Pourquoi c'est toujours aussi étrange, pour les autres, de voir ou entendre Misao rire ? Il ne se donne certes pas l'apparence d'un joyeux lurron, mais il faut avouer qu'il n'est pas vraiment le prototype du strict et de la rigidité absolue. ... Enfin, tout dépend du domaine, bien sûr. La jeune femme continue à s'exercer, et Misao lui donne ses conseils... Trop à la fois, visiblement. Il veut lui faire comprendre qu'elle n'a pas besoin de tout faire en même temps, mais comme elle se lance dedans, il la laisse faire. Il se recule pour l'observer correctement et se retient de se mordre la lèvre pour ne pas rire, faisant disparaître la flamme au bout de son doigt.

... D'accord, ne pas rire est actuellement la chose la plus difficile que doit faire Misao, pourquoi c'est si difficile de ne pas rire ? Mais voir la Feu supplier sa flamme de rester, c'est juste... magique. Le facepalm n'est pas loin ; heureusement, le trentenaire a un peu de self-control. D'autant que, forcément, ça ne marche pas vraiment

Il se pince les lèvres lorsqu'elle reprend la parole, désemparée. Lâche un rire. Puis le contient. Et toussote. Hm. Rester sérieux. (C'est dur là.)

—Non, non, je crois pas que ce soit ça... la rassure Misao. Je pense surtout que tu voulais faire trop de choses en même temps.

Il esquisse un demi sourire.

—J'ai pas dû être assez clair, c'est ma faute. Ce que je te proposais, c'est des choses que tu peux tester, mais à des moments différents, si les autres ne fonctionnent pas. Les faire toutes en même temps, c'est, un peu... Comment dire, soupire-t-il, cherchant ses mots. C'est sûr que tu vas te disperser.

Son expression devient plus franche.

—Quand je disais "l'inviter à rester", c'était dans ta tête. Une sorte de ressenti, tu vois ? Un peu comme quand, tu... fais un câlin à quelqu'un, par exemple. Tu me disais que tu aimais bien ça. Ca te provoque des émotions positives, non ?

Il invente. Il ne sait pas trop ce qu'il dit, mais il essaie de faire avec les moyens du bord, et le peu de choses qu'il sait à propos de la Feu. Autant dire qu'il est lui aussi un peu perdu devant cet étrange phénomène.

—Essaie de trouver ce qui te convient le mieux et d'essayer plusieurs choses, mais pas forcément en même temps ? Vas-y à ton rythme, on a le temps. Pas besoin de te presser.

Misao rit et Sibylle ne comprend pas pourquoi. Ce n’est pas drôle en vrai. Elle n’arrive à rien, alors qu’elle a bien essayé de suivre tous ses conseils. Pourtant, elle ne se vexe pas. La rouquine n’est pas comme ça. Sans doute qu’elle aurait ri avec lui si elle en avait compris les raisons. Son prof préféré se reprend bien vite, tousse un peu et tâche de rester sérieux, avant de répondre à ce qu’elle a dit. Il la rassure, avant d’afficher un demi sourire. « Aaaaaaaaaaah », lâche-t-elle dans un souffle, comprenant ce qu’elle a fait faux, mais elle le laisse continuer. Ne pas tout faire en même temps, elle note ! Est-ce que c’est pour ça qu’il… Sibylle éclate de rire. « Ah bah j’comprends mieux alors ! C’est clair qu’j’trouvais ça bizarre d’parler à du feu comme ça, mais j’comprends main’ant ! Pis ouai, ça a dû être drôle à voir. Chuis un peu bête des fois, j’sais. », articule-t-elle entre deux rires. Et du coup, elle comprend pourquoi il a ri. C’est vrai que le spectacle a dû être marrant à voir. L’ex-danseuse reprend pourtant rapidement son sérieux. Misao lui a donné de nouveaux conseils, mais cette fois, elle ne va pas tout essayer en même temps.

« Ok ok… alors… j’vais réessayer. », dit-elle, déterminée. Ne pas se précipiter, il a dit. Elle peut le faire, elle va le faire. Sibylle repense à son histoire de câlin. Ce qu’elle ressent. Ouai… Bon, il faut qu’elle choisisse ce qu’elle veut essayer. L’idée du mouvement, il faut la garder. Ça a toujours fonctionné avec le mouvement. Elle ferme les yeux. Elle aime bien son pouvoir. Certains trouvent que le feu, c’est nul, parce que ce n’est que destructeur, mais la rouquine ne le voit pas comme ça. Elle n’en a pas peur, même si on lui a dit qu’elle pourrait se blesser avec… ou peut-être que c’est ça ? Peut-être qu’Huo lui a finalement quand même fait peur ? Non non, le feu, c’est son pouvoir et elle ne peut pas concevoir que ça lui fasse du mal. Misao lui a parlé d’émotions positives, alors elle se focalise sur ça. La joie qu’elle avait de danser, la joie qu’elle a ressentie quand elle a passé son Initiation, la joie de se faire de nouveaux amis, la joie d’avoir trouvé un super prof patient. C’est bien tout ça !

L’Allemande retrouve la mélodie dans sa tête. Elle recommence à agiter sa main. C’est beau et la flammèche réapparaît vite… pour disparaître tout de suite. Elle fait la moue. Ce n’était pas ça. Elle retient un soupir. Non, elle n’abandonnera pas ! Il faut qu’elle trouve le truc. « Bon… bon bon bon bon bon… ça marche pas… En même temps, c’est normal… j’ai jamais eu peur du feu… donc j’ai toujours eu des émotions positives, non ? Mmmmh, pourquoi ça marche pas ? Pourquoi pourquoi pourquoi… Qu’est-c'qui faut qu’j’fasse… j’peux p’t-être essayé un aut'geste ? Ouai, j’peux essayer ça… c’est comme une choré… si on fait tout l’temps la même chose, c’est ennuyant, pis c’est pas joli… », marmonne-t-elle pour elle-même en fixant sa main. La rouquine fait d’abord onduler sa main, avant de modifier sa course et de la faire tourner gracieusement devant elle. À voir, le mouvement paraît bien plus complexe, mais en réalité, ce n’est pas bien compliqué à réaliser. Le geste est souple, délicat. Sa deuxième main vient rejoindre la première, lui tourne harmonieusement autour. Ce n’est pas vraiment de la danse, mais elle se laisse guider par son instinct et l’inspiration. Une flammèche apparaît à environ cinq centimètres de sa paume et danse et rythme du mouvement de ses mains… et ne disparaît pas ! Et pour une fois, Sibylle ne se laisse pas déconcentrer. Elle est portée par sa musique intérieure et le ballet de ses mains et du feu. C’est vraiment beau. Elle aime beaucoup. Elle finit pourtant par écarter ses mains d’un geste un peu plus sec, mais maîtrisé et la flamme disparaît. L’Allemande sourit et regarde son prof.

