Amy semble ennuyée de n’avoir aucune connaissance de base en guitare. Je secoue la tête doucement avant de lui adresser un sourire rassurant.

“Ne t’en fais pas, ce n’est pas un souci ! C’est même plus simple comme ça en fait, au moins je n’ai pas à embrayer après un autre professeur dont je ne connais pas les méthodes… Et puis, avec un tel enthousiasme, ça ne peut que bien se passer !”

Je lui lance un petit clin d’oeil amusé. Au moins, elle a des bases de solfège, donc je n’aurai pas besoin de passer trop de temps sur les différentes notes et rythmiques, elle devrait connaître ! C’est la partie la plus théorique et la moins amusante, donc c’est tant mieux si on peut passer au-dessus rapidement !

La jeune femme semble également emballée par l’idée d’un entraînement commun lorsque nous aurons retrouvé nos pouvoirs originaux ; je remarque qu’elle parle un peu plus vite et plus fort, ce qui me tire un léger rire, alors que le serveur nous regarde de travers. Quel rabat-joie, ce n’est pas comme si on dérangeait les autres clients, vu qu’il n’y a que nous !

“Marché conclu ! On testera ça quand l’Eclipse sera passé alors !”

J’évite de rajouter un “si elle passe un jour”, pour ne pas paraître négative. En vrai, j’aime mon pouvoir d’Air, mais si jamais je ne le récupère jamais, je pense que je pourrais m’adapter à un autre, à long terme... Par contre, le coté chaises musicales, il est temps que ça cesse !

La blonde perd soudain son sourire, et m’avoue préférer Terrae à son ancienne vie. Ce qui est mon cas aussi, pour être honnête, c’est devenu ma maison ici ; mais je ne me suis jamais sentie en cage dans mon ancienne vie, contrairement à elle apparemment. Je perçois des pensées négatives, le nom d’un certain Gabriel revient plusieurs fois. Un ancient amant ? Je m’interdis de lui poser plus de questions, car je vois que le sujet la blesse, et me contente de sourire en hochant la tête.

“Il y a beaucoup de super chouette personnes, c’est vrai ! Après, il y a des cons aussi hein, comme partout je suppose !”

Je lâche un léger rire, c’est malheureusement une des constantes de ce monde, les cons. Et d’ailleurs, je me rends bien compte que de l’avis de certaines personnes, j’appartiens à cette catégorie… On ne peut pas plaire à tout le monde ! J’espère qu’elle en tout cas ne pense pas ça de moi, parce que pour être honnête, pour le moment j’apprécie beaucoup sa compagnie !

Alors que nous rougissons toutes les deux, je sors la première chose qui me passe par la tête pour ne pas rester silencieuse, et Amy prend le pas, levant son verre également à notre rencontre et au retour du printemps. Je retrouve peu à peu une couleur normale et adresse un sourire à la blonde… Qui disparaît soudain sous mes yeux. Je lâche une expression surprise, mais tout de suite elle m’explique que son Invisibilité lui joue des tours.

“Oh mon Dieu j’avais oublié, ça surprend ! C’est très étrange de discuter avec une personne qu’on ne voit pas, en fait…”

Perturbant même, je dirais ! C’est dans ses moments-là qu’on se rend compte de l’importance du langage du corps, tous ces petits gestes, mimiques, sourires. Je l’entends bouger sur sa banquette, sans savoir pour autant ce qu’elle fait ; et quelques secondes plus tard seulement, la jeune femme redevient visible, me surprenant une nouvelle fois. Elle est penchée par dessus la table, son visage proche du mien, une main tendue vers ma joue. Je n’ai pas le réflexe de me reculer ni même de lui demander ce qu’elle fabrique ; sa proximité soudaine me trouble au plus haut point, et je ne peux rien faire d’autre que rougir.
Sa main se pose sur ma joue, et comme un réflexe, ma propre main vient effleurer la sienne. Tout cela ne dure qu’une fraction de seconde, avant qu’Amy ne s’exclame qu’elle est toujours matérielle tout en étant invisible. Mon cerveau se reconnecte, ses gestes si troublants pour moi prennent soudain tout leur sens, et je me hate d’enlever ma main de la sienne.

