J’ai gagné un lot. J’en ai gagné plusieurs, j’avais un peu oublié avec… tout ça. Pourtant je regarde les billets qui arrivent à échéance plus ou moins vite. Souvent, moins que plus, heureusement... Je me demande si j’ai vraiment envie de partir, mais ce serait bête de laisser se perdre ces billets non ? Ce serait surtout dégueulasse pour ceux qui ne les ont pas gagné, du gaspillage. Bref, j’vais aller les scotcher sur le panneau d’affichage ils trouveront bien preneur… Merde, ils sont nominatifs ?: Comment ils peuvent être nominatifs d’abords ? C'était pas censé être une tombola ??? On savait pas qui allait gagner…
Ah oui… J’ai fait les démarches en ligne pour finaliser mon voyage… Je suis juste trop conne, j’avais pensé partir avec Nathou à Singapour. Cette ville est connue pour ses jardins, je suis sûre qu’elle lui plaira… Mais avec tout ça j’ai juste oublié de lui demander.
Je me sens un peu déprimée par ce constat, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire… Si ? Même si lui annoncer qu’on part tous les deux pour le wee dans un pays étranger risque au mieux de le surprendre… Au pire de l’ennuyer. Bon de toute manière au point où j’en suis hein on ne va pas faire la timorée ! S'il dit non, ce sera pas si grave !
Allez ma grande, va lui proposer de venir avec toi. Oui proposer tout-à-fait ! S’il ne veut pas je ne vais pas le forcer, j’irais toute seule à Singapour et je passerais mon week-end à dormir. Je suis juste épuisée, j’crois qu’il s’est passé trop de choses, en trop peu de temps. J’ai besoin de prendre le large, de m’aérer, de réfléchir, de me reposer surtout.

Je débarque en début de soirée chez Nathanaël, totalement à l’improviste il faut le dire et lui propose de m’accompagner à Singapour pour le voyage que j’ai gagné à la tombola. On ne va pas se mentir il a trois jours pour se décider, et je lui laisse le temps de réfléchir s’il le veut. Je lui dis qu’au pire des cas j’l’attendrais le jour du départ dans l’entrée…

Et vous savez quoi ? Je suis dans l’entrée, on est le jour du départ il est 5h et j’attends Nathanaël. Je sais que je serais un peu triste s’il ne vient pas, mais j’ai été claire, je ne veux pas qu’il se force s’il n’en a pas envie, s’il se sent fatigué ou je sais pas quoi. Perso j’ai pas vraiment dormi hier soir, déjà j’ai fait mon sac à l’arrache. J’ai mis une robe (sait-on jamais), un maillot, des sous-vêtements et mon nécessaire à toilette en vrac avec mes papiers (ils sont faux et alors ?), j’ai même pensé au pyjama pour dire ! (oui c’est le truc que j’ai failli oublié alors je le mentionne !) et sans doute d’autres choses que j’ai oublié de mentionner ou oublié tout court…
En fait je stresse un peu, et s’il ne vient pas, ça sera pas bizarre entre nous quand je reviendrais ? Je ne sais pas hein ? Je suppose, j’lui en voudrais pas… Mais lui ? Je n’ai pas fait une connerie en l’invitant ? Je ne sais pas s’il avait l’air super emballé. Ok, alors ma grande on va se calmer t’as encore dix minutes avant l’arrivée du taxi, il a laaaaaaaaaaargement le temps d’arriver, tu aurais les temps de psychoter sur ça plus tard. Genre quand tu réfléchiras au fait que t’as un frère et que tu ne sais pas si ça te rend heureuse, et que ça te stresse parce que tu trouves pas vraiment humaine. Enfin voilà… Je crois que je crains un max en ce moment, faut vraiment que je prenne de la distance.

Nathanaël avait gentiment retrouvé le rythme imposé par ses cours à l'université, l'été avait cédé sa place à l'automne et le temps suivait son chemin, tranquillement. Avec la reprise, il s'était permis moins de relâchement que vers la fin des vacances. Il passait l'essentiel de son temps entre l'université de Tokyo, la bibliothèque de Terrae et sa chambre. Il travaillait moins souvent au parc, tout en ne le négligeant pas, bien entendu. Le problème quand on entreprenait quatre Bachelors en même temps, c'était surtout les cours qui se chevauchaient, principalement à cause de la chimie dans son cas, parce qu'il y avait plein de travaux pratiques obligatoires qui prenaient du temps. Heureusement, il avait à chaque fois pu s'arranger avec les professeurs qui étaient plutôt compréhensifs, surtout avec lui, en fait. L'un de ses profs de physique l'avait d'ailleurs rapidement repéré. Il lui avait déjà proposé un sujet pour le travail de Bachelor et l'encourageait à suivre des cours de troisième pour prendre un peu d'avance. Le Terre l'appréciait particulièrement, car c'était un passionné et cela se sentait lors de ses cours, cela transpirait à chacune de leurs discussions.

Lorsqu'Ipiu vint lui parler, le Titan était en train de faire son château de cartes. Oui, il avait enfin trouvé une utilité au jeu de carte incomplet qu'il avait gagné à la tombola du carnaval. Il le faisait dans un coin de sa chambre, à même le sol pour ne pas encombrer son bureau. Il avait eu cette idée en voyant une image du gagnant d'un concours devant son œuvre. Le gars avait construit un énorme château de plusieurs mètres de haut. Lui ne visait évidemment pas la performance. Non, il cherchait plus à exercer des qualités comme la patience, la précision et la délicatesse. De plus, cela l'obligeait à maîtriser sa force. Il se sentait d'ailleurs bien plus à l'aise avec son don. Il avait commencé à remarquer une différence, une sensation particulière lorsque son pouvoir de Titan était activé. Cela facilitait grandement les choses, bien entendu. Il envisageait d'ailleurs d'acheter un autre jeu pour compléter sa pyramide. Oui, il était resté dans le basique. Peut-être recommencerait-il du début et choisirait quelque chose de plus élaboré une prochaine fois. Nathanaël venait de poser la dernière carte lorsque des coups rapides contre la porte avaient retenti. C'était la Tonnerre qui venait lui proposer un voyage à Singapour. Elle lui laissait trois jours pour se décider.

Les trois jours étaient passés incroyablement vite. Il acceptait, bien sûr, même si la question s'était posée, car, dans le fond, le Terre n'aimait pas vraiment voyager. Il préférait les choses simples et il ne parvenait pas à associer ces deux notions. Le fait de partir, souvent loin, de prendre l'avion, la voiture, dormir dans des hôtels, manger dans des restaurants,... non, ce n'était pas vraiment son truc. Il préférait passer ses vacances près de chez lui, profiter des chemins qu'il n'avait pas l'habitude d'emprunter, des paysages qu'il n'avait pas le temps de regarder le reste de l'année. Il y avait déjà tant de choses à faire tout près, alors pourquoi partir à l'autre bout du monde ? Certains aimaient le changement, avait besoin de voir autre chose, pas lui. Cependant, l'idée de voyager avec son amie l'avait rempli de joie. Passer un week-end avec elle était un cadeau merveilleux qu'il ne pouvait pas refuser, qu'il ne voulait pas refuser.

Le Titan avait donc eu trois jours pour se préparer. Il avait commencé par acheter une valise et s'était fait une liste des choses à ne pas oublier pour partir, la divisant en deux colonnes, l'une pour le bagage en soute et l'autre pour un petit sac à prendre en cabine. Ce dernier était d'ailleurs un élément capital. Il avait beaucoup réfléchi à la question et avait choisi d'y mettre ses papiers, évidemment, mais aussi le strict nécessaire de rechange en cas de perte du bagage en soute. Oui, il s'était renseigné sur le net et il était vivement conseillé de prévoir ce genre de mésaventure, même s'il n'y croyait pas trop. Ainsi, il avait fait des copies de ses papiers d'identité et des rares cartes qu'il possédait dans son porte-monnaie. On n'était jamais trop prévoyant et il l'était sans doute beaucoup trop, mais on ne le changerait pas.