« J’crois qu’j’ai trouvé ! Faut qu'j'réessaie ! Ou tu veux qu'j'fasse aut'chose ? », dit-elle, avant d’éclater de rire. Elle est heureuse. Elle se sent bien. Ce n’était pas vraiment de la danse, mais ça s’en approchait. Ça lui manque, vraiment. Il faudra qu’elle réessaie. Elle ne peut juste pas vivre sans, mais elle bloque… elle a peur. C’est encore trop tôt, elle le sait… mais peut-être que ses entraînements avec Misao vont l’aider aussi à surmonter ça. Parce qu’un jour elle y arrivera, c’est obligé !

Au moins, Sibylle ne se vexe pas quand elle voit Misao rire ; elle le rejoint même quand il lui explicite ses raisons. C'est sûr que le feu n'allait pas l'entendre, hein ; mais parfois, ça peut aider de se parler pour essayer d'entrer dans un état particulier. Lui n'en avait jamais eu besoin, tout simplement parce qu'il préfère penser les choses plutôt que les dire, le plus souvent. Il fait cependant des efforts pour extérioriser, histoire que les gens comprennent un peu ce qu'il souhaite dire. C'est sûr qu'y aller à demi mot, ça ne fonctionne pas toujours.

—Assez drôle, s'amuse-t-il. Mais pas bête.

C'est un peu triste d'être si négatif avec soi-même. Certes, elle n'a pas l'air de briller par son génie, mais il ne la trouve pas vraiment stupide ; simplement un peu candide, par moments. Et surtout très directe. Au moins, elle ne passe pas par quatre chemins.

Le japonais plante ses mains dans ses poches et l'observe se reprendre. Elle réfléchit pendant quelques instants avant de se lancer à nouveau ; elle parle un peu toute seule. Elle n'a pas tort, mais Misao ne va pas interrompre son train de pensée ; il la fixe chercher, dévie parfois son regard pour observer les autres personnes qui s'entraînent à cette heure-ci.

La flamme apparaît, quelques centimètres au dessus de sa main ; elle ne disparaît pas immédiatement, elle. Le mouvement autour de la flamme semble comme l'attiser, lui donner des forces ; ça lui tire un sourire, qu'il ne perd pas quand elle fait disparaître sa flamme et relève ses yeux dans les siens. Elle pétille de joie et semble prête à sautiller sur place en riant, comme une enfant qui vient de réussir sa première grande roue.

—Franchement, c'est impressionnant, les mouvements que tu fais avec ta main... Ca te déconcentre pas ? sourit-il largement. Bien joué en tout cas, t'as géré, pour le coup. Tu as simplement modifié le mouvement, finalement ?

Comme quoi, elle n'est pas aussi incapable que ce qu'elle semblait dire. Il fallait juste trouver ce qui fonctionnait pour elle. Et encore, il n'a pas servi à grand-chose ; elle aurait sûrement fini par le trouver par elle-même.

—Comme tu le sens, tu peux recommencer quelque fois si tu veux, mais évite de t'épuiser. Tu devais me montrer pour ton invisibilité, aussi.

En espérant qu'elle ait encore des réserves pour le faire, après ça ; il a souvenir que les nouveaux initiés ont assez peu d'endurance, niveau énergie. Enfin, après tout, ils peuvent aussi faire une séance uniquement basée sur le feu. C'est simplement à elle de décider, lui a juste accepté de venir. Il ne se considère pas vraiment comme un prof, pour le coup. (Donner des conseils qui ne fonctionnent pas, ce n'est pas être un prof...)

Misao, c’est un gentil. Il ne semble pas d’accord quand Sibylle lui dit qu’elle sait qu’elle est bête… mais elle sait très bien que c’est vrai. On le lui a assez dit. Ses parents n’ont pas arrêté de le lui répéter, mais ça ne la gêne pas, ça ne la gêne plus. Elle a d’autres forces et doit se concentrer sur elles. Sa grand-maman lui disait souvent qu’il y avait plusieurs formes d’intelligences et qu’elle devait simplement trouver les siennes et les faire grandir.

La rouquine se concentre sur sa tâche, cherche une manière de stabiliser la flamme qu’elle va faire apparaître et après un essai raté et une intense réflexion, elle trouve le truc ! Elle est heureuse et rit. Si Misao n’avait pas été Misao, peut-être qu’elle lui aurait sauté dans les bras pour célébrer sa réussite et le remercier de ses précieux conseils, mais elle n’a pas trop eu besoin de se retenir. Alors, l’Allemande rit, communique sa joie d’une autre façon.

« Ouai, j’me suis dit qu’un geste ça suffisait pas en fait… pis c’est super logique en vrai ! Y faut un mouv’ment pour créer la flamme et une autre pour la maint’nir… », dit-elle avec un grand sourire. « ‘fin… euuuh… moi j’trouve ça logique… ‘fin j’comprends quoi… », continue-t-elle un peu plus hésitante. « Pis non ! Ça m’aide trop ! Pis c’est vraiment pas compliqué ! J’peux t’apprendre s'tu veux. Tu verras, tu sauras faire la même chose en un rien d’temps ! », se reprend-elle avec enthousiasme. La technique est facile à apprendre, mais elle ne pense pas que son prof n’a probablement pas l’habitude de faire des gestes gracieux. Le rendu ne sera donc pas pareil, mais tout ça, ce n’est de toute manière qu’une question d’entraînement. « En vrai, j’peux trop t’apprendre des trucs cool, s’tu veux ! Comme ça, on s’échange c’qu’on sait faire ! », ajoute-t-elle, déjà à fond dans l’idée d’inverser les rôles pour que ça soit du donnant-donnant. Il y a déjà un milier d’idées (au moins !) qui fourmillent dans sa tête, mais elle se reconcentre sur ce que le Feu lui dit à propos de la suite.

