Oh donc elle a encore une puce traductrice. J'avoue que ça me soulage pour le coup. Je parle bien l'anglais en temps normal, quand on a vécu à Hong Kong c'est presque obligatoire en plus du mandarin mais je reste moins à l'aise. Et puis elle ne doit pas forcément être très bonne en anglais non plus. Je retiens un haussement de sourcil curieux mais ne dit rien. Des souvenirs hein.

Je me tourne vers Aoi, hausse les épaules dans un geste à moitié interrogatif. Je suppose qu'il faut pas trop en demander. A vrai dire je préfère ça que de l'hostilité, je m'attendais à pire. J'aide Aoi à mettre la table et souris doucement. Elle reste prévenante en fait. Enfin je veux dire que des nouilles sautées elle ne prend pas de risque. Elle connaît les goûts d'Aoi mais pas les miens et elle aurait pu faire quelque chose de particulier que je n'étais pas sûr d'aimer. C'est- Gentil ? Enfin non. Aoi a un peu ce côté aussi, pudique. Faire de petites choses sans en avoir l'air, sans attendre rien en retour.

— Je ne connais pas le Japon en dehors de Terrae. C'était agréable de voir d'autres endroits, même de la voiture. On passera surement par une autre route pour le retour.

Je suis un peu frustré de ne pas avoir vu la mer. Au retour peut-être ? Je crois qu'il y a un port à Kyoto donc on est pas si loin. Pour une fois qu'on est en dehors de l'Institut je veux en profiter.

— Oui. Je viens de Hong Kong.

Je ne suis pas crispé c'est faux. J'ai juste pas envie qu'elle pose plus de questions. Parce que Aoi m'en voudrait si je lui mentais et que je n'en ai pas envie de toute façon. Je me détend un peu, effleure doucement le bras de Aoi quand elle passe à côté de moi. Par réflexe et aussi pour me rassurer.

— J'espère que ce n'est pas un… Problème ?

Mais ta gueule ! On a pas idée d'être aussi con. Vraiment il suffit d'une seconde d'inattention pour que je balance des provocations ? Pendez moi j'en ai marre de moi putain.

C'est vrai qu'on n'avait pas eu l'occasion de beaucoup voyager au Japon... Puis, Tokyo, ce n'est pas très représentatif. Kyoto est beaucoup plus traditionnelle dans son architecture, elle a su garder cette apparence un peu plus japonaise. Je préfère être ici, l'ambiance n'est pas la même. Les maisons, même si elles ne sont pas totalement vieillote, gardent quelque fois les panneaux coulissants à la place des portes, à l'intérieur. C'est le cas ici aussi, même si ce sont plus des panneaux de bois que des panneaux de papier. La cuisine, par contre, fait presque européenne à côté, même si tout est encore en bois. Elle n'a jamais voulu changer la décoration - faute de moyens, mais aussi parce qu'elle ne voulait pas toucher à la maison de ses parents.

— Ce serait chouette, oui. On pourra visiter un peu les alentours ce week-end, tu verras. Il y a plein de jolies choses à voir, je fais avec un sourire. Les temples sont beaux. Et la ville est magnifique, de nuit.

Un sourire de plus, un peu rêveur.

— Maintenant qu'on est Master, on peut se faire des sorties plus souvent, ce serait bien de partir de Terrae de temps en temps...

Maman interrompt ce moment d'idylle avec moi-même en roulant des yeux et éteint le feu. Elle prend un repose-plat et le met au centre de la table pour poser le wok. Je crois qu'elle n'a pas apprécié la réponse d'Huo... En fait, c'est même certain. J'ai un sourire crispé.

— Attention, c'est chaud.

Je vais chercher une carafe d'eau et des verres, puis nous nous installons.

— Pourquoi ce serait un problème, tu as des choses à dire à ce sujet-là ? réplique-t-elle sur un ton calme.

Mais son sourire n'est pas très aimable. Je mets un coup de pied à maman.

— Hé ! C'est vrai, j'ai juste posé la question, râle-t-elle. Ça fait plus de vingt ans que j'étais pas à Terrae, je peux pas me rappeler de toutes les politesses d'usages pour ne froisser personne.

Elle bougonne dans son coin pendant qu'elle nous sert à manger. J'attrape mes baguettes et souhaite un bon appétit à tout le monde. L'ambiance est un peu tendue, et j'essaie de parler pour ne pas qu'ils se renferment dans leur mutisme insupportable. Mon dieu, j'ai deux monstres à table avec moi.

