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Tic tac boom ••• Solo
##   Jeu 8 Sep 2016 - 21:50
Aoi Amazaki

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Aoi Amazaki
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Aoi
they say you can forgive anyone, but you can't forget what has been done▬

Une minute.

C'est tellement long, une minute. Il peut se passer une infinité de choses. Toutes les minutes, 360 éclairs atteignent le sol. Toutes les minutes, 5 tremblements de terre ont lieu. Toutes les minutes, 250 bébés naissent et 107 personnes meurent.

La terre est vivante. Les êtres humains, eux aussi, vivent. Puis s'éteignent. C'est comme ça, on n'y peut pas grand-chose. En tant que guérisseuse, j'aimerais bien pouvoir croire qu'on peut tout soigner, qu'on peut être là pour empêcher les gens de souffrir, les empêcher de sombrer, les empêcher de mourir. Mais c'est faux, hein ? C'est tellement faux...

On m'a octroyé le pouvoir de changer les choses. Même ne serait-ce que quelques secondes peuvent suffire à sauver une vie, à empêcher un bâtiment de s'écrouler, à empêcher une bombe d'exploser. Arrêter le temps, ne serait-ce qu'un instant - n'est-ce pas ironique ? Pourtant, au final, ça ne change rien.

Ça ne change rien du tout.


Rattraper le temps perdu, c'est impossible. Retourner dans le passé encore moins, pas de cette manière en tout cas. Peut-être un autre Master, un jour. Un Master au pouvoir démesurément grand, aux responsabilités immenses... Modifier le temps, ne pas y toucher ? Pour qui le changer, à qui le laisser ? Qu'est-ce que ça changera, ou ne changerait pas ?

Ma poitrine est compressée dans un étau. Il est terriblement resserré, terriblement puissant ; l'espace d'un instant, tout s'est engourdi. Le monde ne s'est pas effondré, rien n'a changé, la terre continue toujours à tourner. Mais voilà, mon père est mort.

Peut-être aurais-je souhaité dire "papa est mort", penser à lui comme un membre de ma famille et pas seulement mon géniteur ; mais quand mes pensées s'amènent jusqu'à lui, je ne vois qu'un vague visage, brouillé par mes larmes, dans un appartement parisien miteux. Et le remord, le remord qui vient et emporte tout sur son passage ; c'est une tempête, où le vent balaie et détruit, piétine, massacre, enlève. Cette année, j'aurais eu tant de temps pour aller le voir, dépasser ma peur, mes craintes, sourire à nouveau, apprendre à le connaître, à le pardonner.

Mais il est mort, et je n'ai rien pardonné du tout. En tout cas, il n'y a qu'une seule certitude : je ne le connaîtrai jamais.

Papa est mort.

D'abord, il ne se passe rien. Téléphone à la main, sans savoir quoi répondre — "oui, oui, très bien, oui, je serai là, au revoir".

Papa est mort.

Cette fois les mots se répètent en boucle et tentent de s'inscrire dans mon esprit. Tremblement. Reprise de respiration. Respirer, respirer ; il faut respirer, prendre le temps de se calmer, respirer.

Papa est mort.

Mes épaules tressautent. Je m'effondre.


Après plusieurs minutes passées recroquevillée derrière mon bureau, comme pour me cacher d'une éventuelle visite, à essayer de faire tarir ces larmes qui me font si mal, ma respiration ne s'est toujours pas calmée. Erratique, hachée, entrecoupée de sanglots qui vont et viennent, comme une vague sur le sable, encore et toujours. Parfois la marée s'abaisse ; d'autres fois, la marée remonte, et je repars pour un tour.

Nerfs, nerfs, pourquoi vous me jouez ce coup-là ? Pourquoi on est humains, pourquoi on ressent quelque chose ? Pourquoi on aime, pourquoi on est détruit ? Pourquoi papa est mort ?

