Etienne, allongé, essaie de faire une sieste. C'est à dire qu'il passe un peu sa vie à réviser ces derniers temps en fait. Avec Nicolas. Avec Chrys. Tout seul. Des fois. Enfin. On va dire que ça lui arrive... Quoi? Roh, on sait qu'il a des exams dans un mois...mais bon, on sait aussi que le travail scolaire et Etienne...euh... Stop dénigrer le quotient émotionnel, ok? Merci. Au revoir.

DONC. Etienne essaie de faire une sieste. Mais il s'en veut un peu. Alors il n'arrive pas vraiment à se reposer. Il pense aux maths qu'il devrait réviser. Ca a jamais vraiment été son fort, pour tout dire. Et même avec de l'aide, il a du mal. Peut-être que se balader l'aiderait plus qu'essayer de se reposer? Après tout, ça reste autre chose que des révisions, ça vide le cerveau. Et puis, avec un peu de chance, en forêt, il croisera peut-être des animaux? Ce serait chouette. Depuis qu'il n'est plus à la ferme, ça lui manque de s'occuper du bétail. Bon, il sait que ce ne serait pas la même chose, mais c'est déjà ça.

Alors Etienne se lève. Il tente vaguement, et surtout vainement, de lisser son uniforme froissé avant d'attraper son sac à dos. Il y fourre une bouteille d'eau ainsi que son téléphone. Il hésite quelques secondes devant ses livres de cours avant de les glisser, non sans un soupir contrit, avec le reste. Allez, on y croit, parmis les arbres, la motivation reviendra!

Mais alors qu'il sort des dortoirs, il voit au milieu du hall un garçon à l'allure typique du Terrae débarquant, lâché dans l'institut: pas d'uniforme, une valise à la main, une carte dans l'autre, le nez en l'air à chercher où aller. Et Etienne, comme beaucoup de Terraens, se souvient à quel point se perdre quand on arrive peut frustrer, énerver, ou faire paniquer. Alors, et ce n'est bien évidemment pas une excuse, Etienne, forcé et contraint bien sûr, s'approche du jeune homme en question:

- Besoin d'aide, peut-être? demande-t-il avec douceur, un mince sourire accueillant, bien qu'un brin timide, aux lèvres.

L'espace de quelques instants, les yeux d'Alexander s’intercalent à ceux d'Etienne pour mieux devenir immédiatement fuyants. Il reste figé dans sa position, le bras droit ballant luttant péniblement contre la gravité à la quelle sa valise est soumise et sa carte qu'il a arrêté de concerter il y a bien deux cent mètres de cela dans sa main gauche.
"Voilà qu'il faut s'intégrer maintenant. J'étais pourtant pas si mal dans ma douce dérive."

Le jeune franco-allemand jette encore quelques regards aux alentours comme s'il s'attendait à chaque instant à voir les murs, pourtant déjà longuement inspectés, bouger tout à coup et partir faire leur vie ailleurs. Un peu comme il semble le faire lui même.
Après ce flottement, il retourne son visage vers son nouvel interlocuteur et de lui dire d'une voix faible et avec la rudesse de celle qui n'ont que peu servie dernièrement:

- Je... Je pense? Je ne sais pas trop à vrai dire. Je viens d'arriver.
"Evidemment que tu viens d'arriver, triple andouille, non mais tu t'es vu? Un chien sans museau pourrait le flairer à huit cent mètres."
Je cherche les dortoirs en fait. Je crois. C'est que j'aimerais bien au moins poser mes affaires et...
Il s'arrête.
"Et quoi? Qu'est-ce qu'on fait maintenant?
Tant qu'à en être là écoute..."
- Je suis Alexander et je viens d'arriver. Comme euh... je l'ai déjà dit.

Il tend alors raidement sa main pâle vers Etienne; les lois de la physique étant ce qu'elles sont, sans plus de soutien, la valise qui a laissé sur les doigts d'Alexander des marques rouges à force de se crisper sur sa poignée tombe mollement dans un "pouc" qui raisonne tout aussi mollement dans le hall.

Des yeux marrons croisent ceux d’Etienne…avant de partir voir ailleurs s’il y est. Je fais peur ?. Mais oui bien sûr. L’inconnu fait presque vingt centimètres de plus qu’Etienne, mais il est impressionné par le petit gaillard qu’est le Novice. Ce dernier penche légèrement la tête sur le côté, retenant ses habituels marmonnements qu’il, depuis qu’il est arrivé à Terrae, tente de faire plus…discrètement. Finalement, le brun reporte son attention sur lui, non sans avoir auparavant observé les alentours comme à la recherche d’une échappatoire.

Et comme pour chaque nouvel arrivant, ce sont les dortoirs qui sont désespérément cherchés. Etienne hoche paisiblement de la tête pour indiquer au fraîchement débarqué qu’il peut l’aider, quand celui-ci a un geste pour le moins…surprenant ?

- Beh…?

Le Novice a perdu des yeux la main tendue du jeune brun, ceux-ci rivés sur la valise tombée au sol en un bruit bref, mais qui a eu le droit à résonner dans le hall…attirant au passage le regard des curieux. Avec une certaine lenteur et hésitation, Etienne se penche et, de la main gauche, attrape la pauvre malle. Il se redresse et de sa main libre serre celle du garçon, sans pouvoir s’empêcher de remarquer la forte différence entre les deux. Les paumes d’Etienne sont rugueuses, pleine de corne, tandis que celle d’Alexander est bien plus délicate, déjà rougie d’avoir porté la valise.

