Explosion. Attaque. Attentat.

Il ne m'a pas fallu longtemps pour arriver à l'hôpital, étant téléporteuse ; je ne maîtrise pas forcément toujours l'endroit où mes pouvoirs m'envoient, mais ils m'obéissent davantage lorsque je suis en colère ou déterminée. On met les choses en place. On contacte tout le personnel : pointez-vous tous ici pour aider ASAP. Les premiers blessés arrivent, parfois juste des personnes paniquées, un peu sous le choc. Et puis, à un moment donné arrive Senri, qui porte Mitsuki dans ses bras.

Mitsuki…? Je m'arrête de respirer en la voyant et me précipite à son aide immédiatement, presque dans le flou, balançant mes ordres sans aucun tact autour de moi. Je demande à Senri de la mettre sur un brancard, ce sera plus facile pour lui avec sa force de titan que moi avec mon ventre en ballon de baudruche.

—Mitsu, je l'appelle, essayant de retenir la panique dans ma voix, utilisant tout de suite des compresses pour contenir le flot de sang. Mitsu, tu es à l'hôpital, on va te soigner, d'accord ? Ca va aller, j'essaie de prononcer, malgré le début de panique dans ma voix et les… les gouttes qui tombent de mes yeux ?

Est-ce que je pleure …?
Respirer. Respirer. Il faut que je respire. J'appelle immédiatement le personnel adéquat :

—On va devoir l'opérer, il faut qu'on se dépêche. Bougez-vous, il y a une blessée ! je peste envers les pauvres personnes qui bloquent le couloir lorsque nous passons avec le brancard.

Je tombe sur Tiago, je tremble. Pourquoi je suis pas guérisseuse ? Pourquoi je suis pas…? Il faut que je me calme, que j'arrête de trembler. J'ai la mâchoire contractée si fort que j'en ai mal.

—Tiago, on va en salle 2, ramène moi autant de cristaux de guérisseur que tu trouveras, et fais vite, je lui balance, sans autre forme de procès. On va avoir besoin de toi !

Il a fait quelques années de médecine, le temps que les autres arrivent, il pourra être utile. Pas vrai ? Pas vrai…?

L'installation en salle 2 est rapide. On la met sous anesthésie on vérifie les signes vitaux ; elle fait une hémorragie interne, c'est mauvais, c'est très mauvais. J'ai envie de pleurer, de hurler. Pourquoi est-ce que Mitsuki est encore touchée ? Est-ce qu'elle s'est jetée sur la bombe pour la contenir ? Est-ce que c'était un hasard ? Pourquoi ? POURQUOI SA GREFFE NE S'EST PAS ACTIVÉE, PUTAIN ?

Des étincelles courent le long de mon corps et Tiago me ramène sur terre. Il faut que tu te calmes. Je respire. Je respire. Il faut que je me calme, ou on va la perdre. Dents serrées, poings serrées ; masque, gants, on y va. Mon ventre est tellement contracté que ça me fait mal. Il faut aussi que je respire, que je me détende, sinon il n'y a pas que Mitsuki que je risque de perdre. Respiration. Yeux fermés. C'est parti.

L'opération commence avec les autres médecins urgentistes ; on est très peu, à Terrae, malheureusement, on ne peut se permettre de mettre personne sur le banc de touche. J'ai demandé à ce qu'on nous prévienne si un médecin devait sortir de la salle pour une autre opération, mais pour le moment, il ne semble pas y avoir plus de blessés que cela. Quand on veut commencer l'opération, j'ai une sensation étrange, horrible qui me noue l'estomac. Je pose une main contre mon ventre. Quelque chose… D'horrible…

Oh… oh non… Mon souffle se bloque dans ma gorge. Le coeur au bord des lèvres, je préviens le reste de l'équipe.

L'opération dure un moment. Une bonne partie de la soirée, mais je fais en sorte de continuer malgré l'épuisement, malgré mon état de délabrement. Malgré la douleur de mes contractions, malgré le risque. Il y a des complications sévères qui nous empêchent de travailler correctement. Je suis forcée de m'assoir, et je refuse d'arrêter. Tiago me calme régulièrement, je me calque sur son sang-froid. La situation me détruit.