L'idée de foncer retrouver Huo me traverse si fort que je me retrouve sur mes pieds en moins de deux ; je tripote ma bague, respire. Pour le meilleur et pour le pire, hein ?

Mon geste pour ouvrir la fenêtre est interrompu net. De longues secondes, je garde la poignée en main, le corps tremblant. Si je retournais en arrière, ce serait tellement plus simple. Si je pouvais retourner en arrière et ne pas décrocher ; tout irait mieux, non ?

Ça ne changerait rien.

Pourquoi est-ce que je n'étais pas là-bas ? Pourquoi c'est arrivé ? Il est mort... Il s'est fait tuer ?

La réalisation est encore plus violente que la nouvelle en elle-même. Mes mains rejoignent mon visage pour le recouvrir en linceul, le cacher au reste du monde, planquée derrière cette fenêtre. Je recule et reprends mon téléphone, la respiration sifflante, et le regarde quelques secondes en étant tentée de le jeter par la fenêtre. Hésitation longuette. J'ouvre finalement la page de ma messagerie pour envoyer un mot à Yuuna : "Est-ce que tu peux me remplacer à l'hôpital pendant quelques jours ? Je n'ai pas beaucoup de rendez-vous. C'est important." Puis, après avoir attendu quelques secondes : "Désolée. Je reviendrai vite."

En réalité, je ne le sais même pas vraiment. La seule chose que je sais, c'est que quelqu'un devra payer.



Je vole en #F54759
##   Jeu 8 Sep 2016 - 22:17
Aoi Amazaki

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Bonjour, douce France…
Cher pays de mon enfance.

Je reste quelques secondes à contempler la ville, perchée en haut de la tour Eiffel. Tout le monde a les yeux rivés sur elle, mais moi, minuscule, je reste invisible. Le zénith approche, et je sens la morsure du soleil se faire plus invasive. Il m'a fallu un moment pour me calmer avant d'être capable d'appeler Hideko. Une urgence, partir. Un rendez-vous important. Elle n'a pas demandé de précision, je crois qu'elle est discrète, au final. Juste une question : "tout va bien ?"

Tout ne va pas bien, mais il faudra que ça aille. J'aurais aimé répondre ça — je me suis contentée de répondre "oui". Il me restait un peu de pouvoir dans le cristal de téléporteur que j'ai à la maison ; assez pour, peut-être, trois voyages, mais pas plus. Peut-être deux, ai-je constaté en atterrissant à Paris.

On était en milieu d'après-midi au Japon ; je crois qu'Huo était parti s'entraîner avec Nicolas. J'ai pu éviter de le croiser, les questions indiscrètes, l'inquiétude, et surtout qu'il m'empêche de partir. Je pense qu'il prendra mal le message que je lui ai laissé une heure plus tôt, sans plus d'explication que cela.

"Hideko m'a confié une mission au dernier moment, je pars pendant quelques jours, désolée. Ce n'est rien de dangereux, ils ont simplement besoin d'un guérisseur. Je reviens vite, je t'aime."

Honnêtement, si j'avais pu ne rien dire à Huo, j'en aurais été bien plus satisfaite. Le problème étant que je ne peux pas disparaître comme avant pendant quelques jours maintenant que nous habitons ensemble, et justifier ça par des "j'étais à la bibliothèque quand tu es passé, désolée !"...

Je n'ai jamais aimé mentir. Je n'en suis d'ailleurs pas une spécialiste — raison pour laquelle j'évite de le faire ou me contente d'envoyer des messages ou laisser des post-it. Faire abstraction ou omettre des faits est déjà moins compliqué. Il nécessite juste un peu de sang-froid.

