Les phases trois et quatre de l'éclipse avait été pour Senri un enchaînement de moment de doutes et de remise en question. S'il faisait en sorte de ne rien laisser paraître, d'enfouir ses sentiments et de passer outre, il peinait à garder la tête hors de l'eau. Il se plongeait totalement dans l'apprentissage et la maîtrise de chacun de ses pouvoirs. Il avait réussi à recouvrir jusqu'à ses bras de feu. Chose dont il était assez fier.

Avec les deux phases d'éclipses consécutives que lui avait octroyé le don du feu, il avait réussi à en rassembler trois cristaux. En plus de ceux des affiliations, qu'il n'avait qu'en un exemplaire. Ce surmenage menait inexorablement à un état peu enviable. Senri se sentait faible, fiévreux et avait le sommeil très agité.

Chose qui n'arrangeait pas son état. Il était de moins présent en cours, de plus en plus désintéressé. Si son décrochage scolaire avait été pris au sérieux par le garçon, la situation actuelle l'avait éloigné de ces problématiques. Dès qu'il n'avait pas l'esprit occupé par l'apprentissage de ses pouvoirs ou son entraînement physique, il ressassait la dispute avec Chrys. Les remontrances d'Elwynn et la discussion avec Amy.

Et évidemment, il y avait Aaron. Qui lui avait correctement fait comprendre que ce qu'il avait était très mal. Le boxeur était malgré tout déterminé à ne plus décevoir son professeur !

Raison pour laquelle, il venait de scotcher ses paupières sur son visage pour se garder éveillé durant le cours de mathématiques — unique cours qu'il s'évertuait à suivre. Bon, sa feuille d'exercices resta blanche hormis quelques ratures, mais il était resté éveillé !

Lorsque la sonnerie marquant la fin des cours retentit, Senri rassembla le peu d'énergie qu'il avait pour ranger ses affaires et se traîner, non pas jusqu'à la sortie, mais jusqu'au bureau de son professeur.

— Euuuh, m'sieur Williams? Je peux vous parler ? C'est au sujet de, vous savez, la bagarre avec les deux étoiles.

La discussion avec Amy l'avait convaincu d'agir. Restait à savoir comment, et c'était pour ça qu'il allait voir Aaron. 

Salut, je suis dans un état second depuis que j'suis rentré de Boston. Ca se lit sur ma tronche mais je fais genre "EHHHHH MAIS NON TOUT VA BIEN MDR IL S'EST RIEN PASSE C FAUX". Du coup J'suis pas ultra attentif en cours, je l'admets, mea culpa. Comment ça, c'est "mes" cours ? Et alors ?

Nan, clairement je vois bien que certains élèves sont bien crevés aussi, y a pas mal de gamins qui sèchent, et je peux que les comprendre ; certains plus que d'autres. Senri s'est endormi en cours par exemple, et j'suis tellement pas dans le mood à le reprendre que j'ai pas eu le coeur de le secouer. ...........… Surtout qu'il a fait un effort : il s'est scotché les paupières, lol. … Nan j'suis obligé de lui dire, p'tain. J'lui fais signe, très peu discrètement (pardon Senri), en imitant quelqu'un qui enlève le scotch… on dirait surtout que je m'enlève des faux-cils.

Quand la sonnerie retentit, Senri reste à l'écart, gêné. Je cligne des yeux et fronce les sourcils, acquiesçant doucement. On a déjà eu une discussion à ce sujet après la bagarre en question (je veux plus jamais qu'il refasse une connerie pareille, sinon c'est un kick aux fesses, plus d'entraînement et des exos de maths ad vitam aeternam) mais j'suis content qu'il vienne me voir. Surtout qu'il est pas du genre à le faire naturellement, et vu son peu de présences en cours d'après les autres profs, ça ne peut qu'être bénéfique qu'il vienne vers nous.

Passé le temps de la surprise, je lui souris et lui désigne la classe de la tête.