Finalement, presque pliée en deux, alors que l'opération se termine, on me jette dehors, me force à m'allonger dans un lit, moi aussi. Un médecin prévient Ys que Mitsuki a besoin de repos, mais qu'elle est tirée d'affaire ; que nous parlerons le lendemain, lorsqu'elle serait réveillée.

Moi, je passe une partie de la nuit roulée en boule à pleurer. J'ai encore l'impression d'avoir son sang sur les mains, j'ai encore la vision de ce petit être chétif… Et cette pensée en boucle qui ne cesse de m'obséder, qui me rend malade, sans qu'Huo ne parvienne à me consoler : on a perdu le bébé.




Le lendemain, j'essaie de me rendre présentable lorsque je retourne à l'hôpital. La crise est passée. Il n'y a pas eu plus de blessés graves que cela, simplement Mitsuki. … Mitsuki et le bébé, pensé-je encore, avec l'envie de me jeter par la fenêtre. Mais il faut continuer, alors je continue. Emmitouflée dans mon grand pull, le visage pâle, mais avenant au maximum. Quand on m'apprend que Mitsuki est réveillée, je vais la voir à son chevet, directement. Ys est là aussi. Je leur souris, faiblement.

—Bonjour, tous les deux.

Je regarde Mitsuki. Au moins, on a réussi à te sauver toi. On a réussi à te sauver… J'inspire, attrape une des chaises pour m'y asseoir difficilement. J'ai encore mal partout à cause d'hier. Ils doivent remarquer que mes yeux sont rouges, mais je n'ai pas à me cacher devant ceux qui sont presque ma famille.

—Comment tu te sens, Mitsuki ? Je suis tellement contente de voir que tu es réveillée…

La question peut paraître bête, mais il faut que je lui pose ces questions d'usage. Il y en a quelques-unes de plus en introduction que l'on passera. L'explication sur les événements de la veille, mais Ys lui a sans doute déjà fait son speech. J'ai l'impression d'être dans le brouillard. Par réflexe, je passe ma main sur mon ventre, et j'ai envie de pleurer encore plus fort…

Je demande à Mitsuki si elle est d'accord pour que je parle de tout ce qui a trait à l'opération et son dossier médical ici. Les conséquences. Ce qu'il s'est passé.

Evidemment, elle accepte, elle n'a rien à cacher. J'hésite à demander si elle est sûre, ne sachant pas comment Ys, tellement impulsif, pourrait bien réagir à une telle annonce.

—Ecoutez, je. On a fait de notre mieux pendant l'opération. Il y a eu des complications… Ta greffe s'est activée quand on a souhaité faire la césarienne… Elle… Ne voulait pas qu'on…

J'inspire. Ils me lancent ce regard perdu. Plein d'incompréhension. De choc. Personne n'a demandé de ses nouvelles depuis hier, elle n'était pas encore passée par l'hôpital pour confirmer, de ce que j'ai pu lire dans son dossier médical, alors je me dis… Peut-être qu'ils ne savaient pas…

—Mitsuki, je- Tu étais en-enceinte. De trois mois, à peu près… On a fait tout ce qu'on a pu, mais on n'a pas réussi à sauver votre bébé, je suis tellement, tellement désolée, je-…

Je manque de fondre en larmes. À la place, j'inspire et je lève haut la tête, parce qu'il faut que je sois capable de les regarder en face. Comme une professionnelle. C'est moi qui ai échoué, moi qui me présente devant eux avec cet enfant que je porte, alors que le leur n'a pas survécu. C'est moi qui n'ai pas réussi à le sauver. Je l'avais juste dans mes mains… Ce tout petit être. Encore minuscule.

J'en ai fait des cauchemars toute la nuit, le peu de temps où je suis parvenue à dormir. Maintenant, il leur faut le temps de digérer la nouvelle.

Et moi, de rassembler mon courage pour leur annoncer la suite.
Ca doit être pour ça qu'on fait souvent un très mauvais médecin pour ses amis.




hrp : monstres-

Mes paupières se plissèrent et je grommelai un "mmh" étouffé dans un soupir. Je voulus me tourner mais je râlai sous la douleur. Je me replaçai sur le dos, et essayai d'ouvrir les yeux, tâtonnant du bout des doigts le tissu qui m'entourait et me recouvrait. Où est-ce que j'étais ?