Du sang-froid, je n'en ai pas toujours — Huo pourra vous le confirmer et en rajouter une couche par-dessus le marché. Si j'ai l'air calme, ce n'est qu'une apparence, parce que je ne m'agite pas et que je cherche à ne surtout pas attirer l'attention. On se méfie moins des gens invisibles, et on leur cherche surtout moins d'ennuis. À y repenser plus franchement, je pense que l'intérêt qu'Huo m'a porté m'a touchée — parce qu'il n'y avait fondamentalement aucune raison de le faire, j'étais une gamine inexpérimentée et niaise encore perdue dans son adolescence à 18 ans, et qui n'avait franchement pas l'air d'avoir envie d'en sortir. Maintenant quoi, je devrais me considérer comme adulte ? J'aurai vingt-deux ans dans six mois, mais est-ce que c'est réellement une preuve que je le suis ? J'ai envie de me dire que mon passage à Master m'a changée, et si c'est le cas, ça ne m'empêche pas de continuer à ressentir, à être en colère, gênée, heureuse. Je me sens humaine, mais je ne me sens pas adulte. Même là, aujourd'hui, alors que je pleurniche comme une enfant et fuis comme une lâche, je me demande quand j'arriverai à être une réelle adulte. Quelqu'un qui ne prendrait pas peur parce qu'on l'a demandée en mariage et qui ne rejetterait pas l'idée en bloc sitôt qu'elle se retrouve seul.

Je suis comme ça, au final. Certaines personnes me disent envier mon sens du pragmatisme et ma soi disant force de caractère, mais je ne me trouve pas forte, loin de là. Si je l'avais été, je serais restée avec Huo et j'aurai accepté de me montrer de cette manière — hors de moi. Littéralement, je ne me reconnais pas.

Sans rien dire, je joue avec mon briquet, l'allumant et laissant tournoyer le vent autour de lui.

La flamme vacille mais ne s'éteint pas. Je tangue, mais je ne sombre pas.

Sourire amer, alors que je laisse la fumée de ma cigarette s'élever dans les airs. Elle prend des formes particulières, puis plus vagues, avant de disparaître. C'est tellement hypocrite d'être rassurée par l'odeur dégueulasse de cette clope alors que je n'ai même pas pu parler à Huo en face. Un nouveau soupir. J'éteins la cigarette sous ma chaussure profite d'un nuage pour m'envoler. J'atterris dans une rue plus déserte, jette le mégot dans les cendriers publics prévus à cet effet, puis entame ma marche jusqu'à l'immeuble du notaire.

Il est mignon, lui. J'ai bien dû batailler pendant un moment pour qu'il me donne l'adresse et songe à me donner l'heure et le lieu de l'enterrement. Il ne me croyait pas capable de venir dans les heures qui suivaient ; mais me voilà.

Dans la rue, un ou deux parisiens m'accostent et je les envoie méchamment bouler. Et c'est l'humeur vague que j'arrive devant l'immeuble, où je sonne maladroitement. Reprendre un visage neutre, fermé. J'ai arrêté de pleurer, et mes lunettes de soleil me donnent plus l'air de la femme qui s'en fout royalement que celle de la fille qui pleure son père.

Ah. J'ai dit "femme" ?

On m'invite à entrer et je pénètre dans le hall d'un immeuble assez bien entretenu, avant qu'un homme ne m'accueille à l'entrée. Il me serre la main et m'assure qu'il est tout à fait désolé pour mon père. Je le regarde d'un air vague, avant de retirer mes lunettes et de rentrer.

L'appartement est spacieux. Aménagé en bureau — comme beaucoup de personnes ont l'air de le faire — et décoré avec une large plante verte qui prend la moitié de l'espace visuel. C'est aseptisé. C'est à vomir.

— Venez, installez-vous, madame Amazaki, fait-il en lorgnant sur ma bague.
— Mademoiselle, je corrige, agacée.

Il m'envoie un sourire courtois qui devait se vouloir navré pour cette erreur.

— Petite anecdote amusante : pour respecter la parité hommes/femmes, nous avons retiré le mot mademoiselle de notre usage... Enfin, sur le papier, tout le monde l'utilise encore.
— Je ne savais pas.

Et honnêtement, je m'en contre-fous pas mal...

