Ces derniers temps se révèlent ardu pour des moments de calme. L'agitation règne à Terrae avec le retour du soleil ; et Ariana, toute heureuse de le revoir elle aussi, ne se rend pas encore compte qu'il était peut-être encore trop tôt pour qu'elle reprenne son emploi à temps plein. Les mois passés avec son mi-temps thérapeutique lui ont fait du bien, cependant la fatigue s'installe à nouveau insidieusement. Lorsqu'elle ne court pas dans tous les sens pour travailler, s'entraîner et faire semblant d'avoir une vie sociale, elle décède simplement devant quelques séries aux thèmes pas très avouables le soir. Afya semble aussi plutôt occupée ces derniers temps, aussi est-il plus compliqué pour elles de se voir comme elles le faisaient avant... Et s'endormir sur le lit de l'autre devant un film, un soir, ça ne remplace pas leurs petits moments bien à elles !

Aussi ont-elles décidé de s'accorder un moment pour se voir : leur moment, et si quelqu'un vient les embêter, OUST ! (Bien sûr, cette dernière réplique vient de la rouquine, pas de l'abidjanaise.) Aujourd'hui, Ariana est en repos ; elle a envoyé balader tout le monde et préparé tout le nécessaire pour passer une bonne après-midi : du tissus, son set de couture, du rembourrage, de quoi manger et même du vernis à ongle au cas où son amie préfère l'idée de papoter en se pomponnant. Heureusement que les deux eaux sont voisines, ça lui évite de se trimballer son sac plein à craquer à travers tout l'institut.

Armée de son bandana pour éviter d'avoir les cheveux devant les yeux et vêtue d'un t-shirt ample et d'un short, Ariana sautille jusqu'à la porte de sa voisine pour y porter quelques coups.

—Toc toc, me voilààà, s'enjoue-t-elle, grand sourire aux lèvres, avant que celui-ci ne s'élargisse à la vue de son amie.

Elle tente de ne pas se précipiter sur elle pour lui faire un gros câlin, mais lui en offre un malgré tout, sans la presser. Ca la rend toute joyeuse de pouvoir passer une après-midi avec son amie comme avant !! C'est sûr, ça lui fera oublier sa fatigue !

—J'ai trouvé des tissus trop chouettes l'autre jour, je te les ai ramenés ! Comment tu vas aujourd'hui ?!

Souvent le quotidien prend le pas sur la vie. Avant même de s’en rendre compte les deux jeunes femmes s’étaient vues éloignées sans même en avoir conscience. Afya avait recommencé à aller à ses clubs, avait fait moultes recherches de son côté pour prendre en main sa vie. Elle l’avait rempli de quotidien jusqu’à l’en faire craquer, s’en voulant souvent de ne plus réussir à ménager assez de temps avec son amie. Certes cette dernière se portait mieux, mais malgré tout elle ne se sentait plus assez présente pour elle et s’en voulait sincèrement. Oh, bien entendu l’ivoirienne avait eu ses propres soucis mais comme d’habitude elle ne s’y était pas attardée.

Heureusement aujourd’hui elles avaient enfin pu se dégager une après-midi entre filles, à cette idée l’abidjanaise se réjouissait. Sa voisine de chambre préparait l’activité, elle préparait les encas. Cela avait du positif de travailler en cuisine car elle avait pu réserver deux éclairs au chocolat et des tartelettes de fruits qu’elle gardait dans un sac isotherme. Le cuisinier avait été un amour et avait insisté pour qu’elle prenne aussi des viennoiseries qu’il restait du petit déjeuner. Il devait la trouver bien trop frêle.

Quand Aria entra dans sa chambre un sourire se dessina spontanément sur ses lèvres. Ariana a son habitude apporte beaucoup trop de choses.

« Ca va, je crois...» Elle se reprit de suite. « et toi ? Quoi de neuf ? »

C’est étrange mais pour Afya tout va toujours bien, c’est du moins ce dont elle se convainc. Certes il y a des petits couacs dans sa vie, mais rien d’assez important pour qu’elle dise aller mal… Ou du moins elle fait en sorte de ne croiser personne qui puisse lui poser cette question quand elle n’est pas au top de sa forme… Elle semble inébranlable et ce malgré ses nombreuses failles.

« Faut vraiment qu’on fasse une demande pour faire un trappe entre nos deux chambres ! » plaisante-t-elle en débarassant son amie.

