Bon. Bah. Allez. Hein. Askip. C'est le jour J.

Nan mais c'est pas que j'veux pas. C'est que j'comprends toujours pas à quel moment j'me suis vraiment motivé pour ce truc-là. Il y a un mois j'ai parlé à Aria de la journée portes-ouvertes à l'université de Tokyo, comme on en avait discuté avec Afya un jour où on l'attendait tous les deux. Et comme j'sais toujours pas ce que je veux faire de ma vie, j'ai dit que ça pourrait être une bonne idée que j'y aille. Mais c'était sans compter sur l'élan de motivation d'Aria. J'ai cru que j'allais mourir avant d'y aller, hein. NAN MAIS PARCE QUE C'EST TROP UNE BONNE IDEE OHLALA TROP BIEN TU VAS TROUVER CE QUE TU VEUX FAIRE C'EST TROP COOL VAS-Y GRAVE TROP BIEN TROP TROP BIEN JE SUIS TROP HEUREUSE POUR TOI et j'en passe. La joie. Vraiment, j'ai regretté l'instant d'après, sauf que c'était trop tard, elle avait déjà préparé une lettre pour Hideko pour lui demander la permission de sortie (fort heureusement j'ai pu la récupérer après qu'elle l'ait glissée sous la porte de son bureau pour la réécrire et genre corriger les fautes et retirer les paillettes). Et puis évidemment comme Aria commençait à se demander pourquoi elle n'avait toujours pas de réponses, j'me suis senti obligé de déposer la lettre pour de vrai. Du coup. Bah. Voilà. C'était fait. Je venais de signer mon arrêt de mort.

Quelques jours plus tard, Hideko m'a convoqué. Aria était hystérique. NAN MAIS TROP COOL CA VEUT DIRE ELLE NOUS EN VEUT PLUS, ELLE A FINI PAR NOUS PARDONNER TU CROIS ?! HAAAN ELLE NOUS REFAIT CONFIANCE MAIS GENIAL OHLALA JE SAVAIS QUE J'AVAIS RAISON DE PAS LACHER LE MORCEAU ET DE CONTINUER A LUI FAIRE DES GRANDS SOURIRES QUAND JE LA CROISAIS DANS LES COULOIRS TU CROIS QU'ELLE A RECU TOUS MES AUTRES PETITS MOTS AVANT ?!

Voilà. Je l'aime, hein. Je l'aime éperdument. Je crois que c'est ça le plus inquiétant dans cette histoire.

Résultat : Hideko m'a informée qu'une autre élève voulait justement s'y rendre : Afya. Ouais, bon, ok, j'm'y attendais pas, mais pourquoi pas. Elle m'a donc autorisé à quitter Terrae pour la journée, à condition que j'emporte avec moi un cristal de Master pour pouvoir les alerter en cas de pépin. Genre connexion entre cristal et créateur du cristal, un vieux truc à la con à base de "tg c'est magique, on ressent le danger" et voilà. J'ai demandé à Aoi de me filer un cristal, et on était parti.

Je fixai l'énorme porte d'entrée. Je me perdis un instant dans la contemplation de ces barreaux. Nan mais c'est cool. La dernière fois que j'suis sorti d'ici, c'était y'a combien d'années en fait ? J'ai comme le mauvais pressentiment que c'est arrivé à chaque fois qu'il s'est passé un truc de merde dans ma vie. Genre la cure. Ou le tour en montgolfière. Gé-nial.

-Oh, Afya, t'es là, super ! Bon, bah en route ! Apparemment comme on n'a pas le permis, on va devoir se démerder. A pieds ou en bus. J'me disais qu'à pieds ça pourrait nous permettre de nous balader un peu dans Tokyo.

Nan mais c'est surtout que si on prend le bus j'suis sûr qu'il pourrait encore m'arriver un truc à la con genre "prise d'otage personne ne bouge". J'attire la merde, c'est pas ma faute.

Le changement c’est maintenant. Plus facile à dire qu’à faire, et bien loin de ses préoccupations habituelles il faut le reconnaitre. Elle n’arrive plus à écrire, c’est un fait. Les mots glissent sur ses pensées plus désordonnées que jamais, alors le temps ne ressemble plus à rien. Tantôt au beau fixe, tantôt grisonnant. L’eau se trouble et elle ne sait comment retrouver sa clairvoyance, alors elle s’intéresse à ce qui l’entoure, s’occupe d’un rien et fait des rencontres. La casanière a dû réapprendre à sortir de chez elle.

Elle ne se souvient plus comment elle en a entendu parler, mais elle a fait quelques recherches avec l’aide de Selvi à la bibliothèque. Cette université propose des cursus de remise à niveau accessibles sur dossier… Alors elle se prend à rêver, ils ont un cursus littéraire qui lui semble intéressant en cela qu’il ouvre sur un master de métiers du livre ou un master d’écriture. C’est ce dernier qui l’intéresserait le plus alors elle rêve et la demande est faite. Pour la première fois elle demande l’autorisation de passer la grille.

Elle était bien sortie une fois, pour cette croisière qui s’était mal terminée, mais c’était alors une autorisation de groupe et non pas nominative. Elle n’avait eu qu’à noter son nom sur une liste, cette fois-ci elle devait écrire une lettre… Et ce n’était pas chose facile quand les mots lui manquaient. Elle y avait littéralement passé des jours à l’écrire cette satanée lettre, et au final elle ne contenait rien que de très informatif. Un truc du genre « Bonjour madame l’honorée directrice, je souhaite vous demander la permission de me rendre aux journées portes ouvertes de la faculté de Tokyo Est. Cet institut propose des cours de remise à niveau avant d’entrer dans ses filières et je crois qu’un tel cursus peut me correspondre. » s’en suivait les détails administratifs tels que la date et les horaires prévisibles de sortie.

Elle n’en avait parlé à personne, pas même à Ariana. Selvi l’a aidé à trouver des informations sur cette faculté mais ne sait pas qu’elle compte se rendre aux portes ouvertes. Ou peut-être que si, peut-être qu’elle s’en doute mais n’a rien osé demander comprenant le trouble d’Afya.
Au fond, elle savait qu’elle n’aurait pas le niveau même pour une remise à niveau. Elle n’avait appris à écrire qu’après son arrivée à Terrae, son niveau en mathématiques ne dépassait pas celui d’un enfant de dix ans, et elle n’avait aucune connaissance en histoires ou en langues… Pourtant elle souhaitait rêver un peu. Quand elle avait reçu la permission d’Hideko son cerveau avait peut-être quelque-peu « fondu » elle était si heureuse et excitée à la fois, tout en étant terrifiée. Elle se doutait que les informations qu’elle y trouverait la découragerait, elle n’avait pas bien écouté les conseils de la directrice. Juste noté l’heure à laquelle elle serait attendue au portail et que quelqu’un l’accompagnerait.