Pendant ces trois jours, Nathanaël avait travaillé plus intensément encore pour ses cours que le reste du temps, finissant tous les rapports et autres travaux et exercices qu'il devrait rendre la semaine suivante. Il ne comptait évidemment pas bosser pendant le week-end. Il n'avait jamais autant remercié sa très bonne mémoire visuelle. Elle n'était pas photographique, mais de peu, très efficace... Le vendredi soir, avant d'aller se coucher, tout était prêt. Il avait même acheté un kit de toilette pour le voyage, histoire de ne vraiment rien avoir à ajouter à sa valise le matin venu. Il ne se coucha pas trop tard, car il devrait se lever tôt le lendemain. En effet, Ipiu lui avait donné rendez-vous à cinq heures à l'entrée. Ce fut donc confiant, réveil réglé sur quatre heures qu'il se glissa dans son lit et rejoint les bras de Morphée.

Sauf que... évidemment... le réveil ne sonna pas. Ou peut-être qu'il le fit, mais le Terre ne l'entendit pas. Heureusement, il dût avoir une sorte de pressentiment, car il se réveilla en sursaut vers les cinq heures moins le quart. Étouffant un juron, chose suffisamment rare pour le soulever, il se leva précipitamment et fonça prendre une douche rapide. Dans la précipitation, il se cogna le petit orteil contre le montant de la porte de la salle de bain en ressortant. Il vit quelques étoiles et commença à sautiller en se tenant le pied. C'était bien sa veine. La douleur du choc passée, il finit de s'habiller. Cinq heures, il allait être en retard. Heureusement que ses affaires étaient prêtes. Il enfila sa veste, puis passa le petit sac à dos sur son épaule avant de saisir sa valise et de sortir, enfin, de sa chambre. Il ferma à clef avant de prendre l'ascenseur. Il aurait pu dévaler les trois étages en courant, mais, comment dire... il avait un peu mal à son pied. Son orteil enfermé dans une chaussette et une chaussure n'aimait pas trop son traitement.

Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, Nathanaël sortit en trombe pour constater que l'entrée était vide. Elle n'était plus là, elle ne l'avait pas attendu.

Merde !

Et encore un juron, eh bien, il semblerait que ce soit le festival ce jour-là. Il courut jusqu'à l'extérieur du bâtiment, ignorant les lancés de son pied martyrisé et fut soulagé de voir son amie à côté d'un taxi.

Ipiu !

Le Terre arriva enfin à la hauteur de la jeune femme et du chauffeur de taxi.

Désolé pour le retard, je suis vraiment navré.

Il espérait qu'elle ne serait pas fâchée. Sans plus attendre, les bagages et la chaise roulante furent placés dans le coffre et les deux amis dans le taxi. Et les voilà tous deux partis pour une sacrée aventure.

Hrp:

Bon, je crois qu’il ne viendra plus. Je suis un peu triste, mais j’essaie de ne pas être déçue. Je savais bien que je lui demandais quelque chose de compliqué. Il est complètement débordé par ses études, il bosse tout le temps. J’avoue que parfois quand je le vois rester assis plusieurs heures consécutives à la bibliothèque sans bouger ça m’inquiète. J’ai parfois hésité à aller le voir pour lui dire d’aller faire un tour… Il y a quelques temps j’ai lu un article sur une grande maladie sévissant chez les accros aux jeux-vidéos, l’infarctus pulmonaire (ou parfois directement cardiaque, voire l’AVC dans une faible proportion) des suites de thrombose veineuse profonde développée en restant assis immobile trop longtemps devant un écran… Du coup quand j’vois Nathou trop longtemps devant ses cours j’peux pas m’empêcher de venir le voir à toutes mes poses pour aller prendre un café, un thé, un chocolat ou n’importe quoi qui me passe par la tête. C’est simple hein ? Mais ça lui permet aussi de s’aérer la tête je crois… puis rester une journée devant un bureau c’est contre-productif, il faut des pauses pour ne pas imploser… Enfin je crois, je n’ai jamais fait d’études, enfin j’ai souvent fait semblant quoi… Apprenant plus sur le tas et dans les livres qu’avec des profs, pas le temps de laisser parler les gens… Bref, tout ça pour dire que je comprends qu’il n’ait pas pu venir… Mais ça aurait quand même été bien qu’il soit là…
Enfin, je ne vais pas ruminer sur ça tout le week-end… Quoi que, le sujet semble plus soft que ce qui me traîne dans la tête ces derniers temps. Entre Charybe y Scilla, vous connaissez le dicton. Puis penser à Nathou ce n’est pas triste, c’est pas douloureux… C’est peut-être étrange vu les circonstances, mais c’est mieux.
Je soupire, j’essaie de grappiller quelques minutes, même si je sais que ça ne servira à rien, il est toujours d’une ponctualité à toute épreuve. C’est étrange, c’est naze de ma part de faire durer les choses… Mais j’avais vraiment envie qui soit là. C’est peut-être la seule personne ici auprès de qui j’me sens moi. La seule qui n’a pas des attentes particulières sur la façon dont je devrais me conduire, celle que je devrais être. Mon ami c’est un peu ma bouée de secours… En fait je suis vraiment égoïste, je l’utilise pour me sentir bien, mais parfois quand on se retrouve j’ai l’impression de rentrer à la maison et d’être enfin à ma place. Alors j'ai fini par penser que les amis, c’est la famille que l’on se choisit.

Ouch. Famille. Ça fait mal, ça fait peur. Pensons à autre chose, n’importe quoi… Tiens ce ne serait pas le taxi ? Je salue Angie qui me sourit avec son habitude. Je sais qu’il n’est pas au mieux de sa forme, mais son visage est moins las qu’il a pu l’être. Le jeune homme remonte la pente, et ça fait plaisir à voir. Je me suis dit qu’un jour on parlerait, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment… Et au fil du temps la relation qui s’est établie entre nous est celle d’une cliente et de son chauffeur de taxi, aussi gentil soit-il. Alors maintenant je ne sais pas trop comment je pourrais l’aider, alors je lui rends son sourire comme d’habitude…

Soudain mon nom résonne dans mon dos et mon cœur rate un coup alors que la joie l’inonde… J’essaie de me tempérer, il est peut-être venu me dire qu’il ne peut pas venir hein ? Au fond c’est tout à fait crédible, c’est tout à fait le genre de mon ami de venir s’excuser même s’il ne peut pas venir. Foutu défaitisme d’accord ? J’avais tort et je suis vraiment heureuse qu’il soit là.

« Salut ! » Ouai on a déjà fait mieux comme réponse, mais hey, c’est le matin ! « T’inquiètes, on est pas à dix minutes près ! »

Angie nous presse, heureusement qu’il y en a encore un qui se soucie du timing. Grâce à lui on ne loupera pas notre vol. Loin s’en faut. Je suis quand même soulagée de partir avec le blondinet. Sa présence familière est gage de sécurité, je crois. La voiture démarre et nous gagnons l’aéroport, on est juste mais on arrive à faire enregistrer nos bagages. Je suis assez dépitée qu’on me fasse enregistrer mon fauteuil comme bagage en soute et qu’on me force à prendre un fauteuil de « service »… Mais genre, déjà je n’ai pas pris le fauteuil de Mitsu pour éviter les problèmes à la douane… Putain !
Mais au moins on arrive à être juste dans les temps dans l’avions, enfin attachée je soupire d’aise, j’ai eu peur qu’on le loupe à un moment. Les embouteillages tout ça…

« On y est ! J’espère qu’on va bien s’amuser ! Oh regarde on décolle ! »

Je me penche sur lui pour regarder à travers le hublot toute excitée. Bonjour Ipiu, trois ans d’âge mental… On ne juge pas j’ai dit que c’était le matin...

