Nicolas approuve le sac de frappe avec un bon hochement de tête. Il comprenait pas comment des gens pouvaient s'asseoir, faire des mouvements de dingues ou des positions étranges et dire "ça vide l'esprit"... Dès qu'il essayait lui, sa tête se remplissait de mille et une pensées, comme lorsqu'on va se coucher alors qu'on est pas fatigué, le cerveau qui refuse de se mettre au repos. Se battre, du moins s'entraîner, on est obligé de se concentrer sur les points d'impacts, imaginer les points faibles, viser les angles morts et où mettre un pied devant l'autre. Mais une vague sombre l'enveloppe alors qu'il reprend...

La cigarette, quand dans un monde où courir plus vite que les autres c'est survivre, c'est sur que c'est pas une bonne idée de s'y mettre... Mais Nicolas avait pris garde de bien travailler son endurance, même s'il clopait déjà depuis un moment, autant pour faire diminuer son souffle au cœur que pour mieux fuir. Certes le tabac diminue les capacités pulmonaires, mais il suffit de travailler son souffle, ne pas fumer après une bonne séance de sport... C'est pas comme la drogue où ça dure, ça détruit et ça te fait loucher au point de pas voir à un mètre devant toi... ...Bon il simplifiait les effets, mais au final, ça rend pareil : on ne peut pas courir et se lâcher. Nicolas veut néanmoins approuver qu'il a bien fait d'arrêter pour sa santé. Mais une vague sombre l'enveloppe alors qu'il reprend...

Quand Huo ne parle pas de lui, il n'a pas besoin de se souvenir. Il ne dit rien. Il ne se souvient pas d'avoir tenu une arme, d'avoir fait du mal aux autres, d'avoir tout fait, même le pire, pour survivre. Il ne se souvient pas n'avoir eu aucune limite, s'être détruit ou s'être menti pour mieux manipuler, mieux se croire vivant. Il ne se souvient pas avoir été un monstre... Nicolas déglutit et tremble. Mais que devient le monde... Il tire une dernière fois sur sa cigarette, remplissant ses poumons jusqu'aux tréfonds, ne lâchant pas des yeux celle réduit en cendre par Huo... La réponse là, dans le creux de sa main, elle s'envole et disparaît. Poussière, tu n'es que poussière et tu redeviendras poussière. Voilà le monde. Nicolas expire, une vague sombre dans l'âme.

-Je sais frangin. Je sais.

On dit quoi quand on veut pas se rappeler mais que ça nous saute à la gueule tout de même ?... Une partie de bridge ?... Un solitaire. Il réfléchit un instant mais rien ne lui venait. Il coupa la cigarette en deux, tabac à terre, mégot dans sa poche pour le jeter dans une poubelle plus tard. Il se redressa, sérieux, plantant ses yeux dans ceux de Huo. :

-T'sais quoi ? On retourne à l'intérieur et tu vas me montrer comment tu retouches tes photos de la technologie magiques. J'veux t'voir l'talent au bout des doigts mon vieux.

Puis il tapota son index sur son torse comme s'il le menaçait, l'effet bousillé par un sourire aux lèvres. :

-Parce que le moral redescend et il est hors de question de voler d'autres slips ! Nah mais.

Comment faire pour oublier qu'on est des monstres ? On n'y pense pas, on n'en parle pas, on accepte tout entier l'autre en se rejetant soi-même, on fait ce qu'on peut pour retrouver le sourire en évitant de blesser les autres, on y arrive pas, on échoue, on se relève, on a la rage aux lèvres, on se retrouve, on se réconcilie, on se brise de nouveau, on s'envole, on fume, on détruit ses sentiments, on fait de la purée de son âme.
Saloperie de pouvoirs de merde.

...Merde... J'ai appelé Huo "frangin" ?! OUATE ?!

Un frisson me secoue doucement. C'est chaud dans le ventre. Une sensation agréable. Ca fait tellement longtemps qu'on ne m'a pas appelé comme ça. J'aime le sentiment que ça me procure je crois. Je me fourre les mains dans les poches avec un sourire un peu faible. Je suis complètement bousillé, creux de l'intérieur.

Je soupire un peu et le regarde couper sa cigarette consumée en deux pour ne pas laisser le mégot par terre. Je souris en coin, j'avoue ne pas avoir ce problème puisque maintenant je peux carboniser entièrement les cigarettes. Pas forcément très écolo mais bon pour ce que j'en ai à faire...

-Ho c'est pas de la magie ça, je rigole doucement.