“Tu…Tu es redevenue visible entre-temps, ahah.”

Je tente d’apaiser l’atmosphère avec une blague, mais mon rire se perd dans ma gorge. La blonde se rend alors compte qu’elle n’est plus invisible et devient tout aussi rouge que moi. Immobile, ses yeux s’agrandissent de surprise et de gêne alors qu’elle tente de s’excuse en bégayant. Les joues toujours en feu, je lui adresse un petit sourire tout en détournant le regard – elle est encore vraiment proche là, et c’est étrange de la regarder dans les yeux dans cette position.

“Ne t’en fais pas, ce… C’est pas grave ! Je comprends que tu te poses la question en fait ! Bon, au final t’as pas le réponse vu que tu es redevenue visible avant… Mais je suppose que si tu devenais “fantôme”, tu passerais au travers de la table et de la banquette aussi, non ?”

Je suis sûre qu’elle y avait pas pensé ahah, pourtant ça aurait évité un gros malaise !

Le sourire et l'enthousiasme de la blonde sont communicatifs, et bien que plus mesurée, je me rends compte qu'un sourire est affiché sur mes lèvres depuis les quinze dernières minutes au moins ! Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas... "Connectée" disons, aussi rapidement avec quelqu'un. Et je suis heureuse de savoir qu'on sera amenées à se recroiser - souvent, à priori !

La conversation se poursuit et prend un pas moins léger, Amy semble inquiète qu'il y ait des gens peu recommandables ici. Je disais plutôt ça pour rire à la base, mais maintenant qu'elle pose la question... Je hausse les épaules, prenant un moment pour réfléchir avant de lui répondre, le regard perdu dans ma tasse de café.

"Eh bien... Pour être honnête, je ne sais pas trop. Je n'ai jamais eu aucun souci majeur, juste certaines rencontres un peu moins positives disons ! Mais... je sais qu'il y a d'anciens criminels ici ; des maffieux, des tueurs à gage. Et même si Terrae offre une seconde chance à tout le monde, je ne peux m'empêcher de penser que certaines personnes restent fondamentalement mauvaises."

Renji faisait partie des Yakuzas, et même s'il n'est pas quelqu'un de mauvais, je sais qu'il a fait de mauvaises choses. C'est en partie cette raison qui a fait qu'il n'a pas su s'adapter ici, et qu'il a préféré retourner à son ancienne vie... Je relève les yeux vers la jeune femme pour voir son trouble, son inquiétude. Je regrette directement mon discours et lui souris en agitant les mains devant moi.

"Mais ne m'écoute pas, je suis un peu trop terre-à-terre parfois ! Je suis sûre que les Masters font ce qu'il faut pour garder tout le monde en sécurité à Terrae !"

Les quelques instants d'après se font plus troublants, alors que la blonde disparaît, pour réapparaître à quelques centimètres de moi, la main sur ma joue. Pour ne rien arranger, elle me dit que j'ai la peau douce, ce qui enflamme mes joues un peu plus qu'elles ne l'étaient déjà.

"Je... Merci ? Toi aussi..."

Toute confuse que je suis, je ne trouve rien d'autre à lui dire. Amy semble tout aussi gênée que moi lorsqu'elle se rend compte de son geste, et se recule rapidement avant de se tasser sur sa banquette et de se taper le front sur la table. Effectivement, donc, elle n'avait pas pensé à cette éventualité !

La jeune femme relève légèrement la tête et jette un oeil vers moi, toujours aussi rouge, et commence à s'excuser. J'affiche une petite grimace quand elle me dit qu'elle a eu peur de me brûler ; je n'avais pas du tout pensé à ça en fait, mais je suis bien contente qu'elle ait réussi à se maîtriser ! Ma grimace se change ensuite en un sourire qui se veut rassurant.