Pourtant elle fut surprise de découvrir Allen qui l’attendait. Elle était persuadée qu’on ne pouvait quitter Terrae qu’accompagné d’un master. Quand était-il devenu master ? Ariana ne lui en avait pas parlé… Ou alors l’aurait-elle oublié ? C’était en même temps fort probable et fort peu probable. S’il était réellement devenu master son amie en aurait parlé pendant des jours. DES JOURS. Vantant les mérites de ce chéri parfait. Spoiler : il ne la méritait pas. Personne ne serait jamais assez bien pour l’eau lunaire si on demandait son avis à l’ivoirienne. Cependant il la rendait heureuse, alors elle l’appréciait un peu.

« Bonjour Allen, j’ai l’itinéraire en bus et en métro, la faculté est plutôt loin… »

Tokyo est une très grande ville. Ils passent les portes de Terrae et entrent dans l’agglomération tokyoïte.  Afya sort son carnet magique de sa poche et regarde les indications qu’elle y a noté.

« Tu sais où est le bus avec ces signes ? »

Elle avait noté l’idéogramme mais ne savait pas qu’il représentait en réalité un chiffre, celui d’une ligne de bus et d’un sens pour le prendre. Elle espérait que le néo-master saurait lire ses instructions mieux qu'elle...

L'itinéraire en bus ou en métro mais mdr elle a pas vu que c'était avec moi qu'elle partait ? Bon, pas de souci, après tout elle peut pas vraiment savoir vu que j'parle à personne et que j'évite tout le monde. Hé j'suis pas psy, c'est pas à moi de m'inquiéter des autres hein, faut pas abuser non plus. Mon taf c'est de vendre des fringues, et j'le fais, point barre. Gros boulot, je sais. J'vous emmerde.

DONC tout ça pour dire qu'Afya elle a pas bien compris le message quand j'lui ai dit "Viens on y va à pieds". Clairement elle a trop la confiance. Elle devrait pourtant être familière avec tout ce qui est karma elle, nan ? Dans ma tête c'est un peu son délire. Mais y'a moyen que j'me plante complètement. Faut assumer ses erreurs.

-Heu. Nan. Oui. Ok. D'accord. Prenons le bus.

C'est quand même fou de paniquer autant pour si peu.

Bon, ça fait quand même sacrément bizarre d'être ici. J'me souviens, parfois on venait sur Tokyo quand j'étais gamin. Maman aimait bien venir se balader ici, elle disait qu'elle aimait se mêler à la vie de la capitale, plutôt que rester dans sa banlieue tout le temps. Ce qui est fou, c'est que je n'arrive absolument pas à me souvenir de ce qu'il y avait ici avant que ce soit Terrae... Haha. Vous croyez qu'ils ont effacé la mémoire de tout le monde pour cacher à l'univers ce qui se trouvait autrefois à l'emplacement de Terrae ?

Ouais, non, stop, tu délires Allen, en fait c'est juste que t'as pas de mémoire, c'est pas très grave.

Je regardai le bloc-note d'Afya et m'informai rapidement de son contenu. Donc il fallait qu'on prenne le bus n°16. Puis la ligne 63. Bon, parfait, j'ai jamais pris ces bus-là, on devrait être tranquille. Enfin. Je crois. Je pense ? Je sais plus. OUAH. Nan mais t'façon la dernière fois que j'me suis baladé dans Tokyo, ça devait être y'a 10 ans. Donc normalement rien me retombera sur la gueule. Et en ce qui concerne le karma. On va dire qu'on fait confiance à Afya. Elle a l'air d'être le genre de nénette qui a du cul. Enfin j'dis ça mais p't'être que c'est absolument pas vrai. Qui sait. L'avenir. C'est beau, l'incertitude et l'inconnu.

Putain comment j'déteste m'aventurer vers l'inconnu comme ça.

-Faut prendre la ligne 16 puis la ligne 63, d'après ce que tu as écrit. Tu as pris un plan du réseau routier ? Parce que je connais pas les arrêts, j'allais que dans le centre quand je venais à Tokyo, et on venait souvent en voiture pour ensuite se balader un peu.

ET LA ON CROISE LES DOIGTS. Parce que si elle a pas de plan, c'est tranquille, on est obligés de marcher. Même si effectivement on va marcher pas mal. J'm'étais pas totalement renseigné sur l'emplacement de l'université en fait. Nan mais dans l'idée je saiiiis. Juste c'est des souvenirs lointains. Du coup bah ça s'oublie vite. Et quand on y pense on se dit "Nan mais à pieds c'est pas si loin" alors que si.

Mais appeler un taxi c'est un piège, on va vendre nos reins pour payer et en plus le chauffeur serait capable de nous racketter. NAN MAIS SI je vous dis que j'ai la poisse, c'est pas un mythe.

-Y'a une filière qui t'intéresse en particulier ? demandai-je alors qu'on se dirigeait en marchant vers un arrêt de but.

Y'aura pt'être la carte des bus, hein.

Elle ne comprend pas que l’idée de prendre le bus puisse le paniquer. Si elle était plus commune des taxis avant d’arriver à Terrae, elle avait compris qu’ici les transports en communs étaient spacieux. Il lui explique qu’ils doivent prendre telle et telle ligne avant de lui demander si elle a pris un plan des transports en commun. Elle secoue négativement la tête mais tourne la page pour montrer le schéma qu’elle a recopié sur le site internet.

« Nous on est là, on doit aller là ! » fait-elle en suivant de l’index une ligne verte.

Elle avait copié toutes les informations qui lui avaient semblées utiles, et comment se rendre à la faculté lui semblait une information de la première importance. Aussi avait-elle noté le plan pour rejoindre l’arrêt de bus en mettant comme point de départ Terrae et d’arrivée les coordonnées de la faculté. Elle a noté les stations où elle devait effectuer des changements, il n’y en a qu’un, heureusement. Elle a trouvé un site qui lui proposait ces informations en français.

Il fallait la voir ce jour-là, taper sur son clavier avec ses deux index à une vitesse ridicule. Lentement, très lentement elle avait rassemblé ses dernières informations. Elle avait tout noté. Du prix du titre de transport à la section qui l’intéressait le plus… C’est d’ailleurs ce qu’il lui demande.