« Ah ouai, ok. Pour l’moment j’m’sens bien ! C’est comme quand on est fatigué après l’sport ou avant d’aller dormir ou c’est différent ? », répond l’Allemande, sans se méfier que l’adrénaline d’avoir réussi lui joue peut-être des tours et en profitant aussi pour se renseigner sur cet épuisement dont parle l’homme. On parle des pouvoirs, là, alors il faut s’attendre à ce que ça soit différent. « Bah, on coupe la pomme en deux ! J’r’fais une fois avec l’feu pour être sûre qu’ça marche, pis après on fait l’invisibilité… mais euuh… chais pas non plus trop comment faire, hein… faudra qu’tu m’aides aussi ! », termine-t-elle avec un sourire, avant de reprendre son sérieux.

La rouquine se remet à l’ouvrage, réenchaîne les mêmes gestes et obtient les mêmes résultats. Lorsqu’elle fait disparaître la flammèche après quelques secondes de stabilité, elle tape deux fois dans ses mains. « T’as vu ! J’d’viens trop forte grâce à toi ! Merci ! », recommence-t-elle en lui faisant un clin d’œil. Elle aimerait tellement venir lui déposer un bisou sur la joue pour le remercier, mais ça aussi, c'est hors de questions. « J’vais juste boire une gorgée et j’r’viens ! », informe-t-elle son prof. En se dirigeant vers sa gourde, l’ex-danseuse se permet de jeter un coup d’œil autour d’eux. Il y a un gars qui essaie de se transformer en quelque chose, mais impossible de savoir quoi. Il va encore falloir qu’il s’entraîne un peu le pauvre… et la fille qui a les mains qui crépitent, elle a l’air de galérer aussi. Par contre, là-bas, il y a une autre fille qui gère super bien avec l’eau. Sibylle se force à se détacher du spectacle. Elle pourrait probablement rester de longues minutes à regarder les autres utiliser leur pouvoir, mais elle ne veut pas faire attendre son prof !

Après avoir bu, elle revient vers Misao. « Ok, chuis prête ! J’fais quoi ? », demande-t-elle simplement.

Un mouvement pour la créer, un mouvement pour la maintenir ; clairement, ça se tient. C'est logique... enfin, autant que Sibylle est logique. Mais ça l'est un peu, au moins. L'important, c'est que ça fonctionne pour elle — même si clairement, il se sent un peu inutile, à la fixer les mains dans les poches comme ça. Il a une moue gênée (une sorte de sourire grimacé) lorsqu'elle lui propose de lui apprendre. Pas qu'il n'aime pas bouger, mais l'idée lui fait tout bizarre. Il s'octroie quelques secondes de réflexion et hausse une épaule, décidant de rester vague sur le sujet avant de reprendre une expression plus neutre tout en hochant la tête.

—Un jour, pourquoi pas ? Ca pourrait être intéressant.

Ca ne veut pas dire oui, et ça ne veut pas dire non : parfait. ... Enfin, il croit. Est-ce qu'elle n'est pas du genre à prendre ça pour un oui ? (C'est sûr, elle est du genre à prendre ça pour un oui.)

Pas que l'idée d'apprendre de quelqu'un que plus jeune que lui le perturbe, mais c'est surtout l'idée de... Euh... Danser, visiblement. Est-ce qu'elle l'a bien vu ? Il est tout rigide, impossible que ça fonctionne avec lui. Il ne veut pas avoir l'air ridicule aha.

La fatigue magique, comment c'est, déjà, pour lui ? Il hausse une épaule, un peu pensif.

—Hmm... C'est plus comme une fatigue après le sport, on a les membres un peu lourds et on a besoin de reprendre son souffle. Pour moi, en tout cas ; chez toi, ça peut se manifester différemment, peut-être ?

Certes la sensation n'est pas tout à fait identique, mais elle y ressemble fortement, en tout cas.

—Je t'aiderai, acquiesce-t-il pour la rassurer.

Elle a l'air un peu paniquée à l'idée de ne pas savoir comment faire ; mais après tout, c'est pour ça qu'elle lui a demandé son aide... Du moins, il pense ? Il esquisse un sourire quand elle réussit une nouvelle fois et applaudit sommairement en la félicitant une nouvelle fois. C'est toujours plaisant de voir quelqu'un qui est motivé à avancer, finalement. Un peu comme au sport, sauf que là, c'est avec des pouvoirs...

—C'est pas vraiment grâce à moi, mais de rien je suppose, s'amuse-t-il.

Elle ne tarde pas à aller chercher sa gourde... Lui aussi observe les alentours. Certains ont un peu du mal à gérer... Mais c'est vrai que l'Eau, là-bas, se débrouille vraiment pas mal. (Il a un problème avec cette affinité, elle l'attire beaucoup trop. Il regrette peut-être un peu de ne pas être Morphe, mais le caractère ne convenait pas vraiment aha. Hum.)

Bientôt, Sibylle est à nouveau devant lui ; il cligne des yeux sans savoir comment la lancer dans l'exercice. Instant de réflexion. Hmmm...

—Est-ce qu'en bougeant, tu pourrais obtenir les mêmes résultats mais pour l'invisibilité ? demande-t-il en plissant le nez, pensif, les bras croisés contre son torse. Sinon, je peux toujours te dire comment moi je fais ?

Il attend son assentiment et lève à peine ses bras devant lui pour lui expliquer :

—L'invisibilité, je la perçois différemment. Pour moi c'est quelque chose de plus aérien et de plus léger et frais que l'énergie du feu. J'imagine qu'un voile se dépose sur ma peau pour l'envelopper, et la rendre invisible... Ou sinon, quand je souhaite très fort disparaître, mais… ça c'était plus aléatoire, grimace-t-il.

Tout en lui parlant, il se force à imaginer ledit voile, qu'il dépose sur ses mains... Une sensation de frais qui n'est pas désagréable les entoure — et elles disparaissent.

—C'est très lié à mon ressenti et à mes envies.

Ouais, tes émotions, quoi.

Misao a accepté ! C’est trop cool ! Sibylle est aux anges ! Ok, il ne veut pas apprendre tout de suite, mais ce n’est pas grave. Un jour, elle lui montrera et après il saura faire pareil. Elle pourra peut-être venir toquer à sa porte la semaine prochaine ? Oui, c’est une bonne idée. C’est un projet qui la porte, tout à coup. Si elle ne peut pas danser elle-même, peut-être qu’elle peut apprendre aux autres ? Oui, ça c’est vraiment une idée à creuser… peut-être même que ça la motivera ? Il faut qu’elle y réfléchisse, pose le pour et le contre, tout ça.