— Pourquoi ne pas avoir rajouté un mot pour les hommes ?
— Cela fait un peu… pédant.

Il a l'air de se demander si je comprends le mot pédant, vu mon hésitation à parler français. Je me hérisse. C'est le mot pédant qui est pédant, de toute manière.

— J'ai une puce traductrice.
— Oh, voilà qui devrait faciliter les échanges.

Sauf si je ne parle pas correctement votre langue, c'est ça ? — Calme toi.

— Bien...

Il sort un dossier et l'ouvre — comme si rien n'avait été préparé ; mais il était juste au-dessus de la pile, dans son tiroir. Il n'a même pas eu besoin de le chercher. Le notaire au nom obscur — je l'aperçois sur sa plaque, mais je n'arrive pas à le prononcer — fronce ses sourcils broussailleux et grisonnants. Il doit avoir un certain âge, mais il est tellement tiré à quatre épingles que j'ai du mal à me demander s'il est dans la quarantaine ou la cinquantaine.  

— Selon son testament, votre père vous lègue une partie de ses biens matériels. Ils sont encore à son domicile, où vous pourrez les récupérer pendant une durée de trente-et-un jour suivant son décès… donc, avant septembre, si possible. Après quoi l'appartement devra être libéré pour les propriétaires.

Sans piper mot, je hoche lentement la tête pour lui signifier que je le suis toujours. Pourtant, quelque part, je suis... choquée ? troublée ? par le fait qu'il ait pu m'inscrire sur ce testament. Quand l'a-t-il fait, avant ou après ma visite ? Je me mordille la lèvre nerveusement.

— Voici la liste des biens, dit-il en me glissant une feuille.

Les mots mettent un moment à être traduits dans ma tête, d'autant que mes yeux décident à ce moment de se troubler. Je passe un doigt dessous pour chasser les larmes sans toucher à mon maquillage. Peine perdue, semblerait-il.

— Est-ce que vous pourriez me le lire ? J'ai- j'ai un peu de mal.

Rester forte, garder le regard droit, les yeux fixe. Pourquoi est-ce que tout est aussi formel ? J'aimerais pouvoir m'effondrer à nouveau.

Le notaire, lui, semble habitué et récupère sa feuille. Il me lit la liste : surtout des petites choses, un tableau, un sabre... Je bloque là-dessus et tente de respirer.

— Et qu'a reçu son fils... Math ? Il a bien reçu quelque chose, pas vrai ?

C'est la première fois que je songe à mon frère. Enfin, si je puis réellement l'appeler frère au vu de notre absence de lien de sang et sa sympathie toute trouvée à mon égard. Mes yeux se baissent maladroitement, je me doute qu'il n'a pas le droit d'en parler, et ce n'est pas par curiosité que je veux le savoir.

— Ce genre d'objets devraient lui revenir. Je connaissais très peu mon père.

Il y a un silence, et je ne remarque que quelques secondes plus tard qu'il semble vouloir ajouter quelque chose que je ne sais pas encore.

— Eh bien, étant donné qu'il est soupçonné de son meurtre et porté disparu... L'héritage est rendu plus compliqué, je le crains fort.

Arrêt. Ma respiration se bloque et, pour la deuxième fois de la journée, je suis soufflée.

— Il n'aurait jamais fait ça, je bégaie en japonais sans m'en rendre compte.

L'homme semble hésiter.

— Pardon ?
— Il n'aurait jamais fait ça ! C'était son père, personne ne tue son père pour…

Je m'arrête, prise de nausées et retenant tant bien que mal mes pouvoirs de faire n'importe quoi. Respire de plus en plus vite, sens mon corps trembler et m'échapper.

— J'ai besoin de prendre l'air.

Cette fois, je me lève et me dirige vers la fenêtre que j'ouvre pour tenter de respirer normalement. Je- suis en train d'hyperventiler ?