« Il y a une filière littéraire qui a l’air bien… Et toi tu as des idées ? »

L’idée du jeune homme semble se résumer à « survivre » quand elle lève le bras pour faire signe au chauffeur de bus qui s’avance vers l’arrêt qu’ils ont rejoint. Ce n’était pas bien compliqué, il suffisait de longer la clôture sur quelques centaines de mètres puis de bifurquer à gauche et on tombait une un boulevard plutôt fréquenté. Elle faisait de grand signes, habituée à devoir héler à renfort de gestes les taxis abidjanais quand d’aventure l’un des riches du quartier devait en prendre un. Elle-même n’en avait pris un qu’à deux reprises pour aller visiter une tante de l’autre côté de la ville.

Le bus s’arrêtent et les deux jeunes gens y montent.

« Nous voulons aller à l’université L. » dit-elle au chauffeur qui semble ne pas la comprendre. Il ne porte pas de puce traductrice… Il la regarde avec un certain dédain, à moins que ce ne fut de l’appréhension ? Le quartier n’est pas touristique…

Elle n'a pas de plan. Mais en fait, la page d'après, elle a recopié le plan. Waaah mais en plus d'avoir fait ça bien, elle a pris le temps quoi ! C'est hyper complet, c'est un truc de dingue ! Mais heu. Elle pouvait pas imprimer ? Genre ils lui auraient refusé à la bibliothèque ? Ca m'étonnerait quand même. Ou alors elle sait pas qu'on peut imprimer ? D'où elle vient déjà ? WAH mais en vrai c'est trop chelou, au début j'connaissais Afya, puis j'me suis mis en couple avec Aria, et maintenant j'ai l'impression qu'on n'a plus du tout la même relation avec Afya. J'oublie tout un peu. Bon, faut dire que quand je l'ai rencontré, j'devais pas être au top de ma forme, hein.

Elle était donc intéressé par la branche littéraire. Et elle me demandait ce qui m'intéressait moi. Est-ce que je peux répondre "Alors en fait, c'est ma copine qui m'a dit de venir" ? "Aria s'est tellement emballé que j'ai surtout songé à survivre ces derniers jours, plutôt que de regarder les filières qui pourraient m'intéresser" ?

-La littérature, ça me plaît bien aussi. Mais j'aurais bien été me renseigner auprès de la filière psychologie, et celle de langues. Une double formation lettres et langues, ça pourrait me plaire.

Ouais, c'est de la mauvaise foi. J'mets toujours tout sur le dos d'Aria, mais la vérité c'est que j'y ai déjà réfléchi, j'assume juste pas mes choix.

-En droit, aussi. Enfin, on verra une fois sur place. Et en fonction de mon niveau aussi... Parce que si je me rends compte que j'ai perdu absolument toutes les bases, je vais pas me lancer dans un plan fou comme ça...

Le bus arriva et Afya entra devant moi pour indiquer notre destination au chauffeur. Je me pinçai les lèvres quand je le vis la dévisager, ne comprenant pas ce qu'elle racontait. Après avoir adressé un sourire à la jeune femme, je passais devant elle.

-Il faut bien prendre la ligne 63 après pour aller à l'université ?

Faut avouer que ça aide pas mal d'être japonais quand tu sors de Terrae, vu que le pays dans lequel on vit c'est le Japon, quand même...
Le chauffeur me confirma ça d'un geste de la main précipité ; personne ne demande généralement sa route au chauffeur. On rentre, on s'installe, et on descend à l'arrêt qui nous intéresse. Le bus fait toujours le même trajet, alors il n'est pas nécessaire de communiquer.

J'entraînai Afya avec moi ; il restait encore des places assises. Je lui souris.

-T'inquiète, on est sur le bon chemin, c'est bien le n°16 ! On descend dans quelques arrêts et on fait le changement. Il faudra marcher un peu entre les deux.

Je regardai au dessus de son épaule le schéma qu'elle avait fait, et enregistrai le nom de notre arrêt avant de relever le nez sur le dessin qui avait été déposé au dessus de la porte, indiquant tous les arrêts qu'allait prendre le bus.

-On a quatre arrêts avant de descendre. Et après quatre ou cinq arrêts, on choisit, l'université est entre les deux.

Le nippon n’est pas si bien fixé qu’elle sur ce qui l’intéresse à la faculté. Tant de voies semblent l’appeler quand une seule se dessine devant l’ivoirienne. Celle qu’elle a toujours voulu suivre, multiple à bien des égards mais toujours pavée des mêmes pierres. Elle aimerait prendre rendez-vous avec un conseiller d’orientation, il parait qu’il y en a un parmi les psychologues… Mais elle n’ose pas. Elle sait qu’on ne découvre que les portes ne sont fermées qu’après qu’on y ait toqué.

Allen vient à sa rescousse quand faisant face au dragon-chauffeur elle essaie de lui faire comprendre où ils doivent aller. Elle réalise alors l’évidence. Le chauffeur n’a pas de puce traductrice, elle a été mal habituée à Terrae. Elle en déduit aussi que l’air parle japonais. Ce dont elle se doutait vu qu’il avait réussi à lire ses dessins, car c’était bien cela pour elle : des dessins. Ces symboles ne souffraient d’aucune interprétation. Elle règle leurs deux titres de transports avant qu’Allen ne l’entraine vers le fond du bus.

« Tu es japonais c’est ça ? »

Il a un avantage certain. Elle s’en rend compte. Elle ne parle pas un mot de japonais. Peut-être quelques-uns d’espagnol depuis qu’elle fréquente Ariana, mais rien de plus. Elle refuse juste de voir la vérité en face. Elle ne pourra jamais rejoindre cette université dont elle rêve car si elle en comprendra les cours, ses enseignants et ses camarades eux ne la comprendraient pas. On pourrait croire qu’elle est dans le déni, mais elle sait. Elle veut juste rêver un peu.

Il lit tous les arrêts trouvant les informations qu’il lui manque. Ils s’assoient tout deux, mais les arrêts défilent plus vite qu’il n’y parait. Ils ont tout juste le temps d’appuyer sur le bouton signalant au chauffeur qu’ils désirent descendre. Suivant ensuite les indications qu’elle avait tracé sur son carnet ils gagnent l’arrêt de bus suivant en cherchant avec quelques difficultés comment meubler la conversation. Ce n’est pas évident, c’est peut-être pour cela qu’ils aiment tant Ariana, la rouquine parle BEAUCOUP. Il suffit de l’écouter.

Un nouveau problème se pose, deux arrêts de bus se font face de chaque côté de la route et portent les mêmes numéros de ligne… Seulement un petit malin a trouvé intelligent de taguer les deux arrêts de bus. C’est beau et coloré hein ? Juste peu pratique en cela que ça dissimule les directions dans lesquelles se dirigent les bus et les horaires de passage. Quand il lui explique le soucis elle se concentre, tend vers son pouvoir et finit par rouvrir ses yeux opalescents.

