Etre heureux c'est quand même super subjectif comme concept. Ouais j'ai des réflexions comme ça de bon matin. Autant l'avouer, je suis pas spécialiste, d'habitude c'est plus Piu qui écrit les articles. Mais je saispas, des fois j'ai des inspirations subites. Puis j'ai pensé pas mal à ça ces derniers temps. J'ai pensé à Nicolas, à Matthy, à moi et Aoi, à Aaron. Ne le dites pas à Aaron surtout, je tiens à ma dignité.

Enfin bref, je pensais à ça, au fait que souvent, le bonheur ça dépend de quelques personnes. Donc je me suis dit que j'allais essayer de partager ma réflexion. Quitte à juste en faire un édito ou un micro trottoir pour le journal. Comme de bien entendu, je suis passé à la bibli en parler avec Piu entre deux emprunts de livre. Elle a pas eu l'air contre. Faut dire que pour une fois que je me donne la peine d'écrire un truc, elle allait pas refuser.

Bref, j'avais quand même besoin de chercher deux trois trucs. Dictionnaire, bouquin de philo, tout ça. Ouais, je sais, c'est pas forcément nécessaire mais ça m'intéresse. C'est dans ce genre de cas que tu réalises à quel point la bibli est surpeuplée en permanence par les étudiants et les élèves en tout genre.

Je soupire lourdement, mes bouquins dans les bras. Je pourrais les emprunter et faire ça chez moi mais… Je sais pas. Bosser ici me permettra peut-être d'être plus efficace ? Ambiance studieuse, tout ça. Puis Aoi y passe tellement de temps. J'ai envie de voir si ça me fera comprendre un peu son état mental. Appelons ça une expérience stupide.

Je ne vois personne de connu aux tables occupées alors je m'approche d'une place libre pas très loin. La rouquine assise là a un air concentré et je tire la chaise pour m'asseoir en posant mes livres.

— Salut. Ca te dérange pas si je m’assois ici ?

Je crois pas l'avoir déjà vue mais sa crinière rousse me rappelle un peu Hamilton. Puis c'est une rouquine. Faut avoir de la solidarité entre roux.

Je lis. Et je révise. J'ai un bouquin que m'a prêté Adélaïde en face de moi, une feuille où elle a annoté tout ce que je dois savoir sur l'oeuvre. Je suis concentrée. J'avance bien. Ca fait pas mal de temps que je suis là à écrire et annoter d'autres choses. Des questions, des remarques, des signes que je reconnais. Je suis super fière de moi. J'arrive bien à apprendre.

J'arrive à apprendre autre chose que combattre. J'apprends à faire autre chose que tuer. C'est plus utile pour moi, moins dangereux pour les autres. Et j'crois que j'en suis capable. Je suis tellement fière quand Adélaïde me félicite avec son ton plat. Et je suis contente de pouvoir l'entrainer. Elle, et Boubou aussi. Et puis d'aller rigoler un peu avec Aria. Je me prouve que je peux être autre chose.

Pourtant, ces discussion, avec Misao, et avec Jérémy-du-con, ça m'a pas mal remuée. Et quand j'y repense, je sais plus trop où j'en suis. Je sais pas trop si j'ai... la possibilité d'être autre chose. Est-ce que j'essaie juste pas de me fondre dans la masse ? Est-ce que je fais pas ça parce que c'est... Bien ? Je sais pas.

Alors que je me redresse sur ma chaise, histoire de souffler un peu, je vois qu'un type bien baraqué s'approche de ma table. Ok j'avoue sur le coup j'ai pas envie qu'il vienne s'asseoir parce que je suis pas sociale. Mais en même temps le pauvre, toutes les tables sont prises. Il demande s'il peut s'asseoir.

Salut, non non vas-y.

Et je réponds. Ouais, viens mec. Je regarde tous les bouquins qu'il pose sur la table. Je sais pas trop ce qu'il veut faire, et puis il me paraît relativement âgé. Et il est.... Master ? Il a un truc que les autres n'ont pas. Une sorte d'aura ou je sais pas, enfin, il est... Ouais je sais pas. Je jette un coup d'oeil aux titres.

Le bonheur ?

Je le regarde, un sourcil levé, tout le reste de mon visage très neutre. Je me demande ce qu'il va faire avec tout ça, pourquoi il s'y intéresse tant. Tiens, moi j'commence à me poser des questions, et à oser en poser certaine. Bieeeeeen Elwynn, tu progresses.

