Je ne porte pas les moustiques dans mon coeur.
Cette saleté de bestiole m'a réveillé en plein dans ma 3ème phase de sommeil. Elle s'est posée, là, sur mon oreille droite, vicieuse et affamée. Par réflexe, j'ai aplatis ma main dessus pour tenter un mousticide. Tentative ratée. J'ai seulement réussi à me coller une grosse baffe.

Harassée, je suis assise dans mon lit grinçant d'infirmerie scolaire, triturant mes cheveux. Le silence de la pièce est agréablement reposant. Si je tend un peu l'oreille, j'entends le ronronnement de quelques machines inconnues.

Dire qu'il y a un jour ou deux, j'étais encore à Dublin...Un petit picotement à l'épaule touchée par la balle me tire une grimace. Une balle de Glock 17 tirée à bout portant, éclatée dans mon épaule. L'infirmière a dit que j'en avais pour quelque temps de mise en plâtre.
Après avoir attrapé la main de l'inconnu en acceptant de le suivre, j'ai perdu connaissance. A cavaler pendant des heures à travers les ruelles, pissant le sang comme un tonneau percé et stressée comme une vache à l'abattoir, c'est pas étonnant.
Je n'ai donc aucune idée de comment s'est effectué mon voyage. Quand j'ai rouverts mes yeux, j'étais allongée ici, une dame à mon chevet. J'ai eu le droit à quelques explications, à une visite d'un psychologue aussi, encore des explications sur le fonctionnement de ce monde...et puis on m'a enfin fichu la paix.

Je réalise pas bien ce qu'il m'est arrivé. Je sais qu'actuellement, je suis quelque part, sur Terre, dans un endroit caché de la majorité de la population terrestre.
Après, j'ai toujours rêvé de voyager. Rêve accompli, si on veut. Je me sens quand même plus dépaysée que ce à quoi je m'attendais. Terrae, c'est quand même un autre monde...Les odeurs ne sont pas pareilles ici. Les gens me regardent différemment. Ils me regardent, en fait, c'est peut-être ça qui est différent.

Mon esprit vagabonde vers le fiasco du casse. L'image de mes deux amis, gisant au sol dans une mare de sang, me vient en tête. Comment le monde peut-il être fait si bizarrement?
Je veux dire, comment c'est possible que moi, Luan, je me retrouve, maintenant, dans un endroit si calme alors que je sors de la plus grosse tempête d'une rare violence que ma vie est jamais connue?  Où est la logique?
Je me sens un peu perdue. J'ai l'impression que ma vient, une fois de plus, de se scinder en deux. Une boule dans ma gorge me donne le signal qu'il vaut mieux que je cesse de remuer mes idées noires ce soir. On fera la part des choses avec plus de sommeil derrière moi.

J'essaie d'attraper le verre d'eau sur ma table de chevet à l'aide de ma main valide, mais un mouvement dans le noir me surprend et je rate le verre, qui s'écrase sur le sol dans un vacarme de l'enfer.
Je fixe la silhouette, sans hostilités aucunes, mais avec une bonne trouille qui me tord l'estomac. Merde, il fait noir! Allume au moins la lumière, baka , c'est flippant!

Y'a quelqu'un?lance-je d'une voix fluette et clairement pas sereine.

Tout à l'heure en rangeant les tapis, je me suis ouvert légèrement entre deux doigts. Tu l'connais hein, ce vieux bout de fer qui dépasse et que tu vois qu'une fois qu'il t'a bien niqué tes morts. Beh oui parce que j'ai proposé un club d'arts martiaux et ça fonctionne un peu pour l'instant, mais comme y a pas de dojo (alors qu'on est au Japon) faut installer les tapis et les désinstaller. Parce qu'on va pas se foutre à terre sur du béton. Non j'te vois venir c'est pas parce que j'l'ai déjà fait que j'vais l'refaire. Non non non. Ahaha.

Bon puis évidemment comme une abrutie, j'ai laissé comme ça. Normalement ça cicatrise bien. Sauf que ahaha, en rentrant dans ma chambre après être passée voir Asbjorn, j'me suis grattée, et pouf je pisse le sang. Super Elwynn génial. J'vais ouvrir mon tiroir à pharmacie pour choper un p'tit pansement, inutile de prendre des bandages pour ça. AHAHA. MAIS J'EN AI PLUS. A force d'en donner à ce putain de Tonnerre (je l'aime hein. Vous même vous savez.) et d'en utiliser de temps en temps, j'ai plus rien.... HMmmm il est trop tard, beaucoup trop tard pour aller en acheter. Bon. Et beh on va faire un p'tit tour à l'infirmerie.

Je sors et me dirige vers mes pansements. J'allume pas les lumières de l'étage, j'ai l'habitude de me déplacer dans l'ombre, et ça me fait du bien parfois, de juste être... Furtive. Comme je sais faire. Et puis y a pas d'enjeu alors c'est juste un p'tit truc sympa. Quand j'entre dans l'infirmerie, plongée dans le noir, y a un bruit de verre qui explose. Je me fige d'un coup et tourne la tête vers le bruit. Genre c'est une fenêtre qui vient de se péter c'est quoi les histoires ? Ah. Y a une personne dans le lit. Avec beaucoup de cheveux. Qui demande si y a quelqu'un... Euh... Bah oui.

Oui. Attention j'allume.

Vu sa voix flippée ça va pas lui faire de mal. La lumière laisse apparaître une jeune femme, à peu près mon âge peut être, très rousse elle aussi. J'ai jamais vu autant de roux qu'à Terrae sérieux. Aha, ça va pas plaire à Jérémy ça- mais tg Elwynn, tg. Elle semble avoir réellement eu peur. J'lâche pas un sourire. Bah non j'veux bien avoir changé mais quand même pour l'instant j'ai zéro raison de le faire. Je me décale pour regarder le verre et l'eau au sol.