— Huo est journaliste, je fais à maman, invitant par un regard Huo à en dire plus. Il s'occupe des médias hors de Terrae...

Cette fois, maman prend une mine plus songeuse et je la vois partir dans ses pensées.

— Hm... J'ai suivi ce qu'il s'est passé il y a deux ans. Paris, les missiles… (Silence. Je repense à Mitsuki et essaie de ne pas me souvenir de l'état d'Allen après tout ça.) Enfin. Les choses ont l'air de s'être tassées. Il y a eu d'autres problèmes, depuis ? Oh ! Comment vont Mitsuki et Allen, d'ailleurs ?

Elle y a pensé, elle aussi. J'esquisse un sourire embarrassé.

— Mitsuki s'est trouvé un copain, il est sympa. Et Allen va bien ! Faudra leur ramener des souvenirs ! Tu m'aideras, je fais à Huo avec un sourire mutin.

Je peux pas en dire grand-chose de plus. Vous imaginez si Yureka apprenait que son fils était en cure par ma mère ? Franchement, j'ai pas envie.

J'acquiesce avec un sourire doux. Visiter Kyoto avec Aoi me dit bien. Elle pourra me montrer la ville. Enfin disons que ça nous changera carrément du parc de Terrae comme balade en plus. Même faire des sorties moins loin plus tard j'aimerai bien. Visiter un peu le Japon, les alentours de Tokyo.

Je grimace. Je crois qu'on peut dire que ma réponse était particulièrement maladroite. En fait j'aurais dû me taire et elle serait passé à un autre sujet. Là c'est juste… Tendu ? Je m'installe entre elles et attrape mes baguettes en leur souhaitant un bon appétit à moitié marmonné.

— Je n'ai rien à en dire de plus non. Enfin ce n'est pas comme si j'avais vraiment la possibilité d'y retourner maintenant, je reprends avec un demi sourire.

Je mange un peu, laisse passer un moment. Ha je me déteste d'avoir plombé l'ambiance comme ça. Mais ça me rend vraiment nerveux. Elle suit quand même l'actualité de Terrae alors, c'est intéressant. Les évènements de l'été d'il y a deux ans avaient fait la Une à ce moment aussi.

— J'essaye de donner une meilleure image publique à Terrae, je précise. J'ai publié quelques articles il y a deux ans et j'essaye de contacter ds journaux qui voudraient en parler.

Je roule des yeux quand elle parle de prendre des souvenirs à Allen et Mitsu. Tant que c'est pas moi qui doit les payer… Je les aime bien hein mais voilà. Avec Allen c'est pas encore ça honnêtement.

— Tant que tu lui dis que c'est pas de ma part.

Je souris en coin, amusé. Ca le vexerait je crois. Ou pas ?

— Je ne m'entends pas très bien avec Allen, je rajoute avec un petit rire.

Euphémisme quand tu nous tiens. Nan en vrai ça va mieux avec Allen depuis qu'il est revenu je trouve. Disons qu'il a admit ses torts et que moi j'ai moins envie de lui taper dessus.

— D'ailleurs je savais pas que Ys et Mitsuki s'étaient enfin mis ensemble, j'en étais resté à la fois où ils se tapaient dessus dans l'Arène, je rigole.

Même si bon se taper dessus le mot est fort. Elle lui a surtout gueulé dessus. Une sombre histoire de pyjama et de dessin je crois.

Parler du passé... C'est vrai que les personnes extérieures à Terrae ne savent pas forcément qu'il ne faut jamais vraiment nous poser la question. On peut en parler, bien sûr ; puis nous sommes Masters, nous sommes grands, maintenant. Mais quelque part, il y a toujours un certain malaise, plus qu'un mal-être, à l'évocation du passé, et surtout de son ancien lieu de résidence. Si j'emmène Huo aujourd'hui, je sais que je n'en aurais pas été capable il y a quelques années, et peut-être même il y a plusieurs mois. Mais là, la situation était encore bien différente... Je suis contente que nous nous soyons réconciliés, tous les deux. Ca aurait été bien plus difficile à vivre, autrement...

— Ah, oui, je vois le genre, commente maman lorsque Huo s'est mis à lui expliquer son travail plus en détail. C'est mieux, pour éviter de laisser partir des informations plus sensibles ou endiguer les quiproquos…

J'acquiesce doucement. Ce n'est pas vraiment mon job, mais en tant que Master, je sais que c'est aussi important. On a bien vu à quel point notre mission à Paris nous a été utile ; nous avons eu des alliés, même s'ils n'ont pas pesé bien lourd lorsque nous avons été accusés... Cela dit, j'ai espoir qu'avec d'autres personnes de cet acabit à nos côtés, nous seront capables de surmonter les difficultés.

