Disons qu'à ce moment précis de ma vie, je suis perdu. Je me trouve à côté d'une personne que dont je connais simplement le visage et la voix, je suis au Japon un pays qui n'a jamais attiré ma pensée et qui plus est dans un lieu totalement inconnu... Donc oui, je peux considérer que je suis totalement perdu.
Mais étrangement voir cette grille, annonciatrice d'un improbable renouveau semble presque avoir le pouvoir de me radoucir. Je ne crois pas en toutes ces histoires de Sixième Sens, mais je peux sentir que quelque chose de bienveillant émane de cet endroit. Si j'avais pu ressentir ce genre de chose avant... NON ! Ce n'était pas le lieu, je dois penser à ce qui va arriver maintenant. Connaître ce nouvel environnement, les gens qui le composent et...

J'eus un léger sursaut. Je l'avais totalement oubliée, cette personne qui se tenait à côté de moi depuis que nous sommes partis du Danemark. Une jeune fille, plus jeune que moi qui semblait elle aussi avoir de profonds tourments. Peut être est ce la norme dans cette école : faire venir tous ceux qui ont connus la Douleur.
Oui... Cette réelle Douleur, torture que peut être seul Prométhée du haut de son rocher aurait pu comprendre. Les souffrances sont profondes et si insoutenables et pourtant on ne meurt pas. On ne peut pas mourir. Peut être est ce cela la plus grande force de l'être Humain : l'envie de survivre.
Pourtant moi, Magellan Gray, je me demande ce qui peut être assez puissant pour que inconsciemment je survive pour lui...

Machinalement je sors une cigarette de l'étui que je conserve tout le temps dans une poche. Il soit fort probable que je n'ai pas le droit de fumer à l'intérieur de cette « école » et la tension de ces dernières heures avait peu à peu diminuée, laissant place dans mon esprit pour des besoins plus superficiels.
Le bruit que provoqua la pierre du briquet et le léger grésillement du papier et du tabac qui se consument semblèrent résonner tant le silence entre la jeune fille et moi est installé. Je ne sais quoi dire, peut être une formule de politesse, une blague. Je n'en ai en réalité pas la force.

La fumée s'éparpille dans l'air en face de moi en un léger tourbillon. Voir la fumée dessiner ces éphémères mouvements, gracieux comme un papillon, m'a toujours fasciné. Suivant cette étrange et courte danse, chaque fois renouvelée, des yeux je remarque que le ciel est totalement noir.
Quand j'étais enfant, on me racontait souvent l'histoire de ce petit enfant qui vivait dans le ciel et à qui le Bon Dieu avait demandé d'allumer chaque soir les étoiles et de mettre en place la Lune. Tous les soirs il allumait et le lendemain il éteignait. Mais sa tâche était ardue car il devait faire attention au Diable qui essayait de dérober des étoiles. Malgré l'âge, je me suis souvent dit que le Diable avait réussi à voler les étoiles et la Lune quand celles ci n'étaient pas visibles dans le ciel et que le petit enfant allait devoir les récupérer.
Sans m'en rendre compte, j'écrase le bout de la cigarette entre mes doigts. Continuant à regarder le ciel, je menace mentalement le Diable. Si tu touches à l'étoile qui représente ma petite Ève, je jure que jamais plus tu ne reverras l'Enfer !

Une sensation mouillée sur ma joue et une chaleur à la main me ramènent à la réalité. Je laisse tomber la cigarette au sol et essuie d'un revers de main cette énième larme. En me retournant vers mon guide, j'entends juste la fin d'une phrase. Elle sonne comme une cloche, à la fois claire et profonde...

J'ai envie d'une autre cigarette...

Ce qu'il venait de dire était stupide, lui aussi était jeune. Mais il avait toujours eu l'impression de se sentir plus vieux mentalement que la moyenne des gens qui l'entourait. Cette maturité lui venait de sa jeunesse et de la nécessité que Magellan a eu de se débrouiller plus ou moins seul.
Mais juste après avoir dit cette dernière phrase, ses yeux noirs comme le jais croisèrent ceux de Tomoe. Instantanément il vit dedans qu'elle aussi avait vécu. Non pas qu'elle eusse un regard sombre ou triste comme pourrait le faire croire le stéréotype, mais simplement cela se voyait. La Douleur peut prendre divers aspect, elle n'est jamais à court d'idées pour torturer chaque être humain. Dans un sens sa beauté résidait aussi là.