Nathanaël avait été heureux de constater que son amie ne lui en voulait manifestement pas. Elle avait même semblé plutôt soulagée de le voir enfin arriver. Il en fut touché. Le Terre avait rapidement salué Charlie-Ange, avant de monter dans le taxi. Il avait été content de le revoir, mais n'avait pas entamé de discussion pendant le trajet. Il aurait certainement l'occasion d'aller le voir à son retour. Le Titan se promit de le faire, de s’octroyer du temps pour ça. Profitant du silence, il s'était permis d'observer la Tonnerre en coin. Même s'ils se voyaient souvent, à chaque fois qu'ils étaient tous deux à la bibliothèque en fait, il ressentait toujours ce même plaisir de la revoir. Il ne pouvait s'empêcher de la contempler discrètement, la trouvant toujours aussi belle. Il s'était demandé, un bref instant, si ce voyage ensemble était vraiment une bonne idée, mais il avait rapidement chassé ses craintes et ses doutes. Tout allait bien se passer et il ne souhaitait pas gâcher une telle opportunité de passer du temps avec l'Étoile.

A présent, les deux amis se trouvaient à l'aéroport, seuls. Comme le Terre n'avait pas l'habitude de ce genre d'endroit, il espérait qu'Ipiu serait plus à l'aise. Il se laissa guider. Tout se passa bien et étonnamment vite. Oh, la Sensitive râla bien un peu lorsqu'on lui demanda de changer de fauteuil pour mettre le sien en soute, mais ce fut tout. Nathanaël se contentait de sourire, à côté d'elle. Il savait qu'il ne servait à rien de discuter, alors il avait préféré ne pas intervenir. Ils finirent par arriver dans l'avion et furent bientôt assis et attachés. Le décollage n'allait pas tarder. Bien que le timing ait été serré, pas un instant il n'avait douté, pas un instant il avait imaginé qu'ils pourraient rater l'avion. Était-ce un trop plein de confiance en soi ou simplement la sensation de sécurité de ne pas être seul, d'être avec son amie ? Il n'aurait su le dire et, dans le fond, il s'en fichait. Le Titan entendit la jeune femme soupirer juste avant de la voir se pencher sur lui pour regarder à travers le hublot. Elle avait eu le siège côté couloir et c'était sans doute plus simple pour elle ainsi. Il n'avait pas proposé de changer.

Nathanaël sourit doucement et apprécia le doux parfum de la Sensitive. Il devait s'agir de l'odeur de son shampoing, sans doute. Il eut envie de lui caresser les cheveux ou simplement de passer son bras dans son dos, mais il se retint, préférant éviter des gestes de tendresse qu'elle n'apprécierait sans doute pas venant de lui. Il ne savait pas, dans le fond, comment elle réagirait, mais il préférait éviter de la brusquer, de lui rappeler trop brutalement ce qu'il ressentait pour elle. Il se demanda si, depuis le temps, elle avait remarqué que son cœur battait toujours un peu plus rapidement lorsqu'elle était auprès de lui. C'était certainement le cas, mais il ne s'en formalisait plus. Elle savait ce qu'il ressentait et l'acceptait, comme lui acceptait la situation sans essayer de la changer. Il y avait une sorte de statu-quo implicite entre eux.

Oui, je suis certain que ce voyage va être génial.

Il était heureux, simplement heureux, et cela se ressentait dans sa voix et pouvait se lire dans son regard. Il avait décidé de ne pas penser à ses cours pendant la durée du voyage et comptait bien tenir cette promesse silencieuse. Ils allaient s'amuser, profiter à fond de ce séjour.

Tu as prévu un programme ou on y va au feeling ?

Nathanaël, étant quelqu'un de très organisé, avait consulté des sites internet pour savoir ce qu'il y avait à voir à Singapour, mais il n'imposerait rien. De son point de vue, il n'était qu'un invité très chanceux. Il ne se permettrait pas d'interférer, sauf si Ipiu lui demandait directement son avis ou ce qu'il avait envie de voir. Son regard suivit celui de la jeune femme alors que l'avion prenait position sur la piste de décollage. Au loin, il put voir l'un de ceux qui venaient de prendre leur envol. Il rapetissait progressivement et ne fut bientôt plus qu'un point dans le ciel. Ce serait bientôt leur tour. Les hôtesses de l'air venaient de finir leurs explications, que l'universitaire avait écouté avec attention, on n'était jamais trop prudent. Il ne les vit pourtant pas s'asseoir et s'attacher, trop occupé à regarder son amie qui semblait toute folle à l'idée de voler. Lui-même ne ressentait pas d'excitation particulière vis-à-vis de cette expérience. Ce n'était pourtant que la deuxième fois qu'il prenait l'avion. Il aurait dû ressentir une certaine appréhension ou, au moins, l'effet de la nouveauté, mais non. Il était simplement serein et confiant. Le Titan savait à quoi s'attendre, se souvenait de la première fois qu'il avait quitté la terre ferme, pour venir à Terrae. Cela ne l'empêchait cependant pas de trouver son amie adorable. Le regard qu'il posait sur elle n'était que douceur et tendresse.

C’est la première fois que je pars en voyage avec un ami, alors bien entendu que je suis ravie ! Je crois que j’ai toujours aimé regarder par la fenêtre, mais je n’en suis pas certaine. Ça fait partie des choses que je découvre petit à petit. Partager ce plaisir avec Nathou le rend encore plus intense. Quand on est deux c’est toujours mieux. L’aile de l’avion s’incline par rapport à l’horizon, le soleil vient à peine de se lever et cette dernière est encore teintée de rose et les nuages qui la masquent semblent resplendir. C’est beau, magique, la ville rapetisse par le hublot et bientôt on découvre la campagne adjacente teintée de lumière.
L’avion continue son ascension, je sens sa poussée dans chaque fibre de mon corps sans pour autant sentir de vent sur mon visage. La sensation est agréable, toujours penchée au-dessus du jeune homme je m’extasie devant le paysage, mais en un instant il disparait je me redresse déçue et alors le soleil éclate et le ciel devient bleu, on vient de percer la mer des nuages et tout resplendit. C’est beau ! Je me tourne vers le blond avec un sourire qui dépasserait presque de mes oreilles. Je sais au fond que si je peux autant apprécier ce paysage c’est parce qu’il est là.
S’il n’était pas venu la pression qui pèse sur mes épaules depuis quelques temps ne se serait pas allégé. Même avec Aaron c’est difficile en ce moment, j’ai un peu de mal à accepter qu’il savait et ne m’a rien dit tout ce temps. Je comprends pourquoi il l’a fait, pour Tjay, mais je n’arrive pas à accepter. Je ne lui en veux pas vraiment, et pourtant… Pourtant j’ai besoin de prendre mes distances. Non, je ne veux pas penser à tout cela, je veux profiter du séjour avec mon ami sans me prendre la tête.

« En fait il y a quelques lieux auxquels j’avais pensé mais je n’ai pas fait de programme strict, je comptais faire à l’envie du moment. »

Il ne va pas apprécier, d’habitude il est plutôt carré dans ses réflexions, est-ce que partir à l’aventure même avec moi. J’ai peur de trop le sortir de sa zone de confort, et en même temps… Je n’allais pas faire un planning sans prendre en compte ses avis… Enfin j’aurais pu, mais cela aurait été comme convenir qu’il ne viendrait pas, et ça… je crois que ça m’aurait fait de la peine. J’préférais garder l’espoir, je ne voulais pas être défaitiste à l’avance… Et ça avait payé non ?

« Mais comme j’avais envie de faire un tour à l’aquarium de Sentosa j’ai pris des billets pour dimanche… Et on va même pouvoir nager avec des dauphins roses ! »

Oui j’avoue j’ai pété un câble quand j’ai vu que l’aquarium proposait ce genre d’activités. J’aurais voulu amener Blobby, il se serait trop régalé lui aussi ! Puis ils ont un programme pour permettre aux handicapés de nager aussi portés par des moniteurs. C’est juste trop super cool ! J’aurais grave été deg si je n’avais pas pu le faire ! Bon j’avais aussi voulu réserver pour me baigner avec les requins, mais il ne restait plus de créneau horaire libre sur ce wee, j’étais un peu blasée…

« Du coup je pensais qu’aujourd’hui on pourrait aller poser nos affaires à l’hôtel puis faire un tour dans les parcs, il y en a beaucoup de réputés, genre Garden by the bay, ou la Sungei Buloh réserve où il y a plein d’oiseaux ! Je suis certaine que le jardin botanique te plaira ! Ils ont des tonnes de fleurs d’espèces différentes !! »

En fait quand j’avais visité le site du jardin botanique je m’étais de suite dit que ça plairait à Nathou. C’était même à la base ce qui m’avait convaincu de l’inviter malgré que je connaisse son caractère casanier, enfin… avant tout ça, normalement j’aurais dû l’inviter bien en avance ! Juste ça m’était sorti de la tête…

« Et toi il y a des lieux que tu as envie de visiter ? »

Le connaissant, ça m’étonnerais pas qu’il ait fait quelques recherches malgré le manque de temps… Ce serait tellement son genre, j’aurais dû le faire marcher et lui faire croire que j’y allais totalement au feeling pour le taquiner. Je suis pas certaine qu’il n’ait pas fini par sortir de ses gonds devant mon manque d’organisation… Je souris pour moi-même, un Nathou qui sort de ses gonds… Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu ainsi. Etrangement, ce sont plutôt de bons souvenirs.