—Bien sûr. Tu veux discuter ici ou tu préfères sortir ? Tu veux aller boire quelque chose ?

Ouais, j'suis toujours le genre de prof à proposer un jus de fruit ou un chocolat pour papoter tranquille. Sortir du cadre scolaire fait pas du mal parfois ; surtout que j'préfère dire que j'suis Master, pas prof.

Senri compris à retardement les étranges gestes que son professeur lui avait fait durant le cours. Ni une, ni deux, il retira les bouts de scotch de ces yeux. Avant d'acquiescer à la phrase de son professeur.

— SI vous voulez oui! J'ai tout ce qu'il me faut !! ET VOUS AVEZ VU J'ÉTAIS ÉVEILLÉ TOUT LE COURS !!! 

D'un geste, le garçon fit glisser son sac sur ses épaules pour l'ouvrir. Il y avait dedans une feuille froissé qui servait pour trois matières différentes, un fascicule qui n'avait jamais été sorti de sa pochette plastique, des crayon de couleur pour écrire ses cours, mais surtout, plus de quatorze récipients de protéine en poudre de cinq kilos chacun.

— JE PEUX LES METTRE DANS N'IMPORTE QUOI, C'EST POUR AVOIR PLUS DE MUSCLE !!

Il bomba fièrement le torse avant de se rappeler de pourquoi, il était là, il reprit une expression un peu moins enjoué.

— Euh, du coup on vas où ? J'peux commencer à vous parler sur le chemin ? 

Il a toujours les bouts de scotchs sur la gueule. Il-… Ok c'est bon il les enlève.

—C'est bien Senri, j'suis fier de toi !!

Faut l'encourager, ce p'tit, hein.
J'm'apprête à lui dire "OKEY BAH ALLONS PIC- EUH BOIRE UN VERRE DE GRENADINE" quand il commence à me montrer le contenu de son sac. Quoi. Quoi. Mais. Mais il est sérieux ??? COMMENT CA TIENT DANS SON SAC ??? C'est pour ça qu'il a cette taille ?? MAIS IL VA AVOIR DES PROBLEMES DE DOS S'IL CONTINUE !!!

—Mais c'est pas bon pour ton dos de transporter tout ça Senri !!! Et c'est pas bon pour la santé ces poudres à la con !!!

J'essaie de lui arracher le sac de l'épaule. Je. J'essaie. Aïe. Aïeeeeeeeeuhhh. C lour-… Ok, j'y touche pas, j'ai compris. Je me racle la gorge et replace la bretelle correctement, le patpatant au même endroit.

—Ouais on va parler !!!!!

Et je me détourne en lui faisant signe de sortir de la salle pour que je puisse verrouiller. Jpp. Si ça se trouve il aura rien capté du tout ?!

Senri bomba fièrement le torse quand Aaron le félicita. Mais lorsque l’adolescent montra le contenu de son sac à son professeur, la réaction de ce dernier troubla le garçon. Il essayait de… prendre le sac ? Sans réussir ?! Et commença, c’était mauvais pour la santé les protéines en poudre ?! Il y avait néanmoins trop d’information pour le pauvre adolescent.

Lorsqu’Aaron replaça la bretelle de Senri, faisant comme s’il ne s’était rien passé, il fit sortir Senri. Qui était toujours un peu perdu parmi toutes ses nouvelles informations. Il fallait tout reprendre.

- Vous inquiétez pas pour mon dos !!! Il a l’habitude de porter plus !! Quand je pars en mission, je mets toujours plein d’haltères dans mon sac !!!

Il s’était justifié juste au moment où Aaron avait commencé à tourner la clé. S’il paraissait sûr de lui, le ton qu’il prit ensuite était bien plus craintif.

- Mais comment ça c’est mauvais pour la santé les protéines en poudre ?! Je me fais au moins trois pots par jour !!! JE VAIS MOURIR BIENTÔT AARON-SENSEI?????!