Les morceaux de tissus se retrouvent bientôt étalés sur le lit de l’ivoirienne.

« Waouh ! Il y en a vraiment de toutes les couleurs ! Tu les as dénichés où ? » s’exclame-t-elle.

Voir son amie lui fait instantanément du bien, c'est comme si tout ce qui l'embêtait auparavant disparaissait d'un coup sous la douceur de son sourire. Cependant, son "je crois", qu'elle pensait sans doute trop bas pour qu'elle ne l'entende pas, ne passe pas inaperçu du tout aux oreilles de la rouquine. Redressant immédiatement la tête et fixant son amie voyante, elle essaie de ne pas l'agresser immédiatement de "comment ça tu crois ?! qu'est-ce qui se passe ?! raconte !! C'EST A CAUSE DE CE MEC DE LA DERNIERE FOIS ? Il est resté beaucoup trop tard, omg, il t'embête en fait C'EST CA, IL T'EMBÊTE ? Si tu sais pas comment lui dire qu'il doit dégager je le fais moi, hein, c'est promis, UN REGARD DE TOI ET JE LUI PETE LES DEUX JAMBES". Elle se mord donc l'intérieur de la joue et sourit maladroitement, décidant de revenir dessus un peu plus tard, plutôt. Jamais commencer par les conversations compliquées, sinon c'est galère pour le moral. D'autant qu'avec Afya, il va falloir ruser ! Elle est encore plus difficile à faire parler qu'elle...

—Ah, euh, moi ça va ! Je suis un peu fatiguée comme j'ai repris le boulot en temps plein, et Ashton me fait travailler des trucs troooop bizarres ces derniers temps !

Ariana dépose tranquillement ses nombreuses affaires au sol et, poussant un soupir de soulagement, finit par se redresser et s'étirer un peu. Son rire s'échappe malgré elle à la remarque d'Afya, qu'elle ne peut que plussoyer.

—C'est une excellente idée, madame ! Mais je suis pas trop dans les bonnes grâces d'Hideko, alors, euh... rit-elle nerveusement en sortant ses jolis tissus sur le lit. Ouiiii t'as vu ?! Je voulais faire des peluches colorées avec... Ou alors des jolies robes ! Tu voudras que je t'en fasse une ?

Grand sourire, pendant qu'elle lui montre ceux qu'elle pense lui plaire le mieux.

—Je les ai trouvés sur le net, mais ça fait un moment que je voudrais ressortir à Tokyo pour explorer ce qu'ils ont en ville !

Enfin, pas que ça se soit hyper mal passé la dernière fois, mais un peu, quand même. Elle n'est pas encore prête psychologiquement, mais de toute manière, le concert et le road trip avec Nicolas vont avoir lieu bientôt, aloooors... Il va bien falloir qu'elle s'y fasse !

Afya n’aime pas Ashton, sans doute parce qu’elle l’a observé entrainer Ariana une ou deux fois… Après tout étant eau elle pensait pouvoir tirer quelque enseignement en observant de loin. Très mauvaise idée, ce type était un sadique qui tyrannisait Ariana en lui donnant toujours des trucs hyper dur à faire et qui la menaient régulièrement à deux pas du point de rupture… Ensuite il restait un professeur de mathématiques, et elle avait quelques difficultés avec cette matière… De grosses difficultés. Cet ensemble de fait montrait clairement une chose : Ashton la mettait mal à l’aise. Du coup Ashton apprenait à Ariana qui quand elle avait le temps apprenait à Afya… Qui la plupart du temps se contentait d’utiliser l’eau pour faire la vaisselle ou le ménage en cuisine et ne cherchait pas à acquérir plus de pouvoirs que cela…

« Qu’est-ce qu’IL a fait encore ? » elle l'accuse n'imaaginant pas un instant que son amie en rajoute et tout aussi prête à lui régler son compte s'il s'agit de trucs bizarres.

L’idée d’ouvrir une trappe entre leur chambre bien que plaisante leur semblait à toute deux hors de portée… Aucune d’entre elle n’était dans les bonnes grâce d’Hideko… Elles avaient chacune à leur façon foutu la merde.