Bouge pas tu vas te planter des bouts de verre dans les pieds, j'vais ramasser.

Elle est blessée, plâtrée à l'épaule. Bizarre. J'l'ai jamais vu avant. Probablement une nouvelle. Et aux nouveaux j'pose pas de question. Nan. J'aurai tellement pas aimé qu'on m'en pose en ramenant mes fesses ici. J'vais chercher un balais et une pelle, j'glisse une boite de pansement dans ma poche et vient près de son lit. J'commence à balayer, et lance d'une voix neutre et posée.

Désolée de t'avoir fait peur. J'pensais pas qu'il y avait quelqu'un.

Je la regarde balayer sans rien dire. La jeune femme rousse, à l'apparence tendue ou sans-âme, ne m'a pas lâché un sourire. Elle n'a pas l'air d'être commode, genre c'est pas le genre à te couvrir de sucre et de miel et à te rouler dans des fleurs en te chantant la musique des Télétubbies.
Même si elle ne me met pas à l'aise, j'ai retrouvé mon calme et je lui réponds d'une voix que je voulais douce mais qui s'est transformée en voix off de l'enfer mes aïeux:

C'est pas grave, c'pas grave... Je viens d'arriver, j'ai encore vu personne d'autre que le personnel de l'école entrer dans cette pièce. Je m'attendais pas à croiser quelqu'un d'autre.

Ce qui est stupide, parce que je suis quand même dans une infirmerie. Blessée par balle, ramenée avec 70% de sang en moins dans mon corps, et on me parque à l'infirmerie? Elle est où la logique? Ils ont oublié de tourner au panneau hôpital, y a pas d'autres explications.  Ou alors, le fait que je sois spéciale, comme l'a dit le monsieur, inclut le fait que je guérisse ultra vite comme Naruto...allez savoir.
J'essaie de faire bouger mon épaule pour mesurer l'étendue des dégâts, mais je ne réussis qu'à me procurer une sensation MEGA douloureuse qu'une décharge électrique me traverse en même temps qu'un coup de pied de mammouth enragé et couvert de lave. Ouais, tout ça en même temps...bref, ça fait mal et je grimace.
J'attends que la vague de douleur passe et je souffle un coup.
Je redresse la tête pour observer la rousse en action. Je ne peux pas m'empêcher de la trouver jolie. Froide comme des pieds gelés sous la couette, mais d'un charme certain.

Tu es une élève novice, toi aussi?

Je note rapidement qu'elle a l'air de s'être légèrement blessée, comme le témoigne le mini sparadrap sur son doigt.

Oh, mais tu es blessée aussi! T'embête pas à balayer si tu as trop mal, de toute façon je ne sortirais pas de mon lit, j'ai pas trop le droit de bouger pour le moment...

Je maintiens, cette idée de me clouer dans un lit à l'infirmerie alors que j'aurais pu être beaucoup mieux soignée et suivie dans un hôpital est purement nulle. Je ne comprends pas.
Je me redresse doucement sur mes oreillers un peu aplatis par mon poids et secoue doucement ma crinière de sauvage qui me colle dans le cou et me tient trop chaud. Je fais tourner la langue dans ma bouche: berk, pâteux. J'ai soif.
Avec ma tête de bébé panda la plus confuse, j'ose demander un service à cette inconnue qui ne semble pas décider à briser le Mur (référence à Game of Thrones, tmtc frère) entre nous.

Excuse moi, est-ce que ça t'ennuierait de m'apporter un verre d'eau? Je meurs de soif...

Miiiou. Ne me laisse pas me dessécher, madame!, pense-je très fort.

Je balaie pendant qu'elle m'explique d'où elle sort et pourquoi elle a eu peur. Hm j'comprends, elle a encore croisé aucun élève réellement. C'est bizarre, elle est dans l'infirmerie, y a pas mal de passage normalement. Bon en vrai j'y vais régulièrement aha mais bon. Je lève les yeux vers elle, et hoche la tête.

Je vois, encore désolée.

Je lève les yeux vers elle. Elle a l'air épuisée, et elle est bien blessée à l'épaule vu la grimace qu'elle tire en bougeant. Bizarre, elle est pas passée à l'hopital... Hm, j'en parlerai à Alice, peut être qu'elle sait pourquoi elle est là. Doit y avoir bof de place ou d'effectif, mais y a une raison. Elle risque voir un Guérisseur assez vite pour retirer sa douleur et la soigner plus vite. Ca doit être ça. Je secoue la tête avant de lui répondre.

Non, je suis initiée depuis plus d'un an maintenant. Je suis Eau Morphe.

Elle me fixait juste avant que je réponde. Je sais pas trop pourquoi... J'suis pas impressionnante avec mon t-shirt large et mon leggins... Si ? Elle remarque le sparadrap entre mes doigts. Je baisse les yeux pour le regarder une seconde, puis je lève les yeux vers elle de nouveau, et lâche un tout p'tit sourire, assez bref. Blessée ? Au doigt ? Elle est mignonne à penser à moi comme ça... Si elle savait ce que mon corps a vécu, c'est pas une entaille qui m'arrêtera. Je continue et termine de balayer rapidement. Je place ma main au dessus de l'eau sur le sol, et l'attire vers ma paume pour en faire une petite boule irrégulière. Tout en me redressant je lui répond doucement.

T'inquiète pas c'est ma faute, j'nettoie. Et puis tu sais, c'est pas avec ça que j'vais avoir mal. J'peux te demander ce que t'as à l'épaule?

