Afya passa sa main au visage de Senri, son doigt effleura sur le front meurtri du garçon avant de glisser lentement vers le nez du japonais. Il regardait son ami avec de grands yeux écarquillés et une lueur de panique s'y dessinait presque. Mais dans ce capharnaüm de sentiment, il y avait aussi une certaine sensation de bien-être, corroborée par les pouvoirs de guérisseuse de la jeune femme, certainement. Reste que Senri se sentait profondément touché par ce geste et avait du mal à y réagir.

Progressivement, le décor de la chambre de cet hôtel douteux de Las Vegas changea, prenant des teintes plus sombres, le visage d'Afya s'effaça et, un instant plus tard, ce n'était plus que son poster de Sailor Moon que Senri regardait, les yeux tombants. Dans la paume de sa main, il y avait un petit caillou d'un bleu azur, qui était fait de ligne chaotique, irrégulière, mais certaines étaient plus prononcées que d'autres. À son sommet, il y avait un creux, sur les côtés, la structure s'arrondissait et se poursuivait à l’opposé du creux pour s’affiner et finir par une pointe.

Senri était dans sa chambre d’initié. Assis en tailleur sur un modeste lit. La chambre était assez simplement décorée, il y avait des posters de boxeur, de shonen et quelques-uns de magical girl qui parsemaient les murs. Le sol était balayé et rien ne semblait traîner, si ce n’est autour du bac à linge sale situé entre le lit et l’entrée de la salle de bain. Juste après la porte de celle-ci, il y avait une petite cuisinière avec un plan de travail. Il s’y trouvait une bouilloire et une théière parsemée d’arabesques qui était un héritage de sa grand-mère. C’était avec celle-ci que Senri préparait le thé, tisanes et autres concoctions lors des derniers instants de la femme qui l’avait élevé.

Si, la décoration de Senri paraissait assez simple et libérait l’espace de la chambre, le fond de la pièce entrait en totale contradiction avec le reste du studio. Un amalgame de barre en fer et d’haltère était entassé là. Il y avait également des tapis de sport déformés par l’usure et marqués par la sueur. Senri avait même une presse et une machine destiné à exercer son dos. Puis, au strict milieu de ce qui aurait pu être un salon ; un sac de boxe dont le tissu était rapiécé et déformé par les coups. Au niveau de la chaîne qui tenait le sac, les gants noirs et usés de Senri pendaient. Ces gants étaient ceux qu’il avait portés lors de sa première compétition, il ne s’en était jamais séparé. Ils étaient le souvenir de tous ces moments qu’il avait passé sur le ring à haleter, à repousser ses limites. Cette paire de gants était pour Senri, le symbole que la boxe n’était pas juste un moyen d’extraire sa colère, mais une véritable passion.

Le ballon de volley posé sur son lit était chargé du même type de souvenirs, à quelques différences près.

Senri tourna la tête vers le petit carnet estampillé « Nindô » et un rouleau de scotch, eux aussi sur son matelas. Dans ce carnet, il compilait ses impressions sur ses pouvoirs, ses différents entraînements et tout un tas d’autre chose qui avait un lien de près ou de loin avec les pouvoirs qu’ils avaient acquis.

Le garçon attrapa un bout de scotch, le passa sur le cristal qu’il avait créé et colla ce dernier dans le cahier, à une page s’intitulant « souvenir », suivant celle qui s’appelait « répertoire Suiton ». Il colla le cristal juste au-dessus du nom d’Afya, la date était encore incomplète. Néanmoins, après son voyage dans le passé, il put remplir la case « description du souvenir ». En écrivant, il eut un léger pincement au cœur. Il ne savait vraiment pas comment appréhender cette journée. De manière général, il ne savait plus comment appréhender son quotidien. Tout semblait compliqué, difficile.

Senri regarda un moment son radio-réveil. Il avait encore quelques heures avant de se rendre à l’hôpital, il y avait pris un rendez-vous en début de semaine. Tout en rétractant la mine de son crayon, qu’il posa sur matelas, il s’adossa contre son mur, le yeux rivés vers le plafond. Dévisageant le plafond blanc, il essayait de mettre de l’ordre dans ses pensées. Lentement, il se laissa glisser sur le côté. Son crâne s’enfonça dans un oreiller alors que ses yeux dévisageaient toujours le vide.

Des tas de questions se bousculaient dans sa tête. Ses pouvoirs, allaient-ils revenir ? Ses séquelles, étaient-elles aussi graves que le présumait les premiers examens ? Avait-il fait les bons choix dernièrement ? Avait-il agi comme à son habitude ou est-ce qu’il changeait ? Etait-il amoureux d’Afya ?

« Senpai, je t’aime. »

Les mots qui raisonnèrent dans sa tête avec l’image du toit de son ancien lycée lui firent douloureusement fermer les yeux. Il roula sur lui-même pour enfoncer sa tête dans l’oreiller.

Il fallait qu’il parle à Aaron de ces visions.