Il est vraiment gentil d'essayer de me remonter le moral comme ça. A défaut de me faire penser à autre chose ça me calme un peu. Parfois j'ai le sang qui a l'air de monter comme ça, une ambiance macabre ou juste le moral qui retombe peut-être.

-C'est cool la technologie. Avant on pouvait pas faire des photo montages corrects.

Maintenant au moins quand on les fait c'est à peu près bien foutu. Enfin après faut pas y regarder de trop près bien sûr. Il y a quand même des gens qui sont payés pour distinguer les montages d’une photo originale quand même. Donc c’est que ça doit être pas si dur que ça à voir. Au niveau des raccords, des couleurs et tout ça. Y a forcément des pixels de travers à des endroits.

Je souris un peu et commence à marcher vers ma chambre tranquillement. Je me sens un peu mieux. Parler technique ou même y penser me fait toujours du bien. On anesthésie l’horreur à coup d’obturateurs. Je vérifie que Nicolas me suit et monte lentement les marches. Je pousse ma porte en m’étirant un peu. Enfin rentré. J’enlève mes chaussures et ma veste avant de poser mon ordi sur mon bureau.

-Fais comme chez toi. Tu veux boire un truc ?

Pas de la magie... Nicolas fit la moue, l'enfant en lui le prit mal... Il était à Terrae, les téléphones étaient tactiles et les photos technologiques. Magie. PARTOUT.

-Pas magique ?!... Comment tu brises mes rêves d'enfants !!!

Il essaya d'avoir les yeux larmoyants pour donner un meilleur effet à sa tirade... avant de rire lamentablement. Nicolas était capable de garder son sérieux mais il est bon de se laisser aller quand rien ne t'oblige à te retenir. Il suit Huo de retour dans le bâtiment. En remontant les escaliers en songeant à la façon dont on pouvait retoucher une photo avant l'arrivée de la technologie. :


-Ben, ils devaient travailler directement sur la pellicule quoi... Ça devait être chiant à souhait.

Arrivés en haut, Huo se met aussitôt à l'aise. Bien sûr, il est chez lui, pour Nicolas, c'est une autre histoire. Il jette un regard un l'intérieur d'abord, puis à la porte avant de la refermer. Une fois à l'intérieur, il imite son ami en enlevant ses rangers qu'il déposa près de l'entrée et son cuir qu'il mit non loin de lui, sur le lit où il s'installa ; pas trop loin de l'écran et pas trop près de Huo pour ne pas le déranger. Huo devait être installé depuis une paire de secondes quand il put enfin répondre à ses questions. :

-Euuuh... Du jus d'orange ?

Parce que... l'orange c'est la santé.

Je rigole doucement. C'est vrai qu'en y repensant la technologie c'est carrément magique. On a inventé des trucs qui auraient l'air tellement étrange pour des gens du siècle dernier déjà. La communication a fait un tel bon en avant qu'on ne peut plus parler de vrais frontières. Tout le monde peut parler avec n'importe qui, n'importe où dans le monde. Et on a tellement de moyens de trafiquer l'information maintenant aussi.

Je grimace en pensant au fait de trafiquer des photos directement sur pellicule. Ca devait être particulièrement moche. Sinon il y a aussi la solution de faire du montage puis de photocopier pour obtenir une image entière. Mais c'est tellement visible. On peut éventuellement retoucher les couleurs suivant les produits et les pellicules qu'on utilise mais honnêtement c'est tellement mineur par rapport à ce qu'on fait maintenant.

-Carrément casse burne ouais. J'ai jamais testé mais j'ai une bonne idée de ce que ça peut faire.

Il semble un peu hésitant en entrant, regarde l'intérieur avant d'enlever ses chaussures et sa veste pour s'avancer dans la chambre. J'acquiesce et me relève pour aller regarder si j'ai de quoi. Je prend deux verres et la bouteille de jus qu'il me reste. Je lui tend le sien et pose le tout sur la table à côté de mon petit pc portable.

-T'es vraiment sûr que tu veux me regarder faire ça ?

Je souris en coin et démarre mon ordinateur avant de récupérer la carte mémoire de l'appareil que j'insère dans le port de l'ordi. Pas que j'ai pas envie de regarder un peu les photos mais enfin... Ca me gêne un peu de faire ça devant lui, il va rien comprendre à ce que je fais et ça doit être super chiant.