Façon de dire que si elle veut pas j'insisterai pas. En soi j'm'en fou, c'est histoire de discuter, puis voir si j'peux pas l'aider... On sait jamais hein, vu tout ce que j'ai pris quand j'étais en France... Elle secoue ses cheveux, elle a un volume incroyable... C'est plutôt joli. Elle doit avoir chaud la pauvre, et elle me le confirme en me demandant un verre d'eau. Je hoche simplement la tête en réponse. C'était prévu. Je vide la pelle dans la poubelle et relâche l'eau au dessus du lavabo, puis je remplis un verre. En retournant vers son lit, je me fais la remarque qu'on a un le même genre de tête. Elle est rousse flamboyante, j'ai une teinte un peu plus foncée... Pour mon plus grand bonheur. Enfin j'm'en fou mais j'aime bien enfin tmtc.

Tiens, si tu veux j'irai te le remplir après si tu peux pas bouger.

De nouveau un léger sourire en lui tendant le verre. Ca dure pas longtemps, ça dure jamais bien longtemps -sauf quand j'suis bourrée nesspa- mais bon, elle a rien fait d'mal pour l'instant.

Eau Morphe? Me semble que les gens qui sont venus me voir m'ont vitef parlé des pouvoirs spécifiques dans cette école, mais la question n'a pas été approfondie. Comme le but de ma présence ici, au final. Est-ce que tous les gens sont des parias, comme moi? Est-ce qu'ils ont fait des conneries aussi, et quelqu'un est venu les sauver pour les parquer sur une île où les lois ne nous touchent pas?
Et sous mes yeux ébahis, voilà que la demoiselle forme une boule d'eau dans un geste de main. J'en reste comme deux ronds de flans. WOUAHOU. JE VEUX ETRE CLASSE COMME CA MOI AUSSI.
Elle me demande ce que j'ai à l'épaule. Je pince un peu les lèvres. Elle me tend un verre d'eau entre temps, en me lançant un petit sourire que je note.  

J'ai tenté un casse, ça a mal tourné...  

Je regarde mon épaule. Un bout de bandage est pas droit, ça me dérange. Pendant que je le triture avec ma main valide, je poursuis;

Blessure par balle. Pas joli  joli, hein? C'est vrai que ça picote, je préfère de loin me faire opérer des dents de sagesse.

Je la regarde, en souriant timidement.

Je te raconterais l'histoire intégrale un jour, si tu veux bien.

J'en profite pour boire mon verre d'une traite. Oh god, que c'est bon, de l'eau qui a le goût de rien. C'est beau. On doit être sur une île préservée de la merde du monde. Je me demande combien il y a d'habitants dessus.
Et un autre milliers de questions m'assaillent d'un coup. Mais chaque chose en son temps, Luan. Ne va pas me faire fuir la première élève que tu croises. En me raclant un peu la gorge, j'ose une question qui me semble essentielle.

Au fait, moi, c'est Luan. Et toi?

Vu la tête qu'elle tire quand la bulle d'eau se forme dans ma main, alors que c'est devenu banal pour moi, elle doit pas encore avoir vu les capacités des gens ici. Ahaha, elle a pas encore croisé de Master démonstratif. Ou même juste Ariana Vincente. J'me fous pas de ta gueule Aria, c'est vrai, tu gères de fou tes pouvoirs, et c'est très démonstratif. Comme... Tout toi. Mais bref arrêtons de parler d'mes potes. Lorsqu'elle me répond, j'esquisse de nouveau un sourire, l'air un peu amusée. Un casse. Hm. Amatrice va. C'est pas méchant hein, j'ai été voleuse pendant une bonne partie de ma vie, j'en ai fait des casses. Mais j'suis vite passée à quelque chose de plus subtil... En même temps, j'lui souhaite pas d'avoir été aussi "bien" entourée que moi. Mdr. Lol. J'adore les souvenirs.

Non c'est clair, c'est pas joli. M'enfin, tu vas pouvoir récupérer ton bras. Une balle bien placée au niveau des cotes, j't'assure que tu oses même plus respirer. Au niveau du dos aussi, c'est pas l'feu, et puis tu peux marcher au moins.

Ah bah ouais go parler tranquillement de nos p'tites aventures. En même temps j'ai les jambes et les bras découverts, pas compliqué de voir que j'suis un patchwork de peau tellement j'ai des cicatrices. Bon j'abuse peut être un peu, mais estafilade, des marques d'impact, de balles, et mêmes quelques brûlures sur mes cuisses... J'te laisse imaginer le joli tableau abstrait.

Je hoche la tête lorsqu'elle me dit qu'elle me racontera si j'veux un jour. Pourquoi pas, après tout, elle est à Terrae pour passer à autre chose. Et puis elle est seule. Personne n'est là pour veiller sur elle. J'sais pas ce que sont devenus ceux avec qui elle l'a fait, ni même si elle avait des liens sympas avec eux.

Vous étiez combien ?

J'écoute sa nouvelle question. Elle a l'air de s'en poser environ dix mille. Je lui adresse un nouveau sourire, un peu plus long cette fois. J'en suis toujours à calculer la longueur de mes sourires avec les inconnus y a quoi.

Salut Luan, j'm'appelle Elwynn.

Je l'écoute comparer mon bobo de seconde zone à des blessures de guerre. Elle a l'air de s'y connaître, purée... J'avais pas vraiment fait attention avec le peu de lumière que procure cette salle, mais en regardant de plus près, je constate que les quelques parcelles de peau apparents de la jeune femme sont totalement...bosselés.
Wait.
C'est un carnage! Elle a des cicatrices blanches, des rondes, des droites, des en forme de je ne sais quoi mais...elle revient direct de l'Irak ou quoi? Genre c'est une ancienne US Army?
Voilà une seconde avalanche de questions qui m'assaillent. Vas-y, ça m'intrigue trop là. Les tatouages pour garder un truc de nos vies sur la peau, c'est mignon à côté de la Bible qui est tracée sur son corps. Bible en 3 volumes, s'il-te-plait. Je m'efforce de pas trop fixer tout ça, mais c'est dur de décrocher le regard de cette fresque.