Bien que la panique s’exprimait clairement sur le visage du garçon, il se reprit rapidement. En gardant néanmoins une lueur inquiète dans les yeux quand il regardait le Master.

- Par contre, vous voulez qu’on passe à l’infirmerie ? Vous avez pas peur de vous être luxé l’épaule ? Avec mon sac…

Il prit une expression un peu ennuyé. Si ça se trouve, on devrait amputer le bras d’Aaron à cause de son sac trop lourd ! Senri ne se le pardonnerait jamais !!

Mais cet enfant a un problème. Je vous jure. Qui trimballe des haltères ??? A part Senri, j'entends. Mais cet enfant est pas humain, je vous jure. Je pense que c'est un extra-terrestre. C'est pas possible autrement. Cordialement, bisous.

—Mais non, tu vas pas mourir… C'est pas mauvais, mais euh… Trois pots c'est beaucoup trop, par contre ?! Tu devrais demander à Norah, l'infirmière, la dose que tu devrais prendre… sinon tu risques peut-être de mourir, en fait, oui !

C'est faux, mais si ça peut le faire se bouger pour prendre des doses plus adaptées, yolo. Parce que je pense pas que trois pots de protéines en poudre soit ULTRA BON pour la santé non plus ?!

—Hein ?! Mon épaule ?! Mais nan, tranquille, ça va !! Allez, viens, on va au café !!

… En vrai j'me suis fait un peu mal, mais étant donné que j'ai à moitié pas réussi à bouger la bretelle du sac, je pense que mon épaule est safe. Normalement. C'est pas ça, se luxer une épaule !!

Du coup, je l'entraîne à ma suite dans le couloir pour rejoindre les escaliers. Qu'il se tue le dos s'il veut, pfff.

—Bon, du coup, tu voulais qu'on parle de quoi ?

Lorsque Aaron commença à mettre en garde Senri sur sa consommation de protéine en poudre et lui donna le nom de l'infirmière et ce qu'il fallait faire, le garçon en profita pour attraper, son carnet qui le suivait partout qui était dans la poche de son sweat — par-dessus lequel il portait la veste de l'institut — et commença à y noter tout ce que son professeur lui disait.

— Comme en ce moment, j'oublie des trucs, je note dessus !! C'est mon carnet de pouvoir !!! 

Après avoir noté, il garda néanmoins son carnet bien en main, comme si ça le protégeait de la mort par abus de protéines. Il acquiesça vivement quand Aaron souligna qu'il n'était pas nécessaire d'aller jusqu'à l'infirmerie pour son épaule. Il était rassuré. 

Lorsqu'Aaron finit par remettre le doigt sur la raison de leur discussion, Senri bafouilla. Jusqu'à ce qu'ils entrent dans le bus. Agrippé à la barre, il tenta d'imbriquer des bouts de phrases les uns avec les autres.

— Eh bin... Fin, vous savez. Que quand je me suis bagarré avec les étoiles. Bah euuh... En fait, j'ai un ami, qui est ami avec l'étoile de Terre, Alice.

Il avait mis une petite vingtaine de minutes à dire cet embryon d'explication. Si bien que le bus eût fini par arriver jusqu'à l'arrêt de Village de Terrae. Senri descendit avec son professeur et attendit de rentrer dans le café pour continuer — il commanda un café noir pour impressionner son mentor. C'est tout contrit, sur la minuscule chaise qu'il tenta de continuer à s'expliquer.

— Et en fait, mon ami veut plus me parler. Enfin, il a dit que je devais venir quand je saurais quoi lui dire.

Repenser à la discussion avec Amy aidait beaucoup Senri à ordonner ses pensées et distinguer ses objectifs.

— Parce que quand il a tout découvert... j'ai pas réussi à lui parler. Et j'suis bloqué depuis. Je sais pas comment faire, comment aborder le sujet... Est-ce qu'il acceptera seulement de me reparler ? Est-ce qu'il m'a dit de revenir sur un coup de tête ?

