Je me sentais misérable.
Incapable de paniquer comme la plupart des autres élèves, incapable de me révolter aussi, incapable de ressentir autre chose qu'un manque cruel, et cet horrible caractère des débuts de mon handicap qui revenait faire des siennes. Celui qui me disait que tout le monde voulait aider la "pauvre petite Isis qui n'arrive pas bien à se déplacer dans son fauteuil roulant", et auxquels j'avais juste envie de répondre que "moi j'ai construit un dodo mécanique géant, un fauteuil -presque optimisé- et trois modèles différents de machines pour me remettre debout, et toi t'as fait quoi ?", ce à quoi on me répondra probablement un nombre de choses ô combien intéressantes à faire si on a deux jambes sur lesquelles on peut tenir.
Bref, de l'amertume. De la tristesse, aussi. Et beaucoup, beaucoup de faiblesse.
Je regarde inlassablement la lettre de mes parents qui me demande de rentrer. Je n'y ai toujours pas répondu. Ils ont dit qu'ils me donnaient un délai de presque deux mois pour faire mes adieux et mes valises (parce que je le sais, l'idée même que je refuse ne leur était pas venue à l'idée), mais honnêtement, est ce que ça servirait à quelque chose ? J'avais presque fini par oublier que si je rentrais, je ne pourrais plus utiliser cette force de titan à laquelle je tiens tant, et donc je ne serais qu'un poids pour eux.
En somme, je me retrouve face à un choix encore pire : rentrer en espérant être utile à mes parents sans mes pouvoirs, ou rester à Terrae pour garder mes pouvoirs, mais sans but réel, si ce n'est beaucoup d'affection pour le lieu ? Ma raison et mes sentiments n'étaient décidemment pas prêts de se mettre d'accord...
Alors je sortais dans les couloirs, espérant pouvoir mettre fin à cet éternel débat (et passer le temps sans mes pouvoirs, qui me paraissait affreusement long), tout ça pour me rendre compte que le simple fait d'aller en cours est devenu un calvaire. Pourquoi mes muscles sont-ils aussi mou, bon sang ?! Ou alors est ce juste la comparaison avec cet avant si facile qui me donne cette impression ? Allez savoir.
Ça fait d'ailleurs plusieurs dizaines de minutes que je suis au bout de ce couloir, câlée tranquillement devant le placard à balais. au moins, je dérange personne ici. Enfin j'ose espérer. J'en profite pour reprendre ma respiration après l'effort qu'a été le fait de me traîner jusque là et laisse retomber mes bras le long de mon fauteuil. Oui, je m'accorde cet instant de faiblesse tant que personne ne peux le voir.
Je dois réfléchir, penser à autre chose de constructif. Genre. Heu. Autre chose que le fait que je n'ai plus de pouvoir ? Ben simple alors, le fait qu'on a un couvre-feu qui m'empêcher d'aller à l'atelier au milieu de la nuit ? Le fait que quelque chose réussi à mettre les masters en stress et les élèves pas forcément mieux ? Elèves qui d'ailleurs formantent une rébellion ou quelque chose s'en approchant ? Je ricane toute seule. Rassurantes pensées, quand vous me tenez. J'y penserai quand j'aurais retrouvé mes pouvoirs, et donc que je pourrais me battre pour tout ça. Parce que pour l'instant, je ne suis pas grand chose.
Non, pensons plus à... Je sais pas, un nouveau modèle de machine ? Ou de caroussel pour vendre sur internet ? Oui, plongeons intensément dans mes pensées et coupons nous totalement du monde extérieur, ça me paraît cool ça...

Ah... Encore un bon moment tranquille. Tu parlais sur ton twitter, tu codais des lignes et des lignes de code, tu faisais des maths, tu jouais à ta console portable ou encore tu regardais des animes tout aussi abrutissant les uns que les autres. Tout ceci dans l'espoir de te faire rire... C'est con hein? Tandis que certains sont en panique, sont entrain de monter un révolution, toi tu gardes ta petite vie normale. Avec, en bonus, l'EPS en moins.
De toute façon, à 20h tu étais déjà dans ton lit, sous ta couette à coder ton jeu. Cela fait 6 mois que tu codes seulement cela, tu as déjà fais les esquisses des personnages et quelqu'un sur twitter te les as dessinés. C'est vachement cool.

Un grondement se fait entendre, ce n'est pas un dinosaure dans ton jeu, ce n'est pas un séisme ou la 3ème guerre mondiale qui vient de se déclencher. Non non, c'est ton ventre. Tu as drôlement faim. Alors tu te lèves. Tu n'es pas bien grand, du haut de ton mètre soixante quand tu es sur la pointe des pieds, tu ressembles à un enfant bien que tu ais 17 ans... Tu es un adolescent!
Tu te diriges vers la porte qui s'ouvre de l'intérieur et, tu t'apprêtes à sortir, tu ne fais aucun bruit comme d'habitude, tu es un fantôme...