Elwynn. Un nom de fée pour une fille aux allures de yakuza. Vous connaissez la nouvelle définition du badass? Allez dans le dico, direction la lettre E...voilà vous y êtes presque...Stop! Elwynn, aka badass.

Je me gratte la tête pour tâcher de lui répondre simplement. Sa question m'a un peu tiquée, je l'avoue. Les visages de Leo, Julia et Ewen tournent en boucle dans ma tête. J'arrive pas à capter si je suis dans un rêve ou dans la réalité, actuellement. J'ai l'impression que le casse s'est déroulé dans une vie ancienne, dans un rêve même, une autre dimension. Qu'est-ce qu'ils sont devenus? Où sont-ils? Pourquoi je n'ai aucune nouvelle? Je pince un peu les lèvres et prend une inspiration.

On était quatre.

Plus j'y pense, plus je trouve qu'on était trop jeunes, trop naïfs pour tenter le diable. L'idée et et le plan étaient loin d'être merdiques. Mais il y a un élément qui manque à ce joli bordel. Qu'est-ce qui a fait que ce casse du siècle, au plan quasi parfait, est pu être aussi facilement anéanti?

Deux mecs, deux filles. On s'est rencontré à la fac, y a deux ans. On était pas faits pour les études, clairement, et on avait soif de pognon. Mais on voulait pas faire un mignon petit casse de débutants, alors on a tenté de monter un truc béton pour empocher un max et partir au large, les poches pleines.

Je me redresse un peu sur mes oreillers. Une fois qu'on m'a lancé, on m'arrête plus.

Luan me détaille. Bien comme il faut. Ouais j'ai tendu l'baton normal. C'était pour la faire relativiser en vrai, sa blessure est pas belle, mais elle va s'en remettre. Et puis c'est pas comme si ici, y a des Guérisseurs qui pose leurs mains sur toi et qui avec leur énergie te remettent sur pied. Ca prend du temps mais c'est dingue. J'suis toujours hyper admirative de ce genre de pouvoir. Elle observe chacune de mes cicatrices j'ai l'impression. Ca va, j'sais que j'suis pas mannequin, mais au fond j'm'en fou, j'm'en sors comme je peux. Vu le regard qu'elle me jette, elle doit me prendre pour une ancienne de la mafia. Ca s'y apparente ahaha, en plus avec des deux traits sur le bras, tatouage classique mais pouvait porter à confusion.

Ca m'dérange pas plus que ça qu'elle soit hypnotisée par mes plaies, ce sera ni la première ni la dernière. Elle met un peu de temps avant de me répondre. Oops, c'est pour ça que j'pose pas de questions normalement. Point sensible ? Point sensible, sa phrase et concise et douloureuse. Enfin ça va mais c'est la joie quoi. Quatre. C'est peu mais suffisant si on s'y prend bien. Enfin après j'sais pas trop où ils ont fait leur casse mais dans une banque lambda y a moyen. Même si c'est pas dans les banques lambda qu'on trouve le plus de tunes. Là où on en trouve le plus, c'est dans les comptes virtuels des privilégiés. Moi même je sais fermez-là.

Elle continue de me raconter d'où ils se connaissaient, et leurs motivation. A la fac ? Quel âge elle a dis-donc, elle doit pas être beaucoup plus âgée que moi. La fac, ça veut dire que potentiellement elle a eu une enfance à peuuuu près normale. Et encore c'est même pas sûr, vu comment on retrouve des gens au parcours normal totalement brisés ici. La capitale des bras cassés j'vous jure. Ils étaient préparés visiblement. Et ils voulaient gros. Intéressant.

C'est une motivation comme une autre. Et du coup vous avez voulu choper gros, donc quoi, grosse banque ? A quatre, faut être hyper rodés. Et savoir riposter contre ceux qui vont tenter de vous en empêcher.

Parce que les mecs en face sont probablement armés et entrainés. Moi j'avais mes propres techniques. En même temps, être une meuf dans mon milieu présentais beaucoup de désavantage, mais rencontrer Nina m'avait fait comprendre que j'pourrais m'en sortir assez simplement. Putain, j'me rends compte que j'ai tellement changé en un an et demi.

Rah. Plus je la détaille, plus j'ai envie d'en savoir pour elle. J'ai la sensation qu'elle est constituée d'un amas de carapaces, et qu'au fond, tout au fond d'elle, se cache une petite fille blessée. C'est plus fort que moi, quand je rencontre des gens, je peux pas m'empêcher d'aller regarder par dessus leurs barrières. Il va falloir que je lui pose mes questions en douceur.

Je hoche la tête quand elle me répond. Le "grosse banque" me fait rire. Oh ma chérie, si tu savais...
Quelque chose m'empêche de tout lui raconter. Le plan est censé être secret. Voire TOP secret.
Mais en regardant la situation dans son ensemble, bah, le casse est fini. Foutu. Et je risque plus rien maintenant. Et j'ai sacrément envie de parler. Ca me dérange de ne plus savoir distinguer le rêve de la réalité. Je sais que tout ça s'est bien passé, mais en parler, ça me permet de keep it real.

Ouh la...mon cerveau part en anglais. Premier signe d'intense fatigue. Le sommeil tape comme un bourrin à ma porte.

Je me frotte les yeux et me racle la gorge. Oh god, une clope serait pas de refus un de ces jours.
Mon hochement de tête n'a pas l'air de lui avoir suffit. Malgré son air détaché de tout, elle semble animée par un tout petit tout tout tout petit intérêt envers ma personne. J'insiste sur le tout petit, c'est la taille de la flamme dans ses yeux.  J'hésite vraiment à poursuivre.
Mais pas longtemps. Voilà que je continue mon histoire.