Les mots sortaient à une vitesse assez effarante de la bouche du garçon. L'on pouvait déceler une certaine panique dans sa voix. 

—Carnet de pouvoirs ?!! Faudra que tu me montres !!

J'suis sûr qu'il a une branche d'évolution de ses pouvoirs comme dans les jeux vidéos…

Le temps qu'on aille dans le bus, qu'on fasse le court trajet jusqu'au village, j'ai cru que j'allais m'endormir au moins quatre-vingt-dix-sept fois. Enfin, plutôt, que j'allais lui gueuler "MAIS FINIS TA PUTAIN DE PHRASE", mais je me suis contenu, parce que je suis une personne polie. J'ai donc essayé de l'aider à terminer ses phrases, me faisant de plus en plus pressant, jusqu'à ce qu'il arrive à me donner un semblant d'explication… Qu'il interrompt le temps qu'on aille dans le café. Non mais, tuez-moi svp. J'me prends un café tout pareil et m'installe face à lui, l'encourageant d'un sourire. FINIS TA PHRAAAAAAAAAAAAAAAAASE-

Bon, j'résume pour mon cerveau : un des amis de Senri est ami avec Alice (tout le monde est ami avec Alice, à part les teubés, en fait, donc ça réduit pas trop les recherches) et ne veut plus lui parler parce qu'il l'a tapée, ça me paraît fair, mais j'peux pas lui dire comme ça- Donc… Ouééé, c'est pas simple. Je me passe une main sur la nuque.

—Ok, alors… Perso quand j'arrive pas à parler à la personne en face, j'essaie de lui écrire un message. Mais je pense aussi que des excuses doivent être formulées à voix haute, donc… Si tu sais pas comment l'aborder dans un premier temps, tu peux toujours faire une intro par message. Et… Nan j'te conseille pas de revenir sur un coup de tête. A un moment donné, faudra passer le cap, mais c'est pas sans réfléchir que tu vas le régler, ce problème.

Je lui lance un sourire désolé.

—Est-ce que tu regrettes ce que tu as fait ? Est-ce que tu te sens en tort, ou est-ce que tu as l'impression que c'était légitime, la réaction que tu as eue ?

Et on sait tous les deux qu'elle ne l'était pas, mais l'important c'est pas ce que c'est en réalité, c'est aussi comment on le perçoit. Et tant qu'il est incapable d'assumer sa culpabilité, son ami, quel qu'il soit, voudra sûrement pas lui reparler. J'accepterais pas si facilement qu'on blesse l'une de mes amies non plus.

Senri, quand son carnet avait été mentionné, avait feint de ne pas avoir entendu. Montrer ce carnet à son professeur était encore trop tôt ! Il ne maîtrisait pas encore la "boule de feu de lune ascendante astigmate de la constellation de l'enclume noire". Reste que son carnet et les noms de techniques alambiquées qui y était contenu furent mis de côté.

Une fois au café, Senri écouta attentivement les remarques d'Aaron. Un peu gêné, il reprit la parole.

— Euh... Vous avez mal compris, je crois... En fait, je me demandais si c'était pas lui, qui avait dit, sur un coup de tête, que je devais revenir lui parler... Si ça se trouve, il espère juste ne plus jamais me recroiser.

Entre temps, on avait amené les deux cafés aux deux tonnerres solaires. Senri but une gorgée et grimaça si fort face au goût amer que son visage sembla disparaître pour ne laisser place qu'à un amas de plis. Très vite, il retrouva son visage coléreux, quoique contrit par la situation actuelle.

— Bien sûr que je m'en veux. Que je me sens en tort... Je sais pas si je vous l'ai dit, mais... C'est pour un truc comme ça que je me suis fait virer de mon lycée à Sendai. Enfin, c'est pas tellement pareil... Mais... J'ai quand même tapé sur des gens.

Il marqua un temps d'arrêt.