« Si tu as le temps oui ! Tu sais que j’adore tes robes ! »

Ariana faisait réellement des robes sublimes et tenant compte du caractère de son amie. Elles étaient colorées et agréables à porter sans être trop… aguicheuses ? Ce qui lui convenait totalement, les créations de son amie avaient peu à peu envahi sa garde-robe et s’il y avait bien une chose de certaine, c’est qu’elle faisait un mannequin acceptable et la promotion du club de couture en se promenant dans les rues de Terrae. Surtout que du moment que cela venait d’Aria elle avait tendance à trouver ça magnifique et à le porter un peu trop souvent…

Elle tique un peu à l’évocation de sortir dans Tokyo. Les souvenirs qui remontent ne sont pas agréables…

« Tu sais le net c’est pas mal non plus… »

Venant d’elle ce genre de propos restent suspects. Elle n'a jamais été à l'aise sur la toile, et on l'ui a un peu fait peur en lui parlant de tous ses pièges... Elle doit en avoir conscience car elle embraye presque aussitôt en sortant un tee-shirt d’enfant quelque peu petit d’un de ses tiroir et demande :

« Tu sais si c’est possible d’agrandir un tee-shirt ? Angelo l’aimait beaucoup mais il a beaucoup grandi alors il n’y rentre plus et il était hyper triste. »

Changement de sujet. Celui du tee-shirt portant un lapin sur son plastron semble plus abordable.

Le ton d’Afya la surprend quelque peu, mais Ariana ne perd pas son sourire pour autant. Le souvenir de ses entrainements avec Ashton lui reviennent ; elle ne trouve pas que ce sont de mauvaises choses à apprendre, au contraire — mais clairement, elle a du mal à comprendre la visée derrière cela.

—Oh, rien de fou, quelques transformations par-ci par-là, on fait même des jeux de rôles !! C’est hyper drôle de le voir se transformer en quelqu’un d’autre et l’imiter… Il m’entraîne avec les transformations humaines, du coup ; parce qu’il a selon lui pas grand-chose de plus à m’apprendre avec les animaux, et que j’ai qu’à faire les mêmes exercices en boucle jusqu’à atteindre des tailles de plus en plus petites… Non mais il se rend compte à quel point c’est dur de passer en dessous d’un cm de long ?!

Evidemment qu’il se rend compte, c’est bien pour ça qu’il essaie de l’y forcer pour l’entraîner. Elle a demandé de l’aide ; elle n’a qu’à arrêter leurs sessions si ça ne lui plaît plus, après tout… Enfin bon ! Elle sait aussi que ça la distrait du quotidien ; et surtout, ça lui apporte une bouffée d’air frais et un semblant de discipline. Tout ce dont elle avait besoin pour continuer à vivre un peu, lorsque tout ce qu’elle voulait, c’était se rouler en boule sous sa couette.

—Alors je te mets sur ma liste héhé ! J’ai trop hâte !! J’ai plein d’idées ; tu me laisses champ libre, ou tu as des idées déjà ? dit-elle en tapotant quelques mots dans le bloc-note de son téléphone.

Grand sourire vers son amie. Elle a envie de la couvrir de milliers de câlins et de bisous à chaque fois qu’elle la voit. Ses compliments la touchent toujours droit au cœur (la preuve en est ses joues cramoisies) ; elle aimerait pouvoir lui rendre tout cet amour au centuple. Afya, c’est vraiment celle qui l’a le plus soutenue durant l’année écoulée, avec Allen, bien sûr. Les autres… Ils étaient un peu aux abonnés absents, ou simplement là pour parler de temps en temps. Elle n’avait plus l’impression de partager grand-chose avec eux, même si elle comprenait qu’ils soient occupés avec leurs activités respectives.

Elle cligne des yeux, ne comprend pas le malaise d’Afya et réagit presque immédiatement, manquant de l’interrompre. C’est bizarre ça, elle a l’air vraiment pas très bien aujourd’hui ! Non mais là, c’est sûr, y a un truc qui va pas. ELLE LE SENT. DANS SA BEDAINE !!

—Oui mais c’est pourtant bien en ville ! Tu adores quand on fait les boutiques à T-… ah, pardon, je t’ai coupée, rougit la rouquine en essayant de se calmer, et de se concentrer sur ce que son amie dit. Ah ! Oui ! Le t-shirt ! Angelo… Angelo, c’est le tout petit, là ?! Oh mais nooon, c’est trop triste !

Ariana regarde de plus près le joli t-shirt que lui montre Afya, après s’être levée pour la suivre.