Au sujet de la fatigue, son prof lui explique ce qu’il ressent, tout en lui précisant que ça sera peut-être différent pour elle. Mouai, ça ne l’avance pas beaucoup, mais ce n’est pas grave. Elle verra bien le moment venu et peut-être que ça sera pareil pour elle ! Il la rassure, avant qu’elle ne réessaie et réussisse encore une fois à maintenir une flamme entre ses mains. L’Allemande est fière d’elle. Elle a fait un bon de géant dans ses progrès et reçoit même les félicitations de son prof qui l’applaudit. Instinctivement, elle fait une petite révérence, trahissant son passé de danseuse, sans même s’en rendre compte. « Mais pourquoi tu dis ça ? Sans toi j’aurais jamais réussi ! », demande-t-elle, surprise, quand il lui dit que ce n’est pas vraiment grâce à lui. C’est clairement et complètement grâce à lui, oui !

La rouquine va chercher sa gourde, se perd un instant en chemin et revient après avoir bu de l’eau, prête à en découdre avec l’invisibilité… sauf qu’elle ne sait pas du tout comment faire. Jusqu’à maintenant, ça a surtout été de la chance si elle y est arrivée. Misao lui propose une première idée. Sibylle ne sait pas du tout si ça peut marcher, mais il enchaîne. Elle hoche la tête avec un sourire. Oui, s’il lui explique, c’est mieux. Peut-être que ça fonctionnera aussi pour elle ! L’ex-danseuse écoute, attentive, mais c’est terriblement compliqué. Enfin, les mots ne le sont pas vraiment, mais le sens du tout, c’est difficile à se représenter. Il lui parle d’air, de légèreté et de fraîcheur… un voile… il s’imagine un voile qui le recouvre et le rend invisible. « Comme la cape d’invisibilité dans Harry Potter ? », demande-t-elle soudain, l’interrompant presque. Elle voulait continuer, mais son prof lui fait une démonstration en faisant disparaître ses mains.

« Wouuuaaaaa ! T’es trop fort ! », lâche-t-elle devant le spectacle qu’il lui offre. Pourtant, quelque chose chiffonne Sibylle. « Mais… pourquoi t’as très fort envie d’disparaître ? », demande la rouquine avec une intonation légèrement inquiète dans la voix, sans réaliser que cette question est peut-être un peu trop personnelle pour être posée comme ça. Elle, elle a envie d’utiliser son pouvoir, parce que c’est amusant et qu’elle pourra peut-être faire des farces à ses amis, mais elle n’a pas envie de disparaître. Enfin si, elle a envie de devenir invisible… mais, c’est une question de nuance qu’elle ne saurait pas exprimer et qu’elle a d’ailleurs peut-être mal compris, mais à ça, elle n’y pense pas. Comme souvent, elle tire des conclusions hâtives

Elle a l'air trop enthousiaste. Elle a forcément compris ça comme un oui. Bon sang... Il retient un soupir, mais n'arrive pas à sortir autre chose qu'un demi sourire dépité et amusé à la fois. Si elle lui propose et qu'il n'a pas envie, il n'aura qu'à lui dire... sûrement... Sauf si la situation de cette après-midi se reproduit : là, il n'arrivera sûrement pas à dire non et il se fera embarquer pour jouer dans casse-noisette. N o n.

La petite révérence de Sibylle lui donne un air gracieux de cygne saluant son auditoire. Le geste est tellement spontané, tellement habituel que même un oeil peu avisé s'en rendrait compte. C'est à nouveau une surprise agréable... Mais il n'a pas le temps de s'en formaliser qu'elle lui renvoie le compliment. Et il faut dire que ça le touche peut-être un peu. Peut-être. Un peu. C'est tout.

—De rien, alors.

Petit sourire. Il est gêné. Faites pas chier. Il a du mal avec l'estime de soi, d'accord ?

Ils passent à l'invisibilité. Ca va être compliqué, mais il fait de son mieux pour être le plus clair possible — et ce n'est peut-être pas suffisant. Il acquiesce à la mention de la cape d'invisibilité : c'est exactement ça.

Sa démonstration fait son effet, mais il faut dire qu'à son stade, ce n'est plus bien compliqué. Un jour, elle arrivera à faire bien mieux et ça ne la surprendra plu-

La question soudaine le désarçonne tellement que ses mains redeviennent visibles un court instant — il est forcé d'ordonner à ses pouvoirs de ne pas pas le rendre transparent. HMMMM LA BONNE QUESTION.

Il se tend, ouvre la bouche pour parler, puis la referme. Fixe ses mains, les refait apparaître et les plante à nouveau dans ses poches, très mal à l'aise. Ses sourcils se sont froncés à demi, dans une expression plus inquiète, gênée et perplexe qu'agacée. C'est vrai que la façon de le dire n'était pas… enfin pas judicieuse du tout. Elle s'attarde trop sur ce type de détails, c'est déroutant.

—C'est juste une façon de parler.

C'est faux. Et la sensation, là, maintenant, tout de suite, est si forte et si prégnante qu'il se force à la repousser. C'est exactement le type de comportement qu'il a eu l'habitude de prendre — se rendre invisible pour fuir, pour s'échapper, pour ne pas être vu, pour qu'on ne puisse pas voir ce qu'il se faisait. Ses mains, surtout. Son état qui empirait. Les discussions qu'il ne voulait pas avoir. C'est plus simple de fuir quand les gens ne vous voient pas. C'est plus simple de surmonter quelque chose quand on n'a pas à l'affronter. Il s'humecte les lèvres, prend une inspiration.

—Par exemple, quand je veux très fort me rendre invisible, utiliser mon pouvoir.

Pas de sourire cette fois. C'est plus compliqué.

—Tu peux essayer ?

C'est un terrain trop glissant pour le moment.