« Si on prend le bus dans cette direction on va se perdre. »

Elle a suivi leur chemin en se concentrant sur une direction, c’était presque facile car elle était au point de départ de ce possible. Ils changent de trottoir et prennent le second bus, arrivant rapidement à la faculté désirée. Le soleil inonde le ciel quand ils en franchissent les portes, les étudiants et futurs étudiants quand à eux inondent la cours de l’institution.

« Tu crois qu’on est obligés ? » demande-t-elle peu désireuse de rentrer dans cette foule compacte, mais déjà des étudiants les assaillent et leurs parlent de leurs clubs et de leurs cursus.

Je hochai la tête en guise de réponse à sa question. Je pensais que ça se voyait ? Même en étant métisse, j'ai quand même pas mal de traits de ma mère... Enfin, je crois. J'imagine qu'on est peut-être moins objectif lorsqu'on est dans la situation. Puis métisse asiatique, ça peut être chinois, japonais... Ouais, bref, ok, ça se voyait peut-être pas tant que ça. D'autant que mon prénom n'est pas japonais. C'est bon c'est bon j'lui accorde le point.

Les arrêts défilèrent rapidement et on descendit à l'arrêt indiqué sur son plan. C'était assez amusant de voir Afya dans cet environnement. Elle n'avait clairement pas l'air habituée à ce genre de transport. Je me demande comment elle vivant, avant d'arriver à Terrae. C'était comment, chez elle ? Malheureusement, je n'ai qu'une idée vague du pays où elle vient, et je n'ai bêtement jamais pris le temps de vraiment me renseigner sur ça. Est-ce qu'elle est déjà sortie de Terrae pour une mission ou juste... pour sortir ? C'est rare, mais après tout, c'est possible. Parfois, certaines personnes sortent de Terrae pour raison personnelle, et ils se font accompagnés par leurs amis. Même si à ma connaissance Aria n'est jamais sortie, Afya a probablement d'autres amies qu'elle à accompagner.

On se dirigea vers l'arrêt suivant, et je soupirai. C'est malin, ça, de gribouiller sur le plan. J'expliquai à Afya ce qu'il en était, et elle me répondit assez rapidement que nous allions nous perdre si nous prenions ce bus-là. Attendez mais wait, comment elle- Ah mais oui. Oui. Oui nan mais j'avais oublié en fait. Elle est Voyante. Et donc. Elle sait. Waaah mais c'est la solution de ma vie ça ! Elle va direct pouvoir m'annoncer à chaque fois qu'une merde va m'arriver ! Mais il va falloir qu'on devienne vraiment amis Afya !!

On finit donc par arriver à destination. C'est un peu compliqué de trouver de quoi parler avec Afya, et comme j'suis pas le mec le plus bavard de l'Institut, je n'insiste finalement pas trop, et on passe le plus gros du trajet en silence, à observer Tokyo à travers la fenêtre.

Nous finîmes par arriver à l'université. Je me tournai vers Afya avec un sourire et l'invitai à me suivre pour entrer à l'intérieur. Sauf qu'elle sembla d'un coup très réticente. Bon, ok, j'avoue, y'a un milliard de personnes, nan mais c'est mort j'vais pas devenir étudiant en présentiel là-bas. Mais on peut toujours se renseigner sur les études à distance ! OUI on habite dans la même ville, et alors, je vois pas où est le problème.

-T'inquiète pas, ça va bien se passer !

Ouais sauf qu'en fait elle pourra jamais m'entendre parce qu'il y a un milliard de personnes qui se sont jetées sur elle et qui lui balancent un nombre incalculable d'informations sur différents cursus et différents clubs.
Je repoussai les personnes qui étaient venues me voir avec un gentil "C'est gentil, je vais faire le tour !" et je me faufilai ensuite entre les gens pour retrouver Afya. J'attrapai Afya par le poignet et la tirai hors de là avant de dire poliment aux étudiants que nous allions voir ça par nous même et qu'on reviendrait vers eux au besoin en temps et en heure.

Je lâchai la jeune Eau pour me passer une main dans les cheveux, un peu gêné.

-Haha, t'inquiète, ça va bien se passer... Allez viens, suis-moi, on va aller directement voir pour toi si tu veux ? Comme moi je suis pas sûr de ce qui m'intéresse vraiment, et que la filière littérature m'intéressait aussi !  

J'aperçus plus loin, sur un stand en carton, plusieurs plans qui étaient présentés en libre disposition pour laisser à tout le monde la possibilité de s'équiper. J'en chopai un et regardai rapidement où se trouvaient tous les stands qui nous intéressaient.

-Oh, c'est marrant ça, le représentant des élèves pour présenter la filière droit c'est un mec qui était avec moi au lycée...

Ah bah oui. Parce que contrairement à toi, il n'a pas arrêté l'école après avoir acquis son niveau bac Allen haha.

-Il doit être à la moitié de son cursus... Bon, allez, viens, on va aller voir la littérature, c'est là-bas ! lançai-je en désignant le bâtiment qui semblait correspondre à ce que je voyais sur le plan.

C’est étrange mais aucune des mauvaises expériences d’Afya n’avaient commencé par ces mots « t’inquiètes ça va bien se passer. » Pourtant c’est communément admis que les plus grosses erreurs commencent ainsi, de l’enfant que l’on lâche en vélo la première fois à la personne que l’on pousse sans parachute d’un avion en lui disant de s’accrocher à soi… Ces mots portent la poisse, mais Allen non plus ne semble pas le savoir. Ou peut-être qu’il a jeté l’éponge, se disant qu’au point où il en est il n’a plus nul besoin de tenter le destin ?

Elle est là entouré de plusieurs personnes qui l’assaillent. Elle est l’incarnation même de la diversité que l’on ne retrouve pas au Japon. Elle essaie de se dépatouiller de ce trop plein d’informations et de personnes, « pas tous en même-temps » demande-t-elle… Mais elle se rappelle qu’il ne parlent pas tous français, alors elle baragouine dans on anglais approximatif. Peut-être que ça il comprendront ? Mais en fait ils ne l’écoutent même pas. Heureusement Allen lui vient en aide. Elle pourra raconter à Ariana que son copain c’est trop un héros !

Elle le remercie, mais le voilà qui répète les mots pour tenter le destin. Elle lui fait cependant confiance, s’il dit que ça va bien se passer c’est qu’il le sait non ?

« D’accord commençons par là ! »

Il vaut mieux arrêter de rêver au plus vite. Ils se saisissent du plan de la faculté et Allen le déchiffre pour eux deux. Elle serait bien incapable de le faire. Il semble à peine surpris de découvrir que le représentant de la filière droit est l’un de ses anciens camarades de classe.

