! Ahah. Ahah… Je retiens un soupir et le regarde continuer sa route, sans reprendre la mienne. Mon regard contient à peu près tout ce que je ressens, pour le coup. Tristesse et déception. J'aurais aimé que tu sois fier de moi, Allen, tu sais ?

Pourtant je ne dis rien et finis par descendre les marches, lentement, derrière lui. Je n'ai plus aucune envie de sortir. Ma poitrine est horriblement compressée, j'ai l'impression de ne plus réussir à respirer. J'aimerais pouvoir faire quelque chose, et chasser les larmes qui menacent de couler, mais rien ne fonctionne. Je suis juste pitoyable, au final. Tout ce que j'arrive à faire, c'est garder un air suffisamment digne pour qu'il ne comprenne pas à quel point j'me sens au bout du rouleau, vis-à-vis de lui.

Sa voix s'élève dans les escaliers et je soupire finalement. Je me retiens de lui dire que des pouvoirs, ce n'est pas naturel du tout, et que si on accepte le fait qu'on puisse contrôler un élément, on est aussi prêt à accepter une telle chose. Pourtant, je ne dis rien. Je pince simplement les lèvres, blessée, et détourne la tête en croisant les bras sur ma poitrine. Reste calme. Il est juste un peu… choqué, voilà tout. C'est ça ! Ce n'est pas si grave, hein ? Il va redevenir comme il était avant ..? Il…

Il a complètement craqué, c'est ça …?

Mon souffle se bloque dans ma gorge et je m'arrête définitivement, cette fois. Ma main tremble. Son regard croise le mien et cette fois, quelques larmes coulent véritablement. Ne me fais pas ça. Ne me fais pas ça, Allen.

- Tu n'as pas le droit, je murmure, atterrée. Tu n'as pas le droit de dire ça !

Je secoue la tête, pour chasser mes larmes et en même temps essayer d'ordonner mes pensées, mais c'est un tel capharnaüm… La colère monte, la tristesse, surtout. Pourquoi réagit-il comme ça ? Pourquoi me repousse-t-il ? Ne sommes-nous pas amis ?

- Tu n'as pas le droit de dire que nous n'avons plus rien en commun. Tu n'as pas le droit de dire que tu faisais semblant ! Nous sommes amis, Allen, nous sommes amis et ça ne changera pas ! J'aimerais pouvoir t'aider à te sentir mieux, mais je ne sais pas ce que je dois faire. Alors si je peux faire quelque chose, n'importe quoi, dis-le moi…

Lentement, je m'approche encore et effleure sa main pour tenter de la prendre, en espérant qu'il ne se dérobera pas.

- Allen… Allen tu sais que je serai toujours là pour toi. Toujours. Alors ne me dis pas ça… Crois un peu en moi.

C'est hallucinant. C'est tout bonnement hallucinant. Je crois que là, je n'arrive même pas à réaliser ce qu'il est en train de se passer. Je repense à la crise qu'il m'a faite lorsqu'il a appris pour ses parents, il y a deux ans. Ou plus maintenant, je ne sais même plus. Trois peut-être. C'est loin, tellement loin. Je pensais qu'on avait dépassé ça. Mais visiblement, on ne l'a toujours pas dépassé. Il veut rester seul, et moi je ne peux rien dire de plus. En effet, quelque chose s'est peut-être brisé, mais je refuse encore d'y croire. Mon visage s'empreint cette fois de colère, et je serre le poing au fur et à mesure qu'il parle. Si je n'avais pas un tel contrôle de moi-même, ma main aurait fini collée contre sa joue de manière assez violente. Pourtant, je refuse de me laisser aller à la rage, même si elle monte de plus en plus. Ce n'est pas la peine d'en rajouter.

Il croit en moi, alors pourquoi il ne me laisse pas l'aider ? Pourquoi il me regarde comme un monstre ? Il ne veut vraiment pas d'aide, c'est ça ? Il veut qu'on lui fiche la paix ? Mais pourquoi, juste pourquoi ? Qu'est-ce qui cloche, avec lui, au juste ? J'essaie de ne pas me mordre la lèvre. De garder un visage composer et de faire refluer ma tristesse. Ne renifle pas, Aoi.

Allen s'éloigne cette fois, en me tournant le dos, et je ne réponds toujours pas.

- Moi, je crois en toi.

Je fixe son dos alors qu'il remonte les escaliers, n'esquisse pas un geste de plus. Prends le temps de tout bien répéter plusieurs fois, sur un ton très lent et très appuyé.

- Je crois en toi, et je ne suis pas la seule. Alors arrête de penser que tu es tout seul. Tu ne l'es pas. Je t'interdis de dire qu'il est trop tard ou quoi que ce soit d'autre. Parce qu'il n'est pas trop tard. Si nous sommes à Terrae, c'est qu'il n'est pas trop tard.

Ma tête se secoue, comme pour me remettre les idées en place.

- Tu fuis parce que tu as peur. Mais je ne veux pas que tu aies peur de moi, Allen. Je suis ton amie et ça ne changera pas. Tu auras beau agir de la manière la plus hypocrite au monde, de la manière la plus horrible à mon égard, je resterai près de toi. Mais il faut que tu me laisses rester. Il faut que tu me laisses t'aider.

Pas de sourire. Rien.

- Je ne comprends pas ce qui te fait tant de mal, et je ne comprends pas ton besoin maladif de te terrer chez toi. Non, je ne te comprends plus. C'est toi qui a changé, Allen, j'espère que tu t'en rends compte. Parce qu'il n'y a qu'en t'en rendant compte que tu arriveras à dépasser cette situation ; est-ce que tu m'entends ? Il faut que tu dépasses cette situation, je répète d'une voix plus forte et déterminée, qui résonne dans la cage d'escaliers.

Fini les enfantillages…

- Allen, je te laisse tranquille pour aujourd'hui. Je reviendrai te voir demain. On rediscutera quand tu auras repris tes esprits. Dehors. (Et j'insiste sur le mot.) Tu n'auras qu'à me détester si tu le veux. Tant pis.

Mon pied droit se pose sur la marche du dessous.

- Alors à demain.

Sur ce, je fais demi-tour, le cœur en miettes et les lèvres closes. Mon visage est bas. Le lendemain, je sais que je tomberai face à une porte close. Et rien que cette perspective me donne le cafard. Mais j'en ai assez, je ne peux pas continuer à le regarder plus longtemps, à encaisser les stupidités qu'il me sort. Il ne changera pas d'avis de cette manière. Non, vraiment. J'en ai simplement assez.