Rire gêné, c'était compliqué de cacher quoi que ce soit de toute façon. Parfois, Terrae ressemblait à ton village : les rumeurs prenaient des proportions énormes et filaient dans toutes les directions possibles à une vitesse vertigineuse... La différence, c'était que ça ne te retombait pas aussi fort dans le coin de la gueule, à Terrae. Alors oui, Nicolas sort souvent c'est vrai. Mais pas pour s'amuser... Pour oublier. Alors il corrige. :

-Bon, je devrais sortir plus souvent m'amuser avec toi.

...et avec Ipiu. Il était certain qu'il y avait de quoi passer une soirée à rire aux éclats avec elles, alcool ou pas, juste rire. Fort. Et pour peu de choses... ça lui manque des fois.

Il secoue brièvement la tête pour sortir de ses rêves quand Mitsu lui met les fléchettes dans les mains. Il dit pas non à un autre verre. Mais alors qu'elle explique comment mieux tirer, une sorte d'angoisse lui tord les entrailles... Les fléchettes, c'est un peu comme tirer avec un pistolet. Il déglutit et son sourire est hésitant. :

-J'vais essayer... lâche-t-il avant qu'elle ne parte au bar.

C'est quand même incroyable ça... que le passé vous suive partout. Il fronce les sourcils malgré lui et se place, jambes écartées mais droit, comme lorsqu'il le faisait autrefois dans les bois, lorsqu'il devait tirer sur des bouteilles de verre vides alignées sur un banc plus loin... Il se souvient de l'odeur du cigarillo infecte d'Amadéus et de ses remarques dures et strictes lorsqu'il tentait de lui inculquer "l'art du tir". Pas comme ça, on a l'impression que t'as un balai dans le cul ! Il faut bloquer ta respiration mais rester souple ! La fléchette se fiche dans la cible, 20 points. Pourquoi ça te suit ? Mais parce que c'est comme ça, tu l'as vécu, c'est un peu de toi... Je croyais qu'on était au-dessus de ça maintenant, c'est un débat qu'on a déjà traversé. Nicolas inspire fort et serre les dents ; 20 points se soustraient à nouveau.

Nicolas regarde sa dernière fléchette avant de lever ses yeux d'argent vers la cible. J'étais le meilleur tireur du gang mais je me baladais toujours les mains dans les poches. Il arme son bras, reste immobile quelques secondes... Pas de gestes superflus. C'est comme tirer entre les deux yeux d'un homme. Elle s'envole, file à vive allure. Se plante en plein milieu. ...Bull's eye.

Un temps.

Il saute en l'air en levant les bras bien haut et se tourne vers le bar, le visage illuminé d'un enfant qui réussit une chose simple, le bout du monde pour lui. :

-YOUHOU ! T'as vu ça Mitsu ? TU AS VU ?!

On s'en fout. On s'en fout. Ce n'est pas vraiment de la comédie, c'est effacer le pire pour faire quelque chose de bien dès à présent.

C'est qu'il est long le serveur là ! Pourquoi y'a la queue comme ça ?! Nan mais c'est naze ! J'en ai marre d'attendre ! Et le pire, c'est que quand je lui demande un verre, le serveur me regarde sans comprendre et me demande de répéter. Nan mais je rêve ! Je REVE. Il se paye ma tête en fait ! Je commençai à râler avant de me rappeler... Que nous étions à Paris. Et qu'à Paris, tout le monde ne parle pas japonais. J'viens de me rappeler de la raison pour laquelle j'avais demandé à Nico de commander tout à l'heure. Tout s'explique.

Après un échange en anglais fort laborieux, je finis par avoir nos verres, et je manquai de les renverser (oh mon dieu non, on ne gaspille pas du jäger !!!) en entendant Nicolas hurler dans le bar. Je relevai un regard mitigé vers lui (on s'en prend pas à l'alcool ok ?!) et finis par laisser un sourire s'étirer sur mes lèvres.

-Waaaaah mais t'as géré ! Mais t'as fait semblant de pas réussir tout à l'heure, omg, comment t'as géré là, regarde mais c'est ouf tu nous as sorti 90 points d'un coup là omg !

J'vais me faire battre. J'vais me faire battre. Nan mais hey comment ça se fait pas, GENRE JE PEUX PAS PERDRE A MARIO KART ET AUX FLECHETTES, C'EST ABUSEY LA.

J'arrivai à côté de lui et lui tendis son verre accompagné d'un "tiens, cadeau !" avant de prendre une grosse gorgée et de le poser sur la table à côté de la cible. Je remontai mes manches et pris les fléchettes. Plissant les yeux, je fixai la cible.

-Allez. Mitsu, tu respires. Tu te concentres. ALLEZ LA.

Putaing, les numéros ils bougent là, c'est de la triche ! Mon bras mal-armé, je jetai ma fléchette qui fit un joli "out". Je gonflai mes joues, et envoyai les deux fléchettes qu'il me restait qui se flanquèrent sur un 14 et un 10. C'est. Naze. J'suis mauvaise perdante, personne ne le savait ? Pfft.

Après plusieurs coups de fléchettes et quelques nouveaux verres dans le gosier, c'est avec une grande difficulté que je nous re-téléportai à Terrae. J'abandonnai Nico devant sa porte et disparus pour rejoindre ma maison et mon petit lit tout douillet et tout doux et tout propre et... Et j'vais mettre un pied sur le sol pour dormir ce soir, hein.