— Avec la téléportation, je me sentais vraiment bien, j'avais envie de l'essayer dans chaque situation... Et encore plus de me bagarrer avec... Et puis y a eu ce moment, où Atumane à dit que j'avais juste eu ce pouvoir par hasard. Ça m'a mis hors de moi... Même si je sais que c'est l'éclipse et par parce que j'ai passé mon temps à courir et sauter à travers la salle d'entraînement... J'ai... J'ai eu cette envie... De prouver que j'étais le meilleur... Mais y avait aussi de la rage. Je voulais pas retourner comme au collège ou au lycée...

Durant tout le temps où il avait parlé, il avait attrapé le pot de sucre et avait commencé à en remplir son café. Quand ce dernier fut davantage une pâte amalgamée de sucre vaguement caféinée. Senri reporta son regard sur celle-ci, observant les sillons que faisait sa cuillère dedans. Il la retira, prélevant un échantillon de sa pâte de sucre caféinée.

— Mais, quand on s'est battu avec les étoiles, j'étais juste excité. Pas en colère. Au final, je sais pas ce qui est le pire.

Le contenu de sa cuillère était trop sucré. 

Ah, ouais j'ai mal compris sa phrase. Je fronce les sourcils puis acquiesce finalement.

—Oh, désolé. Tu sais, s'il l'a dit, c'est qu'il tient suffisamment à ton amitié pour vouloir que les choses s'arrangent. Mais ça, tu peux pas le savoir à moins de lui demander…

Senri a pas l'air ravi de son café, et je pousse le sucre vers lui, à demi amusé, avant de le laisser parler. Moi, j'attrape ma tasse pour m'appuyer dans le fond de mon siège et regarder mon élève pendant qu'il me raconte la suite. J'lui laisse le temps, sirotant mon café de temps en temps. J'esquisse une moue embêtée, secouant la tête pour la mention de son lycée. C'est dans son dossier cela dit, donc j'ai du le lire quelque part, ça me rappelle un truc.

J'fais pas gaffe, mais il est tellement stressé qu'il rajoute du sucre sans s'arrêter dans sa tasse. J'fais un geste pour l'arrêter mais il s'en rend compte tout seul. Bon.

—Ok, j'vois un peu de ce que tu veux dire. Les pouvoirs, ça peut donner envie de faire n'imp, parfois. Parce qu'on se sent puissant et on se sent bien. Surtout par rapport à un pouvoir que t'as rêvé d'avoir.

Cette fois, j'ai une grimace.

—Si tu t'es battu contre Houston et Alice, du coup, c'était parce que… Tu voulais prouver quelque chose que tu étais le meilleur, donc. Mais à qui tu voulais le prouver ? À toi, ou bien aux autres ?

Il a surtout l'air d'avoir tellement peu confiance en lui qu'il faut absolument qu'il en fasse plus, et même trop, pour se sentir vivant. C'est un peu comme surjouer tout le temps, quelque part. Pourtant, j'suis sûr qu'il aurait pas besoin de ça. Faut juste qu'il le dépasse. Pour ça, on va avancer doucement.

— Z'inquiétez pas, j'm'exprime pas très bien !

Il tenta d'esquisser un sourire, mais ce dernier était plus crispé qu'autre chose. Il reprit donc son expression de caniche triste en écoutant attentivement les paroles de son professeur. Bizarrement, quand Aaron parla de la téléportation, Senri se sentit mal à l'aise. Il éprouvait maintenant quelque chose de bizarre face à ce pouvoir.

Mais si ce n'était que de l'ordre de la gêne fugace, la question suivante donnz l'impression à Senri qu'il était redevenu eau et qu'il venait de une véritable douche froide. Il lâcha sa cuillère. Ses doigts vinrent s'entortiller.

— Je... Je crois qu'au début, je réalisais pas... Fin si, en fait. Je savais que c'était pas bien. J'ai demandé à Atumane pourquoi il avait besoin de nous pour... Ça... Fin, pour taper quelqu'un, quoi.