Pendant la prise d'altitude, les deux amis contemplèrent le paysage et sa beauté. Nathanaël sourit devant l'air brièvement dépité de la Tonnerre, lorsque l'avion traversa les nuages, masquant la magnifique vue que leur offrait la hauteur, puis devant son large sourire, quand ils purent découvrir le soleil illuminant la mer de nuage. Elle lui annonça alors qu'elle n'avait pas vraiment prévu de programme, mais qu'elle tenait à visiter quelques lieux intéressants. Il se contenta de hocher la tête, car il s'y attendait. En soi, cela ne le dérangeait pas plus que cela, même s'il préférait en général planifier les choses pour savoir à quoi s'attendre. L'imprévu avait quelque chose de déstabilisant, tout de même, mais se laisser de la marge lors de la planification d'un voyage leur permettrait une certaine flexibilité. Il pourrait profiter plus longtemps d'un lieu qui leur aurait plu, par exemple, ou se laisser tenter par une activité non planifiée. Il ne put cependant s'empêcher d'afficher un air un peu surpris, puis contrarié, lorsqu'elle lui parla d'aller nager avec des dauphins. Ce n'était pas l'activité qui l'embêtait, ce pouvait être une expérience intéressante et l'eau ne lui avait jamais posé problème, il était même plutôt bon nageur... Non, ce qui le tracassait, c'était qu'il n'avait pas de short de bain. Lorsqu'il était venu à Terrae et avait fait son sac, cela n'avait pas été l'une de ses priorités et depuis, il n'en avait pas eu besoin et n'en s'en était donc jamais racheté un.  Le Titan chassa ces pensées pour se concentrer sur les propos de la Sensitive, car il aurait le temps d'y réfléchir plus tard. Il retrouva le sourire au fur et à mesure de son discours. Oui, visiter des parcs et des jardins lui plairait énormément, à n'en pas douter. Il se permit un instant de réflexion avant de répondre.

J'avais aussi pensé aux parcs et au jardin botanique. Cela me plairait effectivement d'aller les voir. J'ai vu qu'il y avait aussi quelques musées, mais comme les prévisions météo sont plutôt bonnes, je trouverais dommage qu'on aille s'y enfermer.

Nathanaël se tut un instant.

Il serait aussi intéressant de simplement se balader dans la ville pour s'imprégner de l'atmosphère et la culture, en quelques sortes. Je ne sais pas ce que tu en penses... ? Le but n'est évidemment pas d'arriver éreintés le soir...

Cette dernière réflexion visait, en fait, plus Ipiu que lui-même. Si visiter une ville pouvait être une activité fatigante, le faire en fauteuil roulant n'était certainement pas une mince affaire. Il pourrait bien proposer à son amie de la pousser, mais il n'était pas certain qu'elle accepterait. En attendant, il avait glissé un mot sur le sujet, en prenant soin de s'y inclure pour ne pas risquer de la vexer, au cas où.

À présent que l'avion avait atteint l'altitude de vol et s'était stabilisé, les hôtesses de l'air commençaient à servir les passagers. Le symbole indiquant aux gens d'attacher leur ceinture s'était éteint quelques minutes plus tôt, accompagné d'un signal sonore. Le Terre ne comptait pas se détacher sans raison particulière, car cela ne le gênait pas pour le moment.

Le petit-déjeuner est compris dans le prix du billet d'avion ?

Nathanaël indiqua de sa main le plateau-repas que chaque passager recevait. Il avait de la chance, si c'était bien le cas, puisqu'il n'avait rien eu le temps de manger à cause de son réveil tardif. Heureusement qu'il n'était pas du genre à être de mauvais humeur s'il devait sauter un repas...

« S’enfermer dans un musée, quelle idée ! On s’y évade plutôt ! »

Un musé c’est un peu comme un livre. On peut l’aimer ou pas, apprécier l’univers ou pas… Mais on ne devait pas y rester enfermé. Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas les musés historiques. Ils ne montrent qu’une seule histoire et ne laissent pas le choix de l’interpréter. C’est trop strict ? Je préfère l’art, peut-être que l’art moderne nous laisse trop libre d’interpréter et ne veut plus rien dire par lui-même, peut-être que les histoires de l’art figuratif sont dépassées… Mais j’aime ces musés où mon esprit peut vagabonder…

« Mais tu as raison, s’il fait beau je préfère profiter du soleil… »

Et puis profiter de la culture et de l’ambiance d’une ville est quelque chose d’agréable. Je suppose. Je ne pense pas l’avoir déjà fait, ce sera une première. L’idée me plait beaucoup, profiter tout simplement du temps ensemble. C’est un bon programme non ?

« Même si on arrive claqués le soir, tant qu’on s’amuse bien moi ça me va ! »

Je crois qu’enchainer activités sur activité est reposant car ça nous sort du quotidien. Le but d’un voyage ce n’est pas nécessairement de se reposer au sens propre c’est surtout de s’aérer l’esprit. Penser à autre chose, vivre autre chose et ne pas trouver le temps de penser. Tout ça me semble des plus agréables…

« Je crois que oui, attend je demande… Pardon mademoiselle ? »

Pourquoi les hôtesses de l’air sont toutes des femmes ? J’avoue qu’elles sont plutôt mignonnes dans leurs uniformes noirs limés, mais j’aurais apprécié un peu de diversité dans le déhanché. Enfin, l’hôtesse se tourne vers moi, je lui demande donc :

« Le petit-déjeuner est-il compris dans la prix du billet ?
- Oui, ainsi que le déjeuner.
- Je vous remercie.
- Avec plaisir. »

Je n’aime pas cette phrase commerciale que toutes les hôtesses de celles de l’air à celles d’accueil répondent machinalement sans y penser. Un « De rien » me conviendrait, mais des commerciaux ont du calculer qu’ils feraient plus de profits ou inciteraient plus le client à revenir avec « Avec plaisir. » Comme si cela leur faisait réellement plaisir de répondre aux questions les plus débiles des avec le sourire. Enfin, je ne vais pas changer le monde. Je vais juste continuer à râler dans ma tête en me disant que ce n’est pas juste du tout.

« Café, thé, lait, jus d’orange ou de pomme ? pain au lait ou brioche au chocolat ? »

Oh trop de choix, je suis perdue… Que demander, d’habitude je suis plus café mais là ce sont les vacances. Je peux prendre autre-chose, genre euh du jus de fruit ? C’est bien le jus de fruit, c’est sucré ça a goût à vacances et euh… De la brioche. C’est bien la brioche, c’est sucré ça a goût à vacances… Okay c’est officiel, je ne sais pas comment me comporter en vacances. J’ai demandé du jus de pomme alors que je n’aime pas ça parce que j’ai paniqué. Il y avait trop de choix aussi quoi, c’est pas ma faute. Je ne suis ni nulle ni débile. Je laisse Nathou passer commande et quand elle nous passe nos plateaux je regarde avec suspicion le jus aux reflets ambrés et le déplace dans le coin le plus éloigné de moi comme s’il pouvait me contaminer.