J'entends plus que je ne vois le notaire s'approcher de moi pour me prendre par les épaules, tandis que je place mes mains en cloche sur ma bouche pour me forcer à respirer normalement.

— Calmez-vous. Je suis désolé. Est-ce que ça ira ? Vous voulez que j'appelle un médecin ?

Je secoue négativement la tête et utilise mes pouvoirs pour limiter l'afflux d'air. Se calmer, se calmer. Mes yeux me piquent et je sais que c'est aussi à cause de cette satanée couleur argent qui revient se glisser dans mes iris, aussi je les ferme pour ne pas inquiéter davantage le notaire.

Une minute passe. Deux. En rouvrant les yeux, lorsque ma respiration ralentit à nouveau, je vois à son regard que le temps c'est de l'argent, et je suis dégoûtée de savoir que mon père n'est qu'un dossier de plus à gérer. Il doit avoir d'autres rendez-vous, hein. Mettons un terme à tout ça.

— Ça va, lancé-je d'une voix enrouée, le cœur au bord des lèvres. C'est bon, continuez.
— Vous allez mieux ?

Non, et je n'irai pas mieux, espèce de débile.

Il retourne à son siège et me lance un regard à demi concerné. J'imagine que c'est un début à tout.

— En signant ici, vous prenez acte de la lecture de cette liste.

Je me rapproche, attrape un stylo et la copie des feuilles qu'il me donne dans un geste brusque. Quelques formalités encore, avant qu'il ne me resserre la main.

— Toutes mes condoléances, madame.

C'est toujours mademoiselle.



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##   Jeu 8 Sep 2016 - 22:23
Aoi Amazaki

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Maintenant, j'attends. Je rejoins le bord de la Seine, où les parisiens se pressent en quête d'un semblant de plage improvisée. Ils n'ont pas la mer et l'amènent donc à eux... C'est une bonne idée, certes un peu grotesque, mais soit. Quand on sait tout ce qu'on est capables d'inventer, à Terrae, je crois qu'on n'a pas vraiment notre mot à dire sur le sujet. Entre les voyages, le lac et la forêt... On n'a pas idée de faire autant de choses sur un si petit domaine. On se croirait vraiment dans une ville dans la ville… Parallèlement, ici, à Paris, tout est bruyant, pollué, tout le monde grouille, s'agite, et je me sens comme une intruse ici. Ce sera certainement bien pire cette après-midi.

Sur le chemin, je me suis pris un petit quelque chose à manger et le grignote sans faim, plus pour la forme que pour réellement combler un creux. De toute manière, je sais que je serai bien plus irritable et agacée, triste et en colère, si je ne mange pas et si je me mets à faire la grève de la faim sans la moindre raison. Autant endiguer un problème à la fois avec pragmatisme, puisque c'est encore tout ce que je suis capable de faire.

Pas qu'il n'y ait pas de raison légitime à tout ce que je ressens actuellement, mais je me sens terriblement déboussolée. Vide. Vidée de mes forces et de mon envie. Si je le pouvais, je me roulerais en boule dans un coin pour me laisser mourir là quelques jours ; mais je ne suis plus une enfant, j'ai grandi, je suis Master ; il faut que je me resaisisse. Quelle idée stupide que d'aimer, d'avoir une famille, ressentir quoi que ce soit pour qui que ce soit. Quelle idée stupide... Pourquoi c'est si difficile d'oublier qui on aime et ceux qui partent ? Pourquoi c'est si difficile de détester quelqu'un qui nous a laissé tomber ou fait du mal ? Si je pouvais taper du poing, certainement que je le ferais ; mais qu'est-ce que tout ça changerait, au fond ?

L'épreuve de cette après-midi me semble être l'une des plus dure à franchir de ma vie. Mon combat de passage au rang de Master semble être une franche rigolade, et celui contre Huo passerait presque pour une farce. Pourtant, j'ai déjà affronté un enterrement par le passé, je sais comment ça fonctionne, je sais que c'est triste, que je vais me sentir abominablement mal- Pour autant, je crois que j'aurais aimé avoir Huo près de moi.