Mes derniers souvenirs me renvoyèrent à l'Institut. Non, pas l'Institut. Aux grilles. J'étais aux grilles, j'étais en train de réparer une caméra et je parlais avec Houston. Et puis. Et puis quoi ? Mes souvenirs se mélangeaient. Je n'arrivais pas à me souvenir. Tout était trop flou, tout était...

Je passai une main sur mon ventre et remarquai le bandage. J'avais eu mal. Terriblement mal. Pourquoi avais-je eu aussi mal ?

Pourquoi ma greffe ne s'était-elle pas activée ?

J'ouvris enfin les yeux. Les murs blancs agressèrent ma rétine. Je clignai plusieurs fois des yeux avant de m'habituer à la luminosité des lieux. Pourquoi est-ce que j'étais ici ? Quelques flashs me revinrent, je me rappelais.

Mon regard se posa sur Ys et un sourire doux et rassuré étira délicatement mes lèvres.

-Tu es là.

Mon coeur accéléra légèrement sa course, et je serrai ses doigts entre les miens.

Quelques instants plus tard, Aoi arriva. Je l'accueillais avec un large sourire, heureuse de savoir que c'était mon amie qui s'était occupée de moi. Je répondais sagement à ses questions, réussissant haut la main tous les tests évidemment. J'allais pour lui demander plus d'informations sur les raisons qui avaient poussé ma greffe a refusé de s'activer (ou mes pouvoirs de guérisseuse à enclencher une auto-guérison) mais je m'arrêtais en cours de route, fronçant les sourcils alors qu'elle me demandait si elle pouvait rentrer dans les détails de l'opération en présence d'Ys. Oui. Bien sûr que oui. Pourquoi prend-elle des pincettes ? Non.

Pourquoi parlait-elle de conséquence ? J'avais été blessée, et j'avais été soignée, pourquoi y avait-il un problème ?

Je sentis mon estomac qui se nouait. Mes yeux s'écarquillèrent alors qu'elle prononçait un mot. Ce mot de trop. Césarienne ? Pardon ?

Je balbutiai quelques mots, mais seulement quelques sons incompréhensibles m'échappèrent alors que j'essayais vainement d'articuler ma question. Une césarienne. Pourquoi une césarienne ?

L'information tomba, bombe jetée du sommet d'une falaise. J'accusais le coup un peu étrangement, ne sachant pas réellement quoi en penser. Aoi semblait au plus mal, et sa situation m'inquiétait presque plus que la mienne, ne réalisant pas encore bien ce qu'elle venait de dire.

Pourtant, les informations tournaient dans ma tête. J'avais bien entendu, j'avais bien compris. Mais tout était beaucoup trop... gros ?

Enceinte. J'étais enceinte. Cette simple pensée me donnait presque envie de rire jaune. J'étais enceinte. N'importe quoi. Comment aurais-je pu être enceinte ? Ca n'avait pas de sens. Absolument aucun sens. Quand cela aurait-il pu...

Quelques souvenirs me revinrent en tête. Nous étions Sensitifs. Ce jour-là, nous étions Sensitifs, et Ys n'avait pas mis de...

Je tournai la tête vers lui, cherchant des yeux son regard, ne sachant toujours pas comment appréhender l'information.

J'étais... enceinte ?

Et puis, enfin, les mots s'échappèrent.

-Pourquoi est-ce que ma greffe a...

N'a pas fonctionné. Compliqué l'opération. Pourquoi est-ce que j'ai eu si mal au ventre lorsque la bombe a...

Une fausse couche. J'avais fait. Une fausse couche ?

Un frisson me parcourut l'échine. Je fermai mes poings, rentrant mes ongles dans ma peau. J'étais. Enceinte ?

Est-ce que c'était pour ça que mes pouvoirs ne m'obéissaient pas bien depuis le début de l'Eclipse ? Bien sûr que tout le monde était impacté, mais je le savais, je le sentais, c'était différent pour moi. C'était différent, j'avais du mal, et ça ne fonctionnait pas, ça ne fonctionnait pas, tout simplement parce que...

J'étais enceinte.

Cette phrase continuait de résonner dans ma tête comme l'écho dans la montagne.

Je réalisais que ma main était sur mon ventre, cherchant à comprendre. Pendant trois mois, j'avais... porté un petit être en moi ? Pendant trois mois... Nous étions deux ?