"Ne t'en fais pas ! Il ne s'est rien passé de fâcheux, et je comprends parfaitement ton élan de curiosité... Donc on peut dire que l'incident est clos !"

J'accompagne mes paroles d'un clin d'oeil. Je ne dis pas seulement ça pour la rassurer, c'est la vérité ; je ne me l'explique pas, n'étant pas quelqu'un de très tactile en général, mais à aucun moment son contact ne m'a dérangée. Surprise, troublée, oui. Gênée, non.

Malgré mes paroles, Amy ne se calme pas. Son beau sourire a disparu, son visage semble tendu, et je ressens la tempête de ses pensées. De la douleur, de la colère, de la peur... Et ce nom, Gabriel, encore et toujours. Il lui a fait du mal, j'en suis certaine maintenant. Je ne sais pas ce qui s'est passé, je ne demanderai pas d'ailleurs, mais j'entends sa détresse et commence à me sentir moi-même mal à l'aise, même si je ne suis pas concernée. J'avance mon bras par dessus la table, et pose une main bienveillante sur la sienne, espérant la calmer un peu.

"Est-ce que ça va ? Tu veux aller prendre un peu l'air ?"

Je lui propose d'une voix douce, les sourcils froncés d'inquiétude.

Je hausse les épaules à la question de la blonde, je n’ai pas envie de l’inquiéter plus qu’elle ne l’est déjà ! Nous tombons d’accord sur le fait que, anciens criminels ou non, les Masters ont les choses en main et gardent très certainement un œil sur les personnes « à risque ».

Suite à l’incident dû aux pouvoirs d’Amy, je tente de la rassurer pour ne pas qu’elle se sente gênée ou coupable. Perdue dans un tourbillon de pensées négatives, mes paroles ne l’atteignent pas ; aussi je me permets un contact léger, qui semble la ramener sur terre. La jeune femme affiche une expression surprise pendant quelques secondes, avant de retrouver ses esprits et de me faire une remarque sur mes sourcils froncés, accompagné d’une pichenette. Je me détends de la voir retrouver le sourire, et lâche un léger rire.

« Tu as raison ! Quitte à avoir des rides, autant que ce soit celle du sourire ! »

Elle affiche ensuite un air désolé et s’excuse de sa petite « absence », prétextant une fatigue due à l’éclipse. Je ne suis pas dupe, je devine un malaise bien plus profond, mais garde mes pensées pour moi, lui souriant simplement en retour.

« Ne t’en fais pas, il n’y a pas de mal ! Je préfère te voir avec le sourire dans tous les cas ! »

Amy vide sa boisson et j’en fais de même, devinant que leur est déjà bien avancée. Instinctivement, je jette un coup d’œil à ma montre et réprime une légère grimace ; il va bientôt être temps pour moi de mettre fin à notre rendez-vous. Je hoche la tête positivement lorsque la blonde me propose d’y aller tout doucement et de couper par le parc.

« C’est une bonne idée, oui ! Il va bientôt être l’heure d’ouvrir la boutique de toute façon... Après un bon café, un bol d’air frais me semble tout indiqué pour bien commencer la journée ! »

Suivant son mouvement, je me lève et jette mon gobelet avant de sortir du café. Une brise fraîche nous surprend dehors, et je resserre mon écharpe autour de mon cou en frissonnant. Le soleil est haut dans le ciel mais les températures ne sont pas plus clémentes que tôt ce matin !
Je jette un œil à la jeune femme, rassurée de voir qu’elle a emporté une écharpe elle aussi ; je ne voudrais pas qu’elle prenne froid. Je souris, regardant à nouveau devant moi. Quelle étrange mais plaisante matinée ! J’inspire l’air frais du matin, bifurquant vers le parc.

« Je ne viens presque jamais par ici le matin, mais je devrais ! C’est si calme et tranquille... C’est apaisant, avant de commencer une nouvelle journée chargée ! »

Je me tourne avec Amy et lui sourit. C’était une bonne idée de couper par le parc. Nous échangeons quelques banalités tout en continuant notre chemin, toutes deux conscientes que ce moment touche à sa fin. De fait, la boutique de vêtements entre dans mon champ de vision plus tôt que je ne l’aurais souhaité. C’est étrange, on vient à peine de se rencontrer, pourtant j’aurais vraiment aimé passer toute la journée en sa compagnie. Mais mes responsabilités me rappelle t’as l’ordre.