Elle relève la tête vers moi et je lui adresse un petit sourire. On dirait que je dérange un peu. Elle avait l'air très concentrée sur ce qu'elle faisait. Peut-être un devoir de littérature ? Ca a pas l'air d'être du japonais de ce que j'en vois. D'ailleurs elle me répond en… Je crois que c'est du français, pour me signifier que je peux m'asseoir. Parfois je regrette un peu qu'on ai pas plus de littérature chinoise à la bibliothèque. Heureusement que j'ai un anglais correct sinon pour faire ce genre de recherche ce serait plustôt galère.

Je lui souris quand elle lit le titre d'un des bouquins que j'ai pris. Je crois qu'il y en a un ou deux en japonais aussi. J'apprends assez lentement mais ça me fait travailler mes idéogrammes.

— Je fais une recherche pour un article. C'est pour le journal.

Mais peut-être qu'elle ne le lit pas ? Il est en anglais pour la majorité. Ipiu fait quelques articles en français de temps en temps je crois aussi. D'ailleurs puisqu'on en parle faudra que j'aille voir si on peut pas reprogrammer la puce traductrice pour avoir 2 langues dessus. Genre qu'elle me traduise pas l'anglais en chinois vu que ça sert à rien. Ca me fait juste de la stéréo c'est relou.

— Toi, qu'est-ce que tu fais ? Devoir de français ? C'est Tomoe qui fait ces cours là je crois.

Un jour peut-être j'irai voir pour donner des cours optionnels en chinois sur mes temps libres. Enfin si j'ai la patience donc pas avant longtemps. Quand j'en aurais marre de la diplomatie, peut-être ?

— Moi c'est Huo, au fait. Toi ?

Je n'ai pas eu de souci pour lire ce qu'il y a écrit sur les livres, puisque je parle anglais et japonais. Je trouve ça logique, enfin, j'ai toujours tenté de parler les 3 langues, alors pour moi c'est évident. Il me sourit lorsque je pose ma question. Il n'a pas l'air méchant, alors, je souris un peu aussi. Je progresse en relation humaine, j'suis assez fière de moi j'avoue.

Une recherche sur le bonheur ? Ca a l'air bien intéressant. C'est un sujet qu'on aborde souvent, et pourtant pas tant que ça. J'crois que, de toutes les personnes que j'ai rencontré à Terrae, j'en ai pas vu une seule sans un rapport chelou avec le bonheur. Sauf Asb. Et encore. Alice peut être. Je sais même pas. Ariana ? Boh. C'est chelou dans tous les cas.

Je hoche la tête et demande encore... Beh ouais il a l'air op pour parler, ça m'intéresse, autant poser des questions, pour une fois.

Intéressant. Tu fais ça comme ça ? Non parce que c'est pas un sujet... Hyper évident.

Je lis peu le journal. Parce que j'y trouve peu d'intérêt. C'est souvent Asb ou Adélaïde qui me montrent les articles intéressants, j'avoue.
Je lève les yeux vers lui, délaissant les livres. Il a l'air dur, malgré son sourire, c'est pas un type qui sort d'une vie douce et qui se passe toute seule. Je hausse les épaules.

Pas exactement. Je ne vais pas en cours, j'ai eu droit à une année de... Euh, recherche d'orientation ? Du coup j'apprends avec ma soeur, elle m'aide à améliorer ma culture de la littérature anglaise et française. Et je m'entraine dans mon coin pour ce qui est du japonais.


Je lui adresse un sourire plus franc lorsqu'il se présente. Il est chinois, en tout cas, son prénom l'est. Oui parce que je m'appelle Elwynn et pourtant j'suis pas née en Irlande. J'y suis jamais allée. Hrm. J'aimerai bien.

Elwynn. Salut.

Quand j'y pense, c'est pas le genre de sujet dont on parle. J'en ai parlé un peu avec Nico quand il était à l'hosto parce que ça avait l'air d'un truc qui l'a pas mal travaillé. J'en ai parlé un peu avec Aoi aussi mais sinon… J'ai pas vraiment de certitude sur ces choses là. Y a plein de gens qui ont fait des réflexions, des livres, des textes philosophiques là dessus mais c'est assez abstrait pour moi.