Le dire avait tordu le ventre de Senri d'une manière dont il se serait bien passé.

— Mais quand il m'a dit que j'étais qu'un sensitif, qu'il m'a traité comme une merde et mis au tapis... Je sais pas... Je me suis dit que pour me faire respecter je devais rentrer dans son jeu. J'crois que pour la première fois, j'ai pas tapé directement.

Senri eut un rire sarcastique en se redressant.

— J'aurais p'tet dû m'écouter, cette fois. Et lui encastrait sa gueule de faux-titan suffisant dans son mobilier à chier.

La haine avait fait vriller la voix du garçon. Assez pour être clairement palpable. Les mains de Senri semblaient déterminées à se broyer l'une et l'autre.

Il se liquéfie sur place, et je lui lance un regard compatissant. C'est pas simple d'être ado ; on veut toujours être bien vu, accepté, et le rejet nous laisse des marques terribles. Mes lèvres se pincent. Cet Atumane est vraiment une sombre merde. Je crois qu'Hideko va le reconvoquer dans les prochains jours… J'espère qu'il va prendre cher. Si on pouvait le renvoyer, je le ferais bien.

—C'est un manipulateur, tu sais. Peu importe ce que toi tu aurais voulu, il aurait réussi à te convaincre de faire ce que lui souhaitait que tu fasses dans tous les cas. Tu as fait une connerie, ok. Mais je pense que plutôt que de te dire "j'aurais dû agir plutôt comme ça", demandes-toi ce que tu feras si la situation se répète. Pas forcément avec Atumane, mais si quelqu'un essaie de te convaincre de la même manière.

Cette fois, je le regarde dans les yeux. Sa colère me fait de la peine. J'aimerais pouvoir l'alléger de ça…

—T'es encore un ado Senri, et des erreurs tu vas encore en faire — j'veux dire, j'étais un casssos, je sais de quoi je parle. Prends juste ça comme une leçon pour faire mieux la prochaine fois. Puis écoute pas ce teubé, t'es pas une sous-merde parce que tu es sensitif. Faut pas nous faire chier, je souris en coin. T'as pas besoin de taper les gens pour te faire respecter. Sois en accord avec tes principes, et ça suffira. Enfin, sauf si tes principes c'est de taper les gens, là faudra qu'on les revoie un peu, mais-

Sourire un peu nul.

—C'que je veux dire, c'est que. Si tu as un problème, ou que tu sais pas quoi faire dans ces moments-là. Viens me voir, ok ? Moi ou n'importe quel Master. J'suis là si tu en as besoin. J'suis content que tu sois venu là, déjà. Pour ton ami, du coup... Pourquoi tu lui expliquerais pas ça, et lui présenter tes excuses ? Et aux personnes que tu as blessées ? Sans te chercher des excuses. Juste. Être honnête ?

Senri serra les poings aux première paroles d’Aaron, la colère continuait de lui tordre le ventre. Il lâcha ses mains en jetant son regard vers l’extérieur.

- Tout le monde me dit ça ! Qu’il m’a manipulé…. comme si ça changeait quelque chose ! Ça change rien ! J’aurais dû être plus fort, plus intelligent ! Moins… Teubé au point de m’amuser à taper sur des gens ! Je me suis pris pour quoi ? Un héros de shonen ?! J’ai rien appris de Sendai, putain !

Alors qu’il avait élevé la voix et écrasé son poing sur la tables, les gens avaient tournés leurs regards vers lui et Aaron. Il se crispa et voulut disparaître entre ses grosses épaules. Il baissa les yeux, tout penaud.

- Désolé…

Il avait soufflé ses excuses plus à l’attention d’Aaron qu’autre chose. Il attendit que les gens retournent à leur vie pour reprendre plus calmement.

- C’est ça le problème je crois… J’ai toujours été comme ça… Quand je suis dos au mur, je m’énerve et je frappe… Mais...