« On en a encore pour un bon moment dans l’avion… ça te dit une partie d’échecs ? »

Je sors de ma poche un set de jeux de sociétés de voyage en bois. J’l’ai trouvé il y a deux jours en ville et j’ai de suite vu tout son potentiel. La petite boite rentre dans la poche de mon manteau ET contient un jeu de l’oie, un jeu de petits chevaux, un jeu d’échecs et un jeu de dames. Ce truc c’est du pur géni ! Bon après j’admets que les pièces sont un peu petites… Mais c’est mieux que de passer notre vol chacun à lire dans notre coin hein ?

Nathanaël retint un éclat de rire face à la réaction de son amie lorsqu’il lui parla d’aller s’enfermer dans un musée. Il comprenait parfaitement son point de vue, même si lui n’avait jamais rien senti de particulier en observant une peinture par exemple. Sa mère et son petit frère, par contre, pouvait passer plusieurs dizaines de minutes devant une toile. Lui avait un esprit bien trop cartésien pour se laisser toucher par des formes et des couleurs. C’était peut-être aussi pour cela que la musique lui parlait tant. Après tout, il s’agissait de structures logiques, de répétitions, de rythmes, même si ce qu’il éprouvait en jouant l’avait toujours un peu surpris. Pour en revenir au musée, il appréciait cependant particulièrement ceux d’histoire ou d’histoire naturelle.

Il se contenta de hocher la tête en souriant lorsqu’Ipiu le rejoint sur l’idée de profiter du soleil. Le Terre la laissa ensuite demander à une hôtesse de l’air si le petit-déjeuner était compris dans le prix du billet, ce qui s’avéra être le cas. Il ne put s’empêcher de sourire, heureux de cette bonne nouvelle. La Tonnerre commanda en premier, lui laissant le temps de réfléchir à ce qu’il désirait manger.

Bonjour, ce sera un jus d’orange et un pain au lait pour moi, s’il vous plaît.

Le jeune homme observa, étonné, son amie éloigner d’elle son jus de pomme avec un certain dégoût. Pourquoi avait-elle demandé cela si elle ne l’aimait pas ? Il la regarda un instant interdit, puis sourit. Il ne lui poserait aucune question, mais pouvait peut-être l'aider.

On peut échanger, si tu préfères le jus d’orange. J’aime les deux, alors cela ne me gênerait pas.

Sans attendre sa réponse, il avait déjà saisi son jus d’orange et le lui tendait pour lui montrer qu’il ne plaisantait pas et qu’elle n’avait aucune raison de refuser si ce jus lui convenait mieux que le sien. Nathanaël observa la Sensitive sortir le set de jeux de sociétés de sa poche. Une partie d’échec ? Il n’y avait pas joué depuis des années. Il connaissait les règles, évidemment, mais n’avait pas suffisamment d’expérience pour se considérer comme un bon joueur. Il avait, bien entendu, l’avantage d’avoir une logique et une vision de l’espace assez développées, mais il savait que cela ne suffisait pas. Les rares fois où il y avait joué, c’était avec Matt, lorsque ce dernier avait découvert ce jeu. Ils avaient cependant rapidement arrêté de jouer ensemble. Son petit frère, étant assez mauvais perdant, avait compris qu’il ne devait pas jouer contre son surdoué de frère s’il voulait gagner. Nathanaël eut un léger sourire en y repensant.

Oui, avec plaisir !

Il se fichait pas mal de perdre face à la Tonnerre, car il se doutait que c’était ce qui allait arriver. Il ne voulait pas qu’il y ait de la compétition entre eux. Il s’agissait simplement de passer un bon moment ensemble, de rire peut-être. Le Titan aida son amie à préparer le jeu. Les pièces étaient assez petites, ce qui n’était pas particulièrement pratique, mais il apprécia le défi. Une fois le jeu prêt, il afficha un large sourire.


Les dames d’abord.

Il n’était pas certain qu’Ipiu appréciait cette remarque, considéré par certains comme sexiste, mais lui trouvait cela drôle dans ce contexte, étant donné qu’elle possédait les pièces blanches et que, par conséquent, c’était effectivement à elle de commencer. Il profita de l’attente pour manger une morce de son pain au lait. Qu’est-ce que cela faisait du bien de manger !

Il aime les deux ! Qu’une bonne nouvelle, moi qui croyais que j’allais devoir regarder mon verre de jus de pomme en chien de fusil jusqu’à ce qu’il ait la bonne idée de fuir ! Je suis certaine qu’il est super sucré, pas du tout acide, et bien écœurant. Tout ce qu’il faut pour déplaire, j’me voyais déjà faire attention à ce qu’il ne se renverse pas tout le long du vol… Ou du moins jusqu’à ce que l’hôtesse revienne… Si encore j’étais mobile, j’aurais pu aller le verser discrètement aux WC… Les WC… Merde, on a neuf heures de vol minimum, j’vais devoir faire deux sondages… NOPE. No way, je suis en vacances, j’irais aux chiottes quand on atterrira. C’est bon, c’est pas parce que j’prends des largesses une fois que j’vais clampser. Par contre, je pousse mon verre en souriant vers mon ami :

« Cool ! Comme ça tu vas pouvoir boire les deux ! »

Je n’avalerais pas une goutte de liquide avant qu’on n’ait atterri ! Je pourrais prétendre que j’ai fait exprès de prendre quelque-chose que je n’aime pas pour ne pas être tentée de le boire en plus. Non, no way, j’expliquerais JAMAIS ça à Nath, JAMAIS.

J’vois son regard devenir flou un instant quand je lui propose une partie d’échec. Je sens que ce n’est pas moi qu’il regarde mais un souvenir, un bon souvenir puisqu’il lui met le sourire aux lèvres. L’impression disparait et il me répond que ce sera avec plaisir.

« GENIAL ! En fait je n’ai jamais joué contre quelqu’un… Enfin quelqu’un de réel, j’ai fait quelques parties sur le net… »

J’ai appris à jouer contre des logiciels, certains pointus, d’autres moins. Le but était de nous faire maitriser les bases d’une stratégie simple et de nous apprendre à avoir plusieurs coups d’avance sur nos adversaires… Mais c’est la première fois que je joue avec des pièces en trois dimensions. J’imagine que la vie est faite de premières fois, et c’est cool d’en partager avec ses amis !
Les pièces ne sont pas pratiques du tout, le plus complexe pour tout mettre en place, c’est du travail d’orfèvre à peu de choses près. Nous nous débrouillons plutôt pas mal j’dois dire, les pièces étant toutes plus petites que la plus petite de mes phalanges. En mobiliser une n’est pas si compliqué en réalité, mais toutes les aligner… On gère !

Je tourne le plateau pour avoir les blancs face à moi. Je connais plusieurs ouvertures, mais j’ai pas envie de réfléchir trop longtemps, si j’le prends trop au sérieux ça va être lourd j’en suis certaine. J’ai juste envie de m’amuser, alors je joue un coup au pif. Cela fait un moment que je ne râle plus aux marques de galanteries de mon ami, je sais qu’il ne le fait pas en me pensant inférieure… Donc je ne mors pas… Mais quand même c’est triste qu’on ait encore besoin de galanterie de nos jours. J’aimerais que tout soit… Plus parfait ?

Les pièces avancent sur l’échiquier et peu à peu nous devons prendre plus de temps pour réfléchir au tour suivant, des stratégies se créaient dans nos esprits et s’effondrent sous les coups de l’adversaire. Je joue un peu au hasard au début, pour voir comment Nath va réagir… J’essaie de trouver sa part d’aléatoire dans le jeu comme je le faisais avec les logiciels. Il joue bien, il est prudent et réfléchi. Il surveille ses arrières.

« Pas mal ! » je le félicite pour un coup auquel je ne m’attendais absolument pas. Je ne l’avais pas envisagé car il ne semblait pas utile dans l’immédiat, mais pouvait s’avérer intéressant plus tard dans la partie.