Mon estomac se tordit violemment alors que l'information faisait enfin sens. J'étais enceinte. Si tout s'était déroulé correctement, Ys et moi serions devenus... parents ?

A cette simple pensée, je frissonnai. Je n'étais pas prête. Je ne pouvais pas être enceinte. Je ne pouvais pas devenir maman. Tout était arrivé beaucoup trop tôt. Tout s'était enchaîné, mais moi je ne pouvais pas, je n'étais pas capable d'assumer cette responsabilité. Il se passait encore tant de choses, quotidiennement, comment aurais-je pu être maman ? Comment aurais-je pu ? Je n'aurais pas pu, c'était bien impossible. Je ne pouvais pas devenir maman.

Mais tout allait bien, Mitsuki.

Parce que tu étais enceinte. Et maintenant tu ne l'étais plus.

Aucun autre mot ne franchit alors la barrière de mes lèvres, avant que quelqu'un d'autre reprenne la parole dans cette pièce.

Je me sentais simplement Vide.

Que venait-il de m'arriver ? Est-ce que je n'étais pas tout simplement dans un mauvais rêve ? Tout ça m'en avait tout l'air...

Voilà, l'annonce est faite. Je sens la nausée revenir, les contractions douloureuses monter… Alors j'inspire, et j'expire, lentement. Je leur laisse le temps, mais je m'en laisse à moi aussi. Il faut que mon corps tienne, et pas seulement pour moi. Mais dans cette situation, je me demande si je n'aurais pas dû laisser mes collègues s'en charger. Je revois encore dans un flash ce foetus dans mes mains, tout ce sang, ma meilleure amie qui a failli y passer… Sa Greffe qui ne voulait pas nous laisser travailler… Parce qu'elle voulait protéger : elle voulait protéger ce petit bout d'enfant, même s'il était à l'agonie. L'instinct de protection. Et si elle ne s'est pas activée, peut-être était-ce pour le protéger, lui aussi, étrangement ; pour ne pas lui pomper trop d'énergie, ou le blesser dans le processus ; on ne sait pas ce que les Greffes peuvent faire à l'enfant que l'on porte…

… J'ai failli apprendre ce qu'il en coûtait de l'activer malgré tout, même quand votre corps et votre instinct vous hurlent que non. J'inspire.

—Ta Greffe voulait protéger le foetus… Elle ne voulait pas qu'on lui enlève, ou qu'on le blesse. Qu'on te blesse davantage…, je prononce, chuchotant presque.

Il a fallu que j'active la mienne par moments pour nous laisser le temps. Le temps de trouver une solution. Le temps pour ne pas la perdre elle aussi. Heureusement, nous avions des cristaux…

J'inspire. Regarde Ys qui, lui aussi, est sous le choc. J'essaie de ne pas les brusquer. Il me pose sa question, et mon ventre se tord… Puis il continue. J'inspire encore. Tente un demi sourire faible, compatissant, compréhensif. Fatigué.

—On ne sait pas exactement. Il était… trop petit, trop blessé pour qu'on le détermine. Cela aurait dû être rendu apparent dans les prochaines semaines. On pourrait faire un test génétique, si vous souhaitez vraiment le savoir… Ca prendra juste un peu de temps pour les résultats. (Puis je m'arrête. Inspire. J'ai l'impression que je vais faire un malaise, les images me reviennent sans cesse en tête. Je n'enlève pas la main de mon propre ventre.) Bien sûr, tu peux aller le voir. Mais… Ys, je… Je vais être honnête avec toi. (Je me retient de pleurer, les larmes me viennent aux yeux. Je pense à mon propre enfant, à peine plus vieux…) Il n'était pas encore entièrement formé. Et il a été très, très blessé.

J'espère qu'il comprendra sans que j'ai à le dire. Il ne ressemble pas à un bébé. C'est un foetus à peine formé. Même pas neuf centimètres, et couvert de lésions-…

… Mais son coeur battait.
Je manque d'air pendant une seconde. J'inspire. Je souris fais de mon mieux pour garder l'air digne, malgré mes yeux humides.

—J'ai encore… Une chose à vous dire. Mitsuki, Ys, est-ce que vous avez besoin de temps ?