Néanmoins, il se mit à sourire. C’était un sourire triste mais qui suggérait un peu d’espoir.

- Fin, j’sais pas trop comment le dire… Mais… Fin, je suis content d’en avoir parlé avec vous. De voir qu’il peut y avoir d’autre manière de faire, que c’est pas impossible pour moi… J’en ai discuté avec une amie aussi… Elle m’a aussi aidé à trouver des solutions pour parler à Chrys… Je pense qu’avec ce que vous m’avez dit en plus, je peux aller le voir !

Il marqua une pause, détournant le regard et se grattant l’arrière du crâne.

- Je… J’ai envie de… changer. J’ai parlé avec votre fils vous savez ! Nicolas ! Il m’a fait comprendre que je peux me battre pour des trucs importants aussi, et pas juste parce que je suis en colère. J’aimerais bien être comme lui et… euh commevousaussiunpeujecrois. Et, je crois que j’ai aussi, un petit peu mais vraiment pas beaucoup hein ! Hâte de retrouver mes pouvoirs de…

Il prononça le mot « solaire » tout bas. C’était presque imperceptible, mais ça avait bien été là.

Senri s'énerve, et sa colère éclate. J'la laisse éclater, ça sert à rien de l'étouffer. J'reste calme, et secoue la tête quand il s'excuse.

—C'est pas grave, t'as le droit d'être en colère.

C'est vrai. Effectivement, il aurait dû. Il aurait pu. Sauf que le passé, il se change pas. On peut changer que ce qu'on a sous la tronche, c'est à dire ce qui est en train de se passer là, maintenant. Et je vois pas quelqu'un qui aime faire souffrir les autres, j'vois juste quelqu'un qui souffre et qui sait pas comment faire. Pourtant, c'est pas comme s'il avait pas réfléchi au sujet du problème. Il est capable de me le décrire, il est capable de se dire qu'il faudrait qu'il fasse autrement. Et rien que ça, c'est une avancée énorme. J'suis pas sûr qu'il s'en rende compte.

J'lui souris. C'est bon j'ai presque les larmes aux yeux TELLEMENT IL EST CHOU. J'suis tellement fier omg. Il peut être fier de lui aussi. Et j'ai les yeux qui sont humides maintenant auscour.

—J'ai hâte qu'on les retrouve ensemble, ouais, je souris plus largement, heureux de ce que je viens d'entendre. Tu peux être fier de toi, Senri. Même si t'es en colère contre toi. Même si t'as l'impression que tu peux faire mieux. Moi j'sais que tu peux, et que tu vas y arriver. T'as pas besoin d'être comme nous, sois juste… comme toi.

Sois juste toi-même. Et nous, on sera à tes côtés pour te guider si t'en as besoin.

HRP - moi actuellement :

Senri resta figé un moment face aux paroles de Aaron. Néanmoins, son visage se décora rapidement d'un sourire, légèrement gêné, peut-être. Senri était vraiment heureux de ce que lui avait dit Aaron. Il n'avait pas tellement l'habitude qu'on l'épaule comme il venait de le faire.

— Merci, m'sieur. Mais euh... Pleurez pas hein !!! Parce que sinon je vais être obligé de pleurer aussi, mais je pleure pas moi hein !!

Senri laissa son sourire prendre ses marques sur son visage pour camoufler ses petits yeux brillants tout en finissant de manger son étrange mélasse de sucre caféïné. Puis il releva la tête vers son professeur.

— Ah ! Au fait. Vous savez comment on accède aux microphones de Terrae ou comment je pourrais me procurer un cristaux de sonore ? Parce que, avec Amy, on s'était dit que quitte à m'excuser auprès des deux étoiles, ça pouvait être cool de faire en sorte que tout le monde entende. Genre montrer que je suis pas qu'"bagarreur impulsif" comme dit Amy !!

Il s'arrêta, guettant les réaction de son mentor, avec des yeux de biches.