Hmm...en fait, c'était pas vraiment une grosse banque. C'était le paradis des voleurs, si on veut. Pas besoin d'être armés comme des russes, des bons guns sufffisent. Mais ce qu'il faut par dessus tout, c'est un plan d'enfer qui te met une longueur d'avance énorme sur les flics.

Les flics sont trop prévisibles en même temps. Tu leur lances un bâton, ils courent après. Normal.

Tu vois, t'as un point. Ce point, c'est ton plan A. Mais il existe des éventualités, des facteurs à prendre en considération, des déclinaisons par milliers...ainsi se créent les plans B, C, D, etc. On avait le plan parfait, on avait pensé à toutes les éventualités, on connaissait les cours de la Bourse, les chiffres des transactions dans les grosses compagnies, mais surtout, le moindre traits que peut comporter un billet de 50 briques fraîchement imprimé.

Malgré moi, un léger sourire satisfait se dessine en traitre sur mes lèvres.

Tu vois, l'odeur d'un toast grillé et de café quand tu te lèves le matin? Cette odeur réconfortante, cette sensation de sécurité qu'elle te procure...A côté d'un billet orange, c'est très faible. Un billet vert, ça sent trop fort. Un billet bleu, pas assez. Le orange, c'est par-fait.

J'inspire un grand coup, comme pour ramener les fameuses effluves à mes narines.

Cette odeur si particulière, on la trouve pas dans une banque lambda, ou dans une grosse banque. Nope. Les billets sont froids, sans vie, presque salis par toutes les grosses pattes qui les ont touché.

Je la regarde attentivement, pour capter la moindre réaction que son corps pourra trahir. J'ancre bien mes yeux dans les siens.

Des billets comme ça, Elwynn, ils n'existent que dans les Maisons de la Monnaie, là où se fabriquent ces merveilles. Voler autrui, c'est mal. On a donc décidé de pas voler l'argent qui ne nous appartenait pas...mais de le fabriquer, nous-mêmes.

Je laisse passer un petit blanc.

Tu vois la série La Casa de Papel?

Elle rigole quand j'pose ma question. Et ne tarde pas à me donner plus d'infos. Cette fille est intéressante. Bien plus maline qu'il n'y paraît. Trop ambitieuse avec ses petits moyens. Mais ambitieuse. Pendant qu'elle parle, je me tire une chaise près d'elle, cale une jambe contre moi, bras sur le genou. Je l'écoute attentivement, mon visage est un masque de neutralité. Habitude, désolée, rien de personnel.

Je vois de quoi elle parle. Le paradis des voleurs, hm ? Aaah si seulement tous les voleurs étaient les mêmes ! Quelle tristesse. Ils sont tous plus différents les uns des autres. La plupart de ceux que j'ai connu étaient détestables, tout comme ma personne. Enfin je n'étais pas une simple voleuse. L'argent ne suffit pas. Je hoche la tête. Un casse prévu. Tout prévu. Au moins elle n'avait pas froid aux yeux pour ça. J'attends sa motivation, qui ne tarde pas. Elle me parle d'une sensation que j'aurai aimé connaître. Non, j'vois pas en quoi le café et les toasts sont réconfortants. Parce que je n'ai connu que l'oeuf à la poele pendant un temps, celui d'avant l'entrainement, puis celui de juste après. Et puis le pain neutre, la confiture trop sucrée, le miel qui ne ressemble à rien. Le tabac froid. Les toasts, c'était pas l'odeur la plus réconfortante, parce que j'étais en danger en général, lorsqu'elle était là.

Mais ne chipotons pas, mon odeur réconfortante, c'est celle de mes cheveux propres, lavés la veille, celle du tapis d'un dojo, celle du vent froid d'hivers. Je vois de quoi elle parle. Plus réconfortant ? Admettons.

Je l'écoute attentivement. Je ne trahi aucune émotion, même lorsqu'elle évoque la Maison de la Monnaie. Habile. Beaucoup de danger pour une jolie récompense. Jolie façon de penser. Jolie référence. Je me mets à rire lorsqu'elle parle de la Casa de Papel.

Pardon, oui je vois, j'aime bien cette série. Mais il est quasiment impossible que quelque chose de ce genre existe, avec si peu de moyens. Ce que je veux dire, c'est que même avec un plan infaillible, et toutes ses éventualités, il y aura des imprévus. Et les imprévus font réagir les humains. Crois-en mon expérience.

Je hoche la tête, et désigne sa blessure.

J'te tire mon chapeau pour t'en être sortie avec si peu en tout cas. C'est pas à tout le monde que ça arriverait. Jolie ambition néanmoins, j'suis admirative. Vraiment.

Et je ne mens pas, je n'ai aucun intérêt à me moquer d'elle. Vraiment. Elle ne manquait pas d'ambition. Je finis par sourire, et regarder en l'air un instant.

Voler, c'est si mal que ça ? J'crois que j'suis d'accord. Ca ne t'a pas empêché de probablement extorquer des tonnes d'informations sur le fonctionnement de l'entreprise, ni sur les flics. L'information est une monnaie bien plus riche et importante, plus puissante que toutes celles qui existent.

Voler des informations. Voler des sous. Voler des statuts. Voler des vies. C'était mon boulot. Ahaha, ça faisait longtemps que j'avais pas replongé dans mes souvenirs. Voyons si à son tour elle ose poser les questions, c'est pas trop la coutume chez nous.

Et alors, tes trois compères ?

Zut. Moi qui voulais susciter une vague réaction d'admiration en elle. Voilà qu'elle me sort le masque intangible.