Tout à l'heure, en sortant de chez le notaire, j'ai appelé ma mère. Il ne l'avait pas prévenue et je n'ai pas pensé à passer la chercher avant mon départ. Je pourrais tout aussi bien retourner à Tokyo pour attendre là-bas, mais j'ai peur de ne jamais pouvoir revenir ici.

Alors nous avons parlé. Je lui ai raconté pour mon passage à Paris l'année dernière, pour ma rencontre avec papa, avec Math. Je lui ai dit que papa était mort, que mon demi-frère n'aurait jamais fait ça, que je voulais qu'elle soit là, que j'avais besoin qu'elle soit là. Je n'aurais qu'à venir la chercher, nous repartirions ensemble, mais elle m'a dit non.

Non parce qu'elle a trop mal, non parce qu'elle est sous le choc, non parce qu'elle travaille. Elle ne veut pas manquer une soirée pleine à cause de ça ; j'ai insisté, elle m'a répondu sèchement que ce n'était pas la peine d'insister. Puis elle a raccroché. Je sais qu'elle est allée pleurer. Qu'elle avait besoin d'être en paix, au moins un peu. Venir ici, pour elle, ça ne le ramènerait pas, pas plus que ça ne l'aurait ramené à plusieurs années en arrière. Pour autant, elle a refusé, et moi, je suis seule.

J'entoure ma poitrine de mes bras, une nausée me prenant soudainement. C'est vague, vague, vague…

Quand j'étais petite, je n'osais jamais parler de mon père. Il était un peu un mystère, un bout de cette Terrae que ma mère avait connue mais qui semblait n'être qu'un mirage. Elle m'a bercée dans ces histoires, construite dans l'idée qu'un jour, peut-être, Terrae renaîtrait ; et je lui en ai voulu de penser à cela, de me faire espérer de la sorte, tout bonnement car rien dans mon univers ne parvenait à trouver grâce à mes yeux. Je n'arrivais pas à m'intégrer, je n'arrivais pas à m'imposer ; j'étais discrète, timide, coincée, j'étais la fille qui n'avait pas de père et dont la mère travaillait de nuit. Terrae, c'était un espoir. Terrae, c'était un rêve. Mais ce rêve était ténu, léger, il flottait au-dessus de ma tête sans jamais prendre forme.

Même quand maman ramenait des hommes à la maison, je n'ai pas voulu de père. Je ne voulais pas que ce soient eux, je ne voulais que ma mère et moi, et ce rêve, celui d'un homme fort et volontaire, le souvenir qu'elle en avait gardé de son adolescence.

Je crois que le moment où j'ai vraiment voulu savoir ce que ça faisait d'avoir un père, c'est quand Rin est arrivé à la maison.

Il était tout seul et avait perdu sa mère peu de temps auparavant ; nous n'étions pas tout à fait voisins, mais nos parents habitaient le même quartier. Ce n'était pas un quartier riche, au contraire plutôt modeste, mais pour autant, la population était tout ce qu'il y avait de plus normale. Pour être très honnête, à part avec Rintaro lui-même, je n'avais jamais eu de problème avec le voisinage ; les habitants étaient plutôt calmes. Pas forcément accueillants ou chaleureux, mais ils ne se mêlaient pas des affaires des autres.

Dans tous les cas, pour deux parents célibataires, c'était assez utile de pouvoir compter l'un sur l'autre. Au moins, nous ne ressentions pas autant l'absence de nos parents respectifs ; et son père, un peu comme s'il était le mien, me permettait d'imaginer quelle relation j'aurais pu avoir avec mon propre père. Quelle complicité aurions-nous eue, quelles discussions ? Est-ce que nous nous serions entendus, ou, au contraire, aurions-nous été plus en confrontation ?