— Oh, j't'en prie, je souffle à l'attention de Huo quand il rejette partiellement l'idée de cadeaux souvenirs. Sois un peu sympa avec Allen, tu veux ?
— J'avais cru remarquer, réponds maman avec un sourire en coin, amsuée. Comment ça se fait ?
— Ils sont bêtes, c'est tout, répliqué-je, consciente que la réponse d'Huo sera sûrement une plainte. Pas un pour rattraper l'autre !
— Ils jouent à qui a la plus grosse ?
— Pas loin, souris-je en coin.

Nous mangeons tranquillement, et je reprends au sujet de Mitsuki :

— Ah, oui... Oui, en fait  ça fait un moment de ce que j'ai compris. Pour un journaliste, t'es pas très au fait de l'actualité, gloussé-je. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Puis au moins, ils assument, maintenant !

Maman nous propose de nous servir à boire et j'accepte avec un sourire.

— Ah, merci ! Tu veux à boire, Huo ?
— Ca me rappelle Terrae, tout ça... Je me demande à quel point c'est différent. Nous vivions sur une île où il n'y avait que nous, à l'époque, sourit-elle. Et c'est vrai qu'on se battait beaucoup, rit-elle cette fois. Les gens se tapaient dessus pour un oui ou pour un non. Je constate que ça n'a pas beaucoup changé !

Cette fois, je m'empourpre.

— Euh, non, il y a des choses qui ne changent jamais, en effet, ris-je maladroitement en évitant soigneusement le regard d'Huo.
— Vous vous êtes rencontrés comment, d'ailleurs ?
— Beeenn...

Hum. Hum hum hum....

En fait ce n'est pas tant le fait de parler de mon passé qui me gêne. Je pense avoir réussi à dépasser ça depuis le temps. Simplement je ne sais pas bien comment elle réagirait. Mal sûrement. Je n'ai pas envie de prendre ce risque. Je ne voudrais pas me faire juger de cette façon. C'est quelque chose qui ne concerne que nous je pense. Mes erreurs et son acceptation.

Kumiko semble assez bien comprendre le principe de mon rôle à Terrae. C'est vrai que c'est essentiellement de la communication et un espèce de contrôle de notre image. Mais il en faut bien. Je ne veux pas qu'on se retrouve dans une situation similaire à il y a deux ans. Je cale mon menton dans ma main avec un sourire en coin. C'est amusant de les regarder interagir.

Je souffle bruyamment en roulant des yeux quand elle me reprend sur Allen. J'y peux rien s'il m'aime pas franchement. Bon je le lui rends bien j'avoue mais c'est quand même sa faute si il est con quoi. Et ce n'est pas de la mauvaise foi c'est lui qui a commencé d'abord. A chaque fois même.

— C'est lui qui est pas sympa avec moi. J'y peux rien si il m'a pris en grippe avant de me connaitre.

J'ai pas besoin de jouer à qui à la plus grosse avec lui de toute façon, je sais que c'est moi. Je ne boude pas, c'est de la vexation ostentatoire. D'abord. Je grommelle et acquiesce quand elle propose à boire.

— Mon boulot c'est journaliste, pas commère, je grogne. Si j'avais voulu faire un magazine people je serais allé bosser avec Aria plutôt qu'avec Ipiu.

Je manque de m'étrangler avec mon eau et avale difficilement avant de tousser. Comment on s'est rencontré… Je crois qu'il faut vraiment pas qu'elle l'apprenne sinon je vais tellement me faire défoncer ahah… Je tiens à ma virilité.

— Au champ de fleur ? Tu t’entraînais avec ton sabre si je me souviens bien ?

On ne parlera pas de ce qu'il s'est passé après hein. Ni de la salle de musique. Ni de l'entraînement. Je crois que notre histoire est assez désastreuse quand on y réfléchi.

