Ruby avait décidément fait des rencontres bien étranges et originales depuis son arrivée à Terrae. D’abord le jour même, elle s’était fait à moitié racketter par un garçon assoiffé, et puis elle avait rencontré une fille vraiment haute en couleurs. C’était bien le cas de dire, puisqu’elle était couverte de tâches de peinture sur tout le corps. En tous les cas, cela avait bien contribué à bouleverser ses habitudes, déjà un peu malmenées par le commencement d’une toute nouvelle vie, dans un institut au Japon fait pour les gens comme elle. Les gens qui ressentaient un vide et lançaient l’Appel, un appel à l’aide auquel répondaient les masters en venant les chercher. C’est ce qu’elle avait compris de ce que lui avait expliqué la femme à la cape noire qui l’avait accompagnée à Terrae. Elle n’avait pas pu la revoir depuis, d’ailleurs. Elle aurait bien aimé, pourtant.

Malgré ces rencontres, concrètement, fondamentalement, la rousse n’avait pas changé d’un pouce. En si peu de temps, en même temps, il n’était que très peu probable que ça arrive. Sa timidité et l’éducation reçue l’empêchaient de se rapprocher des gens et se faire des amis. Elle n’était pas asociale, loin de là, mais elle n’avait aucune idée de la manière de gérer une relation avec une autre personne. Ni même de comment engager une relation avec quelqu’un. Ce qui serait déjà un bon début. Elle n’était même pas certaine de pouvoir dire qu’elle avait noué une relation avec Ys et Oktober.

Ce jour-là, elle avait décidé de se prendre un peu de temps à elle, rien que pour elle, afin de se reposer un peu de toute cette agitation et faire un peu le point sur où elle en était, maintenant. Elle s’était donc éloignée un peu des bâtiments, partant plus ou moins en exploration. Et cette exploration fut concluante, car elle ne tarda pas à arriver dans un lieu tout à fait enchanteur et paisible. Des fleurs, des fleurs partout autour d’elle. C’était magnifique, et ça sentait bon. Elle adorait voir toutes ces couleurs se mêler dans un tableau merveilleux. Elle faisait un peu tâche au milieu de tout ça, avec son pantalon gris et son chemisier blanc, mais elle n’y faisait pas trop attention, trop absorbée par la beauté de l’endroit. Elle aimait beaucoup la nature, et le soleil, c’était parfait pour profiter d’un bon après-midi de repos.

Pensait-elle. Car elle entendit un bruit, et, se tournant dans cette direction, n’eut que le temps d’apercevoir une masse noire qui s’écrasa sur la moitié de son visage, ses cheveux, et sûrement aussi sur ses vêtements, lui arrachant un petit cri de surprise. Hébétée, elle porta la main à son visage pour toucher le projectile, et voir de quoi il s’agissait. De la terre… Et aussitôt après, une fille aux cheveux roses se précipita sur elle en criant et en s’excusant et en disant quelque chose sur l’illégalité. Toujours un peu stone de ce qui venait de se passer, elle regarda la fille d’un air perdu, haussant légèrement un sourcil interrogateur.

-Rien d’illégal ? Mais de quoi tu parles ?

Elle se sentait très idiote, toute maculée de terre, et avait l’impression que tout allait bien trop vite pour elle. Ce qui était le cas, en fait. Elle n’arrivait pas du tout à suivre et enregistrer ce qui venait de se passer. Elle devait avoir l’air bête, avec la bouche ouverte comme ça, et de grands yeux ahuris, à laisser l’inconnue lui enlever la terre des cheveux… Autant pour son petit moment de tranquillité.

La fille aux cheveux roses était un peu trop surexcitée pour lui permettre de suivre correctement tout ce qu’elle disait. Ruby finit pourtant par se reprendre, et, se concentrant un instant sur sa respiration, parvint à retrouver ses esprits. L’inconnue s’éloigna, ce qui lui permit de constater son état. Eh bien. En tout cas, c’était de la bonne terre, bien noire et grasse. Ça se comprenait parfaitement qu’autant de fleurs puissent pousser ici. Bref… Il lui en restait encore dans les cheveux, et un peu sur le visage. La majorité de la terre était partie facilement. Enfin… en laissant une jolie trace marron sur sa peau. Son chemisier, quant à lui était… foutu à moins qu’elle n’arrive à faire partir la terre au lavage, ce qui serait un miracle. Comme quoi, le blanc c’était vraiment très salissant comme couleur. Un coup d’œil rapide – et qui se voulait discret – à son décolleté lui apprit que ses sous-vêtements avaient au moins été épargnés. C’était ça de gagné.

-Non, ça va, merci. Je suis indemne.

Elle lui sourit pour la rassurer sur son état, tout en enlevant les mottes de terre qui la couvraient encore. Bon, il y avait eu plus de peur que de mal, malgré de magnifiques tâches brun-noir sur sa peau et son chemisier. Elle allait aussi devoir se laver les cheveux en rentrant, elle devait avoir l’air un peu débraillée, comme ça. Pendant ce temps-là, la fille enchaînait en lui parlant de Gertrude. Une plante ? Difficile de trouver une logique à ce qu’elle racontait. En plus, elle parlait vraiment vite. Heureusement que Ruby avait cette puce, là, pour pouvoir la comprendre, mais ça restait difficile à suivre. Essayant de se poser un peu, elle démêla ce que venait de lui assener l’inconnue.

-C’est illégal de prélever de la terre pour une plante ? Je veux dire, tu ne fais de mal à personne, ça n’a pas trop d’importance, si ? Une plante carnivore ?

Elle se sentait stupide, là. Et peut-être à raison. Ouh lààà, il y avait vraiment du niveau dans ce qu’elle venait de dire. Elle devait encore être sous le choc, pour sortir des trucs aussi énormes. Elle avait le cerveau à l’envers, ou quoi ? La fille en face n’aidait pas trop non plus à la calmer, avec toutes les choses insolites qu’elle racontait. Elle n’avait aucune connaissance de la législation au Japon, de toute manière. Bon, si elle pouvait réfléchir correctement, ce serait bien, aussi.

-Euh… Non.. ? Je ne crois pas.. ?

Elle n’était pas sûre d’avoir été très crédible, vu le ton interrogateur qu’elle avait employé. Ça avait plus l'air d'une question que d'une affirmation... Au final, elle n’était pas trop sûre de la réponse. En même temps, ce n’était pas tous les jours qu’elle se faisait attaquer par de la terre et aborder par une fille surexcitée pour lui parler de plantes carnivores. Il y avait de quoi être un peu paumée.