— C'est surement pour ça que c'est intéressant d'en parler, aussi ?

J'y mettrais des visages et des sourires dans cet article. Des photos qui donnent envie de rire. Pour moi le bonheur c'est un truc personnel, un truc qu'on construit soi-même jusqu'à ce jour où on a un déclic et où on se dit que "tiens, je me sens bien". C'est dur de le définir.

Je hausse un sourcil. Une soeur à Terrae, c'est pas le truc le plus rare du monde mais il y en a peu. Ou peut-être qu'elle l'a retrouvé ici ? J'aimerais bien savoir qui est la frangine en question.

— Je suis pas un pro là dedans, je réponds avec un rire. Mais j'aime bien la littérature anglaise.

Les romans un peu policiers, le théâtre et les nouvelles aussi. J'admire pas mal ceux qui savent écrire. Piu se débrouille bien de ce côté. Pour ma part je préfère quand même les images en général. Je les trouve plus précises, plus parlantes.

— Joli nom, j'acquiesce. Pour toi, ce serait quoi le bonheur, alors ?

Est-ce que c'est indiscret ? Oui, surement. Mais j'aime être indiscret. Et elle, elle a l'air d'avoir une histoire qui vaut le coup d’œil. Ca se voit dans sa posture, sa façon de se tenir. C'est une fille qui sait se battre. Et les filles qui savent se battre et qui arrivent à Terrae ont souvent une histoire à raconter. On en a tous une.

Je hoche la tête. Ouais. Ca doit être pour ça. Le bonheur c'est un truc pas facile à trouver, parce qu'on s'en rend compte plus facilement une fois qu'on en est privé pour toujours. Une fois que ça manque. Et souvent c'est compliqué de retrouver cette sensation. Teh j'commence à être philosophique moi, ahaha, la bonne blague.

Probablement ouais.

Je lui rends son sourire lorsqu'il regarde mes bouquins. C'est pas un grand sourire, mais c'est un sourire. Eh putain j'ai tellement progressé, avant même pas un regard il aurait eu. Mais là il est sympa. Pas lourd. Il parle pas trop, juste comme il faut. Aaah c'est reposant les gens comme ça. J'suis trop habituée aux piles électriques j'crois bien. Enfin, y a bien ma soeur, mais niveau sourire on est pas trop trop sur ça. Mais on commence, et ça m'rend... Ehehe, ça m'rend heureuse. Je ferme mon bouquin, stylo marquant la page.

Je suis pas une pro non plus ahaha, mais j'apprends. Ouais. Ils ont fait des trucs sympas.

J'écoute sa question, j'ai un petit sourire. Je me laisse aller dans le fond de ma chaise, regarde les livres posés devant moi. C'est quoi, le bonheur ? Hein ? Quand est-ce que j'ai été heureuse ? Alors. C'est le moment où c'est le flashback de pleins de petits instants pas vrai ? C'est ça. La première fois que j'ai su écrire un mot. En français. Et en japonais. La première fois que j'ai réussi à faire une prise spectaculaire, enfin, que JE trouvais spectaculaire, et que le Maitre m'a félicité. La première fois que ma balle a touché le centre. A chaque fois que j'arrive à faire un truc joli avec mes cheveux. Lorsque je ne faisais pas de mal en réussissant une mission. Lorsque j'étais avec Nina et Roman. Quand Adélaïde me félicite. Quand elle réussit à faire ce que je lui montre. Quand Aria y arrive. Quand Boubou y arrive. Lorsqu'ils rient. Quand Nicolas me fait une blague à moi. Quand Alice fait rire tout le monde. Quand je bats mon record d'endurance.

Ouais.

Je crois que le bonheur est propre à chacun. Je crois que c'est des trucs insignifiants pour les autres. Qui le sont pas pour nous. Pour moi...

Je souris, et lève les yeux vers le Master. J'ai pas l'air gênée par sa question.

C'est quand j'réussis. Quand j'avance. Quand ça avance. Et quand j'vois les gens que j'aime être biens. Ouais j'crois que c'est ça. Ou alors, le matin quand il fait froid, toute seule avec ma clope.

Rarement eu autant une sensation de plénitude que sur le toit de l'entrepot, clope au bec, manteau sur les épaules, mains dans les poches, avec le soleil à peine pointant, et tout le monde qui dort à mes pieds. Ouais. La solitude comme ça.
Je croise mes bras, et le désigne de la tête.