Tout de suite, Huo fait son caliméro et je roule des yeux. De sa faute, de sa faute, faut pas abuser non plus... Bon, certes, il n'avait pas été très sympa, mais Huo n'avait rien fait pour arranger les choses ; il avait d'ailleurs préféré les envenimer bien comme il le fallait. Ahh… Pas vraiment étonnant, quand on le connaît, par ailleurs ; lors de notre rencontre aussi, il avait tout fait pour me provoquer. Plus j'y pense et plus je me demande ce qu'il a pu me trouver, à ce moment-là et bien après... Pourquoi nous en sommes là maintenant ? C'est assez étrange, ce n'est pas comme si nous avions réellement beaucoup de choses en commun, que ce soit au premier abord ou même après. Mais voilà, je ne me plains pas trop !

Un rire m'échappe quand il me dit qu'il n'est pas une commère comme Ariana. C'est vrai que cette fille est spéciale - c'est le moins qu'on puisse dire, Allen a l'air vraiment traumatisé par elle.

— C'est ça, oui~

Puis, là... C'est plutôt la question qui fâche. J'essaie de garder l'air composée et terminant de manger, et repose mes baguettes avant de boire.

— Oui, c'est vrai, je souris doucement, avant de me tourner vers ma mère. C'était un peu après que tu me l'ai envoyé, tu te souviens ?

Celle-ci acquiesce et semble étirer un sourire en coin.

— Je ne pensais pas que tu t'entraînais avec, tu pleurais tout le temps quand je te le mettais entre les mains, plus petite. Au moins, tu n'es pas traumatisée, rit-elle de bon coeur tandis que je m'empourpre.
— Mais ! Je ne pleurais pas ! Je préférais simplement jouer du violon plutôt que de m'entraîner au sabre, c'est tout...

Boudeuse, je détourne la tête pour gonfler une joue. Comme elle me met la honte ! Manquerait plus qu'elle ressorte les photos de famille et les dossiers, ce serait le pompon.

— Oh, mais boude pas mon coeur~, fait maman en me tirant doucement la joue.
— Rahh, mais mange au lieu de me tripoter ! je finis par rire à mon tour, vaincue.
— Ça va Huo, ça te plaît d'ailleurs ? Je n'ai pas demandé si ça t'allait. Aoi disait toujours que je parfume trop mes plats... Enfin, ce n'est pas comme si elle était chef cuistot, mais voilà !

Exaspérée, je me passe une main sur le visage. Merci maman. Je sais que je cuisine mal. J'adore quand on me le rappelle d'une si tendre manière... (Elle fait ça rien que pour m'embêter, je le sais.)

Je roule des yeux. C'est vrai en plus qu'il m'a jugé avant de me connaître. Bon je reconnais qu'après coup j'ai rien fait pour le faire changer d'opinion. En même temps je suis pas du genre à ignorer les provocations non plus, faut pas abuser quoi. J'essaye de ne pas m'étrangler avec mes nouilles devant la question qui fâche. On va laisser la Princesse gérer hein. Elle fera ça mieux que moi.

Je souris en coin à la remarque de Kumiko. Ca ne m'étonne pas trop d'Aoi. Même si elle a appris à se défendre elle n'aime pas se battre. Etre guérisseuse lui va tellement mieux. En y repensant ça fait un moment que je ne l'ai pas écouté jouer. Ca me manque. Ha elle fait sa tête vexée, trop mignon. Je retiens un rire derrière ma main. C'est tellement amusant de les regarder. J'envie un peu leur relation.

— Oh non c'est parfait, je rigole. J'essaye de lui apprendre un peu à cuisiner déjà même si c'est quand même souvent moi qui m'y colle.

Hm, le sous-entendu étant quand on ne manque pas de faire brûler les plats par… Distraction ? Ouais on va éviter ce sujet là aussi.

— J'avais l'habitude de manger plus épicé que ça donc c'est bon. Ma mère aimait bien mettre du piment dans les plats et elle cuisinait un peu thaï de temps en temps.

Je termine mon assiette avec un sourire. Je fais souvent des nouilles sautées en ce moment quand j'y repense. En même temps la Princesse en a marre du riz, ce que je comprends. Le repas se termine tranquillement et je propose mon aide pour la vaisselle. Je me sens plus à l'aise, la tension a l'air de retomber un peu. Kumiko est gentille au final, enfin quand elle ne me lance pas des piques. Je profite d'un instant où elle va aux toilettes pour réclamer un câlin en enlaçant Aoi par derrière.

— Merci pour ça Princesse. Je pensais pas que ça me rappellerait autant de souvenirs mais c'est agréable.

J'embrasse sa nuque avec un sourire. C'est bon de se sentir comme "à la maison" un peu.