Nicolas s'empare de son verre comme s'il tenait le diamant le plus précieux du monde... Un véritable toutou ; on lui donne de la nourriture et il est content. A se demander si finalement, il valait bien son vieux surnom de Loup. Mais pour l'instant, il n'y songeait plus... En fait, il ne pensait pas à grand chose, il était juste ravi de passer du temps avec la personne qu'il appréciait plus que tout au monde, sans voir le temps passer, sans se poser de questions, tellement heureux qu'il ne songeait même plus à l'ironie cinglante de ses pouvoirs, ni même aux quelques échos de sentiments venant de chambres voisines ou d'ailleurs. C'est souriant qu'il remplit son verre de jus qu'il sirote comme un gamin, petit sourire aux lèvres.

Il comprenait pourquoi Huo lui demandait s'il était sûr de vouloir le regarder retoucher ses photos. Il haussa les sourcils en rabaissant doucement son verre. :

-Ouais t'as raison, finalement je m'en vais.

Puis il tira la langue tout en soufflant... Le bruit le moins classe du monde. Dans ses yeux d'argent, on devait lire à quel point il trouvait la question de son ami était totalement stupide. :

-Bien sûr que je veux regarder ! lâcha-t-il en fronçant légèrement les sourcils. J'ai tout à apprendre à ce niveau... La dernière fois que j'ai touché un ordinateur, c'était pour remplir la fiche d'imposition de ma mère l'année dernière... Et encore, j'ai du leur renvoyer un format papier parce qu'apparemment j'avais merdé... Pour te dire à quel point je suis nul !

Alors pourquoi demander en premier lieu de passer par l'électronique ?! Je VOUS le DEMANDE ! Il but une gorgée pour se calmer au fond de lui. Il expira d'un coup comme si ce souvenir était un poids particulier... Qui aime la paperasse en même temps ? Puis il eut un petit sourire, et posa des yeux doux sur Huo. :

-Et puis les photos, c'est ton truc. Capturer l'instant. Je suppose que ça doit te faire du bien quelque part. Moi j'aime apprendre. C'est mon truc pour capturer l'instant. Alors ne t'inquiètes pas, je risque pas de m'ennuyer...

Une pause. Il examine le fond de son verre puis il regarde une troisième fois Huo, nouvelle émotion au fond des yeux, de l'émerveillement d'enfant. :

-J'pourrais te poser des questions si je comprends pas ?

Il a l'air juste tellement heureux de boire un verre de jus. Parfois je suis surpris par ses réactions. La façon qu'il a de toujours vouloir dire merci, d'être enthousiaste. C'est un gosse par certains côtés, les yeux grands ouverts, curieux de tout voir, de toute apprendre. Pourtant il est aussi bien trop adulte parfois, pas aigri ou amer, juste... Triste. Mais pas brisé. Seulement comme quelqu'un qui a vu la laideur du monde et qui en est ressorti un peu grandi.

Je rigole doucement quand il me fait ironiquement qu'il va partir finalement. Ha oui si même remplir un papier administratif par internet c'était trop compliqué pour lui je crois que je vois le niveau de compétence... Encore que... Même sur papier la paperasse c'est chiant et compliqué.

J'ouvre mon logiciel avec un sourire en coin alors qu'il me parle encore. C'est- Juste ? Enfin je ne pensais pas être si lisible quand il s'agit de photo mais il résume bien la façon dont je perçois ça. C'est un peu effrayant. Mais je veux bien lui montrer. J'acquiesce avec un sourire.

-Bien sûr. Après je fais rarement des truc compliqués. C'est pas vraiment de la retouche ce que je fais avec mes photos, plus du traitement.

En général si j'ai une photo ratée bah tant pis hein. Je la jette ou j'en fais autre chose mais je vais pas m'amuser à la modifier trop. C'est de la triche. Jouer juste un peu avec les lumière ou la colorimétrie c'est pas la même chose. C'est comme si je changeais les réglages de l'appareil a posteriori. J'ouvre le dossier de mon appareil et fais défiler les photos que je viens de prendre pour voir celles que je veux utiliser. Je souris en coin en voyant celle que j'ai pris de Nico. Elle est sympa.

-En général j'utilise ça surtout si j'ai du prendre sur le vif sans avoir le temps de faire des réglages corrects. Là ça va, je vais juste changer un peu la luminosité parce qu'on était dans un endroit avec du carrelage et des lumières vives artificielles.

Je retouche quelques clichés. L'écran me pique les yeux. C'est que ça commence à faire tard... Enfin tôt je sais plus bien.

Huo ouvre son logiciel, ouvre le dossier et prend la photo qu'il a pris de Nicolas. Ce dernier à un soupir en voyant son visage, mais il sourit. Ça se voit que c'est pris sur le vif et à quel point il ne s'y attendait pas... Mais il l'aime bien. Ça lui rappelle et lui rappellera toujours ce moment qu'ils ont passé tous les deux... Même si c'est peut-être pas très glorieux d'assimiler son passage à Initié avec un vol de slip tardif. Il s'en fout, de toute manière, il avait compris qu'il ne ferait jamais les choses comme tout le monde...