Quelque chose a changé. Sibylle l’a tout de suite remarqué. Il faut dire que c’est flagrant. Sa question… sa question a touché un point sensible. Misao a perdu le contrôle de son invisibilité pendant un bref instant. Ses mains sont redevenues visibles… mais le plus marquant, c’est son visage qui a changé. Il est tout à coup si… tendu ? La rouquine ne comprend pas. Il ouvre la bouche, la referme. Les mains de son prof réapparaissent, mais il les enfouit dans ses poches. C’est lent, mais l’Allemande se demande soudain si ça ne cache pas quelque chose. Est-ce qu’il a honte parce qu’il s’est brûlé avec son pouvoir ? Ou est-ce qu’il lui a menti ? Ses sourcils se froncent, comme un miroir à ceux de l’homme qui lui fait face. Lui semble plutôt inquiet ou perplexe, elle, elle est agacée. Il lui lâche que c’est juste une manière de parler. L’ex-danseuse est plutôt du genre naïve, mais là, ça ne prend pas. Il a eu une réaction trop forte. Il y a autre chose et il ne veut pas lui dire quoi. En soit, ce n’est pas ça qui l’embête, qui l’agace tant… non, c’est autre chose.

Pourtant, Misao recommence à parler. Il donne le change, parle de l’invisibilité et lui demander si elle peut essayer. Une autre personne que Sibylle aurait probablement laissé passer, aurait compris, peut-être, qu’il ne fallait pas revenir sur le sujet… mais Sibylle… Sibylle n’est pas comme ça.

« Écoute, chais qu’chuis un peu stupide, hein, mais j’aime pas quand on m’ment. Si tu veux pas m’répondre, t’as l’droit, mais tu m’le dis. C’est pas pa’c’qu’j’pose une question qu’t’es obligé d’tout m’dire, d’m’raconter ta vie et tout. J’ai bien vu qu’y a un truc qui va pas et j’pense qu’c’est en rapport avec tes mains, pa’c’qu’tu les as cachées. Chais pas si t’as honte pa’c’qu’tu t’es blessé ou si c’est aut’chose, mais t’as l’droit d’pas vouloir m’le dire. J’veux juste qu’tu m’mentes pas et qu’tu m’dises qu’t’as pas envie d’m’en parler. C’est tout. C’est pas compliqué, non ? », dit la rouquine d’un ton un peu sec et franc. Pourquoi les gens n’expriment pas le fond de leur pensée ? Pourquoi faut-il toujours qu’il y ait des non-dits, des mensonges… c’est fatigant à la fin. Est-ce que les gens pensent qu’elle va se vexer ou leur tourner le dos s’ils ne la mettent pas au courant de tout ? Dire non, ça s’apprend et jamais elle n’en voudra à quelqu’un parce qu’il lui refuse une information… enfin, pour autant que ça ne la concerne pas directement, probablement.

« Bon, j’vais essayer, mais chais pas si j’vais y arriver. Ça a l’air super compliqué comme truc c’qu’tu m’as dit quand même. », recommence-t-elle d’un ton beaucoup plus amical. L’Allemande ne ressent pas le besoin de s’étendre plus sur le sujet précédent et elle n’en veut pas plus que ça à son prof. Elle a dit ce qu’elle avait à dire. Elle espère juste que le message est passé et qu’il ne recommencera pas. Maintenant, elle peut se reconcentrer sur son but : rendre ses mains invisibles. Sibylle lève les siennes devant elle, mais finit par en laisser retomber une le long de son corps. « J’vais commencer qu’avec une. Ça s’ra d’jà assez difficile comme ça, j’pense. », informe-t-elle simplement Misao.

La rouquine approche légèrement la main de son visage et se concentre. Il faut qu’elle visualise un voile qui se dépose sur sa main… mmmh, ça ne fonctionne pas. Elle n’arrive pas à se représenter comme il faut la scène dans sa tête. Peut-être qu’elle doit imaginer autre chose pour commencer ? Quelque chose qu’elle connaît mieux ? Un gant ! Oui, ça elle connaît bien. Elle lève son autre main et se mime en train de mettre un gant… mais ça ne fonctionne pas non plus. Zut, même avec le mouvement, c’est raté. Son prof lui a parlé de ressentis, d’envies. L’Allemande observe sa main. Elle a envie d’utiliser son pouvoir, elle a envie de rendre sa main invisible, elle a envie de disparaître… non non, c’est faux. Elle n’a pas du tout envie de disparaître. Est-ce que c’est là le problème ? Elle s’est battue toute sa vie pour trouver une place dans son monde, alors que certains auraient aimé qu’elle disparaisse… ce n’est pas pour abandonner aujourd’hui. Sibylle secoue la tête. C’est quoi ces pensées ? Ça ne lui réussit pas de réfléchir dans sa tête. Ses pensées partent dans tous les sens, c’est confus, c’est même malsain par moment.

« Ooook, ok ok ok. Ça va aller. On se concentre ! », lâche-t-elle soudain. Le silence… le silence la gêne. Les mots dans sa tête ne suffisent pas pour la rassurer. « J’veux pas disparaître, j’veux juste d’venir invisible… par exemple pour faire des bonnes farces à mes amis ! Oui, ça c’est une chouette idée ! », pense-t-elle à voix haute, comme pour se rassurer. « J’veux d’venir invisible… », marmonne-t-elle encore. « Juste invisible… », lâche-t-elle dans un souffle, tandis que sa deuxième main passe devant celle qu’elle observe avec force, de haut, en bas, lentement, comme si elle y appliquait quelque chose et ses doigts deviennent translucides un instant. C’est bref, c’est un demi-échec, mais ce n’est pas grave. Elle pose ses mains sur ses hanches.

« Faut qu’j’me trouve une vraie motivation ! », conclue-t-elle, avant de se tourner pour observer la salle en quête d’idées. Elle aurait bien demandé à Misao, mais elle a compris que ce n’était pas un sujet à aborder avec lui. Il va falloir qu’elle trouve toute seule… Oh ! Une idée ! « J’réessaie ! », dit-elle vivement en se retournant vers son prof. Danser en étant invisible, ce n’est pas très intéressant… à moins… à moins qu’intégrer ça dans une chorégraphie y apporte un élément nouveau. Elle s’imagine danser d’un côté de la scène, puis disparaître le temps de la traverser pour réapparaître de l’autre côté en continuant à danser. L’effet que ça pourrait avoir sur le public ! Oui, l’idée est à creuser… Voilà, elle a trouvé une vraie motivation, une vraie envie de devenir invisible. Ça l’inspire, c’est fou.