Pour autant, tout me ramène toujours à lui depuis quelques heures ; constamment, je me demande comment aurait été ma vie si tout s'était déroulé autrement. Si mon père avait été là, est-ce que j'aurais connu Rintaro ? Est-ce qu'il aurait pété les plombs de cette manière ? Je ne serais peut-être même pas venue à Terrae, pour le coup... Ou pour une raison différente ?

Un goût amer se glisse sur ma langue. Alors quoi, je suis censée accepter le fait qu'il soit parti ici pour la simple et bonne raison que j'ai enfin pu venir à Terrae ? Dire, au final, que son absence n'a pas été si désastreuse, que je ne lui en veux pas ? Comment est-on seulement censés en vouloir à un mort ?

Ahah... Je dois vraiment passer pour une meuf affreuse et sans cœur. C'est vrai, au fond, je suis égoïste aussi – tout le monde l'est, pourquoi je n'aurais pas le droit de l'être moi aussi ? Pourquoi j'accepte chez les autres ce que je refuse d'accepter chez moi ? Il faut que ça change, non ?

Un frisson me parcourt et je me détourne définitivement de la vue de la Seine. L'air a l'odeur du dégoût.



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##   Jeu 8 Sep 2016 - 22:25
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La bague tourne et retourne entre ses doigts ; elle se demande si elle doit la garder, si elle ne doit pas simplement la jeter dans l'herbe ou la donner au premier SDF qui passe. L'idée de rentrer lui paraît de plus en plus saugrenue au fur et à mesure que le temps passe ; elle est dans l'attente, toujours, d'un mot, d'un regard, d'un événement, d'une prise de conscience, d'une idée. Là, l'idée est mauvaise et elle le sait ; la prise de conscience est brutale, aussi elle essaie de la repousser.

Qu'est-ce que je fous là ?

Ce n'est plus à Paris qu'Aoi songe, mais à Terrae ; cet endroit paradisiaque, miraculeux.

Miraculeux, vous avez dit ? Attendez, il est où, là, le miracle ? Le temps ne s'arrête pas d'avancer, la terre ne s'arrête pas de tourner. Alors c'est quoi le miracle ? Ce sont des pouvoirs qui ne nous seront jamais utiles, ce sont des responsabilités qu'on n'a pas demandées ? Ce sont des combats, des pertes, des larmes, la peur ? La peur d'être jugé, regardé de travers, pointé du doigt, la peur d'être harcelé, attaqué, violenté, la peur de sortir, de devoir se cacher, encore, toujours, de devoir se planquer dans cet institut affreux, entouré à jamais des mêmes gens, considéré à jamais comme un monstre ? C'est ça le miracle, c'est ça le paradis, c'est ça le bonheur qu'on nous promet, c'est ça ?

Son rythme cardiaque explose, sa respiration est rapide et sifflante ; elle est appuyée contre un mur, à observer, de loin.

Est-ce que c'est ça la vie, sérieusement ? Être enfermé dans une bulle à tout jamais, à l'écart du monde, parce que là-bas au moins c'est bien, c'est beau ? Pas de sans abris dans nos rues, pas de famine, pas de guerre — et le reste du monde, qu'est-ce qu'il a, de quoi il a besoin ? On doit le laisser mourir, crever comme un chien, pendant que nous, des élus, on a le droit à tout le reste, aux pouvoirs et à la puissance, à la magie et à la connaissance, on doit vraiment rester là ?

Le cortège s'avance, il y a peu de monde pour accompagner le défunt.

On dit qu'on est une famille, mais c'est quoi au juste, une famille ? Ca se bagarre et se déchire, ça s'engueule et se déteste, et parfois, parfois, on s'aime, mais pour un court moment, parce que c'est tellement plus simple de se haïr, tellement plus simple de rejeter la faute sur les autres, tellement plus simple de faire comme si le monde entier ne vaut pas qu'on s'intéresse à lui. C'est ça une famille, c'est ça ? Des gens qui veulent qu'on change, des inconnus, des personnes qu'on fuit, qu'on ne connaît pas, un père qui n'est pas là, une mère qui ne te cherche pas ? Et ces grands-parents, ce visage impassible ou pincé, cet air de ne pas appartenir à ce monde, ces gens qui sont censés t'aimer, ils sont où ? Ils sont où, les gens qui t'aiment, les gens qui aiment ?