J'ai envie de les prendre dans mes bras. J'ai envie de pleurer avec eux. Mais je n'en ai pas le droit. Sous ma main, le petit bouge un peu.

Non, je n'en ai vraiment pas le droit.

La main d'Ys quitta un peu trop soudainement la mienne. Les mots franchirent la barrière de ses lèvres. Mon coeur se souleva et un bourdonnement terriblement gênant commença à résonner dans mes oreilles.
Non.
Non.
NON.

Je ne veux pas connaître le sexe de cet enfant. Pourquoi tu demandes ça ?

Je ne veux pas qu'on le voit, je ne veux rien voir, je ne veux rien enterrer, pourquoi, pourquoi tu fais ça ?!

Je ne veux pas entendre parler de ce bébé, parce que ce n'était pas un bébé, parce que ce n'était pas mon bébé, ce n'était rien, ce n'était rien du tout, je ne veux pas, je. ne. veux. pas. YS.

Mon regard paniqué se tourna vers Aoi que je suppliais silencieusement de se taire. Ne réponds pas. Je t'en prie, ne réponds pas. Je ne veux pas savoir, je ne veux pas en entendre parler, je ne veux pas, arrêtez tous les deux, laissez-moi, laissez-moi tranquille, et allez discuter juste tous les deux, LAISSEZ MOI.

Mon coeur tambourinait à une allure folle dans ma poitrine alors que les lèvres d'Aoi se remettaient à bouger, signe qu'elle allait reprendre la parole. Je la fixais, complètement paralysée par la peur. Est-ce qu'elle allait lui répondre ? Elle ne pouvait pas lui répondre, elle-

Une énorme boule se forma dans mon estomac et je sentis les larmes qui me montaient aux yeux. Je n'arrivais toujours pas à parler. Je n'arrivais toujours pas à comprendre, en fait. Pourquoi est-ce qu'on avait cette conversation ? Pourquoi est-ce qu'elle était aussi longue, surtout ? Est-ce qu'on pouvait pas se contenter de me donner les informations, et de me laisser seule pour avoir le temps de comprendre ?

Ou non. Est-ce qu'on était obligé de m'en parler ? Non. Je choisis que non. Laissez-moi, c'est tout ce que je demande. Laissez-moi, rendez-moi mon pouvoir de téléportation, et laissez-moi aller m'exiler là où personne ne pensera à venir me chercher...

Laissez-moi.

Je ne veux plus parler de ça.

Alors, mollement, je relevai mes mains à mes yeux pour les essuyer maladroitement. Je tournai la tête vers Aoi, et affichai un sourire calme, un sourire doux, un sourire confiant.

Ils ne partiront pas. Alors jouons le jeu. Donnons-leur cette fameuse discussion.

Et là enfin, ils partiront. Là enfin, ils pourront me laisser seule.

-Je t'écoute, soufflai-je à l'attention de mon amie avec confiance.

Mitsuki ne réagit pas. Elle ne réagit pas, et j'ai l'impression d'avoir tout échoué. C'est de ma faute. C'est sûr. C'est de ma faute. J'aurais pas dû lui annoncer devant Ys. J'aurais dû attendre. J'aurais dû faire comme je le pensais, la prendre à part. Le prendre à part. Leur laisser le temps. Elle est sous le choc. Elle a l'air de vouloir dire quelque chose, elle pleure un peu, puis d'un coup, elle sourit. Elle a l'air confiante, et j'ai envie de pleurer encore plus fort.

Pardon, pardon… Pardon Mitsuki, pardon Ys. Je suis pas une bonne amie. Je suis pas une bonne médecin. Je-…

Il faut que je respire. Il faut que je me préserve. Il faut que je sois forte. J'ai pas le droit de flancher. J'essaie de sourire aussi, en retour, à Mitsuki. Un sourire pauvre, misérable et désespérant. J'ai pas réagi à temps face à son regard. Je l'ai vu quand j'ai commencé à parler. Je l'ai vu quand c'était déjà trop tard.

Je suis une mauvaise amie.

Alors que Mitsuki me donne son accord, soudainement, Ys se lève et part.

Il part.