Ah ouais... Il veut jouer à ça ? Boudeuse, j'envoie doucement mon pied dans les jambes d'Huo pour lui signifier mon mécontentement. Héé, c'est méchant, j'essaie de m'améliorer. Et j'arrive à cuisiner un peu, d'abord.

— Je vous signale que j'ai vécu toute seule dans un appartement pendant un moment, tout de même, boudé-je, sans leur dire que quand je ne mangeais pas à la cafétéria, c'était quand même Huo qui nous faisait à manger la plupart du temps.

Puis, j'ai envie de dire, c'est bien parce que maman ne me laissait pas toucher aux fourneaux que je ne m'en sors pas aujourd'hui ! Bon, certes, nous avions des cours d'économie domestique, mais là n'est pas la question. (Petit souvenir du visage déconfit de mon prof devant mes boulettes de riz mutantes. J'ai eu honte.)

Maman et Huo discutent un peu de leur côté le temps de finir le repas. C'est plus calme et ça fait du bien, quelque part... Surtout quand m'man quitte la pièce, en fait. L'ambiance s'adoucit encore un peu alors que nous commençons la vaisselle, et je m'appuie dos contre la poitrine d'Huo avec un sourire.

— Me remercie pas, soufflé-je. J'suis heureuse qu'on soit ici tous les deux. Enfin, tous les trois, du coup.

Je laisse échapper un petit rire doux, glisse ma main un peu humide encore de la vaisselle sur la sienne.

— On ira se coucher tôt ce soir ? J'ai envie de me poser un peu, soupiré-je en fermant les yeux. La voiture m'a achevée, je crois que je n'ai plus l'habitude de ce mode de transport.

Ce doit être pire encore pour les téléporteurs, je réalise...

Maman ne tarde pas à revenir et je me décolle doucement de lui avec un sourire, plus par pudeur que par crainte d'être vue. Je m'adresse à elle directement :

— Tu as encore nos vieux futons ? Comme ça, on passe à la douche et dodo... Si ça ne te dérange pas ?

Elle hausse un sourcil moqueur et étire son sourire qui n'augure rien de bon. Oh nan. Oh nan...

— Ah, quoi, vous allez dormir ensemble ? Allez, allez, tu ne veux pas le laisser dormir dans ta chambre et dormir avec moi ? On a plein de choses à se dire !

Estomaquée. Je crois qu'y a pas d'autres mots.

— Attends, euh, tu te fiches de moi ?
— Je veux pas que vous fassiez des cochoncetés sous mon toit, merci mais non merci. Les murs sont trop fins en plus, je tiens à mes chastes oreilles...
— NAN MAIS. T'es pas bien ?! Tu crois vraiment qu'on va-

Tuez-moi, tuez-moi, tuez-moi. Je suis passée de rouge à écarlate en deux secondes. Nouveau record du monde.

— Rahhh, mais c'est bon, y a la place dans ma chambre et- Et je vois pas en quoi-

J'arrive plus à parler, je me remets à bafouiller, oh mon dieu.

Je souris doucement, heureux. Je suis bien là comme ça. Même si elle fait la vaisselle et que c'est pas forcément sexy, même si sa mère va revenir dans deux minutes. Je suis juste… Confortable ? Ouais c'est le mot. Je ris doucement à sa proposition. Qu'est-ce que je devrais dire franchement ? C'est moi qui conduisait. C'est vrai que quand on s'habitue à rester à Terrae où on fait tout à pied ça change de reprendre la voiture. Puis maintenant quand on veut aller quelque part on se téléporte donc…

— Hm tant que je peux m'endormir en te faisant un câlin, je la taquine.

Sa mère revient finalement et je me recule un peu en arrêtant le câlin. Fin bon c'était chaste quand même, je prendrais pas le risque d'aller plus loin ici je crois. Même si l'idée en elle-même me déplairait pas parce que c'est sa maison et tout, je crois que c'est no way si sa mère est là. J'aurais trop peur qu'elle nous surprenne.

Que de- Quoi ? Je ne retiens même pas un ricanement entre l'amusement et la surprise. Je ris un peu jaune en fait. Elle est sérieuse mon dieu… Non non non, y a pas moyen que je dorme tout seul et elle avec sa mère à côté. C'est juste… Non. Je soupire.

— J'ai pas l'intention de faire quoi ce soit avec Aoi. Moi aussi je suis fatigué.

Je ricane un peu en la regardant virer au pivoine. Toujours aussi prude. J'ai bien peur que ça ne change jamais.