« Tu ne veux pas commencer par aller le saluer ? C’est toujours agréable de croiser un ancien ami. »

S’ils avaient été dans la même classe ils étaient forcément amis. C’est du moins ainsi qu’elle se représentait les camarades de classe. Elle était bien loin du compte… Mais déjà il prend le chemin de la section littéraire. Elle presse le pas pour le rattraper. Ils arrivent devant les stands qui l’intéressent. Faudrait qu’elle pense à parler et à demander des informations, mais elle est toute intimidée. Elle prend une grande inspiration et tente dans son anglais bancal.

« Bonjour, pourriez-vous me dire comment se déroule votre étude ? »

Le nippon lui faisant fasse la regarde avec curiosité avant de répondre :

« Excusez-moi, je ne parle pas anglais… Je vais chercher un autre élève pour parler avec vous. »

Elle remercie en japonais. Elle a appris quelques mots tout de même depuis son arrivée : « bonjour » « aurevoir », « merci », « s’il vous plait », et bien entendu « où sont les WCs ? » qui sont les bases de toute sortie en territoire inconnu. Une jolie japonaise aux cheveux longs les rejoint. Elle ressemble un peu à sa voisine de chambre par son style vestimentaire. Cela met un peu à l’aise l’ivoirienne qui se force à nouveau à parler en anglais.

« Bonjour, je voudrais savoir comment se passe votre étude, quels sont les cours dedans ? »

Alors la jeune femme lui explique qu’il existe plusieurs cursus littéraires. Certains basés sur les langues, d’autres sur l’apprentissage du japonais littéraire. Elle a décidé d’apprendre l’anglais, et du coup ses premières années elle avait des cours d’anglais tous les jours, puis des cours de culture, des cours d’informatique aussi. Cette dernière information semble un peu paniquer Afya qui jusqu’à là arrivait presque à se projeter.

Aller le voir pour le saluer ? Un ami ? Parfois, j'ai un peu du mal à suivre Afya. Après, est-ce que je peux lui en vouloir ? Parce qu'après tout, elle peut pas savoir, et ça part visiblement d'une bonne intention. Mais bon, c'est pas mon pote. Enfin, j'le détestais pas non plus, mais disons qu'on passait pas nos week-ends ensemble et c'est à peine si on se saluait le matin. On était dans la même classe quoi... Voilà. Et puis moi au lycée, à part Mitsuki et deux autres potes, c'était pas la grosse ambiance, hein. Quelques filles, voilà. Ouah mais Allen, quelle popularité ! Je suis sûre que le mec va même pas me reconnaître en fait !

-On verra, si l'occasion se présente j'irai le saluer.

Nan mais je le vois venir d'emblée, le mec va me demander qui je suis, et quand il va me remplacer c'est quand je dirai "J'étais le meilleur ami de Mitsuki, tu te souviens, la nénette aux cheveux blancs ?". Et voilà. J'vais encore être associé à elle et ça va me saouler. Au moins maintenant qu'on ne se voit plus aussi régulièrement (enfin, jamais, puisqu'apparemment elle fait la gueule), j'existe vraiment pour moi et moi seul. Même si j'existe en tant que raté qui râle tout le temps, j'existe. C'est déjà ça.

Nous arrivâmes finalement au stand qui intéressait surtout Afya. Bon, ça peut toujours m'intéresser aussi c'est vrai, de toute façon j'ai surtout prévu de me documenter sur toutes les filières qui touchent de près ou de loin mes centres d'intérêts. Et une fois les infos en poche, j'me déciderai... Peut-être. En fait, je sens déjà que quand je vais rentrer je vais être assommer par toutes les informations que j'aurais essayé de retenir comme un teubé sans avoir pensé au préalable à les organiser, ces infos. Et genre, à les classer de celles qui me semblent le plus importantes à celles qui le sont moins. M'enfin, je suis ce que je suis, hein, au moins je m'assume direct.

Je partis sur le côté du stand et pris une fascicule qu'ils proposaient avec les différents diplômes qu'on pouvait obtenir avec cette formation. En vrai, je trouve qu'en plus des puces pour comprendre toutes les langues, Terrae devrait investir dans des lentilles qui permettent de lire toutes les langues... Parce que ça doit être sacrément chiant pour pas mal de personnes de ne pas pouvoir lire le japonais, ou même parfois l'anglais (oui parce qu'en fait tout le monde n'a pas eu une éducation identique à la mienne, j'en ai conscience, 'doit y avoir des gens qui n'ont jamais été à l'école à Terrae...). Bon bien sûr y'a des cours à Terrae mais ça fait pas tout... Puis tous les cours ici ne sont pas forcément proposés en anglais de toute façon.

Enfin bref, je m'égarais à nouveau. Je relevai le regard du fascicule pour regarder Afya qui s'était approchée d'une étudiante pour lui poser des questions. Je souris en la voyant essayer de se dépatouiller pour se faire comprendre, constatant à ses lèvres qui bougeaient qu'elle parlait anglais. L'étudiante partit chercher une de ses amies, visiblement pour servir d'intermédiaire, et je souris en l'apercevant relancer la conversation. Afya était tout de même drôlement courageuse...

C'est à cet instant que j'aperçus un groupe complet de personnes qui avaient été dans le même lycée que moi en fait. Nan mais parce qu'il n'y avait pas que le représentant en droit, mais tous les autres. Après, normal vous me direz, j'habitais en banlieue de Tokyo, logique que les lycéens soient ensuite partis en études ici... Hahaha.

Bon, ne panique pas Allen, ils te reconnaîtront pas de toute façon avec tes cheveux. Avant t'étais blond alors bon... Et en plus t'étais juste l'ami de Mitsuki.

-Oh, mais salut Allen ! C'est bien toi non ? Ouaaah, ça te change les cheveux bruns, ça te va bien ! Ca fait comme avant que tu te fasses ta teinture, c'est chouette !

Hahahahaha c'était sans compter sur le fait qu'en plus des camarades de classe, il pouvait aussi y avoir des exs. HAHA. GENIAL.

-Oh mais salut Emi ! J'espère que tu vas bien ? Tu fais quoi de beau maintenant ?