Super cliché aha. Et toi alors ? C'est quoi l'bonheur pour toi ?

Ah oui beh non j'espère que Huo a pas cru qu'il allait pas devoir répondre à mes questions. J'pense pas, c'est pas ce genre-là.

Elle est mignonne cette rouquine. Elle l'air de s'intéresser aux gens même si elle parle pas trop. Elle a un peu ce genre de sourire, on sent qu'il est rare mais pas dans le sens où elle ne sourit jamais, plus dans celui où elle le donne si elle pense que la personne en face le mérite.

— Si t'aimes bien les classiques ou les romans de société, je te conseille Austen ou Dickens. C'est pas toujours facile à lire mais ils ont écrit des trucs plutôt cool.

Pour ma part je m'y connais quand même plus en littérature chinoise mais j'aime bien l'anglais aussi. Je me met lentement au japonais aussi mais leur calligraphie j'ai encore du mal quand même.

Elle a l'air de sérieusement réfléchir à ma question et je souris pour lui laisser le temps de rassembler ses pensées sans l'interrompre. J'aime bien sa réponse. Le bonheur c'est des petites choses au final c'est vrai. Des choses qui peuvent sembler ridiculement petites de l'extérieur mais qui font toute la différence.

— Je te comprends. Même si je fume plus, ça faisait partie de ces trucs qui font kiffer.

Etrange comme je me sens proche d'elle. Même si c'est vrai que maintenant j'ai rarement froid à moins que ce soit volontaire.

— Pour moi ? Ca va paraître très niais mais en ce moment c'est d'être bien avec la fille que j'aime. Enfin y a pas que ça mais c'est une grosse partie.

Pour être plus exact je dirais qu'en ce moment j'ai pas de raison de ne pas être heureux.

— Je pense plus que le fait d'être Master a aussi un grand rôle là dedans si je veux être honnête. J'ai pas de raison de ne pas être heureux actuellement.

Quand on nous emmène ici on nous dit que nos pouvoirs nous aideront à combler le Vide. Ce n'est pas une promesse en l'air. La sensation de plénitude qu'on éprouve après la Masterisation s'estompe au bout d'un moment mais ça reste qu'elle permet de régler certaines choses et de se sentir plus serein avec soi-même.

— J'pourrais te prendre en photo ? Enfin c'est rien de bizarre, c'est pour l'article. Je voudrais mettre des sourires dessus.

Je hoche doucement la tête lorsqu'il parle de nom d'auteurs. Je crois qu'il parle chinois, et les noms m'ont sauté aux oreilles avant d'entendre la traduction. Dickens, je sais qu'Hamilton m'en a parlé un peu, et Austen elle m'en a fait lire.

J'ai lu du Austen, euh, Orgueil et Préjugés. Le plus connu quoi. C'est intéressant, très classique, mais intéressant.

Il attend que je réponde, un sourire aux lèvres. Et tout ce que je dis semble lui parler, vu son expression. J'aime bien cette question, j'pense que c'est pas plus mal de se poser des questions un peu positives des fois. Ca fait du bien, ça rend heureux. Aahaha. Mais c'est pas faux après tout.
Je rigole un peu quand il me répond.

Moi non plus j'fume plus. Mais c'était vraiment agréable.

Bizarre. On a le même semblant de passé. Au moins pour ça. Ahaha, peut être qu'on se ressemble plus que ce que je pense. Et puis ce type, tout aussi roux que moi, a l'air de savoir y faire en combat lui aussi. Alors peut être qu'effectivement on se ressemble réellement.
Quand il me répond, je ne m'empêche pas de sourire de nouveau. Ca ne paraît pas niais, ça l'est. Mais est-ce que c'est négatif ? J'pense pas, tant qu'il est heureux. Et puis vu comment il le dit, ça veut dire que c'est sa copine non ? Et s'il est bien avec sa copine beh, ça fait plaisir j'trouve.
Il enchaine sur le fait qu'être Master l'aide probablement, et qu'en ce moment, il n'a pas de raison d'être triste. Mes bras croisés, je réfléchis un peu à ce qu'il me dit.

J'm'y connais assez peu sur le sujet, et tu es le premier Master avec qui je discute vraiment... Mais j'pense que devenir Master vient d'une volonté propre à aller mieux. Donc même si l'état de Master en lui-même t'aide, au final, tu te rends heureux. Et c'est euh, cool.