—Il me faudra sa taille actuelle, et savoir s’il va encore pousser un peu. Ca grandit vite un garçon, à cet âge-là ! Après, s’il a pas « trop trop » grandi, ça devrait pouvoir s’étirer… Sinon, on peut toujours voir pour le transformer et en faire un souvenir ? Faudra lui demander ce qui lui plairait ! On peut toujours essayer d’en faire une peluche par exemple ! sourit Ariana, très concernée par l’affaire. Ou alors voir pour découper le motif et le coudre sur un autre t-shirt plus grand, mais c’est pas pareil… Hmmm…

Parfois, elle se dit qu’il faut laisser partir les vieilleries ; mais elle aussi, c’est difficile pour elle de passer au-dessus. Elle a trouvé la parade, et transforme souvent ses vieux habits qu’elle adorait mettre, jusqu’à ce qu’ils soient trop usés pour en faire quelque chose…

Heureusement qu’Afya n’a pas la culture pour mal interpréter les paroles d’Ariana. Imaginez ce qu’il se serait passé si elle avait compris que le master faisait faire des jeux de rôle étranges à sa disciple ? Qu’il impose sous couvert de son autorité des choses malaisante ? Bien entendu qu’elle lui serait rentré dedans de toute sa force de petite étoile timide qui n’ose pas ouvrir sa bouche devant des inconnus pour autre chose que raconter des histoires. Cela aurait été dérisoire, drôle, ridicule et enfin gênant pour les deux jeunes femmes.

« Je n’arrive même pas à imaginer ce que cela fait de changer de forme. » avoua-t-elle.

Mais c’était bien normal, Ariana pouvait-elle imaginer ce que cela faisait de se retrouver happée dans un instant qu’on n’avait pas encore vécu ? Ou pire, un instant qui n’avait encore été vécu par personne… De voir les possibles avec plus ou moins de clarté tandis qu’ils devenaient des probables ? Sans doute pouvait-elle le concevoir sans réussir pourtant à se projeter dedans, de même que l’ivoirienne n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait ressentir son amie lors de ses changements de forme.

« Mon idée c’est de te laisser décider, tu es bien plus douée que moi pour ça ! »

Et c’était vrai, bien la moitié des vêtements de l’abidjanaise avaient été choisis par son amie. Peut-être qu’elle manquait trop de confiance en elle, ou simplement qu’elle voyait là l’occasion de passer du temps avec son amie ? Elle ne raccrocha pas à l’idée d’aller faire les boutiques à Tokyo, elle n’avait pas parlé à la rousse de leur voyage à la faculté avec Allen, ou du moins pas d’un épisode qui s’y était passé, et visiblement le jeune homme avait gardé son secret. Elle lui en était vaguement reconnaissante, ce n’était pas tellement qu’elle avait envie de le cacher à Ariana, mais… Elle n’avait pas envie d’en parler. Si elle n’en parlait pas, elle pouvait encore prétendre qu’il ne s’était rien passé.

« Je veux pas lui demander… Je veux lui faire la surprise… Tu penses que ce serait quoi le plus réalisable ? Il fait un grand S et un petit M, ou plutôt le S lui va près du corps et le M est un peu plus lâche et lui laissera le temps de grandir encore un peu… »

Elle l’avait accompagné échanger ses vieux vêtements dans une friperie, elle connaissait donc ce genre de détails.

Le sourire d'Ariana se fait rêveur. C'est sûr qu'avant de devenir Morphe, elle ne se posait pas trop la question... Maintenant, elle ne saurait pas s'en passer. C'est devenu une part tellement importante de son quotidien !

—C'est vraiment génial. Il faudrait que je te fasse un cristal de morphe un jour. Comme ça tu pourras tester !sourit-elle.

Elle a toujours envie de pouvoir partager ses expériences avec ses amis, alors pour elle, l'effort en vaut la chandelle, même si ce n'est qu'un petit cristal. Enfin, niveau vêtement, Afya lui laisse encore carte blanche. Et il faut dire que c'est parfois bien compliqué ! Ca la rend cela dit un peu triste qu'elle se dénigre de la sorte. Oh, pas qu'elle le fasse réellement consciemment, ou frontalement ; c'était plus sa manière de dire qu'Ariana était plus douée qu'elle, comme elle aurait pu dire qu'elle l'était moins elle-même. Pourtant, Afya a toujours de bons goûts ; et lorsqu'il s'agit de vêtement, c'est toujours bien de donner son propre avis ! Sinon, on se laisse trop porter par l'image que l'autre se fait de soi, et on s'efface. Ce que fait parfois trop souvent la voyante…

—Ca marche !! J'ai pas encore trop trop d'idée, donc si tu as une couleur, un motif ou un style qui te plaît davantage, signale-le moi héhé. (Elle écoute les propositions d'Afya pour le t-shirt d'Angelo, arborant une mine sérieuse.) Hmmm... Je pense qu'on peut tenter d'étirer le tissu, je ne sais juste pas combien on peut garder avec ça. Il faudra juste faire très attention au dessin ; j'ai peur qu'il se craquèle. Je testerai avec un vieux t-shirt combien on peut gagner, et si le dessin est abîmé ; tu voudras tenter avec moi ?