— Princesse, respire. Tu vas nous faire un arrêt respiratoire.

Je me tourne vers Kumiko, un peu gêné.

— Si vous voulez je vous laisse tranquilles dans le salon et Aoi peut venir me rejoindre pour dormir après ? J'pense que ça arrangera tout le monde.

Pas comme si j'avais pas l'habitude de me réveiller toute les nuits alors une fois de plus ou de moins… Enfin tant que j'ai pas à sortir l'argument du "je dors mieux quand elle est là". Qui est vrai d'ailleurs. Mais je vais pas dire ça. Jamais.

Pour le câlin, ça devra attendre un peu, semble-t-il. C'est humiliant d'avoir ma mère qui nous fixe avec son petit regard suffisant, l'air de nous dire "hé, je suis dans ma baraque, je fais ce que je veux, ok ?"... Calme Aoi, respire profondément. J'essaie de reprendre mon souffle - oui parce que je suis effectivement en train de péter les plombs toute seule - et me masse doucement les tempes. Et Huo à côté qui ricanait comme ça, non mais j'ai cru qu'il allait rien répliquer !

Maman lance un regard agacé à Huo. Je suis pas certaine que l'argument "je vous laisserai papoter" soit celui qui la fera changer d'avis, en fait. Parce que c'est tout simplement pas le problème... Ahhh mais pourquoi ?! Elle sait qu'elle avait déjà eu un bébé depuis longtemps, à mon âge ?! Oh mon dieu. Il faut pas que je pense à ça, je viens de virer pivoine.

— Je ne pense pas que ce soit ça le problème… argumente ma mère, et je soupire un peu.

Et lui lance un regard appuyé. Elle finit par rouler des yeux, et fait un geste de la main.

— Faites ce que vous voulez. C'est dans le placard, Aoi, enfin tu sais où.

Soupir appuyé, petit regard à Huo alors qu'elle quitte à nouveau la pièce. Je termine d'accrocher les torchons humides et je guide Huo jusqu'à mon ancienne chambre. J'ai un peu honte parce que la déco fait très girly, mais bon… On n'a jamais changé réellement, à part pour les mettre à ma taille une fois que j'avais grandi, et je venais d'avoir seize ans quand j'ai quitté la maison. Hmm...

— Je vais chercher les futons, je fais à Huo en déposant un baiser au coin de ses lèvres. J'irai parler à m'man un peu après, mais si tu es fatigué couche-toi, hein ? Et ne fouille pas dans mes tiroirs, le taquiné-je.

Sur ce, je m'empresse de faire tout ça et installe les futons avec son aide. Je lui indique la salle-de-bain et vais discuter avec maman dans le salon, entre temps ; enfin, je vais prendre une douche, lui souhaite une bonne nuit et rejoins ma couverture.

— Je suis vannée, soupiré-je en cherchant le contact pour un câlin. Elle est fatigante.

Dans un sens, on se demande pourquoi je ne suis pas plus hyperactive, hein...

Je hausse un sourcil ironique en regardant Kumiko. Pas ça le problème hein… Nan vraiment vive la mère possessive. Je sais, je sais, pour elle c'est toujours son petit bébé, sa petite fille etc. M'enfin il serait temps de comprendre que la petite fille est majeure et vacciné depuis maintenant un moment et qu'elle l'a pas attendu pour avoir une vie de couple. C'est sûr que je ne vais pas me risquer à faire autre chose qu'un baiser tant qu'on sera ici de toute manière. Puis bon vu l'âge qu'elle a aujourd'hui si je calcule bien elle était déjà maman depuis plusieurs années à son âge.

Finalement Aoi insiste un peu et elle cède. Je retiens un petit sourire en coin victorieux. Pas la peine d'en rajouter. Je la suis dans la chambre avec un sourire amusé. La déco n'a pas dû changer depuis qu'elle est partie et ça se voit un peu. Quelque part ça a un charme un peu… Enfin je sais pas moi, vous avez jamais eu envie de partager la chambre d'ado de votre amoureuse ? Je dois être bizarre.

— Pas mon genre, Princesse, je rigole.

Je l'aide à installer les futons et vais me doucher rapidement avant de me glisser dans les couvertures pendant qu'elle reste un peu parler avec sa mère. Je fixe le plafond un instant en écoutant l'eau couler dans la douche à côté. C'était… Etrange. Pas désagréable en soi au final mais inhabituel. J'ai aussi une raison pour avoir accepté qui est un peu moins avouable. Je voulais un peu demander une approbation je crois. C'est un test et je pense l'avoir réussi. Aoi vient se blottir contre moi et je souris doucement, referme mes bras sur elle pour lui rendre son câlin.

