Quelques jours s’étaient écoulés depuis la visite à l’hôpital d’Alyssa suite à une crise d’asthme. Heureusement, le personnel de l’établissement s’était très bien occupé d’elle et elle avait pu sortir au soir, la journée même. Cependant, la journée suivante, elle avait tout de suite remarqué un changement dans le comportement des adultes qui l’entouraient. Ce fut lors de sa session avec la psychologue qu’elle apprit que celle-ci lui avait diagnostiqué une dépression et que les infirmiers soupçonnaient que cela avait beaucoup joué dans sa crise, ainsi que dans celle qu’elle avait eu peu de temps avant son arrivée à Terrae. Elle apprécia son honnêteté, bien qu’elle fut choquée d’apprendre que son état émotionnel pouvait influencer le contrôle de son asthme.

Ainsi, on s’occupait encore plus d’elle. Elle n’était pas certaine d’apprécier toute cette attention supplémentaire… Mais elle devait avec. Tous comme les voix qu’elles ne cessaient d’entendre depuis qu’elle était devenue initiée. Avait-elle pris la bonne décision en venant ici ? Elle repensa à sa famille d’accueil, à cette maison si froide. En fait, elle était mieux ici. Certaines personnes semblaient l’apprécier, en dehors de ceux qu’elle soupçonnait de simplement avoir pitié de sa personne.

Ce jour-là, elle ramenait un livre à la bibliothèque. Il s’agissait d’une bande dessinée, plus précisément « Le Temple du Soleil » de la série Tintin. En voyant que la bibliothèque avait la collection complète, elle avait décidé de continuer de lire la série étant donné qu’elle n’avait pu lire que les treize premiers jusqu’ici. En entrant à l’intérieur, elle tomba sur une des employés, Ipiu, avec qui elle conversait par papier de façon plutôt régulière. Elle la salua de la main et leva la bande dessinée à sa question. Elle lui tendit ensuite une feuille de papier avec son avis dessus.

À leur deuxième rencontre, Ipiu lui avait proposé de lui faire un petit compte-rendu de ses lectures, car elle était intéressée de savoir sa pensée. Cela avait fait plaisir à la gamine et elle avait accepté. Cette fois-ci, elle avait donné un 9/10 au livre, parce qu’elle l’avait énormément apprécié, bien qu’elle préférait généralement les romans aux bandes dessinées. Dans son écrit, elle parlait des lieux explorés, de l’ambiance instaurée, de la découverture de la civilisation Inca ainsi que des rebondissements.

Elle avait hâte de lire la suite.

La blonde regarda brièvement son écrit, semblant être convaincue par ses arguments, bien que la série n’avait pas l’air de lui plaire autant qu’Alyssa. Elle hocha la tête à sa question. Elle lui parla ensuite d’une autre série, Blake et Mortimer. Elle n’en avait jamais entendu parler. Apparemment, il y avait beaucoup d’endroits à découvrir et la narration était plus conséquente.

Elle hocha la tête : Ipiu lui avait fait de bonnes recommandations jusque-là, alors elle y jetterait certainement un coup d’oeil. D’ailleurs, cela lui faisait du bien qu’un adulte lui parle normalement. Peut-être n’était-elle pas au courant ? Elle était membre du personnel, certes, mais c’était une bibliothécaire, du coup les dernières informations sur sa santé n’avaient peut-être pas atteintes ses oreilles.

Elle alla chercher le quinzième tintin et revint vers Ipiu avec sa carte. Sa carte où il était écrit « Alyssa Terrae », parce qu’elle avait remarqué qu’elle n’aimait pas son nom de famille. Elle lui avait aussi dit qu’elle ne portait pas son nom de naissance. Même son prénom était différent. Elle leva les yeux vers la demoiselle, hésita quelques secondes, puis écrivit sur son carnet.

« Je peux te demander pourquoi tu as changé de nom ? »

Alyssa ne savait pas si elle accepterait de le lui dire. Elle en serait heureuse mais si elle lui paraissait douteuse, elle n'insisterait pas davantage. Puis, sans avertissement, elle se mit à lui expliquer la raison de son changement de nom, bien qu'elle resta assez vague. Elle aurait voulu en savoir plus, mais ça ne lui était pas dû. Elle hocha la tête tout en écoutant, montrant qu'elle était attentive.

Elle prit une pause avant de continuer et de s'exclamer qu'elle pourrait lui raconter toute l'histoire, mais un autre jour, autour d'une chocolat chaud ou d'un café, si elle le désirait. Elle écrivit : « J'aimerais bien... ». Elle lui demanda ensuite si elle pensait aussi à changer de nom. Elle réfléchit quelques secondes. Elle n'avait jamais vraiment songé à choisir son propre nom... À son âge, le pouvait même t-elle ? Elle s'apprêtait à écrire sur son carnet avant d'arrêter subitement son geste.