Ca me pique un peu le coeur quand elle me complimente. Je sens bien que c'est sincère, mais avec sa posture sur sa chaise, son regard neutre, et tout simplement sa présence, je sens que si elle avait pu me faire une patepate sur la tête, ça aurait été pareil.
Genre, comme si j'étais une petite fille qui avait fait de son mieux pour faire un truc de grands, mais que ça avait loupé.
Une petite fille trop petite dans la cour des grands trop grands.

Mais au fond, elle a raison, évidemment. Je suis certaine qu'elle a raison. Je ne la connais pas, pas plus que je connais sa vie, mais je crois en son expérience, parce que tout dans son regard montre que c'est une Yoda en la matière. Elle a une certaine maturité, un fond de savoir acquis rudement, que je ne possède pas.

Voler, c'est si mal que ça ? J'crois que j'suis d'accord. Ca ne t'a pas empêché de probablement extorquer des tonnes d'informations sur le fonctionnement de l'entreprise, ni sur les flics. L'information est une monnaie bien plus riche et importante, plus puissante que toutes celles qui existent.

Je passe mon poing sur les lèvres, réflexe quand je veux m'empêcher de parler trop vite. Il y a trop de choses que j'ai appris, des choses que je ne suis pas censée savoir en tant que citoyenne lambda. Enfin maintenant hors-la-loi. Je la regarde brièvement mais elle semble plongée dans ses pensées. Rien ne m'oblige à répondre alors, c'est parfait.

Une sensation de lourdeur m'assaille le cerveau. Je baille doucement, une deuxième fois.

Et alors, tes trois compères ?


Je relève ma tête brusquement vers elle, les yeux brillants à cause du bâillement. La bonne question. Elle a l'air neutre comme ça, un peu détachée et probablement un soupçon trop fière pour s'intéresser de prêt à tous, mais là tout de suite, quelque chose dans son regard montre que j'ai réveillé un petit intérêt pour ma personne en elle. Je vais devoir y faire honneur, alors! Je me lèche légèrement la lèvre inférieure avant de parler, signe que cette question m'agace un peu.

Aux dernières nouvelles, deux d'entre eux sont très certainement plus de ce monde. Et le troisième, prrrt.termine-je sur un bruit de bouche ponctué par un hochement d'épaules. Qui me tire une grimace. Parce que réflexe stupide. Parce que bobo -ouille!

On s'est fait prendre à revers par un groupe de mafieux influents. Ca, c'était l'imprévu qu'on avait pas du tout calculé.

Je lui souris doucement pour lui signifier que je suis d'accord avec ces propos. C'est impossible de tout planifier.

On a pas su se défendre; trois contre une dizaine de mecs en muscles, tu voulais qu'on fasse quoi? On s'est fait tiré dessus comme des chiens. J'sais pas trop ce qui s'est passé ensuite. J'essaie de m'en souvenir mais rien me vient en détail.

Je lève la tête vers le plafond, et je continue d'une voix presque éteinte:

Je sais juste que j'en ai laissé deux à terre, et que j'ai attendu pendant des heures des nouvelles du quatrième, qui ne sont jamais venues.

Je laisse passer un silence. Tout en fermant les yeux, je déglutis avec peine. Je viens de réaliser quelque chose. C'est probablement le léger détail qui m'échappait. Probablement le fameux facteur auquel on avait pas pensé. Mais je ne veux pas le dire trop vite. J'ai besoin d'y réfléchir, plus posément, toute seule.

Je décide de continuer d'une voix douce, sans jouer sur le ton de la fatalité.
J'ai réussi à m'échapper juste avant qu'ils ne ferment les portes de la fabrique. Et j'ai déambulé pendant des prunes dans les rues en me cachant dès que j'entendais les flics passaient. Je pissais le sang, je sais même pas comment j'ai fait pour pas me faire repérer.

Je rigole légèrement.

Puis un monsieur tout en noir m'a tendu la main en me posant un espèce d'ultimatum et...tadaaaaa, me voici!

Sans attendre, sans lui laisser le temps de réagir, je lui bondis dessus, comme un chien tout fou.

Mais toi, t'as l'air de t'y connaitre en domaines peu recommandables! dis-je en désignant d'un coup de menton ses cicatrices.

T'as fait parti de la US army? Ou alors t'étais une tueuse à gages engagée par la Russie? Ou une yakuza?

Ce que je dis suscite réflexion. Elle ne répond pas pour autant, et je ne relève pas. Aucun intérêt, l'important c'est que ça l'amène à réfléchir. J'retiens les leçons de ma soeur ouéoué. Elle baille, elle a l'air fatiguée. J'devrai peut être la laisser se reposer, mais bon j'ai posé une question, alors j'attends de voir si elle accepte d'y répondre. J'l'ai pas mise à l'aise avec cette question. J'arrête de sourire, parce que c'est pas évident de perdre des gens. Des personnes qui apparemment étaient ses potes. Et avec qui elle a élaboré un bête de plan.

Ils se sont fait doubler par plus expérimentés. C'est con. C'est vraiment con. Les types qui font ce genre de casses, j'les ai cotoyés. De tous les cotés. Et j'sais bien que lorsqu'on se retrouve entre leur tirs, le but c'est de survivre. 3 contre 10, c'est très vite joué. Et en général, c'est plus que traumatisant. Seuls quelques fous s'en sortent sans traumatisme psychique. Elle a l'air de tenir le coup, mais c'est pas non plus la belle vie. J'ai l'air sérieuse et beaucoup plus compréhensive. Pas que j'ai pitié d'elle, quand tu tentes le diable, t'es conscient des possibles conséquences, alors faut assumer. Ca veut pas non plus dire que c'est évident.

T'as eu d'la chance de t'en sortir Luan. C'est bien pour toi. Vraiment. Désolée pour les autres. Et euh, bienvenue à Terrae.