Après tout, c'est l'idée d'Afya, et elle serait sûrement heureuse de pouvoir mener à bien cette expérience à deux ! Comme ça, si elle apprend en amont, elle pourra dire à Angelo qu'elle a réussi à le faire toute seule, même ! Héhé ! Ariana, mais quel génie !

« Je crois que ça me ferait un peu peur… »

Changer. C’est terrifiant. Agréable. Terrifiant. Elle aime le changement, elle aime quand la vie est en ébullition. Elle n’aime pas changer. Elle n’aime pas se dire que sa sœur ne la reconnaitrait plus, qu’elle ne lui ressemblerait plus. Cela fait des années que les jumelles ne se sont pas vues, se ressemblent-elles encore ? Peut-être pas, la peau d’Adjambo est peut-être plus sombre que la sienne maintenant.

« Comment tu sais que tu es encore toi quand tu ne te ressembles plus ? »

Ce n’est peut-être pas le tour que devait prendre la conversation, et sans doute qu’après avoir prétendu quelques jours plus tôt à Angelo que même en ayant grandi il restait lui c’était étonnant de la part de la voyante. Cependant il y avait bien des différences entre donner un conseil et le suivre, et la métamorphose ne s’apparentait que de loin à la croissance.

Elles changèrent de sujet. Elle écouta la proposition d’Ariana. C’était une bonne idée, cela leur permettrait de passer plus de temps ensemble et l’ivoirienne adorait passer du temps avec l’espagnole. Ses yeux sourirent, donnant son accord avant que sa bouche n’en formule les mots.

« Oui ! Ce serait chouette qu’on le fasse toutes les deux ! » Elle réfléchit. « Peut-être qu’avant d’essayer de l’étirer je pourrais le copier sur du papier calque ? Comme ça si on abime le dessin on pourra toujours le redessiner ? J’ai demandé à Angelo qu’il me donne son tee-shirt puisqu’il ne pouvait plus le porter… Je ne lui ai pas dit que je voulais le lui agrandir parce que je n’étais pas certaine que ce soit faisable et que je voulais te demander avant… Quand je lui ai demandé il avait l’air si triste… Tu crois que j’ai fait une bêtise ? »

Oui, celle de ne pas regarder dans l’avenir pour y trouver la réponse… Elle n’a pas encore ce réflexe, pas toujours…

Oh... Oui, c'est compréhensible, mais ça rend Ariana un peu triste. Alors elle se frotte juste la nuque en riant à demi, gênée. La première fois, ça fait toujours peur.

La question de sa chère amie la surprend : elle la fixe durant quelques secondes, le temps de mettre ses neurones en marche. Elle pourrait répondre un truc bateau, mais avec Afya, elle sait qu'elle peut aller au bout de sa réflexion. Elle n'a pas la pression de devoir être quelqu'un qu'elle n'est pas.

Une moue sur le visage, Ariana finit par répondre :

—Parfois, je ne sais pas. C'est comme si c'était facile de se glisser dans la peau de quelqu'un d'autre, ou d'un animal. Tu cesses un peu d'exister, et je crois que c'est quelque chose que je n'ai pas trop de mal à faire.

Peut-être que c'est pour cette raison qu'elle est si attachée à son pouvoir de morphe. Parce qu'elle peut être qui elle veut, à part elle.

—Mais bon, la plupart du temps ça va ! Je m'amuse juste, alors j'essaie de ne pas prendre tout ça au sérieux ! Par contre, c'est vrai que quand c'est des transformations humaines... Ou quand je suis un animal, et que je suis un peu en colère...

Elle ne finit pas sa phrase. Des fois, elle se fait un peu peur. Parce qu'elle se laisse complètement aller dans l'image qu'elle a d'elle-même, celle qu'elle montre aux autres. Louve tu es, louve tu seras. Et Ariana... peut-être qu'il faudrait qu'elle réapprenne qui elle est, au lieu de chercher à toujours être quelqu'un d'autre. C'est dur, l'image, pour un Eau.