Et s'en suivit une longue conversation, longue, très longue, très chiante, sur sa formation dans le droit et blablabla et ses amis, et les gens du lycée qu'elle voyait encore, et moi je vois encore qui ? Et puis aussi tu sais Allen ça me fait vraiment plaisir de te voir, tu fais quoi maintenant, on s'était inquiétés au lycée quand même quand vous avez disparu avec Mitsuki, et en plus avant vous aviez perdu vos parents, et toi t'avais même perdu ta maison, mais attends, on a parlé de vous pendant des mois au lycée ! Vous étiez des vrais stars, t'imagine même pas ! Mais d'ailleurs, t'as pas été à Terrae ? Parce que je crois t'avoir vu passé sur les réseaux sociaux, un jour il y a eu une émeute à Terrae et genre les gens voulaient sortir et les tokyoïtes ont voulu venir les sauver et-

Bref. Voilà. C'était chiant. Surtout parce qu'elle posait beaucoup de questions et que je pouvais PAS REPONDRE.

Afya, j't'envoie des appels de phare avec mes yeux là. Stp, capte, et viens me sauver. Bon termine ta conversation avant quand même, j'te respecte assez pour ça. Mais sauve-moi direct après en fait. Parce que là ça fait 5 minutes entières que je souris nerveusement pendant qu'elle me raconte l'histoire de son entrée à l'université.

Elle continue de lui parler d’un avenir auquel elle ne peut prétendre, mais en parlant elles arrivent finalement à parler des études par correspondance. Ce à quoi l’abidjanaise n’avait jamais réfléchi. Elle maitrise mal l’informatique, mais au dire de la nippone -ni mauvaise- on pourrait suivre des cours en recevant leur continue par mail et en renvoyant des devoirs. Cela fait germer une idée dans l’esprit de l’ivoirienne… Et si elle trouvait une faculté française qui faisait cela ? Ce serait bien plus facile, alors certes elle ne pourrait pas sortir de Terrae tous les jours pour aller en cours, certes elle n’aurait pas de camarades de classe et c’était triste, mais peut-être que ce serait plus réalisable pour elle.

Pour cela il faudrait qu’elle apprenne à se servir d’un ordinateur… mais cela lui semblait bien moins compliqué que d’apprendre le japonais. Elle savait déjà aller faire quelques recherches sur internet… Si quelqu’un l’aidait à allumer l’ordinateur et ouvrir le moteur de recherche en français elle arrivait à trouver les informations qu’elle cherchait… Ou s’égarait devant des vidéos de chats trop mignons qu’elle aurait voulu montrer à Ariana mais ne sachant pas se servir d’une messagerie elle se contentait d’en copier les adresses pour les lui montrer en rentrant.

Elle ne voit pas qu’Allen est en danger, sur le point d’imploser, elle finit tranquillement sa discussion avant de le rejoindre. Elle a les idées plus claires, elle est enthousiaste et optimiste. Elle a un grand sourire quand elle rejoint le japonais, cependant il est en train de parler à des personnes alors elle hésite à le déranger. Tant pis, elle doit au moins lui dire qu’ils peuvent bouger s’il le veut. Elle continue de parler en anglais approximatif espérant que ses amis la comprenne.

« Bonjour, je suis Afya. » elle commence par se présenter en prenant place au côté d’Allen devant le regard curieux de la jeune femme.

« Vous êtes une amie d’Allen ? Vous êtes étudiante ? Vous pouvez nous montrer les lieux ?"

Comme ça elle n’avait pas à séparer Allen de son amie. Il était chanceux de l’avoir rencontrée ici. Il y avait beaucoup de monde et il était quand même tombée sur elle. C’était de la chance n’est-ce pas ? Elle ne se doutait pas un instant qu’il aurait donné cher pour se débarrasser de l’importune et reprendre sa visite en solitaire.

Et la conversation se poursuivit. Et s'éternisa. J'aurais vraiment aimé qu'Afya revienne vite pour le coup. Mais elle était apparemment occupée. Alors j'ai pris mon mal en patience. Bon, l'avantage, c'est que je n'avais pas trop à parler, vu que je n'en avais pas le temps. J'ai passé un bon moment à hocher la tête (d'ailleurs j'crois qu'elle va se décrocher, ma tête), puis Afya a fini par arriver.

Je l'accueillis avec un large sourire, et m'apprêtai à annoncer à cette chère Emi que nous allions partir, quand Afya eu la pire idée du monde. Mon sourire s'effaça d'un coup et je jetai sur elle un regard à la fois choqué et complètement désapprobateur. Visiblement, aucune des deux filles ne s'aperçut que le principal concerné, à savoir moi, n'était pas d'accord.

-Oh mais oui, super bonne idée !! Tu aurais dû me dire plus tôt que tu étais avec une amie, je t'aurais proposé ça tout de suite ! Raah, Allen, t'as vraiment pas changé hein, toujours autant de mal à t'imposer ! hihi

Ok. Nan mais j'vais ragequit. Y'a pas moyen. La meuf me JUGE et en plus C'EST DE MA FAUTE SI JE POUVAIS PAS EN PLACER UNE. PARCE QUE OUI, JE T'AURAIS DIT QUE J'ETAIS AVEC UNE AMIE, MAIS PAS POUR QUE TU NOUS FASSES FAIRE LE TOUR, PLUTOT POUR QUE TU T'EN AILLES EN COMPRENANT LE MESSAGE.

J'avalai ma salive avec une pointe d'amertume. Mes yeux se fixèrent sur Emi, puis sur Afya. Ouais, ok, elles ont l'air toutes les deux hyper heureuses. Comment ça se fait que j'sois une si grosse victime ?

-Allez, allons-y, suivez-moi !

Bon, d'accord, je suis peut-être une victime parce que j'ose jamais l'ouvrir.

-Alors, ici en fait c'est le grand hall. C'est par là que tout le monde passe quand il rentre dans l'université quoi ! En règle générale, toutes les grosses informations sont affichées, comme les profs absents, les dates des examens, celles des vacances, les réunions importantes... Enfin, voilà, ce genre de choses ! Au bout du couloir là-bas, vous avez les toilettes, mais y'en a d'autres à l'étage et dans certaines autres ailes du campus. En même temps, c'est tellement grand ! Heureusement que je suis là, vous vous seriez perdus ! Là-bas, vous avez...

Et blablabla, mais bientôt elle va nous présenter les machines à café quoi. Enfin, j'retire ce que j'ai dit, c'est pas "bientôt", elle vient de le faire en fait. Nan mais vous comprenez, la machine à café est hyper bien placée par rapport à l'amphi, comme ça quand les étudiants sont en pause, c'est le rendez-vous stratégique, et blablabla. Mais ça intéresse vraiment Afya en vrai ?

-Si ça t'intéresse pas, on peut essayer de partir quand on arrivera au bout du couloir, là-bas, à l'intersection, elle nous remarquera pas !

Nan mais j'ai clairement pas envie de passer la journée avec une ex, c'est hyper chiant !!!

-C'est le moment !!!

