J'ai soupiré. Putain de composition à la con. Je plantais sur le même couplet depuis maintenant une heure. Je ne trouvais pas le bon enchaînement et cela me prenait la tête.
J'étais venu au lac dans l'espoir de pouvoir y être seule. En effet, tôt ce matin, le temps était couvert et la pluie avait été annoncé aussi j'avais supposé que personne n'y serait. Armée de ma guitare folk et habillée de ma combi-short crème et de mon vieux blouson de cuir noir, je m'étais donc rendue sereinement là-bas. Et effectivement, à mon arrivée, personne n'était là. J'avais deux nouveaux morceaux quand le soleil était sorti de derrière les nuages et que toute la population de Terrae avait décidé de sortir braver les rayons chauds de l'astre. Donc évidemment, je fus perturbée et mon travail en pâti énormément.

Depuis que j'étais sortie du coma et que j'avais retrouvé mes souvenirs, je me rappelais de plus en plus de choses. Nécessairement, quand vous avez passé toute une partie de votre vie à vous penser en sursis, quand vous croyez avoir une date de péremption, la première chose que vous faîtes une fois cette épée de Damoclès retirée, c'est de faire des plans sur la comète.
J'avais envie de tout voir, de tout tenter, de tout faire. Je voulais réaliser mon rêve à plus grande échelle. Je voulais profiter de chaque seconde passée avec mes amis et ma famille. Je voulais jouer de nouveau au base-ball, je voulais encore me coucher tard pour boire une bière avec mon frère en jouant à la console. Je voulais retourner à la fête foraine avec Mitsuki, je voulais retourner chez moi pour pouvoir tourner la page, je voulais devenir Master, pour ne plus jamais avoir peur de mon avenir. Je voulais voir le monde. Je voulais avoir une vie normale tout en réalisant de grands rêves.

Alors me voila, en pleine après-midi, sur les bords du lac, à composer des chansons parlant de rédemption, de nouvelle chance et d'envie d'ailleurs.
Je ne voulais pas que notre nouveau groupe se produise avec d'ancienne composition. Je voulais réécrire l'histoire, tourner la page, changer le chapitre, le livre, tout. Sauf que je bloquais. J'étais en train de m'énerver quand je vis un homme sortir une basse de sa sacoche. Ouuuuuuuh intérêt quand tu nous tiens. J'ai tendu l'oreille, attendant patiemment qu'il joue.

Je vous jure, je le promets, mon geste fût involontaire. Je connais la basse. Je connais la musique. Je ne suis pas une passionnée pour rien. Au moment même où le jeune homme a commencé à jouer, mes mains se sont seules mises en mouvement pour suivre le rythme. Y avait quelques couacs, bien sûr, mais c'était en soi tout à fait acceptable sachant qu'on ne jouait pas l'un pour l'autre et qu'on ne connaissait même pas.
J'ai attendu qu'il finisse pour me relever et m'approcher, ramassant mes affaires. Vous l'aurez compris, je ne suis pas des plus timides.

- Hey bien joué l'artiste! Tu joues depuis longtemps?

Je lui ai adressé mon sourire le plus charmeur, tentant de me faire un nouvel ami dans le domaine musical avant de lui tendre ma main, assise en tailleur en face de lui.

- Je m'appelle Joyce au fait. Joyce Noran.

Sauf que mon attention fût totalement détourné par le petit bijoux qui semblait lui appartenir. Je sais je suis grave, mais les animaux j'adore ça.

- Oh merde! Punaise il est à toi le p'tit ange? Mon Dieu il est trop beau! Il s'appelle comment? Il a l'air tout jeune!

Kyaaaaa j'avais trouvé un musicien les gars! Un bassiste en plus! Putain ça courrait tellement pas les rues à Terrae, ça en devenait grave! Fallait absolument que je réussisse à l'embaucher. Quoi? J'ai pas oublié mon rêve les gars, fallait que je remonte un groupe et avec Ys on allait pas aller loin! Il nous manquait nécessairement un bassiste et un batteur. Malheur, disgrâce, on était mal.
Mais ce certain Drixx allait peut-être pouvoir nous sauver la mise...