Ce n'était pas le mot que Magellan voulait employer. Par ailleurs il trouvait ce mot assez énervant car il renvoyait à l'une des chose horrible que l'Homme sait faire le mieux : le Mysticisme. Mais sur le moment, il n'avait pas su quoi dire. Prédéfini ? Acte du Destin ? Non, tout cela lui renvoyait l'image d'une vieille bohémienne lisant les cartes dans une roulotte. Et cela ne semblait clairement pas être le style de cette école.
Mais alors qu'était ce ? Magellan sentait que cela relevait plus de l'âme, d'un lien qui relierait les personnes entre elles et qui à un moment donné se tendrait, obligeant l'une à ce rapprocher de l'autre. Mais bien sur cela n'était que pure supposition...

Elle continua son chemin, se rapprochant de plus en plus du bâtiment principal de l'école. Dans quelques instants il découvrirait enfin ce que renferme cet étrange endroit. Ce lieu que son âme avait « appelé » de toute ses forces, de telle manière que cette bien mystérieuse Tomoe, mais ainsi qu'une Hideko avaient ressenti. Qui était cette dernière par ailleurs, car si Magellan ne se trompait pas cela faisait plusieurs fois que ce nom ressortait dans la conversation.

Lorsqu'il fut de nouveau à côté de la jeune fille, celle ci s'appuya sur son épaule pour le faire descendre à sa hauteur et lui expliquer quel était le fonctionnement de l'école. Dans ses propos elle avait raison sur un point : cela allait faire une drôle d'impression à notre jeune homme de « reprendre » les cours. Reprenant sa marche, sa Gardienne lui lança un clin d’œil complice. Magellan sourit en se disant que cet endroit était au final très semblable à ce qu'il avait connu étant jeune, mis à part le fait qu'il n'y apprendra pas les mathématiques mais l'utilisation de pouvoirs, là aussi tout un programme...

Tomoe sorti une cigarette et l'alluma. Après une bouffée, elle dit le plus naturellement du monde à un Magellan toujours aussi émerveillé quand il voyait quelqu'un fumer. Ne cherchez pas la raison, l'esprit humain sait trouver de l'intérêt dans bien des domaines. Dans son cas, notre ami ressentait à chaque fois un petit bonheur de voir que quelqu'un d'autre que lui possédait ce vice.

Pour la première fois depuis des mois, Magellan Gray venait de rire. Pourtant ce n'était pas drôle.
Cette jeune fille venait simplement de faire l'inverse de ce qu'elle venait de dire, une simple bravade ou forme de montrer qu'à Terrae, comme dans toute école les règles sont là seulement pour être transgressées. Mais cette attitude presque enfantine eut pour effet de faire rire notre homme.
Pas que cela soit le plus grand des fous rires, mais cela était tout à fait remarquable quand on a connu cette personne plus ou moins avenante au fond du gouffre...

Il marqua une pause, le fait que cet endroit soit une école lui rappela sa femme. Avant elle était professeur. Avant.
Magellan tira plus fortement sur sa cigarette. Il se rendait compte que l'évocation de sa défunte femme, morte dans les mêmes conditions que sa fille, ne lui faisait jamais ressentir aucune tristesse. Aucune peine.
Rien.
Et cela, il ne savait pas comment il devait le prendre. Devait il se considérer comme un monstre sans cœur. Non... Au fond de lui il savait ce qu'il était. Un égoïste, pour qui seul Ève, l'Unique, l'Originelle, comptait. Tout le reste n'avait pas d'importance.

À l'évocation de cette pensée, la nuit lui parue tout d'un coup plus fraîche. Il laissa s'échapper de la fumée de sa bouche en un long filet qui s'éleva vers le ciel, là où aurait dû se trouver une Lune. Tout en regardant le dernier filament grisâtre disparaître peu à peu dans les ténèbres de la nuit, il s'adressa à Tomoe.