Elle replace sa main devant elle et refait le même geste. Sibylle est persuadée que sans ce mouvement, elle n’y arrivera pas. Un jour peut-être, plus tard, quand elle maîtrisera mieux, elle arrivera sans doute à visualiser le fameux voile dont lui a parlé Misao, mais pour le moment, elle n’y arrive pas. Ses doigts disparaissent, puis sa main. Elle sourit, mais maintient sa concentration. Pour la première fois, elle ressent la fraîcheur dont lui parlait son prof. C’est vrai, elle n’avait jamais remarqué jusqu’à maintenant. La rouquine bouge ses doigts invisibles. C’est drôle comme sensation. Elle ne remarque pas tout de suite que son pouvoir s’étend. Le froid se propage sur son poignet, le long de son bras jusqu’à atteindre le coude.

« Euuuuh, stop là ! », crie-t-elle soudain et tout s’arrête. Son bras réapparaît. Étrange. « Ah, c’était bizarre ça. T’as vu ? J’ai pas tout comp… », commence-t-elle avant de voir le monde tourner devant elle. Il y a même plein de petits blancs qui se mettent à danser devant ses yeux. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Elle se sent juste mal. « Misa… », parvient-elle à articuler en levant à moitié un bras vers lui, avant que ses jambes ne lâchent.

L’Allemande n’était encore jamais tombée dans les pommes. Elle ne comprend pas ce qu’elle fait par terre. Elle ne se souvient pas s’être allongée. Elle était debout. Elle a commencé à se sentir mal… et maintenant elle est au sol. Bizarre.

Une inspiration. Misao fait des efforts. Il tente ce qu'il peut pour être agréable, pour sourire, pour rire, pour avoir l'air de redevenir un peu normal. Au moins l'air ; parce que parfois, c'est encore trop difficile pour lui d'affronter le quotidien, mais en ce moment il va mieux et il donne tout pour ça. Il sort de sa zone de confort, il laisse des inconnues lui parler et lui toucher les mains, il accepte de rendre service parce qu'il n'est pas complètement un connard, mais visiblement, il est obligé de parler. Il ne peut pas éluder les choses, parce que visiblement, ça ne passe pas.

Il se fait sermonner par une fille dix ans plus jeune que lui. Sa mâchoire se contracte alors qu'elle débite ses paroles, sèchement et sans le moindre tact. Habituellement, il aurait apprécié qu'on lui en fasse la remarque, qu'on lui dise "Tu sais, tu peux simplement me dire que tu n'as pas envie d'en parler", et il aurait fait plus d'efforts pour le cacher la prochaine fois. Parce que dire "Non, je ne veux pas en parler", c'est avouer qu'il y a un problème ; et si lui le sait, il n'est pas encore prêt à laisser le monde entier s'en rendre compte. Surtout pas une inconnue qui parle beaucoup trop.

Là, le ton est trop sec pour qu'il l'accepte. Ca fait longtemps qu'il n'accepte plus qu'on lui parle sur ce ton, et que la rouquine lui mette en pleine gueule que oui il a un problème avec ses mains et elle l'a remarqué, ça, il n'en a pas besoin. S'il avait moins de self-control, comme avant, il aurait sûrement mis le feu au mannequin qui n'a pas été rangé, un peu plus loin, pour lui faire comprendre qu'il faut qu'elle ferme sa gueule tout de suite avant de dire quelque chose qui le mettrait réellement en colère.

Il se contente de l'imaginer très fort et de respirer, jusqu'à ce qu'elle ait fini de parler. Ca le détend toujours un peu, de l'imaginer mettre le feu à tout et n'importe quoi. Heureusement qu'il maîtrise. Sinon, ça serait sûrement réellement arrivé.

Le regard sombre, Misao se contente de la fixer. La franchise ne dispense pas de tact.

Surtout quand ce qu'il voulait dire était effectivement une façon de parler. Ce qu'il se cache derrière, ça ne la regarde pas et ça ne regarde personne.

—Si tu estimes que je mens, ce n'est pas mon problème. C'était une façon de parler au moment où je l'ai employée. Maintenant s'il faut que je le rajoute, alors oui : je n'ai aucune envie d'en parler, siffle-t-il sur le même ton qu'elle.

Ses doigts sont crispés dans sa poche. Il sent la chaleur qui en irradie. Il a des images de l'année dernière qui lui reviennent en flash. Il maîtrise sa respiration, il maîtrise son regard, qui reste droit, planté dans celui de sa vis-à-vis. Les semaines, les mois d'expérience, ces mois passés à tout contenir et tout enfermer en lui-même comme dans un coffre-fort inviolable. Ces mauvaises habitudes qu'il pensait avoir perdues et qui reviennent soudain, violentes, à la moindre entorse aux règles de son petit monde intérieur.

Il va falloir qu'il en parle à sa psy, ça... Ca l'énerve déjà d'avance. En fait, ce qui l'énerve le plus, c'est la violence avec laquelle il réagit. Mais il se sent attaqué dans son droit à ne pas en dire plus, et à ne pas se justifier. Il se sent attaqué dans son droit à conserver sa vie privée. Parce qu'il a le droit de ne pas avouer avoir des problèmes.

Il a le droit de se mentir à lui-même.

Si ça ne convient pas aux autres, qu'ils dégagent. Si ça ne convient pas aux autres, qu'ils lui foutent la paix. Lui n'a rien demandé. Il est juste là. Il attend. Il subit.

Il fait de son mieux, et il a soudain l'impression que ce temps passé avec elle qu'il trouvait finalement intéressant, parce qu'il découvrait une personne sympathique et enjouée, vient de se transformer en sable dans sa bouche.

C'est agaçant. Croire qu'on a évolué, alors qu'on est encore au même point qu'il y a un an....
((Il ne se rend simplement pas compte du chemin qu'il a fait.))

Il souffle un peu et tâche de reprendre son calme, acquiesce quand elle se remet dans son entraînement. Il ne dit rien, se contente d'acquiescer par moment, hausser une épaule à un autre. Son regard est moins lourd de reproches, mais il est toujours perdu dans le vague et les souvenirs, dans son échec et sa frustration. Ses mains le brûlent et il a à nouveau envie de les frotter très fort, pour s'enlever cette sensation détestable qui lui colle à la peau.

Pendant tout le temps de sa démonstration, bien qu'il l'observe, il lutte pour rester dans le présent. Et elle l'aide un peu, pour ça. Il se raccroche à ce qu'elle dit, il se raccroche aux couleurs de l'environnement, il se raccroche aux autres terraens qui utilisent leurs pouvoirs, il se raccroche à ses pouvoirs d'invisible qui dansent au bout de ses doigts, toujours cachés dans ses poches. La respiration aide, l'ancrage aussi ; il parvient mieux à se détacher de ses pensées négatives, mais a encore un peu de mal à se remettre dans le présent...