J'ai oublié le sens des priorités à peu près au moment où j'ai croisé le jeune Rock. N'osez même pas me demander pourquoi j'adore le prénom de cet animal. N'empêche que vu le personnage de son maître géant, il était obligé que l'on s'entende. J'ai doucement avancé la main pour caresser la boule de poil et j'ai souris. Il était adorable mais Drixx devait sûrement avoir eu du mal à le faire accepter par les gars des dortoirs. Oui parce que comme je rencontrais que maintenant ce bassiste, il était forcément nouveau!

J'appris par la suite que le bassiste jouait depuis 7 ans et j'ai souris. Petit niveau du coups. Et en autodidacte en plus, respect! Il cala son instrument sur ses jambes avant de me demander à son tour si j'étais musicienne.

- Gagné. Je suis guitariste et chanteuse depuis 13 ans et j'ai commencé la basse il y a un an. Avec mon frère, on cherche à remonter un groupe actuellement mais ce n'est pas facile de trouver de bons éléments. On aimerait être produit de nouveau.

Non la proposition n'est pas du tout intéressée!
J'ai souris à mon nouvel ami avant de replacer une mèche derrière mon oreille.

- T'es ici depuis longtemps? Tu viens d'où ?

Quand Rock a quémandé de nouvelles caresses, je n'ai pas pu résister et je me suis occupée de lui, allant même jusqu'à le prendre entre mes jambes pour lui administrer tout l'amour du monde. Il était vraiment adorable.

Le jeune homme continua de me parler et je compris à son ton qu'il serait vain d'insister pour obtenir un musicien. Il n'était et ne serait pas intéressé.
Enfin! Tant pis! Et puis l'information suivante fût tout aussi intéressante: Monsieur était japonais. Il en avait pas vraiment l'air. J'appris par la suite qu'il avait des origines étrangères et je continuai à sourire. C'est que ça devait offrir une culture assez riche! J'avoues, j'étais un peu jalouse: Avant de venir ici, je n'avais connu que les Etats-Unis. Mes parents étaient deux américains et si ma mère se produisait en temps que championne de CSO, mon père restait chirurgien. En cas de gros déplacement de maman, c'était lui qui s'occupait de Vince et moi. Aussi n'avais-je jamais rien connu d'autre que mon pays.

Il me demanda d'où je venais et j'eus un sourire désabusé pendant un instant. Il était étrange de voir qu'aujourd'hui, plus de trois ans après le dernier drame ayant bouleversé à jamais ma vie, j'arrivais enfin à en parler sans m'effondrer.

- Je suis américaine. Chicago pour être précise en vérité. Et... En fait, j'ai jamais rien connu d'autre je crois.

Manque d'originalité, c'était certain, mais boooon!
Il avait tiqué sur le fait que j'apprenne la basse et un sourire plus franc revint m'ourler les lèvres. Il était facile de parler avec Drixx. Il n'était pas ennuyant, ni même preneur de tête. C'était visiblement quelqu'un de simple. En dehors de ça, je ne doutais pas qu'il ait connu son lot d'épreuve pour finir ici.

- Il fut un temps où j'ai étudié la guitare en cours, avec un vrai prof et dans les règles de l'art. Mes parents m'avait fait ce cadeau. Mais pour la basse... Disons que par la force des choses, j'apprends seule. Je galère un peu mais ça va, je me débrouille pas encore trop mal.

J'eus un rire moqueur. Ce n'était pas encore du Mozart, mais à force de persévérance, j'étais certaine de pouvoir m'en sortir et d'impressionner à la fois mes fans, moi mais également mes amis, dont Ys.

Drixx avait l'air de prendre autant de plaisir que moi à cette conversation. Nous étions tous deux musiciens et visiblement, passionnés, Nous avions donc un sujet de conversation tout choisit. Surtout que l'on pratiquait la basse!