C'est même mieux. S'auto-suffire pour se rendre heureux c'est quand même assez dingue comme procédé. Et puis être Master c'est une décision personnelle, c'est un choix. Qui implique certes beaucoup de choses mais quand même ça implique aussi de combler le Vide et d'essayer d'être heureux. Quand même. Juste.

Lorsqu'il me demande s'il peut me prendre en photo, je fais d'abord une drôle de tête, puis il m'explique qu'il veut mettre des sourires, et là j'ai réellement l'air surprise.

Euh beh... J'sais pas si j'souris beaucoup ni s'ils sont intéressants mais euh... Si ça peut te rendre service pourquoi pas oui.

Ouais j'ai pas l'habitude qu'on me prenne en photo, ni même qu'on me le propose, les rares fois où a pu me le proposer je pense que j'ai répondu non à chacune. Mais là, si c'est pour l'aider à faire son article, alors pourquoi pas.

Tu fais ça souvent, de prendre les gens en photo après leur avoir demandé aussi cash ?

Je plaisante un peu, mais ça reste une vraie question. Il aime bien la photo ?

Il faudrait que je pense à régler ma puce traductrice. Peut-être que je peux demander à Aaron ou Mitsu ? Ca me saoule d'avoir la traduction en anglais en simultané quand elle me parle. Bref, on parlait pas de ça. On parlait de quoi d'ailleurs ? Ha oui… Le bonheur, les petits instants.

Je dois avoir l'air très niais aussi. Parce qu'elle m'a fait parler d'Aoi et que ça me donne toujours un sourire débile. Je me sens un peu proche d'elle, c'est étrange. Elle a un peu une aura qui me rappelle celui que j'étais avant d'arriver à Terrae. Assurance, violence douce, vie intense. Elle se tient droite, elle est alerte et souple, elle sait se battre et ça se voit.

Je souris en coin, amusé. On ne devient pas Master avant d'y être prêt. Enfin on peut refuser, bien sûr. Mais si on se retrouve devant le choix c'est que quelqu'un estime qu'on y est prêt. En termes de pouvoirs comme d'évolution personnelle. Moi par exemple, bah j'avais pas trop l'impression d'être prêt. Mais c'est comme quand on va dans le grand bain la première fois, faut prendre sa respiration et sauter.

— J'pense qu'on a pas besoin d'être Master pour être heureux. Combler le Vide c'est pas juste un palier, c'est quelque chose de progressif.

Je rigole un peu devant sa surprise quand je lui propose de la prendre en photo. Elle a pas l'air super à l'aise devant l'idée mais elle dit oui quand même. Je me penche et attrape mon appareil dans mon sac.

— Fais moi un sourire alors, je fais en riant.

Je pose le viseur sur mon oeil et la regarde pour faire la mise au point. Je prends plusieurs clichés avant de les regarder sur l'écran de l'appareil.

— Merci Elwynn, t'as un beau sourire.

Malgré ses confidences, il semble être content d'en avoir parlé. Eh beh putain, pour une fois que quelqu'un a pas peur d'exprimer ce qu'il ressent. Ca fait plaisir. Bon, moi j'dis ce que je pense, mais j'montre rien de ce que je ressens. Ou très peu. Alors j'suis mal pour faire des reproches, JE SAIS. Elle doit être cool sa copine. Enfin, j'espère que c'est sa copine du coup.

Je sens qu'il me jauge. Ca ne me gêne pas. Il cherche à savoir qui je suis, je ne pense même pas qu'il s'en rende vraiment compte. C'qui est certain c'est qu'on se ressemble un peu, peut être même beaucoup. Moi, ça m'rassure de me dire qu'un type qui m'ressemble peut devenir Master. J'me dis que peut être un jour, j'serai aussi en paix avec moi-même. Ahaha. Pas encore.

Je hoche la tête lorsqu'il parle.

Hm, c'est ce que je voulais dire. Enfin, t'es pas heureux parce que tu es Master. Tu es Master parce que tu as décidé d'aller vers... Ton bonheur ? Tu vois ce que je veux dire ?

Aller vers son propre bonheur, ça s'fait pas comme ça. Là j'parle d'un état, un truc constant. Quelque chose qui motive, qui fait partie de nous. Du coup j'suis assez d'accord avec lui. Après, je parle je parle, mais je suis pas Master hein. Oh.