Et puis Sibylle réussit à se rendre invisible ((il s'en fout)), du moins en partie ; et son pouvoir monte, monte, monte... Jusqu'à ce qu'elle arrête. Il s'apprête à dire d'un ton particulièrement placide qu'elle a bien géré, cette fois, mais il l'aperçoit qui flanche. Il se remet dans son corps, dans le présent, Misao est à nouveau un peu là ; il la rattrape avant qu'elle ne se fasse mal, les yeux écarquillés. Son sang bat à ses tempes, c'est désagréable ; il l'aide à se mettre au sol et à s'allonger, sourcils froncés. Quelle abrutie ! Elle en a trop fait !

Quelques personnes dans la salle s'arrêtent et il est forcé de leur faire un signe et leur dire un peu sèchement qu'il s'en occupe pour ne pas qu'ils s'approchent de trop près. Il vérifie que tout va bien chez elle, va récupérer la gourde d'eau de la rouquine et la lui apporte, lorsqu'elle rouvre les yeux. Il la lui tend, un peu plus brusquement qu'il ne l'aurait voulu, mais cette fois, c'est parce qu'il est inquiet plus qu'en colère.

—Tu es tombée dans les pommes, lui indique-t-il. Bois de l'eau.

Il se retient de l'engueuler parce qu'elle aurait dû s'arrêter avant que la fatigue ne lui tombe sur le coin de la tête. Il lui parle aussi doucement qu'il le peut vu son état de fébrilité. Un peu fermement, mais pas agressivement. Normalement.

—T'as trop utilisé tes pouvoirs. Faut que tu restes consciente de ton niveau de fatigue, tu aurais pu te faire mal !

'Tain, dans quoi il s'est embarqué, encore...

Misao n’est pas content et c’est peu dire. Son visage a encore changé pendant le discours de Sibylle. Son regard est devenu sombre et on peut voir qu’il est encore plus mal à l’aise qu’avant, en colère aussi. Il lui répond aussi sèchement qu’elle. « Bah… chuis désolée d’avoir compris d’travers alors. J’te d’mande pardon. Chais qu’parfois j’parle trop et qu’j’réfléchis qu’après…, mais merci d’dire qu’tu veux pas en parler. C'est tout c'qu'j'voulais. », dit-elle simplement, avec un sourire sur la fin. C’est sans doute un peu bizarre à observer comme scène, surtout que la rouquine ne se rend pas compte de la tempête qu’elle a déclenchée chez son prof préféré. Pour elle, avoir des problèmes ou des choses dont on ne veut pas parler, ce n’est pas grave. Elle sait qu’elle, elle a tendance à trop parler et qu’elle est très franche, mais il y a aussi des choses qu’elle tait. Là, l’Allemande ne voulait pas savoir ce qui clochait ou même le montrer du doigt. Elle voulait juste qu’il ne lui raconte pas des histoires… mais elle a probablement tout compris de travers, encore une fois. C’est pour ça qu’elle s’est excusée. Ça lui arrive. Elle dit ce qui lui passe par la tête, sans réfléchir et si c’était blessant ou complètement déplacé, si elle s’est trompée et qu’elle s’en rend compte, elle demande pardon. Parce que dans le fond, ce n’est pas une méchante fille. Elle manque juste de tact.

L’instant est passé et Sibylle n’y pense plus. Ce qui devait être dit, a été dit, ça ne sert à rien de revenir dessus. Elle se concentre donc pleinement à sa tâche et essaie de rendre sa main invisible. Elle échoue d’abord, mais après avoir trouvé le bon geste et une vraie motivation, elle réussit ! Sa main disparaît de sa vue, mais son pouvoir ne s’arrête pas là et bientôt, son bras devient invisible jusqu’au coude. Elle crie pour stopper le processus, paniquant presque.

La rouquine n’a pas senti la fatigue. Peut-être que c’était à cause de l’adrénaline ou peut-être que dans l’euphorie du moment, elle n’a simplement pas écouté son corps, ce qui est tout de même étrange, puisque ce corps, c'est son outil de travail et qu'elle en prend énormément soin... Elle s’évanouit. Misao est vif, malgré son trouble toujours présent et parvient à la rattraper avant qu’elle ne touche le sol. Il l’aide à s’allonger pour qu'elle ne se blesse pas.

Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle est donc couchée par terre et elle ne comprend pas ce qui est arrivé. C’est la première fois qu’elle flanche comme ça. L’Allemande est un peu confuse et surtout, elle se sent toujours mal. Elle revoit quelques points blancs devant ses yeux, mais ils finissent par disparaître. Elle ne bouge pas tout de suite, même si son prof lui tend sa gourde et lui demande de boire. « J’me sens pas bien… », souffle-t-elle simplement, avant de fermer les yeux un instant. Elle a aussi un peu la nausée. C’est normal ? Misao lui explique alors les raisons de son malaise. L’ex-danseuse réouvre les yeux en clignant des paupières plusieurs fois. « Désolée… », répond-elle en l’observant. Elle finit par s’appuyer sur le côté pour se redresser légèrement et prend la gourde de sa main libre pour boire. Elle se fige quand les petits points blancs reviennent faire leur spectacle devant ses yeux qu’elle ferme très fort. S’il y avait des miroirs dans la salle, elle pourrait constater avec stupeur le teint cadavérique de sa peau. Il faudrait qu’elle mange du sucre.

« T’as pas du chocolat ? Anja en mangeait toujours quand elle tombait dans les pommes. », articule-t-elle difficilement, avant de boire une gorgée d’eau. Sa meilleure amie avait en effet toujours quelque chose à manger sur elle, des bonbons, du chocolat, peu importe, tant que ça avait plein de sucre, parce que ça lui arrivait quand même souvent de s’évanouir…

Sibylle boit encore une gorgée d’eau, avant de s’allonger à nouveau sur le sol. « C’est toi qui m’a rattrapée ? Merci, t’es mon héros. », souffle-t-elle en souriant et reconnaissante. Elle commence à en avoir plein, des héros, à Terrae, mais si William et Adonis lui ont porté secours quand il lui manquait quelque chose, Misao l'a empêchée de se blesser. C'est autre chose quand même.