— Pas autant que Mitsu je dirais, je réplique en riant. Ca aurait pu être pire je crois. Tu veux qu'on aille visiter Kyoto demain ?

Je veux profiter du temps qu'on a pour nous deux. Je l'embrasse doucement. J'espère que sa mère va pas proposer de nous accompagner. Je dirais pas non si elle le fait mais j'en ai pas envie. Laissez moi rêver nos vacances.

Maman est contente de l'avoir rencontré. Je n'invente rien ; c'est elle qui l'a dit ! Elle aime bien l'embêter un peu, c'est parce qu'il m'a volée à elle, apparemment. Elle peut bien se le permettre un peu. En revenant me blottir contre lui, j'essaie de ne pas étirer un sourire trop grand. Il doit tellement la détester, je me rends compte... Ou pas forcément l'apprécier, même si au fond je n'en sais pas grand-chose. En soi ils ne s'entendent pas si mal, c'est un peu comme Allen et Huo ; mais il y a moi entre, du coup, il y a conflit d'intérêt. Ahhh…

Ma joue se pose sur sa poitrine, qui se soulève au rythme de sa respiration.

— Oui, mais Mitsu ce n'est pas ma mère. Ma mère sera toujours plus épuisante qu'elle, je ris.

Puis je joue doucement de mes doigts sur son torse.

— Oui, j'aimerais bien. On pourra aller manger un peu en ville, se promener... C'est chouette le soir, aussi, je ris encore. Je me demande si un de mes vieux yukata me va encore… Ce n'est pas commun de voir des gens se promener avec, puis ça nous dépayserait un peu.

Un sourire en coin alors que je lui rend son bisou et caresse sa joue avec douceur.

— On devrait t'en prendre un aussi, tu ne penses pas ? je le taquine avec ça.

Il doit être bien, habillé comme ça, lui aussi... Ca doit lui donner un air un peu sage. Doucement, je tire une mèche de cheveux rousse et en fais une petite tresse. Ils sont de nouveau un peu plus longs, j'admets que j'aime bien ça. Même si je ne lui dirais pas, il serait capable de penser que j'aimerais qu'il se les relaisse pousser. Ce serait une vraie plaie, déjà que mes cheveux vont partout, si en plus il y a les siens, on n'a pas fini !

Je ris doucement. C'est à discuter franchement. Enfin après j'imagine que elle ça la fatigue parce que justement c'est sa mère. Personnellement, après avoir survécu à Aria, on vit pas si mal Kumiko je trouve. Je souris en coin, frissonne un peu en sentant ses doigts sur ma peau. Elle a les mains froides, elle a toujours les mains froides je sais pas comment elle fait.

— Oh j'adorerais te voir en yukata.

Je ne l'ai encore jamais vu avec, je crois. Ca doit lui aller très bien. Moi par contre… Bon après j'ai déjà porté des vêtements chinois traditionnels mais c'est différent. Je roule des yeux doucement et esquisse un sourire en coin en la sentant jouer avec mes cheveux. Je le savais ! Elle avouera jamais qu'elle aime bien que je les fasse repousser mais je le savais !

— Si ça te fait plaisir, je grommelle doucement.

Finalement je l'embrasse encore et la prend dans mes bras avant d'éteindre la lumière en lui souhaitant bonne nuit. Autant ne pas se lever trop tard demain.


Le réveil a pas été aussi dur que je l'ai pensé. En fait, je suis content que Kumiko n'ait pas proposé de nous accompagner. On a petit déjeuné tranquillement avant de partir pour la ville. Enfin la vieille ville plus précisément parce que bon… Kyoto c'est grand. Aoi m'a traîné acheter la fameux yukata ce matin, enfin ce midi. On s'est arrêtés manger un morceau. Je suis sûr que les gens me regardaient bizarre. Un chinois en yukata… Enfin pas aussi étrange qu'un européen mais soit.

Finalement l'après-midi on a fait la visite des temples et du château. J'ai même pris quelques photos souvenir. Aoi est très jolie avec son petit yukata d'été, moi je dois avoir l'air légèrement con avec le mien et l'appareil en plus. Mais bon on peut pas toujours avoir la classe. Finalement on est allés marcher au bord du fleuve en attendant que la nuit tombe. Je glisse doucement un bras sur sa taille en marchant.