Heureusement, elles peuvent discuter du problème d'Angelo ; et Afya se montre encore une fois très attentionnée envers son ami. Aria, des étoiles dans les yeux, acquiesce vivement avant de faire un gros câlin à sa copine :

—Mais Afyaaaa, t'es vraiment géniale ?! C'est une idée de génie !! Non, t'en fais pas, tu n'as fait aucune bêtise. Ca lui fera une bonne surprise ! Je suis sûre qu'il sera encore plus content ! Et comme ça, au moins, tu ne lui a pas fait de faux espoirs… grimace-t-elle. Ce serait ça, le plus triste, je crois.

Afya comprend sans comprendre, comme souvent, elle voit ce qu’Ariana veut dire, l’entends. Ne le comprend pas pleinement car elle ne l’a jamais vécu. Elle ne juge cependant pas, ne pense pas un instant que son amie fuit ou cherche la facilité. Elle pose ses yeux clairs sur elle et lui sourit, elle l’aime inconditionnellement.

« Je t’aime quelle que tu sois. »

C’est bien là le pouvoir de l’amitié, elle sait qu’Aria ne s’aime pas toujours autant qu’elle le devrait. C’est pour cela qu’elle a décidé de l’aimer tant. Non, ça elle ne l’a pas décidé, cela s’est fait sans son accord. Elle a juste décidé de le lui dire, et régulièrement. Je suppose qu’elles pensent à la même colère, à cette fois où elle a défoncé la porte de Théo, c’était il y a longtemps, et d’autres peut-être.

Il n’en est pas moins vrai que quelles que soient les erreurs de la rousse Afya l’aime. C’est le pouvoir de l’amitié lirait-on dans un shojo, ou peut-être dans un shonen. C’était peut-être autre-chose fut un temps. Ce n’est plus le cas.

Elles ont changé de sujet, et Ariana s’enthousiasme pour l’idée de l’ivoirienne autant qu’elle la réconforte quand à son choix de ne rien dire à Angelo. Il sera content, c’est ce qu’elle cherche. Cela la réconforte tellement qu’Ariana la soutienne… Mais c’est sans doute cela l’amour qui lie les deux jeunes femmes, cette certitude qu’elles seront toujours soutenues. N’est-ce pas là le plus grand des réconforts ? La plus belle promesse qu’elles puissent se faire ?

« Merci. » répond la timide, sans trop savoir qu’ajouter.

Alors la soirée reprend son court, Ariana lui montre les tissus qu’elle a ramené et lui demande choisir ceux qui lui plaisent le plus. Elle choisit bien entendu les plus colorés. Elles parlent beaucoup, jamais Afya n’est plus loquace qu’avec son amie.

Afya est toujours encourageante, douce. Elle fait fondre le coeur d'Ariana. Elle aussi l'aime très fort, et l'aimera toujours très fort. Ce n'est pas le genre de lien qui se brise si facilement. Peut-être qu'un jour, elles se parleront moins ; mais elles se retrouveront toujours.

—Merci Afya. Moi aussi je t'aime très fort, héhé.

Petite rire gêné. Même si Ariana sait montrer son affection, parfois, elle a du mal à l'exprimer en mots aussi direct. Ca dépend des moments, bien sûr ; mais là, elle est véritablement émue. Les je t'aime les plus difficiles à dire, pour elle, sont toujours les plus importants.

Le souci t-shirt-d-Angelo étant réglé, la rouquine sourit largement à son amie.

—C'est rien.

Elle aimerait ajouter qu'elle sera toujours là pour essayer de l'aider, quel que soit son problème. Si elle a besoin de quelqu'un pour casser la figure de quelqu'un d'autre, pour pleurer, pour créer. Même si elle ne peut pas faire grand-chose, elle sera là ! Elle n'ose évidemment pas toujours s'imposer, mais voilà. Ohlala, ça la gêne aussi du coup !!

Au final, installées avec de quoi boire, manger et quelques jolis tissus, elles se racontent les derniers événements de leur vie, leurs aspirations, leurs rêves, leurs espoirs. Ariana note les tissus qu'Afya préfère. Si elle pouvait lui faire une petite peluche à accrocher à son sac, en plus de sa robe, ce serait vraiment génial.