Et c'est évidemment à ce moment qu'elle décida de se tourner pour faire face à Afya avec un large sourire.

-Mais dis-moi Afya, comment t'as connu Allen ?! Toi aussi tu vis à Terrae ? Parce qu'Allen vit bien là-bas maintenant, non ? J'avais vu une vidéo de Terrae pendant les émeutes de l'hiver dernier, et il était dessus, juste au-dessus du portail !! Il avait l'air super impressionnant, il parlait aux journalistes et tout, c'était bluffant !! Mais d'ailleurs, ça veut dire qu'il est haut placé, non ? Désolée, je t'agresse, mais on dirait que Allen a perdu sa langue !!

L’amie d’Allen accepte de leur faire visiter le campus, au grand dam de ce dernier… Mais Afya ne s’en rend pas compte, allez comprendre les émotions d’un japonais vous, ils sont si peu expressifs ! Et Allen en plus d’être peu expressif est du genre blasé. A juger en silence pour sauver sa peau… C’est d’ailleurs ce qu’il se passe, faut avouer que c’est plutôt drôle vu de l’extérieur et ce d’autant plus qu’Afya continue à parler avec l’ex du jeune homme. Elle a un sacré débit, il a clairement un type de femme… Ne jugeons pas. L’africaine aimerait demander à la nipponne comment était Allen au lycée, elle est certaine que ce genre de détails intéresseraient Ariana, mais elle n’a littéralement pas le temps d’en placer une… Alors elle essaie de s’accrocher et guette le moindre silence pour se transformer en détective… Et puis elle est certaine qu’avec une petite question elle aura beaucoup trop d’informations, enfin ce qu’il faut pour qu’elle en retienne une ou deux dans le lot pour les transmettre à Ariana.

Allen glisse à l’ivoirienne qu’ils pourraient s’enfuir, elle le regarde plein d’interrogations, il veut vraiment quitter une amie qu’il vient de retrouver ? Ce serait un peu triste non ? Ils risquent de ne pas se recroiser de longtemps… Ou peut-être pas s’ils finissent par étudier dans la même faculté. Seulement s’il fait ça pour elle, pour ne pas qu’elle s’ennuie, ce ne serait pas correct. Elle s’apprête à le lui dire quand trop de choses se passent en même temps. Il lui dit que c’est le moment, et son amie lui demande en même temps comment ils se sont rencontrés.

« Il était en train de vol… D’emprunter un vase quand on s’est rencontrés si je me souviens bien… ça fait déjà un moment, et oui on vit à Terrae, et Allen il est master alors j’imagine qu’il est trop fort ? »

Beaucoup trop de questions alors elle a du mal à répondre à toutes… Elle est facilement perturbable quand on parler beaucoup et trop… Et puis surtout quand beaucoup de choses se passent en même temps. Alors faut l’excuser hein ?

« Et toi tu connais Allen depuis longtemps ? Il était comment avant ? »

OUI ! Elle a réussi à la placer, elle passe en mode : recueil de données. Il lui en faut quelques-unes à partager avec Ariana ce soir quand elle rentrera.

Mais de quoi elle se mêle celle-là ? C'est fini ces questions sur moi ? Et pourquoi est-ce qu'elle a besoin de savoir ç-

Pardon ? Pardon ? Est-ce que j'ai bien entendu ?

D'un coup, mon regard se figea et je portai mon regard sur Afya, l'air choqué. Evidemment, elle ne s'en rendit même pas compte, trop occupée à parler avec Emi (j'suis presque jaloux en fait, elle s'entend mieux avec mon ex que moi ou quoi ? J'suis sensé être le mec de sa meilleure amie !). Je clignai plusieurs fois des yeux, comme si ça allait changer quelque chose.

Alors déjà, reprenons depuis le début : j'étais en train de voler un vase ? Pourquoi est-ce que je ne m'en souviens plus ? C'est quoi cette histoire encore ? Je suis persuadé que je n'ai jamais cherché à voler ce vase ! Simplement à l'emprunter ! Ca m'étonnerait trop de moi de voler, j'suis tellement trop honnête comme type. Je suis du genre à dire à la caissière qu'elle s'est trompée dans le compte quand je commande un truc et qu'on m'oublie la moitié de mon addition...

M'enfin, ça, c'est pas le pire en fait. Le pire. C'est qu'elle a dit. Que je suis. Attendez, quoi ? Master ?

Ce fut le freeze. Le freeze total. D'ailleurs j'ai arrêté de marcher et elles ont continué toutes les deux. En fait, j'ai jamais trop servi à grand chose dans cette conversation. Ce qui est très impressionnant cela dit, c'est de voir le niveau en anglais d'Emi. Oui parce que visiblement, dans sa filière, elle est devenue bilingue pour les besoins du métier, vu avec quelle dextérité elle s'est mise à répondre en anglais à Afya sans se poser la moindre question. Mais bien sûr.

-Master carrément ? Trop stylé !!! Enfin, j'imagine que ça veut dire que c'est le Maïtre quoi ? En fait je sais pas trop à quoi ça correspond tout ça, mais en tout cas ça envoie du lourd !!!

Elle se recoiffa en pouffant comme une idiote et je me rappelai de pourquoi notre relation n'avait pas fonctionné. (Bon, y'avait un peu du Mitsu aussi là-dedans mais on taira cette histoire) Elle est TELLEMENT dans le paraître, c'est insupportable !

-Et du coup, Allen au lycée ?

L'étincelle dans l'oeil quand elle me cherche du regard. Ouais, c'est seulement maintenant que vous remarquez que j'ai arrêté de marcher. Du coup, au lieu de venir vers moi et de vous inquiéter, vous avez choisi de vous arrêter sur place et d'attendre que j'arrive. Parfait. J'me sens bien. Bien bien bien.

-Déjà, il était blond ! Il a eu une période rebelle. Mais en fait, c'est vrai qu'il était pas si facile que ça à approcher, il était toujours un peu froid, genre bad boy tu vois ?! Et moi j'ai eu la chance de pouvoir être sa petite amiiie hihihi ! Il était trop mignon, tout gentil, très attentionné !

Attendez. Mais elle invente là ? D'où tu t'inventes une vie ?! MAIS RACONTE PAS DE LA MERDE A AFYA EN FAIT STP, PARCE QU'ELLE VA TOUT BALANCER ET C'EST MOI QUI VAIS MANGER DERRIERE.