Je l'observe attraper son appareil photo. Je suis appuyée contre le dossier de ma chaise. Et lorsqu'il pointe l'objectif vers moi, j'sais plus trop comment on fait pour sourire. J'dois avoir une tête dégueulasse, alors qu'il me dit de sourire. Ca m'amuse. Alors j'me laisse aller à ma joie et j'lui souris. A l'appareil. Un peu bizarre, j'ai pas souvent fait ça dans ma vie. Il prend plusieurs photos, puis je retourne à mon air neutre, sensiblement enjoué peut être.

Il affirme que j'ai un beau sourire. C'est la première fois qu'on m'la fait celle-là. On m'avait déjà dit pour mes yeux, mes cheveux (oui si y a des gens qui aiment bien), voire même mes jambes. Mais jamais pour le reste, ou alors c'était pas sincère. MAIS MON SOURIRE ALORS LA. Encore moins. Mon sourcil droit se lève, en point d'interrogation.

Tu trouves ?

Ouais j'trouve ça chelou ouais. En fait j'pars aussi du principe qu'une personne qui sourit est objectivement jolie. Du coup pour moi c'est étrange de dire un joli sourire. Peut être j'ai raté une étape, j'pense que j'suis un peu étrange. C'est gentil en plus comme remarque mais j'ai pas... J'sais pas. C'est étrange.

Je décide de le relancer.

Tu m'as pas répondu tout à l'heure, t'étais trop concentré. Tu prends beaucoup de photos ? Pour te trimbaler avec un appareil comme si c'était naturel, j'imagine que t'apprécies un minimum ça.

C'est une vraie question. Ehwé mon pote, ça m'arrive de m'intéresser aux gens. En fait croire que je n'le fais pas c'est mal me connaître. J'aime bien connaître les gens. C'est plus facile pour se défendre après et NON je suis pas une psychopathe ok ? Bon peut être un peu mais c'est une déformation de... Euh... Ouais, ouais ouais ferme ta gueule en fait ouais.

J'acquiesce doucement quand elle me parle de la relation entre être Master et le bonheur. Elle a bien compris ce que je voulais dire je crois. Elle a un joli sourire en tout cas. Un peu crispé peut-être ? Pas forcé mais ça manque de naturel, surement parce que je l'ai prise au dépourvu. Après clairement, elle est pas mannequin professionnelle, c'est difficile de sourire sur commande.

— Un sourire c'est toujours joli, je réponds en riant.

Elle me relance sur la photo et je réfléchis un instant. Si je prends beaucoup de photos ? Eh… Pas tant que ça ces derniers temps au final. Avec mon boulot de diplomatie j'ai pus le temps de faire toutes les photos que j'aimerais. Je perds un peu le contact avec le quotidien de l'institut j'ai l'impression. C'est bête.

— On peut dire ça. Je le trimbale pas systématiquement partout mais on sait jamais quand il peut se passer un truc.

Puis, j'aime l'avoir sur moi ? Je sais pas, je suis du genre à faire du vif, à photographier des petits instants et pour ça je préfère avoir mon appareil. J'pourrais utiliser mon téléphone mais bon le mien a une qualité honnêtement pourrie.

— Si ça te plait, on peut aller en prendre quelques-unes ?

Je me lève, laisse mes bouquins sur la table et m'étire doucement. Je suis décidément pas fait pour rester le cul sur une chaise et discuter. Faut que je bouge.

— Aller, viens. Les bibliothèques c'est cool mais c'est pas comme ça qu'on apprend le mieux.

Enfin, je parle pour moi mais… Je sais pas, expérimenter ça reste tellement mieux que juste apprendre.

Une sourire c'est toujours joli. Hm. Cette phrase est trop vague pour être réelle. J'ai vu des sourires immondes, des sourires cruels, des sourires sales. Des sourires tristes. Et ce n'est pas vraiment joli. Et puis certains de ces beaux sourires ne veulent pas dire de belles choses, et ça j'en connais aussi un rayon. Mais sa remarque est bien trop pleine de bonne volonté et de positif que je ne dis rien. J'ai trop envie qu'il ait raison, là tout de suite.