AH

Il y a un truc devant la porte qui fait que tu ne puisses pas sortir. On dirait un Kabedon, comme celui que tu viens de voir dans ton anime... Sauf que là, la personne en fauteuil roulant ne t'as pas vu et elle n'a pas l'intention de te draguer. Enfin... Tu espères. Tu veux dire quelque chose mais elle a l'air totalement paumée dans sa tête. Enfin, elle fait la même tronche que toi quand tu n'arrives pas à résoudre une équation de type "e(2x) + 2e(x) + 1 = 0". Ouais, tu galères avec cela mais tu sais qu'il n'y a pas de solution dans les nombres réels, par contre, dans les nombres complexes, la solution est {i(pi+2kpi)|k appartenant à ZI}.

...

Tu t'épates, même dans ta tête tu arrives à faire des maths. M'enfin, tu es accroupis vers la porte, ne voulant la déranger la femme mais ton ventre en décida autrement et gargouilla un peu plus fort... Bon, tu dois dire un  truc.

-Tu bloques le passage. Tu veux que je te pousses? Je pourrais aller au distributeur en paix comme cela.

... Dans ta tête c'est pas méchant mais... Comme tu as toujours une pokerface et un visage neutre, cela sonne vraiment méchant... Barf, c'est pas comme si tu pouvais t'en inquiéter, pour toi, c'est normal.

Parmis les choses positives improbables qui m'étaient arrivées dans la vie, il y avait le fait d'être née dans un Cirque qui traversait l'Europe.
Je repensais à ça à l'instant, pour essayer de me remémorer les bons souvenirs, mais il fallait dire que ce n'était pas très efficace : j'avais beaucoup de bons souvenirs avant le départ de Dunkan. Et même lorsque j'essaye de me concentrer, je ne trouve rien d'aussi intense à Terrae, c'est juste... Différent. Mais moins intense. Et je sais que ma vision est biaisée, j'ai vécu des choses très fortes aussi ici, que ce soit en positif et en négatif. Mais il me semble que mon esprit est d'une extrême mauvaise foi depuis hier...
Ce que je ne savais pas, c'est que je pourrais bientôt ajouter un événement à ma liste d'événements assez improbables et -je l'espérais- positifs.
Alors que j'étais dans mon délire dépréciatif, j'entendis un gargouillement, comme celui d'un ventre qui a faim. Je levais la tête, épuisée à l'idée même de devoir converser avec un autre être humain, mais il n'u avait personne dans le couloir. Un invisible ? Tss, je suis vraiment bête parfois, à priori personne n'a ses pouvoirs. Et puis je voyais mal pourquoi quelqu'un se cacherait ? Je n'ai pas le temps de me poser plus de question qu'une voix arrive de derrière moi.
Dans ma tête s'effectue alors un calcul de légitime défense : d'où ça sort ?! Je me suis volontairement mise en bout de couloir, devant à priori un mur... Non, l'armoire ?! Je fronce les sourcils. J'ai ommis de comptabiliser l'armoire comme une cache possible pour un humain normalement constitué.
Conclusion rapide, avant même de comprendre le sens de ses paroles : je suis en présence d'un danger. Je sursaute légèrement et pousse instinctivement mon fauteuil plus loin dans le couloir (beaucoup moins loin que j'aurais pû aller si j'avais encore... Enfin, je n'ai plus).
Ensuite vient l'analyse du texte, et je me rends compte que bien malgré moi que j'ai accédé à sa demande, même si elle était formulée d'une étrange façon. Je suis assez sceptique, je dois l'avouer. D'abord parce qu'en temps général, ça m'aurait rendu vraiment contente qu'il ne me considère pas comme différente des autres. Mais aujourd'hui... Disons que son ton froid n'aide pas avec mon humeur du jour. Je souris, un sourire un peu crispé cette fois.

_ Je n'ai pas besoin d'une aide aussi gentiment proposée, je sors, sans même essayer de cacher mon ton cassant. Va donc au distributeur. Puisque tu as si faim.

Je me rends compte de ce que je viens de dire.
Isis, qui es tu devenue, bon sang ?! Je relève la tête. Oh mon Dieu. J'ai tellement honte de ma personne, à l'instant. C'est pas parce que j'ai l'impression que son ton était désagréable qu'il l'était effectivement. Je déforme tout. Je déforme tout, tout ça parce que je me sens triste ?! Isis, tu es stupide.
Je m'éclaircis la gorge. Ça n'aide pas à se sentir bien, ce genre d'erreurs.

_ Hm, désolée pour ce ton, tu m'as surpris... Tu... Tu es souvent... dans les armoire ?