Il faisait beau ce jour là. La légère brise venait atténuer la chaleur des rayons de soleil sur nos peaux. Nous étions beaucoup à être sortis prendre l'air, profitant de ce début de printemps si doux.
Il y a encore quelques mois, avant de sombrer dans le coma, je ne pensais pas revoir un jour la lumière du soleil. Je me souviens étonnamment bien du moment où j'ai perdu connaissance dans les bras de mon frère. A cet instant, je croyais vraiment que ma dernière heure était venue et, étrangement, je n'avais alors aucun regret. On m'avait réellement offert une nouvelle chance et j'en avais profité pleinement. Le seul remords que j'aurai pu avoir était celui de quitter tout cela trop tôt. Mais la mort n'est-elle pas également une aventure?
Attention, n'allez pas entendre n'importe quoi, j'étais bien heureuse d'avoir survécu à tout ce merdier! Au contraire, je m'estimais chanceuse d'avoir encore le droit à une chance. A croire que j'avais une bonne étoile. Peut-être les anges gardiens existaient-ils vraiment et ma famille veillait sur moi depuis la mort. Je ne sais pas, j'ai cessé toutes croyances le jour où j'ai perdu mon père. J'étais jeune, je ne pouvais croire qu'un Dieu ou une entité ai pu me prendre un père si bon. Un parent si proche. Un repère si essentiel à ma vie.

Drixx me fit revenir parmi les vivants en me demandant de lui montrer mes prouesses. Il avait raison, pour une guitariste, c'était plus simple d'apprendre la basse, même en autodidacte, plutôt que pour un novice en musique. J'avais déjà les bases et je maîtrisais déjà autant la folk que l'électrique. Je n'étais pas démunie.

Le jeune homme semblait vouloir apprendre et comprendre le lieux dans lequel il avait atterri depuis peu. J'ai soupiré en observant le ciel.

- Je suis ici depuis trois ans maintenant, peut-être un peu plus, je ne sais pas vraiment. J'ai été amnésique pendant quelques temps et je commence tout juste à retrouver mes souvenirs, alors ma mémoire reste encore assez floue. Mais je sais que Terrae m'a offert une nouvelle vie et de nouvelles chances. Il y a pas mal de musicien de génie, dont mon frère fait parti et bien plus de personne intéressantes avec qui il est facile de parler de tout comme de rien. Tu devrais t'y plaire, même si on est jamais à l'abris des malheurs.

J'ai finis par tendre la main vers lui, lui montrant sa basse. C'est avec mon plus beau sourire charmeur, les yeux brillants de malice que je lui demandai:

- Tu permets que je te l'emprunte pour te montrer mes prouesses? Je n'ai que ma guitare avec moi.

Vous allez me dire que j'abuse énormément et que j'exagère mais si je préférais préciser que j'étais amnésique pour éviter les confusions. Cependant, j'appréhendais les réactions. C'est dingue, mais beaucoup pense qu'on fait juste pas l'effort de se souvenir alors qu'en réalité on en est juste incapable.

- L'avenir nous le dira.

J'avais beau le dire avec le sourire, en vérité j'avais vraiment la trouille de ne jamais y parvenir. Je n'étais pas naïve au point de ne pas voir que ma situation affectait mon entourage. Je n'avais quasiment plus de relation avec eux, d'ailleurs. Je savais que cela ne pourrait pas continuer ainsi, mais quelle solution pouvais-je bien donner? Si eux avaient avancé, moi, j'étais toujours coincé à mes 15 ans. Je n'avais pas de solution à leur apporter pas plus que je ne pouvais les rassurer sur mon état.

Je vis alors mon nouvel ami sourire joyeusement en me tendant son bijoux. Je m'installai et touchai les cordes pour m'habituer à l'instrument puis j'entamai doucement une de mes propres compositions. Le rythme était simple mais assez rapide. Je n'étais pas excellente mais je commençais doucement à avoir un bon niveau. Avec encore un peu d'entraînement, je ne doutais pas de réussir à monter un groupe et à percer.