Nathanaël n'avait pu retenir un air surpris lorsque son amie avait annoncé, manifestement heureuse, qu'il pourrait boire les deux boissons. Il ne s'était pas attendu à cela, il devait l'avouer, et avait hésité un instant avant d'accepter. Il n'allait quand même pas la forcer à boire quelque chose qu'elle n'aimait visiblement pas ! Elle commanderait sans doute autre chose plus tard. Après tout, c'était une grande fille et elle savait ce qu'elle faisait. Le Terre s'était donc retenu de faire une remarque et avait fini par prendre le verre de jus de pomme en la remerciant. Il avait ensuite souri face à l’enthousiasme d'Ipiu pour leur partie d'échec. Ils s'étaient donc activés à mettre en place les pièces et elle avait commencé, sans faire de commentaire sur la petite réflexion du jeune homme. Il ne put s'empêcher de sourire, remarquant quand même que la taquinerie avait eu un effet. Elle n'appréciait pas, c'était une évidence, mais ne relevait plus.

La partie commença alors. Si le Titan avait été un peu plus expert dans l'art de jouer aux échecs, il aurait rapidement compris que son amie ne suivait pas une stratégie préétablie, mais jouait plutôt à l'instinct, car elle n'avait pas choisi une ouverture classique. Cependant, comme il ne s'était jamais vraiment renseigné sur le sujet, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'en sut rien. Lui aussi jouait à l'instinct et cela devait se voir, même s'il établissait une stratégie au fur et à mesure, observant le plateau, analysant les déplacements de toutes les pièces afin de choisir un mouvement qui semblait adéquat et tâchant de prévoir ce qu'elle allait jouer. Cependant, il ne prenait pas trop de temps avant de déplacer ses figurines. Après tout, il ne s'agissait pas d'une compétition, juste d'une partie entre amis. Il ne pouvait pourtant pas se rétenir de réfléchir à toute vitesse. Il avait un jeu prudent et réfléchi, mais cela ne l'empêchait pas de semer quelques embûches sur le plateau. Parfois, en effet, il mettait délibérément en danger l'une ou l'autre de ses pièces moins importantes, la sacrifiant, pour voir si la Tonnerre mordrait à l'hameçon et la prendrait, ce qui lui permettrait ensuite de lui voler la sienne. Elle tombait cependant rarement dans le panneau ce qui le faisait sourire à chaque fois.

Soudain, Nathanaël aperçut un déplacement  qui pourrait lui rendre un grand service sur le long terme. Il décida donc de déplacer son dernier cheval vers la partie gauche du plateau, dans un endroit sûr en attendant que son adversaire bouge ses pièces et soit suffisamment proches. Il fut surpris d'entendre Ipiu le féliciter. Il sentit une douce chaleur l'envahir, la fierté de l'avoir étonnée. Le sourire qui illumina son visage dût certainement trahir ce qu'il ressentait. La partie continua et le Terre sût assez rapidement comment elle allait se terminer, enfin il le pressentait. Il aurait d'ailleurs pu assez tôt arrêter le jeu, annonçant le résultat sans le jouer, mais préféra attendre et profiter de cet exercice et ce moment partagé jusqu'au bout. La Sensitive jouait vraiment bien et c'était un réel plaisir d'avoir un tel adversaire en face de lui. Les pièces tombaient les unes après les autres, les stratégies étaient affinées, déjouées, reconstruites, modifiées et, finalement, il lâcha un petit rire.

Partie nulle. Enfin, sauf si tu vois quelque chose que je ne vois pas, bien sûr.

Le Titan profita de ce petit répit pour boire une gorgée de jus d'orange et manger une nouvelle morce de son pain au lait auquel il n'avait pas touché de toute la partie, bien trop concentré, malgré lui. Il prit aussi la décision d'enlever ses chaussures, notamment pour laisser respirer son orteil meurtri. Le jeu lui avait fait oublier ce détail, mais à présent que, selon lui du moins, la partie était terminée, la douleur faible, mais constante, se rappelait à son bon souvenir. Il avait pensé à prendre un tube de pommade dans sa valise en soute. Cela avait certainement plus un effet placebo qu'autre chose, mais le froid appliqué sur la peau calmait généralement la douleur. Évidemment, il pouvait aussi simplement se concentrer pour oublier ce qu'il ressentait, comme il l'avait appris lors de ses entraînements, mais il n'était pas certain que cela en vaille la peine dans le cas présent.

Les hôtesses de l'air recommençaient à passer dans les rangs pour prendre les plateaux lorsque les passagers avaient terminé leur petit-déjeuner, satisfaisant leur moindre désire. Nathanaël se dit qu'elles avaient tout de même bien du courage de faire ce métier, en les voyant déambuler dans l'allée, amener un café par ici, un pain au chocolat par là. Les gens aussi s'activaient, certains se levaient pour se dégourdir les jambes ou simplement aller aux toilettes. Il y avait quelques enfants dans l'avion, mais ces derniers étaient plutôt calmes pour le moment. Le Terre finit par reporter son attention près de lui et reprit son verre de jus d'orange pour le terminer. Malheureusement pour lui, ce fut à ce moment précis que l'avion subit une turbulence. Le reste du liquide vint finir son parcours sur son pull et son pantalon.

Mince !

Et oui, en présence de son amie, Nathanaël était redevenu poli et courtois, un jeune homme bien comme il faut, malgré son air soudain renfrogné... Il y eut bientôt un petit signal sonore et le voyant indiquant aux passagers de rattacher leur ceinture s'illumina.

Hrp:

En fait jouer contre un adversaire de chair se trouve finalement autrement plus passionnant que ce à quoi je m’attendais… La partie m’intéresse moitié moins que les expressions de mon comparse, j’essaie de prévoir ses coups non pas aux précédents ou aux stratégies qu’il construit et affine peu à peu, mais aux traits de son visages. Moi qui croyais le connaitre ! Il me surprend un coup sur deux, et agréablement… J’imagine que je dois me reconcentrer sur la partie, ce serait plus cool de ma part que de continuer mes petits coups rapides… Mais, mais ce serait bien moins passionnant. C’est cool de jouer aux échecs avec un ami quand même ! Bon après c’est clair qu’on va s’ennuierait peut-être sans ça… En même temps je nous voyais mal passer tout ce temps à nous tourner les pouces… On aurait pu parler, je ne doute pas qu’on ne se serait pas ennuyés, mais j’aime pas tellement avoir de « grandes » conversations en public, j’aime pas être interrompue. J’suis égoïste vous croyez ? J’aime pas partager mes conversations avec des inconnus.
Du coup j’ai prévu des échecs ET j’ai mis deux films sur mon téléphone portable. (il n’avait pas assez de mémoire pour plus… Mais dans l’absolu j’préfère jouer aux échecs !)
Oh, tiens en parlant d’échecs, on va vers le mur, d’ici deux trois coups le pat deviendra la solution la plus plausible. Hm. J’prends le risque de faire un coup foireux qui retourne la partie dans un sens… ou dans l’autre s’il me voit venir ? Hm.

« Yep, j’ai encore un coup à jouer ! »

J’ai pas envie d’une partie exæquo ! Faut savoir être sport de temps en temps… Mais Mon coup imprudent ne passe pas inaperçu et Nath prend finalement le dessus.

« Que ce soit clair, je ne t’ai pas laissé gagner… J’ai essayé de t’arnaquer avec un petit coup en douce ! »

Autant clarifier les choses avant les récriminations, s’il avait pas capté rapidement où je voulais en venir j’aurais gagné. Je me suis mise en danger pour monter une stratégie, mais il a profité de l’occasion. Heureusement qu’on ne jouait pas au poker… J’ferais vraiment une mauvaise joueuse de poker maintenant je croie. Avant… Non, je n’ai pas envie de parler d’avant. Les temps changent, et moi aussi j’ai changé.
Nathou se met à l’aise, héhé, il retire son masque de monsieur parfait et prend le risque de puer des pieds ? J’hésite un instant à le taquiner sur le sujet puis m’en abstient quand un fond de jus d’orange vient entacher son humeur autant que son pull. Je sais je ne devrais pas, mais je ne peux retenir un rire bête. Sérieusement ? En même temps je n’allais pas faire la gueule… Il est tellement poli que j’suis presque étonné qu’il n’ait pas lâché un « diantre »… Un « mince » dans sa bouche sonne j’imagine de la même manière qu’un « merde » dans la mienne… Il est vraiment agacé.