« Et bien… Je suppose que c’est ici qu’on se dit au revoir ? J’ai été ravi de faire ta connaissance ! Et… On se voit vendredi à 18h ? »

Je lui souris en lui rappelant notre rendez-vous musical, avant d’agiter doucement la main en signe de revoir, et de rentrer dans la boutique.
Une fois à l’intérieur, je soupire légèrement, et me retourne pour observer la jeune femme poursuivre son chemin. Je la regarde jusqu’à ce qu’elle quitte mon champ de vision, un étrange sentiment au creux de l’estomac. C’était vraiment une chouette matinée, et vraiment une belle rencontre.

La réflexion de Pandora sur les rides du sourire fit rire Amy. Oui, c'était bien mieux ainsi ! Sa phrase suivante amena la blonde à tirer la langue en feignant de se taper la tête du poing dans une expression un peu bête cachant à peine sa gêne de l'avoir embarrassé avec son attitude. Elles se levèrent de concert et se débarrassèrent de leurs gobelets après que la brune ait validé sa proposition.

À l'extérieur, le vent toujours aussi froid eut tôt fait de rafraîchir l'atmosphère. La blonde avait beau tirer sur son gilet, il était définitivement trop léger pour la température, alors elle inspira une grande goulée d'air et prit sur elle. Elle se souvint avoir balancé une écharpe dans sa besace et l'en sorti avant de l'enrouler autour de son cou. Voilà qui était mieux !

Tout était encore silencieux, la vie s'éveillait à peine. C'était agréable. Et elle était en bonne compagnie. Glissant un regard en coin vers Pandora, elle écouta ses mots pour lui répondre, amusée :

- Je viens souvent, très tôt ou tard le soir, ici où dans les champs de fleur qui longe la route entre l'institut et le village, parfois simplement sur le toit de l'institut. J'aime m'y entraîner dans le calme, la nature est tellement inspirante ! Les fleurs s'ouvrent et se referment au rythme du soleil qui se lève et se couche, tandis ce que les feuilles se déroulent dans une harmonie parfaite. C'est comme... Une chorégraphie millimétrée, tout à fait fascinante !

Elles continuèrent de discuter jusqu'à ce que Pandora arrive à la boutique de vêtements. L'initiée aurait voulu qu'elles discutent plus longtemps. Cela faisait un bon moment qu'elle ne s'était pas sentie aussi à l'aise avec quelqu'un. Il aurait toutefois était déraisonnable de la kidnapper pour son bon plaisir. Alors elle lui rendit simplement la politesse avec sincérité :

- C'était une matinée très agréable, j'ai hâte qu'on attaque la guitare ! J'ai été vraiment contente que tu viennes boire ce café avec moi... Oui, à dix-huit heures à la salle de musique, j'y serais sans faute !

Souriant pour cacher une infime tristesse, Amy la regarda se diriger vers l'entrée avec une certaine appréhension. Elle ne s'expliquait pas cette envie pressante de revoir Pandora plus que quiconque alors qu'elles se séparaient à peine, et qu'elles s'étaient rencontrés seulement deux heures auparavant. C'était comme... Comme lorsqu'un épisode de votre série préféré s'achève en vous laissant sur votre faim, et que vous savez que vous devez attendre la suite, mais qu'une petite voix au fond de vous hurle "Et s'il n'y avait pas de suite ?". Dès lors que la porte se fut refermée, la blonde fit demi-tour et remonta jusqu'à la librairie. Leurs regards auraient pu, à quelques secondes près, se croiser. Qui sait si elle n'aurait pas décidé d'entrer alors ? De feindre chercher quelques nouvelles tenues à ajouter à sa garde-robe, juste pour bénéficier de plus de temps avec la brune ?