Le morceau arriva vite à son terme et je rendis son bébé à Drixx. Il avait vraiment un bel instrument, je dois bien l'admettre. Moi même je mettais de côté pour pouvoir me payer une basse. Depuis que j'avais atteint mes 18 ans, j'avais touché une partie de mon héritage, dont le reste arriverait une fois la majorité acquise. De plus, je m'étais mise à donner des cours de musique en ligne et mine de rien, ça rapportait par mal.

- Tiens, merci. Elle est agréable en main. Alors, ton verdict?

Vous savez, à Terrae, j'avais autrefois retrouvé mon insouciance perdu, et même si à l'époque, je l'avais oublié, il était facile de garder l'espoir de retrouver ces moments innocents. Surtout quand la vie nous souriait, pour une fois.
Ce jour-là, et ce malgré la situation, était l'un de ces moments. En tête à tête avec la musique, enfermée dans ma bulle alors que les notes coulaient à travers les vibrations des cordes, je ressentais la paix que j'avais toujours connue avec cette vieille amie qu'était la musique. Je profitais de cet instant de paix pour me recentrer sur moi-même, laissant à la fois mes émotions et mes ressentis se déverser hors de ma conscience.

Quand j'ai rendu sa basse à mon nouvel ami, j'avoue m'être sentie déchirer à l'idée de cesser mon activité. Je n'avais pas les moyens de me payer pareil instrument. Tout du moins, je refusais d'utiliser mon argent ainsi, sans trop savoir pourquoi... Mes parents, à leur décès m'avait laissé hors du besoin et même au delà. J'avais accès à 20% de la somme jusqu'à mes 21 ans. L'intégralité me serait alors versée. Mais on m'avait appris la valeur de l'argent alors je n'étais pas très dépensière. A la place, je préférais aller bosser en salle de musique.

J'ai ris quand Drixx a fait mine que le petit chaton applaudissait ma prestation. C'était tellement mignon! Il finit par me donner son avis, pas si catastrophique que ça si vous voulez tout savoir. Alors j'ai souris, parce que j'aurai pu faire quoi d'autre?

- C'est gentil merci, mais je me débrouille largement mieux avec une guitare entre les mains et un micro devant la bouche. Là, je t'aurais impressionné!

De l'égo, moi? Vous plaisantez, je suis la modestie même!

- Tu me montres ce qu'un pro sait faire? J'en ai pas vu assez tout à l'heure! Montes le niveau!

HRP:

Le jeune homme avait l'air ravi de notre petit échange et j'en souris. Je n'étais pas des plus sereine quand je parlais de la basse car je n'étais pas encore à un niveau suffisant pour m'en vanter. Mais ça viendrait, et je le savais.
On a finit par passer un bon moment à comparer nos efforts et je sortis ma guitare une fois. Effectivement, ce n'était pas du tout la même chose. Là, j'assurais et ça se voyait. J'ai rejoué une compo des Paws up et par là, j'ai fais découvrir un groupe dont moi-même je ne me souvenais plus. Je n'avais plus que des titres, des feuilles pour témoigner de ce rêve qu'un jour, j'avais réalisé mais que le lendemain, j'ai oublié.

Quand il a reprit sa basse pour me montrer ses prouesses, j'ai hésité entre le féliciter et me mettre à pleurer. Je vous jure, ça se voyait qu'il était pro! Je connaissais le monde du spectacle, plus précisément celui de la musique. On ne jour pas comme ça sans avoir jamais joué pour d'autres que soi.

C'était un moment calme, l'un de ceux auxquels on repense quand la vie s'effondre. Ce genre de moment que l'on regrette tous un jour, tant le calme régnait alors en nous et autour de nous. Au loin, le chaton jouait dans l'herbe et j'ai pu le caresser quelques fois. Quant à nous, nous avons parlé de tout et de rien mais principalement de musique pendant près de trois heures, sans que l'on ne s'en lasse.

- C'est calme tout à coups non?

Et pour cause! Il n'y avait pratiquement plus personne. J'ai échangé un sourire avec le jeune homme, amusée. Il était peut-être temps de songer à rentrer. Et peut-être se reverrions nous un autre jour, une autre fois et dans des conditions favorables... Qui savait?

HRP: