La capuche relevée sur la tête, Elisha marchait dans les rues de Terrae, le regard rivé sur la route goudronnée, le nez rougi par le froid. Le dos voûté et les épaules affaissées, elle se frayait un chemin à travers la foule animée en ce début de soirée pour rejoindre son bar favori. Elle ne voulait pas qu’on lui parle, pas qu’on la regarde, encore moins qu’on la touche. Autour d’elle, les émotions virevoltaient dans un tourbillon ininterrompu. A droite, une dame s’attendrissait devant un bouquet de fleurs fraîchement cueillies. A gauche, un petit garçon regardait son ballon s’envoler, le coeur fendu de déception. Un peu plus loin, deux hommes contenaient leur colère après un accrochage en moto. La brune voyait toutes ses émotions autour d’elle, elle pouvait les sentir, si proches d’elle. Mais aujourd’hui, aucune d’entre elles ne pouvait effacer la douleur qui formait une boule dans sa gorge. Aucune ne pouvait remplacer la tristesse qui emplissait son coeur. Car aucune n’était aussi forte.

Elisha avait encore rêvé d’Elle, cette nuit. Et comme à chaque fois que cela arrivait, elle n’avait pas pu empêcher le Vide de reprendre sa place, bien calé au creux de son abdomen. Ce Vide qui lui tordait le ventre chaque seconde de sa vie, et qui était la raison de sa place à Terrae. La brune avait passé sa journée enfermée dans sa chambre, les yeux embués de larmes, à écouter des musiques déprimantes, cherchant à évacuer la frustration qui l’envahissait depuis le matin. Elle avait toujours trouvé intrigante la manie qu’avaient les gens triste à écouter de la musique triste, comme si cela pouvait apaiser leur peine. Elisha savait d’expérience que ce n’était pas le cas. Mais elle se sentait incapable de faire autre chose de sa journée. Au moins, dans sa petite chambre, elle était à l’abri des autres et de leurs émotions. Ses nouveaux pouvoirs la fatiguaient tant … Ses propres émotions étaient déjà bien difficiles à contenir, elle n’avait pas besoin en plus de subir celles des autres. D’autant plus que la plupart du temps, elle ne s’en rendait même pas compte. Quelle poisse ...

Dès l’ouverture de son bar favori, Elisha avait quitté sa cachette pour s’y rendre d’un pas rapide, vêtue  d’un débardeur, d’un sweet à capuche et d’un slim moulant. Elle voulait boire. Oublier tout son passé, oublier ses envies, oublier son propre nom. Elle en avait besoin. Elle ne voulait que ça. Une fois arrivée, elle s’était accoudée au bar et avait commandé un whisky, qu’elle avait bu d’un trait avant d’en commander un second. La brune avait continué ainsi pendant un bon moment, ne comptant ni ses verres, ni son argent, jusqu’à ce que sa vision se trouble et que sa tête s’alourdisse. Alors elle avait commandé un dernier verre, un mojito, qu’elle sirotait maintenant depuis une vingtaine de minutes. Elle n’avait pas fait attention aux gens qui l’entouraient, elle ne tenait pas vraiment à se faire remarquer. Elle voulait juste disparaître, l’espace d’une soirée.

Mais apparemment, ce n’était pas ce soir que la jeune fille allait pouvoir passer un moment tranquille. Une bande de garçons s’était attroupée autour d’elle. Ils étaient 4, habillé comme des “kékés des villes” (comme elle aimait les appeler), et commencèrent à lui adresser la parole.



Le dernier qui avait parlé commençait à se pencher au dessus d’elle, et Elisha se redressa tant bien que mal, le regard vitreux. Elle leur dit d’une voix pateuse :


La brune ne voulait pas perdre plus de temps avec eux, elle se sentait encerclée, elle voulait partir. Elle sentait leur excitation, à tous les 4. A croire qu’ils n’avaient jamais vu une fille de leur vie. Il fallait avouer qu’elle avait vraiment beaucoup bu, sûrement se disaient-ils qu’elle serait une cible facile. Mais elle n’avait pas le coeur à ça, aujourd’hui. Aussi se leva-t-elle de sa chaise pour s’installer un peu plus loin. Mais l’un des garçons lui attrapa fermement le poignet et l’attira vers lui. Aussitôt, un sentiment d’excitation et de puissance - directement obtenu du mec qui la retenait - hérissa les poils de la brune, qui ouvrit de grands yeux.



Elisha tremblait légèrement, mais continuait d’adresser un regard dur à cet homme qu’elle ne connaissait pas. Les effets de l'alcool s'étaient légèrement dissipés sous l'effet du stress. Son poignet la lançait, et le contact de son corps contre le sien la dégoûtait au plus haut point. Elle voulait juste qu’il la lâche, ne serait-ce que pour effacer ces émotions qui affluaient vers elle comme attirées par un aimant. Mais elle n’en avait pas la force.

L’homme regardait Elisha avec un mélange d’envie et d’autosuffisance qui mettait la jeune fille très mal à l’aise. Son visage était si proche qu’elle pouvait sentir l’odeur de la cigarette froide et du mauvais whisky qui le caractérisait. Elle distinguait clairement les dents jaunies par le tabac sur son sourire carnassier. Elle avait envie de vomir …

Une bruit sourd suivi d’un cri de douleur détournèrent son attention, ainsi que celle de son agresseur. Dirigeant son regard vers le bar, elle aperçu un homme assez grand et baraqué se tenir le poing, tandis qu’un des abrutis qui l’avaient interpelée gisait au sol, gémissant. La brune n’eut pas vraiment le temps de comprendre ce qui venait de se passer que les deux garçons restant de dirigeaient vers le nouvel arrivant. Elisha ne pouvait voir leurs visages mais devinait qu’ils étaient énervés. Autour d’eux, la foule du bar s’était rassemblée, scandant le mot “Baston” telle une meute de loups avide de violence. Les vigiles ne pouvait pas approcher la scène, qui commençait à sérieusement dégénérer.

L’inconnu évinça ses deux adversaires avec une facilité déconcertante. Il était évident qu’il s’était déjà battu, et assez souvent. Les deux autres n’avaient aucune chance, encore moins vu leur état d’alcoolémie avancé. Rapidement, ils se retrouvèrent au sol à leur tour, et l’inconnu jeta un regard vers l’homme qui la retenait encore. Ce dernier faisait beaucoup moins le fier maintenant que ses amis gémissaient en se tenant le ventre ou le visage. Imperceptiblement, il avait desserré son étreinte, et la brune en profita. Elle asséna un violent coup de genoux dans l’entrejambe de son agresseur qui lâcha définitivement sa prise. Elle enchaîna alors avec un coup de poing sur le nez, et recula de quelques pas. Certes, elle n’avait pas beaucoup de force, mais lorsqu’on visait des endroits sensibles, ce n’était pas nécessaire.

Le videur réussi finalement à se frayer un passage au milieu de la foule et jeta un regard désapprobateur au groupe. Elisha leva les mains, encore tremblante.


Elle se tourna ensuite vers son “sauveur” et plongea ses prunelles grises dans celles plus sombres du garçon. Elle aurait pu faire la fière, affirmer qu’elle n’aurai pas eu besoin de son aide, et tourner les talons. Elle était d’ailleurs très tentée de disparaître, le regard pesant des barmans la mettant mal à l’aise. Mais ce n’était pas vrai. Sans lui, elle aurait été en bien mauvaise posture, car elle aurait été bien incapable de se dépatouiller toute seule. Aussi prit-elle une grande inspiration, avant d’articuler :


La brune s’accouda au bar. Elle n’avait pas vraiment trouvé mieux pour le remercier. Elle n’était pas très douée pour cela. Elle ajouta ensuite :

Elisha haussa les sourcils lorsque l’inconnu lista tous les sports de combat qu’il avait pratique. Ca en faisait, des coups de poings. Même si, selon ses dires, c’était pour la bonne cause. Défendre ceux qui étaient dans le besoin, la veuve et l’orphelin … Trop fatiguant, trop chevaleresque, trop présomptueux pour elle. La brune ne se voyait clairement pas assumer ce rôle, mais elle se dit que c’était bien, qu’il y ai des gens comme lui. Surtout si c’était pour lui éviter quelques ennuis.

L’homme, qui disait s’appeler Vladimir, refusa de se faire offrir à boire, insistant pour payer son prochain verre. Elisha haussa les épaules et hocha la tête, s’asseyant sur un tabouret vide non loin de là.



Désignant son poignet rougit, elle lui fit comprendre que ce n’était pas pour mettre dans sa boisson. Maintenant que l’adrénaline était retombée, il la lançait horriblement, et on pouvait voir distinctement la trace des doigts qui l’avaient serré si fort. Sans parler de ses doigts endoloris qui n’avaient pas apprécié le coup de poing qu’elle avait donné à son agresseur. Un rictus douloureux sur le visage, elle entreprit de masser sa main.

Vladimir expliqua à Elisha qu’il était nouveau dans le coin, sous-entendu à Terrae. Ce qui expliquait qu’elle ne reconnaissait pas sa tête. La brune allait finir pas croire que le bar était le rendez-vous des nouveaux venus, et rien d’étonnant à cela cependant : la plupart étaient déjà alcooliques bien avant d’arriver ici. Les joies du Vide. Youpi. Elle hocha la tête.


Il chercha ensuite à en savoir plus sur elle, et même si elle était plutôt frileuse de détails, elle consenti tout de même à répondre à sa question.


Il était vrai que son don n’était pas des plus développés. A vrai dire, elle ne le contrôlait absolument pas. Elle était incapable de produire le moindre courant électrique, mais sursautait chaque fois qu’elle touchait un appareil électrique ou une poignée de porte. Insupportable. Sans parler de son côté sensitif qui, lui, semblait hypersensible. Elle n’aurait pas pu avoir un juste milieu ? Elle poursuivi :