-Heuuu, tu sais quoi Emi ?! On va aller voir le pôle des langues, là-bas !! J'ai vu que leur stand était pas hyper loin de celui de la littérature, j'te remercie pour cette visite, mais en fait on n'a pas beaucoup de temps ici, on peut pas trop sortir, enfin tu vois le truc.
-Oh ouiiii un truc de Terrae, j'imagine. OH MON DIEU. Mais ça veut dire que vous avez des pouvoirs ?! C'EST TROP COOL. JE PEUX VOIR ?!
-Non.
-ALLEN S'IL TE PLAIIIT.
-Lâche-moi.

J'sens que je vais finir par perdre patience là en fait.
Tout en serrant les dents en un sourire nerveux, je décrochai ses doigts agrippés à mon avant-bras, et je saisis Afya par le poignet.

-Bonne journée Emi ! Content de t'avoir revu !

C'est mort, j'irai jamais en droit. Même si ça me plaisait. Plutôt pas mal même. Mais du coup. Bah non, hein. Parce qu'en plus elle sera mon aînée, et je devrai l'appeler SENPAI parce qu'en plus elle sera la meuf reloue qui y tiendra à mort.

-Afya, j'suis désolé de t'avoir infligé ça... T'as capté comment on est arrivés ici par contre ? J'ai pas trop fait attention au dernier croisement du dernier couloir...

Bin alors. T’as disparu Allen ? Faut pas l’prendre comme ça mon grand, en plus avec un peu d’chance si tu les interromps assez régulièrement Afya ne retiendra rien du discours d’Emi et ne saura pas quoi raconter à Ariana d’autre que « on a croisé une amie d’Allen ! » L’ivoirienne n’a pas la moindre idée de votre lien passé, mais je ne pense pas que cela change quoi que ce soit. Elles découvrent ton absence et t’attendent, ‘fin c’est compliqué l’abidjanaise a fait un pas pour te rejoindre mais la tokyoïte est restée immobile alors s’est arrêté en une sorte d’entre deux, stoppée par le début d’une anecdote.

Allen blond. Allen blond. Elle se le répète quelques fois pour ne pas l’oublier et le dire à Ariana qui voudra sans doute récupérer des photos de cette époque. C’est d’ailleurs la chose qui lui semble la plus importante dans le récit d’Emi, bien avant qu’elle ne dise qu’ils soient sortis ensembles. Avant que l’africaine ne puisse demander plus de détails, voilà qu’Allen prend le contrôle des opérations mettant fin de manière abrupte ET grossière à leur discussion avec la gentille nippone.

Il ne veut clairement pas qu’elle lâche une information, et ça toute innocente qu’elle soit Afya s’en est rendue compte. Est-ce que je vous ai déjà raconté à quel point elle peut se montrer protectrice envers ceux qu’elle aime ? Et bien, c’est maintenant le moment de vous montrer de quoi il en retourne. D’abord déconcerté par le comportement de son compagnon elle s’est laissée entrainée, mais ensuite quand il s’arrête elle tire sur son poignet pour se libérer. Elle n’aime pas ce contact et il n’était clairement pas nécessaire, mais elle passe là-dessus.

Il tente de changer de sujet, et si elle ne lui répond pas vulgairement qu’elle n’en a rien à foutre du chemin c’est qu’elle se doute qu’à un moment ou un autre ils devront retrouver la sortie.

« Qu’est-ce que tu ne voulais pas qu’elle me dise ? » net, clair direct.

Elle est plantée sur ses deux jambes et son regard l’est dans celui du nippon. Elle ne comprend pas pourquoi il a voulu faire taire Emi, est-ce qu’il y a quelque-chose de grave ? Est-ce qu’il a tué quelqu’un ? Est-ce qu’il la battait ? Bon, elle avait dit qu’il était mignon et c’était donc peu probable. Mais clairement il y avait un truc.

Oui, donc, alors. Je ne pensais vraiment pas qu'Afya pouvait être directe comme ça. Et hyper franche. Et. Pas gentille en fait. A quel moment elle me soutient ?! Cette fille était insupportable ! Et en plus elle inventait un milliard de trucs faux ! Même quand on était ensemble, elle me harcelait, elle était insupportable. Elle était tout le temps sur moi ; même quand je lui ai demandé de me laisser un peu d'espace, elle a pas compris. J'allais pas bien, j'étais pas bien, et elle m'étouffait juste. Et elle ose dire que j'étais le meilleur copain de la Terre et blablabla ? Mais juste, non. J'ai pas envie qu'on m'invente une vie, j'assume qui je suis et qui j'ai été. Même pour la quitter ça a été l'enfer, elle s'est accrochée comme pas possible, elle a voulu jouer sur la carte des promesses et j'en passe, elle acceptait carrément pas que je sois simplement pas amoureux d'elle -tout le monde savait pourquoi en plus je suis sûre, elle a juste voulu se voiler la face. (parce que j'étais amoureux de Mitsuki, évidemment, pas parce qu'elle était insupportable, même si ça y joue beaucoup, faut le reconnaître).

Bref. Afya s'était donc arrêtée net, avait repoussé ma main, et s'était posté en face de moi pour me demander ce que je voulais qu'elle taise.

-Heu. Rien. Simplement... Elle était insupportable ? Et je n'avais pas envie de passer du temps avec elle ? C'est pas du tout une amie, c'est une fille qui a toujours été obsédée par l'image qu'elle renvoyait. Elle transforme la moitié des histoires juste pour se rendre intéressante, elle déforme la réalité, elle s'emballe tout le temps, elle est hyper fatigante. Et j'ai simplement pas envie de passer l'après-midi avec elle...

Et puis même, je sais pas, qu'est-ce que tu comprends pas dans "c'est une ex-copine" ? Genre t'es l'amie d'Aria non ?! JAMAIS elle acceptera que j'aie pu passer ne serait-ce que quelques minutes avec une ex !

Je tournai un peu sur moi-même pour me repérer dans les lieux. Un panneau attira mon attention. Ouais, c'est bon, je voyais où on était. Il suffisait de reprendre l'escalier et aller à droite aux deux prochains croisements.

-Crois-moi, j'ai rien à cacher. Tu peux me demander ce que tu veux et je te répondrai. Simplement, je n'aime pas qu'on parle de moi pour dire des conneries, comme elle était en train de le faire. On n'était absolument pas un couple "parfait", comme on aurait pu croire à l'entendre, et je préfère partir que la contrarier inutilement. C'est une fille que je ne reverrai jamais alors ça sert à rien de se prendre le chou...

Un soupir m'échappa et je passai une main dans mes cheveux, ne sachant plus quoi dire pour empêcher Afya d'être contrariée. Mais allez là, la meuf elle est Eau et elle a trop de pouvoir ! Pourquoi les Eaux ont autant de pouvoir sur moi dès qu'ils se fâchent deux secondes ?!

-On y va...? Il faudra passer par là.