— Tu crois qu'ils font des animations le soir ?

Je veux pas rentrer maintenant.

La journée était vraiment super ! Ça fait tellement longtemps que je ne suis pas venue par ici ! Flâner dans les rues de la vieille ville m'enchante totalement ; je redécouvre l'endroit où j'ai vécu et grandi avec un sourire aux lèvres. Huo s'est un peu plaint lorsque je lui ai mis le yukata sur le dos, l'air de dire qu'il ne ressemblait à rien dedans. Ce qui est entièrement faux, soi dit en passant, qu'il se regarde mieux que ça. En dehors du fait qu'il soit un chinois, il n'y a pas grand-chose qui choque. Et puis, le bleu sombre lui va bien… Ce doit être à cause des cheveux. En plus, il a gardé la petite tresse que je lui ai faite la veille, ça me fait sourire.

On s'est pris un bon repas, puis on a fait nos touristes en achetant des petites brochettes de dangos à manger sur le chemin. Les visites ont été absolument géniales, j'ai l'impression d'être redevenue une enfant. S'il pouvait juste arrêter de me mitrailler de photos en même temps que les monuments, ça m'irait bien - sisi, je l'ai vu ! Pour la peine, je lui ai piqué son appareil pour avoir quelques photos de lui, puis de nous deux - oui je prends des selfies, et alors ? - avant de demander à des passants s'ils voulaient bien nous photographier tous les deux.

Ce soir, c'est un peu calme. Le soleil n'est pas couché et on peut se promener tranquillement, un peu à l'écart de l'agitation. Alors qu'il passe son bras autour de ma taille et que je me rapproche, je souris.

— Demain, nous fêtons le Gion Matsuri. C'est une fête qui visait à remercier les dieux de leur visite sur terre, pour qu'ils nous protègent des tremblements de terre et autres catastrophes.

Puis j'embrasse sa joue. Je suis contente d'avoir sorti les yukata et mon pic à cheveux, aujourd'hui. Bon. C'était un peu calculé j'admets, mais c'est une jolie surprise non ?

— Il y aura des chars partout, en ville. Mais cette nuit, c'est le yoiyama... Ils ont passé la journée à accrocher des lanternes et des banderoles, je souris. Tu verras quand il fait nuit, c'est magnifique. C'est bien qu'on soit tombés sur ce week-end là... J'adore ce festival. On y allait tous les ans, avec ma mère.

Je suis content d'être là. Non mais c'est vrai. Les gens nous regardent un peu de travers parce que je parle en chinois et que Aoi me répond en japonais mais bon… En soit je m'en fous en fait. Et puis le yukata est confortable et j'adore cette couleur. J'ai juste souris en voyant qu'elle avait mis son pic à cheveux. Un jour je lui offrirai un autre cristal, un plus gros de Master. Pas que celui-ci soit pas joli mais c'est décoratif, c'est bien si c'est utile aussi parfois.

Il y a beaucoup de monde dans les rues même si on est restés un peu à l'écart. J'incline la tête d'un air un peu curieux quand elle m'explique qu'il s'agit d'une fête religieuse. C'est vrai qu'ils en ont beaucoup en Shinto. J'aime l'ambiance, c'est chaleureux et les gens sont agréables. Ils ont accrochés des lanternes, ça sera surement très beau quand il fera nuit. Ca me rappelle ma rencontre avec Ipiu quand on avait mis les lampions dans la cour pour le White Day.

— Ca a l'air déjà très beau comme ça, j'ai hâte de voir quand il fera nuit.

Il y aura peut-être des feux d'artifice. Il faudra que j'essaye d'en faire une fois. Les papillons de flamme c'est déjà joli mais c'est pas aussi visible je trouve. Après l'inconvénient c'est que je ne peux pas trop contrôler la couleur de mes flammes. Enfin je peux les faire blanches si j'augmente la chaleur mais c'est pas avec ça que je pourrais faire de belles couleurs.

— Je suis content de poursuivre la tradition avec toi alors.

Je lui renvoie un sourire espiègle avant de défaire son chignon en lui piquant le pic à cheveux que je fais tourner entre mes doigts.

— Et je suis content que tu continues de le mettre.

Je touche doucement le petit cristal qui scintille brièvement. C'est en voyant ça que je me rend compte du chemin parcouru. Le pouvoir enfermé à l'intérieur me semble tellement faible comparé à mon niveau actuel.