Il semble prendre un petit temps pour réfléchir, et m'explique comment il le vit. Ouais, il a d'autres choses à faire mais ça, c'est un des trucs qui le fait kiffer. J'trouve ça cool s'il peut trouver un équilibre, mais je ne pose pas plus de questions, parce que j'ai pas l'habitude de faire ça et que j'aime pas spécialement qu'on m'en pose trop non plus.

Il me propose de prendre quelques photos. Moi j'comprends qu'il veut qu'on en prenne ensemble, j'espère que c'est bien ça, parce que je souris de nouveau et acquiesce doucement. Bouger, sortir dehors. Ca fait un p'tit moment que j'bosse de toute façon, alors je ne culpabilise pas lorsque je ferme mon livre, attrape l'autre, et les glisse dans ma besace. J'enfile ma veste, et le suit.

Je suis suffisamment curieuse pour m'intéresser à ce qu'il fait, et en même temps j'me dis que c'est peut être étrange de suivre un type que tu connais pas pour aller voir comment il fait ses photos. C'est marrant, une fois debout, il fait la même taille que moi, alors qu'il est bien plus large. Sa dégaine n'en reste pas moins impressionnante, il ne passe pas inaperçu. Est-ce qu'il fait des auto-portraits ? Trop bizarre comme pratique... Nan ?

Alors qu'est-ce que tu préfères prendre en photo ? J'veux dire, les gens, les animaux. La nature ou les bâtiments. Tout ça. Y a un truc que tu préfères ?

Je sais que Roman adorait les photos en mouvement. Moi, j'ai peut être pas de sensibilité développée pour comprendre tout le délire, mais j'ai été marquée par quelques photos. D'étendues sans fin, ou de regards perçants. Ce genre de photo qui vous font retenir votre souffle. Alors ça se passe comment, quand c'est toi qui doit capturer l'instant marquant ?

Ma façon de voir la photo est surement pas très originale. C'est l'instant, le sourire sincère ou la lumière de la fin d'après-midi. J'ai pas particulièrement de talent mais j'aime faire ça. Et ça me suffit de faire quelques photos pour la journal en plus des miennes. Peut-être qu'un jour j'en ferai quelque chose.

Elle l'air partante pour faire un tour dehors et prendre quelques photos et je souris. Cool. Je prends les quelques livres dont j'aurais besoin pour mon article et vais les emprunter au comptoir le temps qu'elle rassemble ses affaires.

Je pends la dragonne de mon appareil à mon cou et l'entraîne avec moi dehors en marchant tranquillement. Hm… C'est marrant, maintenant qu'elle pose la question… Enfin il y a tellement de choses qu'on peut aimer prendre en photo. Qu'est-ce que je préfère ? J'aime bien la ville, un peu les paysages, mais ce qui me plait le plus, je crois que c'est...

— Les gens. Je crois que j'aime prendre en photo les gens.

La complexité de l'humain, ce qu'il fait, ce qu'il exprime rien qu'en le regardant. Faire parler une société, une situation avec juste un cliché c'est quelque chose qui me vient surement de la photo de presse. Mais pour moi ça va plus loin que ça, je crois.

— J'aime aussi les photos de ville, les rues ou la foule. Ce qui donne une ambiance.

Je tripote quelques réglages avant de mettre le viseur sur mon oeil et prendre un cliché de la rue au moment où on sort.

— J'ai pris certaines de mes photos préférées à Terrae mais j'crois que celle que j'aime le plus c'est une de mes premières, que j'avais prise à Hong Kong.

Avec l'appareil de Xiao, elle m'avait fait un tirage papier de celle-là. C'était sur le port, en fin de soirée juste après une grosse averse d'été. Les voitures sur le quai des mecs bien friqués de la bourse était luisantes de pluie. Y avait ce ciel gris et le reflet orangé du soleil en train de se coucher sur la mer en dessous des nuages. Et juste à côté, un petit garçon pieds nus qui jouait sur le bord du quai avec un bateau bricolé avec une bouteille en plastique découpé et un vieux mouchoir.

— Tu veux en prendre une ? Je demande en levant mon appareil vers elle.

Il préfère prendre en photo les gens. C'est pas original. Mais j'cherche pas nécessairement l'originalité de toute façon, et c'est pas un mal. C'qui est chouette c'est qu'il puisse s'épanouir dans un truc qui lui plaît. Ouais. C'est cool déjà, et puis ça fait du bien de voir quelqu'un juste kiffer un truc. Ouais c'est pas tout le temps le cas à Terrae disons...