- Je vais te la porter, je pense. Et je suis Etienne, au passage.

Nouveau sourire se voulant rassurant. D’un mouvement de tête, le Novice désigne l’emplacement des dortoirs.

- Tu étais presque arrivé, en fait. Viens, je vais te montrer. Dans quel dortoir es-tu ? …oh, pratique, c’est le même que le mien.

Les deux garçons se mettent en marche jusqu’à la pièce assez vide en cette heure de la journée. Etienne laisse Alexander désigner le lit qu’il souhaite occuper avant de poser la valise à ses côtés.

- Et te voici installé.

Et surtout, voici Etienne plein de doutes. Il a choisi d’aider Alexander sans se souvenir que viendrait ce moment où il ne saurait plus s’il devait rester au cas où le jeune nouveau ait besoin de lui ou si, tout au contraire, le garçon allait trouver cela bizarre qu’un inconnu reste. Alors une nouvelle fois, il ne dit plus rien, mais réfléchit beaucoup, beaucoup trop.
Après tout, je pourrais lui proposer de venir en forêt avec moi, lui faire visiter Terrae et ses alentours ? Ou bien il veut rester tranquille ? Peut-être qu’il veut se reposer, aussi ? Il vient peut-être de loin ? Dans tous les cas, c’est toujours éprouvant d’arriver ici. On comprend jamais rien. Mais justement, du coup, il devrait avoir envie d’avoir quelqu’un pour répondre à ses questions, non ? En même temps, je ne suis pas non plus vraiment bien placé pour l’aider…Je ne suis pas là depuis si longtemps. Qu’est-ce que je peux faire ?
Et comme souvent, sourcils froncés, concentré sur ses pensées, Etienne oublie qu’autour de lui le temps continue, et que son interlocuteur est toujours présent.

Après avoir atteint le lit qui semblait-il serait désormais le sien, Alexander reprit la valise vide au trois quarts des mains d'Étienne pour la coucher délicatement au côté de son propre couchage avant de s'asseoir sur ce dernier.
Il repris son souffle, ses esprits, sa concentration ainsi d'abord bouche bée avant de la fermer d'un coup en s'en rendant compte.
Laissant sa respiration se calmer, le nouvel arrivant, le corps soutenu par un matelas à ressort et légèrement courbé, releva alors la tête pour cette fois-ci poser, certes lentement mais non sans une certaine fermeté, son regard de jais sur celui d'Étienne qu'il pensait et espérer trouver. Et qu'il trouva.
"Et maintenant ?"
Réalisant l'absurdité de ces mots qu'il avait été le seul à entendre (et heureusement et dans le même temps l'absurdité de la situation résidait dans ce fait précis), il se reprit:
-"Pardon je euh... Je pense ce que je dis. Encore. Enfin je veux dire je me le dis à moi même au lieu de te le dire à toi. Pour de vrai.
Un bref instant passe.
-"Qu'est-ce que je dois faire maintenant ? "

Si le nouveau novice maintenait un regard fixe, il était assez évident qu'il s'agissait d'un acte non naturel pour lui. Mais en voyant ses joues légèrement creusées et ses yeux bordés de noir, quiconque ayant connaissance des raisons aboutissants à une arrivée au sein de l'institut Terrae n'aura pas besoin d'y réfléchir à deux fois avant de comprendre que la zone de confort d'Alexander était bien loin, abandonnée au delà d'un horizon qu'il ne pensait plus jamais voir radieux.

Et le silence fut.

Mais tout silence qu’il était, échange il y eut aussi. Bien que perdu dans des réflexions trop prenantes, un regard cerclé de noir ramène soudain Etienne à sa préoccupation du moment : Alexander. Pas un mot. Tout dans les yeux. Ce vide qui se demande que faire.

Jais contre noisettes, et soudain Alexander sort du mutisme. Il s’emmêle un peu dans ses paroles, et Etienne a un peu de mal à suivre. Mais finalement, il comprend. Le garçon pensait au lieu de parler. Ca arrive.. Oui, Etienne est bien placé pour le savoir.
Enfin, la question fatidique tombe : que faire maintenant ?

Et soudain, le cœur d’Etienne se serre. Sans bien comprendre pourquoi, il se sent triste pour ce garçon qui lui fait face, avec sa bouille aux joues creuses et son regard éteint. Il déglutit et, avec douceur, lui répond, s’efforçant de garder ce sourire réconfortant :

- Maintenant, on va aller faire un tour, si tu veux. Comme ça je te montrerai Terrae.

Ils sont deux à avoir abandonné la zone de confort. L’un par nécessité, l’autre parce qu’il a le cœur sur la main. Si au début l’excuse était bonne pour échapper aux révisions, ça lui ferait maintenant mal de lâcher le bonhomme perdu dans l’institut.

- Mais ça fait pas longtemps que je suis là, tu sais. Je connais pas tout. Tu as quel âge, d’ailleurs ? Si tu as besoin, je te montrerai les salles de cours. Si on est dans la même classe, ce sera encore plus pratique.

Si on lui avait dit qu’il s’improviserait guide, Etienne n’y aurait certainement pas cru. Il n’y croit pas franchement même maintenant, d’ailleurs, et s’attend pas mal à se recevoir un « Non » assez douloureux. Mais bon, ça se tente, hein ? Il a plus grand-chose à perdre, de toutes façons.