Je lui adresse un sourire sincère de nouveau. Ici c'est ta deuxième chance. J'espère qu'elle s'remettra. Depuis quand j'ressens des émotions aussi bienveillantes wtf ? J'me l'explique pas. J'éclate de rire lorsqu'elle me pose sa question, un rire sincère. Je me calme vite pourtant, rabat mes cheveux sur mon épaule gauche. Je lui lance, dans un sourire calme.

Rien de tout ça. Je suis française, moitié irlandaise, mais j'ai jamais connu mon père. J'parle couramment le japonais parce que mon Maître me l'a appris. J'ai grandi dans un dojo avec un ancien dirigeant de gang. J'ai appris à me battre comme on t'apprends à lire à l'école. D'ailleurs j'suis jamais allée à l'école. J'ai ensuite intégré son ancien gang, lorsque le nouveau boss est venu le tuer.

J'en parle avec un léger sourire. Mais en fait ça m'fait pas rire du tout. La mort de Maitre Yo', c'était toujours un truc qui m'travaillais.

Et puis mon taff c'était de remplir les contrats. J'avais 14 ans. J'ai d'abord volé. Beaucoup. De l'argent, des biens de grande valeur. Puis des informations. Puis j'ai commencé à espionner. Et à tuer. Voilà entre autre, j'ai vécu dans la rue pendant un bon moment. J'ai manipulé, détruit des vies. J'ai tué de sang froid. Lorsque j'ai fait mes quelques casses, je ne m'occupais pas d'organiser, j'suis pas un cerveau comme tu dois l'être. Moi j'entrais discrètement, je tuais furtivement, et j'm'en allais comme si rien ne s'était passé. Mon boulot c'était d'être efficace et rapide. J'étais assassine en quelques sortes. Tueuse à gage si tu préfères.

Je soupire, et viens reposer mes yeux sur elle. J'ai l'air un peu lasse. Ce passé m'pèse encore un peu. Même si ça va mieux. Parce que... Comme j'l'ai dit à Asbjorn et Misao, et j'pense que d'autres l'ont compris. Je ne regrette pas. Je ne ressens pas de remords. Je finis par hausser les épaules et lui adresser un sourire.

J'suis admirative de ta détermination, surtout si t'as eu un parcours de vie classique. T'as rien à m'envier.

J'ai mené une vie compliquée. Et j'suis bien contente d'être arrivée à Terrae. J'espère pas trop lui avoir fait peur parce qu'en plus j'suis pas la seule à avoir un vieux passé de mort comme ça. Ni la seule à paraître dangereuse. Elle aurait dû commencer par rencontrer Asbjorn, Ariana ou Alice putain, ou même des gens plus calmes ou plus doux comme Selvi ou Akito. Désolée chaton.

J'incline ma tête avec un petit sourire quand elle me lance son "bienvenue" un peu hésitant.

Je ne la quitte pas une seconde des yeux quand elle me raconte son petit bout de vie avant Terrae. Enfin, petit bout, c'est vite dit: elle a pas l'air très jeune...tout en ne faisant pas vieille. Juste mature. Et c'est aussi une femme magnifique; un air un peu hautain, peut-être fier, un masque froid et las, mais une chaleur humaine bien présente au fond d'elle. Je m'arrête de l'admirer, accaparée par son histoire en petite version.
J’écarquille légèrement les yeux, pas par surprise: c'est un espèce de tic que j'ai quand je suis à fond dans l'histoire qu'on me raconte. Ou un film. Ou un livre.
Son histoire, on dirait Karate Kid, en version Kill Bill, avec une belle femme rousse au caractère terminatorique bien trempé.

J'ose pas trop interagir quand je la vois légèrement sourire. Je préfère l'écouter m'en raconter un peu plus. Et quand elle finit, elle soupire et repose ses yeux sur moi.
Là, par contre, je suis surprise. Aucun remords, aucune douleur. Rien ne se dégage d'elle. Comme si tout ça était normal, au final. Elle hausse les épaules et me sourit.

J'suis admirative de ta détermination, surtout si t'as eu un parcours de vie classique. T'as rien à m'envier.


Je baisse la tête en souriant. Terrae, une seconde vie, hein? Il faut que je m'attende à trouver des gens avec une vie aussi brisée que cette nana là. Enfin brisée...au final, si la personne le vie bien, pourquoi en faire un fromage?

J'suis pas vraiment envieuse, j'avoue, haha. Mais je suis admirative, moi aussi. Il en faut, des ovaires en bétons, pour vivre comme ça! Après, tu vois...j'pense pas qu'il y est une vie pire qu'une autre. Au final, chacun est acteur de sa propre vie, chacun la vie à sa façon, donc. Il ne devrait pas y avoir de mot comme "normale" et "classique" pour la désigner. Parce que chaque vie est unique et originale, si on regarde bien.

Je secoue ma crinière, un peu gênée.

Enfin, c'est c'que je pense... Je dis ça parce que j'ai rencontré beaucoup trop de gens qui cherchaient à tout prix à ce que je les plaigne. Je les ignorais pas et prenais en considération tout les malheurs qu'ils voulaient me raconter, mais plus ils en parlaient, plus ils se débrouillaient pour que leur vie devienne de pire en pire.

Je la regarde en souriant tout doucement.

C'est là que j'ai compris que c'est notre propre regard qui définit notre vie. Et, même si ça paraît toujours plus facile à dire, il faut y chercher les côtés positifs, ou moins accablants. C'est pour ça que je suis un peu admirative après ton histoire: même si t'as l'air bien marquée à vie, tu le vis bien. Enfin..j'ai pas les mots exacts, c'est peut-être pas bien que je voulais dire...