Et si... elle parlait ? Elle avait réussi à le faire brièvement à l'hôpital et s'était légèrement exercée dans sa chambre lors des derniers jours. Elle s'était dit qu'elle pourrait essayer de recommencer à parler... pour Tomoe, pour Maria et pour tous ceux qui l'encourageaient. Et peut-être que, ainsi, ils s’inquiéteraient moins pour elle et lui tourneraient moins autour.

— Je ne saurai pas comment m'appeler...

Cela ne répondait pas réellement à la question, mais bon... Peut-être que si un jour elle trouvait un nom qui lui parlait, comme Ipiu, elle aurait une idée plus claire de si elle voulait changer de nom ou pas.

La bibliothécaire scanna la bande dessinée et sa carte, déclarant que tout était en ordre pour l'emprunt.

Pas de réaction excessive. Juste un simple sourire. C’était… bien. Pas comme l’infirmière à l’hôpital qui s’était joyeusement exclamée avant de la prendre en pitié. Elle ne l’avait pas dit à voix haute, mais la petite avait lu ses pensées sans le vouloir et n’avait pas aimé qu’elle la regarde comme une bête de foire.

Ipiu lui répéta quelque chose qu’elle lui avait mentionné lors de leur première rencontre, qu’elle pouvait être qui elle voulait. Elle espérait vraiment que ce soit vrai. Apparemment, c’était assez habituel, dans cette ville, de changer de nom. Ça, la rouquine ne le savait pas, mais maintenant qu’elle y pensait, ce n’était pas si surprenant. Les gens, pour être ici, devaient avoir ressenti un Vide. Certains devaient vouloir laisser leur ancien eux derrière.

— Il ne faut pas ê-être… un adulte ?

Voilà, elle lui demandait. Cela la tracassait légèrement. Les enfants pouvaient rarement décider de quoi que ce soit par eux-même, ce qui l’énervait, d’ailleurs.

La bibliothécaire lui remit son livre et sa carte alors qu’elle réfléchissait à sa question. Elle voulait l’inviter chez elle ? Alyssa n’avait pas l’habitude d’aller chez qui que ce soit. Mais comme elle commençait à bien aimer Ipiu, elle ne se fermait pas à la possibilité. Après quelques secondes, elle parla de nouveau.

— Huuum… S-sa-medi ?

Les soirs, après l’école, elle avait souvent des devoirs à faire, donc elle préférait faire ça la fin de semaine. En plus, elle n’avait rien de prévu, comme presque toujours. Elle passait souvent ses fins de semaine seule, dans sa chambre, à lire.

Alyssa écouta attentivement la réponse de la jeune femme, curieuse. Il semblerait qu’elle ne s’était jamais posée la question au niveau légal et n’avait pas de papiers d’identité. Elle se demandait comment c’était possible : avoir des papiers d’identité n’était-il pas essentiel ? En tout cas, selon elle, si elle décidait de changer de nom et de ne plus répondre à l’ancien, les autres ne pourraient rien y faire. Pourtant, Alyssa pensait que les adultes pourraient très bien la punir si elle faisait un truc pareil. Quoi que… peut-être aux États-Unis, mais ici, à Terrae, peut-être que ça passerait ? Qu’on accepterait son choix ?

Lorsqu’elle lui demanda si samedi pourrait convenir pour leur rencontre, Ipiu acquiesça et l’invita même à manger chez elle. Elle hocha la tête, puis réfléchit quant à ses préférences en pâtisserie.

— Choco… latine ?

C’était la première qui lui était venue en tête et cela lui conviendrait parfaitement. Elle n’était pas bien difficile quand il s’agissait de nourriture, contrairement à la plupart des enfants. Elle aimait la plupart des légumes et même lorsque ce n’était pas le cas, les mangeait quand même. Ce n’était pas la fin du monde.

Ipiu lui mentionna ensuite que son voisin possédait un labrador, au cas où elle ait peur des chiens. Il était vrai que certains pouvaient l’effrayer parfois, mais s’il n’était pas agressif alors il n’y avait pas de raison. Elle secoua donc la tête en signe de non avant que la blonde ne lui dessine un plan afin de pouvoir trouver où elle habitait. Elle le mit dans sa poche, souriant légèrement à Ipiu en lui montrant son carnet.

« On se voit samedi alors. »

Elle sortit de la bibliothèque, bande dessinée dans la main, avec une certaine hâte d’en arriver à ce jour.