« Désolée ! »

Il me fusille pas du regard là ? Il rattache sa ceinture alors que je lui tends ma serviette en papier. Je n’avais pas défait ma ceinture car ne la sentant je ne m’étais pas rendu compte qu’elle était encore là… Elle n’est pas assez serrée mais je ne plains pas !

« J’imagine que ce n’est pas de dire que j’ai des mouchoirs dans mon sac à mains… Dans le porte bagage… »

Non c’est pas le moment et tu parles pour ne rien dire ma grande, tu devrais te taire ça t’irait bien. Mais en même temps

Nathanaël avait été un peu surpris lorsque son amie lui avait annoncé avoir encore un coup à jouer. Il avait été intrigué, très désireux de voir quel déplacement il n'avait pas envisagé et le résultat l'avait un peu déçu, il devait bien l'admettre. En fait, elle le laissait juste gagner, c'était ça ? Il avait même hésité à profiter de l'ouverture offerte, mais s'était finalement « résigné » à gagner. En soi, il aurait de loin préféré que la partie reste nulle. Ipiu s'était cependant dépêchée de clarifier les choses. Il avait reposé ses yeux sur le jeu, cherchant à comprendre. Oui, le coup qu'elle avait joué n'était pas des plus évidents et aurait pu le prendre par surprise, s'il ne s'était pas appliqué à étudier toutes les possibilités envisageables, même les moins probables. Aussi, il avait laissé un sourire se dessiner sur son visage avant de se mettre à l'aise. Et puis, il y avait eu le drame... du jus d'orange sur son pull et son pantalon. L'humeur du Terre s'était instantanément détériorée, comme celle de certains passagers en entendant le signal indiquant aux gens de regagner leur place et de rattacher leur ceinture, mais pas l'humeur de la Tonnerre, manifestement. Il avait entendu le rire de son amie, mais, au lieu de la fusiller du regard, il avait forcé un sourire. Il aimait toujours l'entendre rire, même si, en l’occurrence, c'était à ses dépends. Il ne lui en voulait pas, la situation avait de quoi être comique, dans le fond, sauf pour lui. Il l'a remercia d'un hochement de tête pour la serviette et commença à éponger le liquide sur son pull et son pantalon comme il le pouvait, maugréant silencieusement sa bêtise. Heureusement qu'il avait prévu des vêtements de rechanges dans sa valise, mais il devrait attendre d'arriver à l'hôtel ou de trouver un vestiaire à l'aéroport de Singapour, autant dire, que ce n'était pas pour tout de suite. Ils avaient encore plusieurs heures de vol de prévu.

Eh bien, merci pour l'information, mais tant qu'on ne peut pas se lever, cela ne m'ait pas très utile...

Le Terre lâcha un petit rire gêné, ne sachant pas trop comment interpréter le commentaire de son amie. Il prit le risque de boire d'une traite le jus de pomme qui restait encore sur sa tablette, puis releva cette dernière, après avoir fini son pain. Miraculeusement, aucun nouvel incident ne fut à déplorer. Il plaça les gobelets vides et la serviette humide dans la poche devant lui, à côté des magasines et autres documents de la compagnie aérienne. L'avion fut à nouveau secoué ce qui augmenta la tension parmi les passagers. Nathanaël ne comprenait pas pourquoi les gens craignaient tant que cela quelques turbulences, alors qu'elles ne représentaient pas un vrai risque. La chance qu'un avion s'écrase revenait à quelque chose comme une chance sur plus d'un million et sur les crashs ayant eu lieu, ceux dus à la météo ne constituait que cinq pourcent. Autant dire que l'avion était l'un des moyens de locomotion les plus sûrs au monde, alors cela ne servait à rien de s'épouvanter parce que l'avion traversait un trou d'air, ce qui, de plus, était tellement courant qu'il n'y avait vraiment rien à craindre de ce côté-là. Les erreurs humaines étaient la principale raison d'accident. Un enfant se mit cependant bientôt à pleurer. Nathanaël tâcha de ne pas penser à ce qui allait arriver si le bambin continuait à crier... à la réaction des autres, l'effet en cascade.

Il reporta son attention sur son pull souillé et décida de l'enlever. Peut-être que son T-Shirt avait été épargné ? Une fois enlevé, dévoilant ses bras bien musclés par son travail de jardinier, il hésita, ne sachant pas trop quoi faire de son vêtement. Il décida de coincer le haut de l'habit entre la tablette et le siège devant lui. Peut-être que pendu ainsi, il sécherait plus vite. Comme Ipiu était encombré par sa brioche et le jeu d'échec, il se chargea de remonter sa tablette pour elle, mesure de sécurité oblige. Une fois que tout était en ordre, il lâcha un soupir et se força à sourire. Allez, il n'y avait pas eu mort d'homme, juste une belle tâche sur son pull, heureusement qu'il n'avait pas mis celui qu'Ipiu lui avait offert !, et son pantalon était mouillé, mais cela ne se voyait pas comme il en avait choisi un noir ce matin-là. Il reporta alors enfin son attention complète sur son amie.

Est-ce que tu aimerais recommencer une partie malgré les turbulences ou tu préfères faire une pause pour le moment ?

Les gens s’agitent. Je sens la peur autant que la tension dehors, c’est bizarre, ce n’est même pas un gros orage… J’ai envie de leur dire qu’ils ne craignent rien, mais je pense que j’les stresserais plus qu’autre-chose si je leur disais que je le sais car je le sens… Ce serait une manière comme une autre de passer pour une folle à lier et de les tendre encore plus. Je lâche un soupir, j’aimais l’orage avant même de devenir tonnerre… Enfin je crois, je ne suis pas certaine de qui j’étais avant… Mais j’ai l’impression d’avoir toujours été fascinée par le déchainement des éléments, j’ai la sensation que les orages étaient rare dans la région où je suis née et qu’on se faisait toujours une fête avec mon frère de les regarder…

Merde. MERDE.

Autant dire que je ne voulais pas penser à lui. A ce peut-être, à ce… Il qui me demande d’être elle. A ces questions auxquelles je n’ai pas de réponse. PUTAIN. J’avais dit que j’oubliais, que j’pensais à autre chose pour le wee et que j’aviserais plus tard. Je sais je fuis, mais j’ai peur MERDE. Les gens me définissent plus que je ne le fais moi-même, j’en ai conscience. Je sais que même si c’est pas tout à fait volontaire, j’essaie de rentrer dans des cases en fonction des personnes avec qui j’me trouve.
Alors s’il est vraiment mon… Enfin, s’il est qui il dit être, comment je devrais me comporter avec lui ? Je le connais pas, j’ai peut-être toujours dit que je voulais être moi et pas un produit créé par le Centre, mais… Moi je suis qui ? Je ne suis clairement pas la personne qu’il s’attendait à trouver. Qui de nous deux j’vais le plus décevoir… Non, qui de nous deux j’ai déjà le plus déçu ? J’ai failli le tuer. LE TUER. Bordel. J’suis conne, j’ai failli tuer un type de sang froid. Quelle gourde… Et maintenant ? Je ne sais juste plus où j’en suis…

Je me crispe un instant, puis mon regard rencontre celui de Nath qui me demande si je veux continuer à jouer… Et je me rends compte que j’étais tellement crispée que j’ai arrêté de respirer. Quelle conne je fais, je respire à pleins poumons et je souris pour me donner bonne figure. Essayons de penser à autre chose ! On avait dit que c’était wee détente entre amis ! Alors je vais me reposer et profiter de Nathou, ou plutôt profiter avec Nathou ! Parce que je vous vois venir avec vos esprits tordus, bande de lecteurs bizarres, j’préfère préciser avant qu’on me tombe dessus.
J’ai repris mes couleurs normales, je crois, et je lui réponds guillerette :

« Ça risque d’être relou de jouer dans ses conditions… ça te dit un film ? »

Je sors mon portable toute fière, après tout j’ai réussi à prévoir les choses à l’avance, ET j’ai pensé à le mettre en mode avion avant de monter à bord. J’vous l’ai jamais dit, mais en vrai je suis géniale ! Bon, j’admets il m’en faut décidément bien peu pour m’auto-congratuler :

« TADAM ! J’ai enregistré dessus Zootopie (Aria m’a un peu beaucoup bassiné avec… Mais faut pas le dire…) et le dernier Star Wars, j’ai pas eu le temps de le voir… »

J’ai peut-être un peu des goûts grand public, mais bon j’avais pas envie de m’endormir comme la précédente fois qu’on a regardé un film. J’ai encore honte. C’est pas cool de transformer mon ami en oreiller. Surtout que je suis persuadée que je bave ou ronfle dans mon sommeil. Peut-être même les deux en fait. Je crois que je crains… Mais c’est pas grave !