La fatigue commence à faire son effet. Je bafouille et rougis en même temps. Pour éviter son regard, je fixe les draps que je sers dans mes poings.
C'est plus fort que moi, j'ai toujours un moment dans une rencontre où mon côté philosophe d'antiquité pop sans crier gare.

Elle m'écoute tout aussi attentivement que je l'ai fait tout à l'heure. A la différence près qu'elle est beaucoup plus expressive que moi. En même temps c'est pas compliqué d'être une plus expressif qu'une porte métallique stérilisée. Ouais une porte de prison c'était déjà trop expressif. Elle me sourit lorsque je lui dis que je suis admirative. Elle a bien raison de ne pas m'envier, mais j'préfère le préciser parce que c'est passé par la tête d'autres personnes, et vraiment, c'est non.

Non, y a pas de vie pire qu'une autre. Y a des vies, point barre. M'enfin quand tu grandis en France, un parcours classique sous-entends un parcours scolaire classique puis des études. Après évidemment, j'suis d'accord, que chaque personne la vie comme il peut. Ovaire en béton ou pas.

Elles ont pas toujours été en béton, j'te rassure. J'le dis pas à haute voix, parce que ça n'apporte rien. Mais elles l'ont pas toujours été. Sinon, je serai pas à Terrae. Je hoche la tête, j'comprends, oui, elle a raison. Pas mal de personnes réagissent comme ça. Est-ce que je réagis comme ça ? Hm non j'pense pas. J'ai pas l'temps pour ces conneries, moi j'veux avancer. J'galère et j'commence à chercher de l'aide. Et j'la trouve avec mes amis, ma nouvelle famille. Mais j'ai pas l'temps pour m’apitoyer sur mon sort, et puis j'en ai d'autres à aider. Hein Boubou ?

Je réponds à son sourire moi aussi. J'allais pas lui raconter les détails de ma vie et chaque bout marqué de mon corps, ni même les plus profonds traumatisme... A part Maitre Yo, parce que ça c'est le changement de ma vie d'avant. Mais ouais. J'comprends ce qu'elle veut dire. Je hausse les épaules.

J'vis pas spécialement bien avec. Je vis avec, parce que c'est moi, et parce que j'ai décidé de le faire. Je voulais survivre, je l'ai fait. Mais j'comprends ce que tu veux dire, t'en fais pas.

Je lui souris, et un voile triste passe une seconde dans mon regard. Ah, j'ai encore un peu de mal avec ça, pas vrai ?

Mais tu sais, c'est pas parce que j'l'assume complètement et que... Que je ne ressens pas de regret, que j'ai envie de... Enfin pour rien au monde j'reprendrais cette vie. Et pour rien au monde je veux retourner être la personne que j'ai été. Plus jamais.

Je souris en le disant pourtant. Parce que j'ai compris ça. Et que maintenant j'dois avancer. Je finis par rire de moi-même, et donne une petite tape sur la jambe de Luan, à défaut de pouvoir toucher son épaule.

J'espère que tu vas vite te rétablir. Et que tu vas pouvoir t'épanouir ici. Si t'as besoin, t'hésite pas, ok ? On a des énergumènes comme tu peux l'voir, et si jamais t'as un souci, j'suis dans le dortoir des Eaux.

Je lui réponds par un sourire tout simple, mais sincère. Une petit hochement de tête en guise de merci. Je suis un peu touchée par son contact. Je crois que j'ai trouvé une sorte de grande-soeur garde du corps et porte guindée. Les gars, vous me faites chier, j'vous envoie Elwynn.

J'avais plein de questions, mais je pense qu'il est trop tôt pour les poser sans que je passe pour une fouineuse. J'ai déjà la sensation de l'avoir un peu braquée avec ma tirade. M'enfin, c'est à charge de revanche.

Je baille très longuement une troisième fois. Je ne la regarde pas s'éloigner; un étourdissement m'assomme et je m'affale sur mes oreillers comme une enclume.
Je me sens comme aspirée; toutes mes pensées se mélangent, passent et repassent dans ma tête et avec ça, des bruits, des voix, des sons que je n'identifie pas.
C'est toujours étrange ce petit moment avant que l'on ne plonge dans le sommeil. On se laisse aller, on lâche-prise. Toutes les pensées se mélangent et se confondent, pour en créer une, plus grande, plus obsédante, dans laquelle on finit par rentrer: ainsi se créer les rêves. Enfin, mes rêves.
Alors que mon corps s'alourdit, je m'enfonce dans un espèce de songe bizarre, où une bulle d'eau m'entoure d'un coup alors que je me tiens au bord d'un gouffre. Quand je me retourne, des mecs cagoulés tentent de me tuer avec des balles et des fourchettes (oui, des fourchettes), mais la bulle d'eau les stoppent. Léo apparait alors, avec un sourire diabolique. Il ne parle pas, mais je comprends de suite la situation: c'est lui qui a prévenu les mecs cagoulés pour qu'ils viennent me tuer. J'ai l'intuition qu'il faut que je saute dans ce gouffre si je veux me faire pardonner d'avoir abandonner mes amis là-bas. Alors je saute. Mais la chute me comprime l'estomac, elle est interminable. Et alors que je suis à deux doigts de toucher le sol, je me réveille en sursauts.

L'infirmerie est plongée dans le noir, et je suis toute seule. Haletante, je passe le dos de ma main valide sur mon front pour essuyer rapidement le filet de sueur qui s'y est créé. J'allume la lampe de chevet, et constate avec surprise qu'un nouveau verre d'eau est posé dessus. Je souris en me disant que c'est peut-être Elwynn qui me l'a mis là avant de partir.
J'en bois une grande gorgée, et souffle un bon coup. J'ai la réponse sous mes yeux, mais elle est trop difficile à admettre. J'y réfléchirais demain. Parce que demain est toujours un autre jour.