Elle dévisage une femme très sèche, le regard attristé et le visage grave ; elle a l'air de se contenir, comme on contiendrait le débordement de la mer.

Fonder une famille, aimer, vivre à deux, pour combien de temps ? T'as envie de ça, t'as vraiment envie de ça ? Envie que ça se finisse comme ça, moi dans un pays et toi dans un autre, l'un de nous qu'on enterre, et les gosses qui nous regardent comme des inconnus, qui ne comprennent pas, qui ne pourront juste jamais comprendre ?

Le cercueil est mis en terre. Il y a un instant de flottement. Peine. Tristesse. Dégoût. Rancoeur. Haine. Tout devient flou.

De quoi est-ce qu'on a besoin ? De quoi est-ce qu'on a besoin, hein ? Pas des autres, pas sûrement pas, les autres font toujours mal, ils mentent ou refusent de te croire, ils te monopolisent et te tuent lentement. On est quoi, des pantins, des jouets pour les gens, on est juste là pour assouvir quelque chose, donner l'impression à ceux-là d'exister ? Est-ce qu'on a pas le droit d'exister nous-mêmes, d'exister pour nous, d'exister pour ce qu'on aime, d'exister comme on le voudrait ? Sans toutes ces conneries, toutes ces bagues et ces beaux discours, ces sourires ravageurs qui ne veulent plus rien dire, alors qu'il suffit d'un autre moment pour craquer, pour te renvoyer d'où tu viens, pour te briser en deux une fois encore. Je suis censée faire quoi, le croire, l'aimer ? Comment on aime quelqu'un qui nous a trahi, comment on aime quelqu'un qui nous a fait du mal comme ça ?

Un sanglot.

Comment on peut détester un mort à ce point ?



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Vide, blanc, noir
Le vent, la mémoire
Gravée dans tes larmes
Gravée dans ta peau
Les yeux dans les yeux

Tic tac
tic tac
boom

Elle est partie avant la fin. Elle refuse et n'accepte pas. Elle ne veut pas risquer qu'on la voit, elle, alors qu'elle n'appartenait même pas à son monde.

Tic tac
tic tac
boom

Elle a l'impression de s'être cherchée un moment, tout autant qu'elle cherchait le chemin jusqu'à son hôtel. Où aller, où rentrer... Pas Terrae. Pas Kyoto. Est-ce qu'il y a vraiment un endroit où elle pourra ne pas ressentir tout ça, au juste ?

Le lendemain, elle passe prendre les affaires. Elle les enferme dans un box, dont elle garde précieusement la clé, et vagabonde.
Elle n'a pas mangé depuis la veille.

Tic tac
tic tac
boom

À un moment donné, son téléphone sonne dans sa poche. Elle regarde le nom affiché sur l'écran, laisse le temps passer. Un appel manqué. Plusieurs, en réalité, mais pas du même correspondant. Huo a envoyé plusieurs messages.
Elle ne répond pas et rappelle plutôt Hideko. Urgence ?

— Bonjour, Hideko... Il n'est pas tard, au Japon ?

Bien sûr qu'il est tard.

— Une étoilisation ...? Où ça ? En France ?

Aoi prend un papier et écrit l'adresse et le nom de la ville. Paris. Étonnant.
On lui indique où se trouve Tahia. Elle acquiesce. On lui demande si ça va. Elle acquiesce.

Tic

— Pas de souci. Je la ramène. À très vite.

tac

Peut-être qu'autrement, elle ne serait jamais revenue.

boom



Je vole en #F54759
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