Je l'écoute parler tout en avançant. Il aime bien les ambiances. Des ambiances urbaines. Des ambiances humaines. Je souris. Je ne dis rien, mais bizarrement, même si je comprends totalement les personnes qui aiment l'ambiance de la nature, que je trouve extrêmement apaisante... J'ai toujours vécu en ville, et ces ambiances, je les connais. Et je les aime. C'est aussi celles que je préfère. Là où il y a des humains. Paradoxal non ? Je n'aime pas spécialement notre espèce. Voire pas beaucoup.

Il prend pas mal de photos à Terrae apparemment, mais il préfère des photos qu'il a pris avant, à Hong-Kong. Je hoche la tête, l'air un peu amusée. Il est donc bien chinois. Moi je parle français, naturellement, mais à l'entendre avant la traduction, les sonorités me donnent envie de répondre en japonais. C'est fou comme ça revient, de toute façon, dès que j'entends quelqu'un parler japonais, je le fais aussi. Ce qui me permet de conserver mon bilinguisme.

C'est marrant. Souvent, les gens sont plutôt fiers des dernières et pas des premières... Oeuvres, en général ? C'est surprenant je trouve. Mais euh, chouette quand même.

Il me propose de prendre une photo avec son appareil. Je dois avoir l'air un peu surprise. Parce qu'on se connaît à peine mais il me propose d'utiliser un appareil précieux. J'pourrai être la personne la plus maladroite du monde, il me ferait confiance. Enfin il a peut être cerné que je ne le suis pas. Je finis par lâcher un p'tit sourire accompagné d'un "Ouais ok." J'attrape l'appareil, passe la dragonne autour de mon cou.

Et là, c'est le drame. NOOOON J'ai pas fait tomber l'appareil calmez-vous tous. Je sais juste... Pas quoi prendre en photo. Le bâtiment ? La rue ? Le sol ? Le ciel ? Le ciel. Je lève la tête. Bleu, seulement bleu. Peu d'intérêt. J'ai une soudaine idée. Mais que ça marche, va falloir être efficace. Et alors que je lève l'appareil pour y coller mon oeil, je lance un :

Toi aussi t'as un joli sourire Huo.

Et j'appuie sur le bouton. Une expression naturelle et spontannée hein, c'était bien ça le but ?

Je sais pas bien quand j'ai commencé à faire de la photo. Au départ c'était vaguement un hobby quand j'avais le temps. J'aimais bien prendre des clichés d'Hong Kong et des gars. J'avais tanné ma mère pour avoir un bon appareil à mes 18 ans. Juste avant de me barrer. J'en ai changé depuis mais j'ai gardé celui là. Mon premier.

C'est marrant comme j'ai toujours voulu photographier les mêmes choses depuis le début. Les gens, la ville. Les détails surtout. Je trouve que c'est les détails qui font les meilleurs images.

— C'est pas tant une question de technique que de signification, je crois ? Mes photos actuelles sont plus pro mais elles ont pas forcément la même valeur sentimentale.

Parce qu'ici j'ai pas les mêmes contrastes, les mêmes choses que je peux mettre en valeur. Terrae c'est la renaissance, l'humanité dans sa beauté. Hong Kong c'était plus sombre. Alors ça ne me donne pas les mêmes résultats. Et même si Terrae est ma maison, mes racines resteront toujours dans le port de Kow Loon.

Finalement elle accepte de prendre l'appareil et je la regarde hésiter avec un sourire en coin. Eh oui. C'est pas tout d'avoir un appareil, faut encore savoir quoi photographier. Heureusement que je lui ai mis les réglages automatiques déjà. Elle se tourne vers moi avant d'appuyer sur le déclencheur et je laisse mon sourire en coin se changer en éclat de rire.

— Tu m'as eu, bravo. Fais voir la photo ?

Je m'approche et tends la main pour qu'elle me montre. Je pourrais me mettre derrière elle pour regarder par dessus son épaule mais je suis pas certain qu'elle apprécierait. Elle a un espace personnel assez étendu. Je regarde l'écran avec un sourire.

— Pas mal. Aoi sera contente, tiens. Elle dit toujours que j'ai pas assez de photos de moi comme c'est toujours moi derrière l'objectif.