Il le voit changer la luminosité, comme il dit. Il se demande s'il a trouvé cette astuce à force d'en faire ou en lisant comment faire quelque part... Parce qu'avec la dose de boutons affichés sur l'écran, il y avait de quoi se perdre. Nico suit la souris des yeux. Yeux qui lui font un peu mal à mesure du temps qui passe, en silence, à la fois fatigué et complètement absorbé par ce que faisait Huo.

Nicolas n'arrivait pas à mettre des mots sur ce qu'il ressentait. La sécurité avait toujours été une illusion, même chez lui, même dans sa chambre. Quand il n'était pas à son appartement, il n'avait qu'une peur, que quelqu'un trouve l'endroit où il vivait, le mettait à sac et s'en prenait à sa mère parfaitement incapable de se défendre... C'était peut-être de la paranoïa que de s'imaginer le pire dans cette situation... mais combien de fois cela lui avait sauvé la vie.

Il ferme les yeux, la chaleur de la pièce, la présence d'Huo près de lui... Non décidément il n'arrivait pas à mettre des mots. Il ne pouvait que comparer... S'il avait les mots... ceux à mettre sur ses propres sentiments, sur ses propres envies.
Nicolas aurait voulu avoir un grand frère. Un grand frère pour le protéger au collège quand on lui courrait après. Un grand frère pour supporter le poids mort qu'était devenu sa mère. Un grand frère avec qui partager ses nuits d'insomnie, les étoiles à observer sur leur toit, grimper dans les arbres, faire des tartes, des batailles de boules de neige,... Quelqu'un qui entendrait ses appels à l'aide même à l'autre bout de la ville, quelqu'un qui poserait sa main sur son épaule quand il pleurait, quelqu'un qui lui aurait rendu son regard le matin pendant qu'il buvait son café... Courir, se raccrocher à la vie, lutter à deux.
Une bouteille à la mer.

Nicolas s'effondre. Il s'était endormi il y a un moment déjà mais il était resté assis, luttant de toutes ses forces, juste pour pouvoir profiter un peu plus longtemps de ce que bidouillait Huo. Mais la journée à été longue, remplies d'émotions, même pas les siennes pour la plupart. Il glisse sur le côté, son verre de jus terminé mais toujours fermement tenu dans sa main. Quand il dort, son visage n'est contracté d'aucune émotion : aucune ride d’inquiétude ou de peur, pas de sourire non plus, la peau lisse d'un adolescent qui dort.
Un enfant en sécurité.

Je tapote encore un moment sur les touches, navigant avec la souris. Je suis concentré sur mes retouches. Nico se contente de me regarder avec attention, il ne dit rien. Sa présence est réconfortante et le silence qui s'installe est confortable. Ce n'est pas une absence de bruit juste le fait de ne pas parler. Et c'est agréable. De simplement se laisser aller à des automatismes et de rester concentré sur une tâche simple. Je me sens bien comme ça.

Quand je lui jette finalement un regard après une autre série de photo je réalise qu'il s'est endormi. Je le regarde en souriant. Ses traits sont complètement détendus. Là il a vraiment l'air d'avoir quinze ans. Pas dix-sept. Le voir comme ça me donne envie de lui caresser les cheveux mais je ne veux pas le réveiller et me contente de l'observer.

Je me penche un peu sur le bureau et récupère ma carte mémoire. Je la remet dans l'appareil et prend une photo de lui. Endormi sur sa chaise avec son verre de jus à moitié vidé encore dans la main. Sa tête a glissé sur son épaule, la nuque courbée vers l'avant. Il a la beauté des anges endormis, celle des enfants. J'aimerais le voir comme ça plus souvent, sans cette lueur de vigilance constante dans son regard.

Je repose l'appareil le plus doucement possible et éteint l'ordinateur qui cesse de ronronner. Je soupire doucement et lui prend le verre des mains avant de me lever. Il ne semble pas se réveiller. Je l'attrape doucement dans mes bras pour le déposer sur mon lit. Ca lui évitera de se réveiller avec un torticolis au moins. Là j'ai pas la foi de le ramener dans sa chambre. C'est qu'il est peut-être pas épais mais il est lourd l'animal. Mine de rien il fait plus ou moins ma taille.

Je m'étire un peu et sort en laissant la porte ouverte. L'aube se lève bientôt. Un jour de plus dans cette vie. Mais je ne suis pas seul.