Nathanaël perçut le malaise de son amie. Elle était tendue, semblait même s'être arrêtée de respirer. Elle finit cependant par reprendre son souffle lorsque leurs regards se croisèrent. Il pinça les lèvres, soucieux. Son sourire ne le trompait pas. Quelque chose clochait, mais elle essayait de faire comme si de rien n'était. Avait-elle peur des turbulences ? Non, cela paraissait hautement improbable... enfin, il trouverait cela étrange de sa part, mais comme les peurs sont irraisonnées par définition, peut-être... Le Terre persistait pourtant à penser qu'une telle réaction de sa part ne pouvait pas être expliqué de la sorte. Peut-être souffrait-elle ? Il ne lui avait pas trop posé de questions sur les impératifs liés à son handicape. Il s'était un peu renseigné dans des livres de médecine, mais n'avait pas voulu trop entrer dans les détails. Il n'était de toute manière pas qualifié pour l'aider. Il pourrait lire tous les livres qu'il voulait, cela ne changerait rien, alors le jardinier de Terrae préférait ne pas trop creuser de ce côté-là, ne pas être trop envahissant. Elle n'avait, au fond, pas besoin de lui. Elle était indépendante et y tenait. Il n'avait pas le droit de lui enlever cela, alors il essayait de ne pas trop se faire de soucis, bien que cela ne soit pas facile.

Le jeune homme fut cependant sorti de ses pensées par la voix guillerette de la Tonnerre. Cette dernière sortit alors fièrement son portable avant de lui annoncer les films à l'affiche. Elle ne voulait manifestement pas qu'il lui pose de questions. Ipiu avait certainement compris qu'il avait remarqué son trouble et elle essayait de donner le change, passait à un autre sujet pour oublier tout cela. Le Titan ne put cependant pas le faire tout de suite. Il devait lui rappeler quelque chose, pour être sûr.

Tu te souviens, on s'est promis d'être sincère l'un envers l'autre..., tu sais que tu peux tout me dire s'il y a un problème, pas vrai ? Je ne te force pas, évidemment, mais je suis là pour toi, toujours.

Il laissa un sourire doux se dessiner sur ses lèvres, bien que son regard criait son inquiétude pour elle, mais, comme il l'avait dit, il ne la forcerait pas à parler. C'était une promesse qu'il s'était faite dès le départ et il ne la romprait pas, même s'il devait souffrir de ne pas savoir ce qui se passait et continuerait probablement à s'inquiéter. Pour lier l'action à la parole, il se concentra alors sur le portable de son amie, lui laissant la possibilité de ne pas revenir sur le sujet si elle ne le souhaitait pas, comme il le pressentait.

Je n'ai vu aucun des deux films que tu me proposes. Je connais un peu l'histoire des précédents Star Wars, dans les grandes lignes, c'est tout. Zootopie par contre, je ne connais pas du tout. Qu'est-ce que c'est ? Cela parle manifestement d'un lieu où il y a des animaux... mais je ne pourrais pas en dire plus...

Nathanaël avait suffisamment étudié le grec pour déterminer l’étymologie de ce nom, mais cela ne l'avançait pas beaucoup plus. Il espérait qu'il s'agissait d'un film intéressant. Il devait avouer que de regarder Star Wars ne l'enchantait pas plus que cela. Il trouvait l'histoire assez basique, mais ce qui le gênait le plus, c'était toutes les erreurs scientifiques commises dans cette série de longs métrages. Il y avait vraiment de trop grosses incohérences. Pourtant, pour son amie, il ferait n'importe quoi. Alors, si elle voulait le voir, il le regarderait avec elle sans broncher. Peut-être prendrait-il même du plaisir à partager cela avec elle. Il pourrait être surpris pas le dernier opus. Peut-être même qu'ils pourraient en discuter après ? Il ne fermait aucune porte, trop heureux, déjà, d'être simplement là, avec elle.

Je pose ma tête sur ton épaule, je suis lasse. Je sais que tu as besoin de savoir, mais que puis-je dire ? Les mots n’ont pas de sens, et je n’ai pas le recul nécessaire pour leur en donner. J’suis pas douée pour parler des choses qui font mal, et là… Je ne sais même pas si ça fait mal. J’ai peur que ça fasse mal plus tard, comme un vieux sparadrap qu’on retire. J’ai peur de croire… L'espoir fait mal quand il est déçu.
J’aurais pu tout te dire, tout te raconter, me reposer sur toi comme j’en ai l’habitude, mais permets moi d’être égoïste encore et toujours plus. Laisses-moi oublier le temps d’une trêve. J’ai mes démons, tu le sais, tu les connais et tu ne me rejettes pas. Alors je sais que tu ne me rejetteras pas cette fois encore, mais j’ai peur Nath. J’ai peur de la fille que je suis, de celle que je pourrais devenir si tout ça était vrai. Alors j’veux juste profiter de l’instant, parce qu’avec toi tout est simple, j’me demande pas qui je suis, je suis. Sauf que ça je ne te le dirais pas, j’oserais jamais, ça fait partie de mes secrets. Tu me fais être.

« Je t’en parlerais, un jour, mais pour l’instant laisses moi juste profiter du temps qu’on passe ensemble. Je fuis peut-être… mais je ne veux pas y penser, je veux juste profiter. »

J’ai l’impression d’être redondante, mais qu’importe, je veux juste qu’il me comprenne. Pas aujourd’hui. Pas alors qu’on est partis s’amuser, je veux rire, je veux pleurer, je veux me sentir vivre. Je ne veux pas me soucier du passer, ou du futur. Je veux vivre au présent, et si c’est fuir… Tant pis. Je ne suis pas quelqu’un de courageux, je suis quelqu’un de stupide. Je ne comprends pas pourquoi tant de personnes confondent les deux.
Je reste comme ça et je continue à te parler, doucement. Je n’aime pas les avions et cette proximité entre les gens, je n’aime pas l’idée qu’on puisse nous entendre ou nous écouter… Mais ce n’est pas cela qui m’a poussé à éluder ta question, malheureusement.

« Zootopie c’est un dessin animé, je ne sais pas exactement de quoi ça parle mais d’après Ariana : C’est une histoire policière avec un lapin et un renard et c’est vraiment trop choubidou ! »

J’essaie d’imiter la voix veloutée de la rousse, son accent chaud aux couleurs de Séville. Elle c’est quelque-chose, cette fille est tarée. Oui tarée, dans le sens où j’ai des photos d’une soirée bulle qu’elle aurait organisée dans les dortoirs des eaux… Où il y a des… chevaux. DES CHEVEAUX LES GENS ? En vrai faut trop que j’arrive à avoir une interview pour le prochain journal !

« J’ai plus envie de voir Zootopie, si ça te va… Après vu la longueur du trajet on pourra regarder les deux… »

Ceci est logique, absolument. Je n’ai pas bougé, ma tête toujours sur ton épaule, j’ai pas envie de bouger. Je sais, je suis impardonnable. Cruelle. Ça non plus j’veux pas y penser. J’veux regarder ce film et pas réfléchir, me laisser porter par des images sur ce petit écran. La télé ça a ça de bon que ça nous permet de pas penser, de ne pas réfléchir, d’être juste des réceptacles au moule à imagination fêlé. Je n’aime pas l’abrutissement de masse, mais en certains temps je lui trouve une utilité. Je veux être bête et insouciante, j’veux être bête et heureuse. C’est plus simple d’être heureux quand on ne réfléchit pas je crois, je me trompe de plus en plus souvent.