Il est toujours en colère. En fait non, il est en colère ET inquiet. Inquiet et en colère. Il ne sait pas trop quelle émotion prédomine, les deux se font bataille et prennent le pas l'une sur l'autre. C'est désagréable et ça gronde dans sa poitrine et son ventre, ça tourbillonne dans sa tête. Cette fille est tellement spontanée, tellement dans la vivacité, qu'elle en a toujours un train d'avance et finit par zapper ce qu'il se passe au moment où elle le vit ; lui est plutôt quelqu'un qui se focalise sur le passé, qui bloque, qui n'arrive pas à avancer. C'est peut-être pour ça, que ça le bloque autant, de parler avec elle. Elle qui y va cash, qui fonce dans le tas et finit par se mettre mal. Quelqu'un qui se met en pièces parce qu'elle n'arrive pas à comprendre où sont ses limites. C'est un problème...

Il se pince l'arête du nez et souffle quand il voit qu'elle rouvre les yeux, puis les referme. Il lui laisse le temps, mais continue à lui tendre sa gourde.

—Prends ton temps.

Il ne répond pas à son désolé, mais il l'adoucit. Ca sert à rien de l'engueuler maintenant, de toute manière, elle n'écoutera pas. Perte de temps, de salive, de calme ; il va d'ailleurs en profiter pour laisser la température baisser un peu, parce que sa peau est beaucoup trop chaude. 'Tain la colère, ça fait des ravages.

Il secoue la tête mais se redresse. Il ne fait que rarement des crises d'hypoglycémie, alors généralement, il n'emmène rien quand il s'entraîne. Mais pour une newbie, il aurait dû y penser — il ne se voit pas dévaler les escaliers jusqu'au bas de la salle d'entraînement, alors il se contentera de se déplacer jusqu'au distributeur automatique dans le coin de la pièce. Il doit bien avoir quelques yens dans le fond de sa poche.

—Bouge pas, je vais te chercher un truc, bougonne-t-il, encore une fois sans répondre à sa question.

Un héros, tu parles. Un héros qui a envie de la balancer par la fenêtre, ouais. Il lui fait signe et rejoint la machine pour prendre une tablette de chocolat qui manque de se casser en tombant dans le fond de la trappe. Ah. La trappe. Il soupire, inspire foooort et pousse la trappe pour attraper la tablette. Voilà. Il n'a pas son gel hydroalcoolique, est-ce que ça va aller ?
"C'est bon, je l'ai déjà fait cinquante fois" (littéralement, exercice d'exposition, tout ça tout ça) "je peux bien survivre une fois de plus."

Il revient s'assoir près d'elle sur le sol, casse le chocolat sans ouvrir la tablette et l'ouvre précautionneusement en lui tendant l'emballage pour qu'elle se serve.

—Tiens.

Il va pas non plus lui faire la bécquée, hé, oh.

Sibylle ne se sent vraiment pas bien. Boire de l’eau a amélioré un petit peu son état, mais il lui faudrait du sucre. Malheureusement, Misao n’a rien à manger sur lui et il doit s’éloigner pour aller chercher du chocolat ou autre chose.

« Attends… », murmure la rouquine, mais son prof préféré est déjà loin. Pourquoi est-ce qu’elle a peur tout à coup ? Au pire, si elle s’évanouit à nouveau, elle est allongée sur le sol. Elle ne peut plus se faire mal, alors tout va bien, non ? Non, ce n’est pas ça le problème. Elle n’a juste pas envie d’être seule, là, tout de suite. Elle ne se sent pas bien et à besoin de sentir quelqu’un à côté d’elle, un soutien.

L’Allemande fixe le plafond, à l’écoute de ce qu’elle ressent, de chaque signal que lui envoie son corps. Elle a posé sa gourde sur le sol juste à côté d’elle et est venue déposer ses deux mains sur son ventre. Elle attend et cette attente la pèse, tout comme le silence qui règne dans la salle. Même si Misao a rassuré les autres personnes présentes en leur indiquant qu’il gérait la situation, les gens observent la scène plutôt que de recommencer à s’entraîner. La jeune femme ne se rend même pas compte qu’elle est le centre de l’attention comme ça et même si c’était le cas, ça ne la gênerait pas. Elle s’en fiche pas mal…

La rouquine ferme les yeux et se pince les lèvres. Elle a été stupide. Elle aurait dû faire bien plus attention. Ce n’est pas dans son habitude de ne pas s’écouter comme ça, de pousser son corps dans ses derniers retranchements oui, mais pas au point de craquer, pas au point de dépasser les limites. Elle doit se reprendre. C’est important. Retrouver ses marques, ses bonnes habitudes, se réapproprier tout ce qu’elle a appris pendant de nombreuses années. Elle ne peut pas avoir tout perdu. Elle ne peut pas décevoir ses parents qui espèrent encore qu’elle pourra se remettre à danser, que tout redeviendra comme avant.

Des bruits de pas s’approchant lui font ouvrir à nouveau les yeux. Son prof préféré s’assied à côté d’elle. Elle entend un bruit assez caractéristique, mais ne tourne pas la tête pour regarder les mains s’activer sur l’emballage. Ses yeux se sont refixés sur le plafond. La voix de l’Étoile vient enfin briser ce silence pesant. Un mot, juste un mot, ça suffit pour le moment. Sibylle tourne la tête et fait l’effort de tendre la main pour prendre une barre de chocolat qu’elle finit par croquer à pleines dents. Elle ferme les yeux et mâche avec soin avant d’avaler. Le reste du morceau suit le même chemin. Elle sourit. Ça fait du bien.

« Merci. », se contente-t-elle de dire. L’Allemande reprend un bout de chocolat et mange sans rien ajouter d’autres. Son esprit est vide, fatigué. Au moins, elle sait maintenant ce qui arrive quand on utilise trop son pouvoir, mais elle aurait préféré l’apprendre autrement.

« Raconte-moi une histoire, s’il te plaît. », demande soudain l’ex-danseuse. Oui, ça sort de nul part, mais elle ne supporte plus ce silence. Elle a besoin d’entendre une voix, de bruits, peu importe. La présence de Misao à côté d’elle ne lui suffit pas, même si elle commence à se sentir mieux au fur et à mesure que le sucre fait son effet. C’est un peu lent à son goût, mais elle sait être patiente pour certaines choses. Ça ira mieux.