Il…

Je reste figée durant un instant, le regardant sortir de la salle dans une expression de pure stupéfaction. Bouche entrouverte, yeux écarquillés. Un tremblement agite ma main. J'inspire. Je regarde Mitsuki. Je sais pas quoi lui dire. Je sais pas comment lui parler. Je sais pas si c'est le moment. Je sais pas quoi faire. J'aurais dû laisser les collègues s'en charger.

Est-ce que j'aurais dû retenir Ys ?
Non…

Il est perdu, ce n'est pas sa faute, et pourtant, pourtant-… Pourtant il part simplement, il la laisse, il ne la regarde pas. Mes yeux s'humidifient, il faut que je me calme, ce n'est pas mon histoire, ce n'est pas mon histoire.

—Tu-… (Je déglutis.) Je peux te laisser un peu de temps, si tu préfères. Est-ce que tu veux que je reste ? Je peux-...

Là, j'ai complètement perdu pied. Pourtant, il faut que je me recompose. Je rassemble les morceaux. Ca va aller. C'est pas mon histoire, c'est pas mon histoire…

… C'est pas mon histoire, mais c'est celle de mon amie. C'est elle qui est blessée. C'est elle qui va mal.
J'ai envie de la prendre dans mes bras, mais j'ai trop peur de fondre en larmes.

Ys se leva et quitta la pièce. Je le suivis du regard sans rien dire. La porte se referma silencieusement derrière lui, et je restai quelques secondes à la fixer sans rien dire.

Il était parti.

Mon visage se tourna vers Aoi. Je voyais bien ses yeux rouges. Je voyais bien son regard perdu. Je voyais bien sa difficulté à garder le contrôle. Et je voyais bien, évidemment, à quel point elle était courageuse. Elle qui attendait un bébé, ça ne devait pas être facile d'affronter cette situation.

Doucement, calmement, je posais une main sur la sienne, un sourire toujours doux, trop doux pour être normal, sur les lèvres. Je secouai négativement la tête. Elle allait revenir, si elle partait maintenant. Et je ne voulais pas qu'elle revienne. Je voulais juste qu'elle termine de me dire ce que je devais savoir. Pourquoi reporter, et prendre le risque d'avoir de nouveau une conversation longue, interminable même, qui nous met mal à l'aise -qui la met si mal à l'aise.

-Je te l'ai dit, je t'écoute. Qu'est-ce qu'il y a d'autre que je dois savoir ?

Mon esprit s'était vidé et il ne s'y passait plus grand chose depuis.

Ys était parti. Il n'allait pas très bien. Moi, je ne sais plus trop comment j'allais, mais j'étais encore là. J'étais avec ma meilleure amie, et j'avais un sourire sur les lèvres ; qu'est-ce qui pouvait se passer de mal, hein ?

Je n'avais plus qu'à attendre sa dernière nouvelle, et ce serait terminé. Je pourrais rester seule, enfin, et profiter de ce temps pour dormir. Ou trouver des occupations. Est-ce qu'on avait retrouvé mon téléphone et qu'on me l'avait ramené ? J'avais besoin de me connecter au serveur de sécurité. La caméra que j'étais sensée réparée fonctionnait-elle toujours, malgré l'explosion ? Je n'avais pas de nouvelles de Houston, d'ailleurs, comment il allait ? Et les autres ? Les Masters avaient probablement dû intervenir. Il était temps que je prenne un peu de nouvelles.

J'étais Master après tout, je devais tenir mes responsabilités. Je n'avais rien à faire ici, dans ce lit d'hôpital. Alors Aoi, dis-moi ce qu'il me reste à savoir, s'il te plaît, que la vie puisse enfin reprendre son cours normal.

Mitsuki ne réagit pas vraiment. Elle ne réagit pas lorsque Ys part. Elle fixe la porte où il a disparu, puis reporte son attention sur moi. Elle pose simplement sa main sur la mienne, me sourit, et je ne comprends pas. Elle a l'air là, et absente en même temps. Je la connais.

Doucement, je pose mon autre main sur la sienne. J'inspire. J'essaie d'être forte aussi, même si c'est difficile actuellement. Quelque part, même si je m'attendais à ce que Mitsuki s'effondre alors que Ys s'éloignait d'elle sans même la regarder, je me rends compte quelques secondes plus tard que ce n'est jamais ce qu'elle aurait fait. Pas devant moi. Pas devant les autres. Peut-être même pas devant elle-même, qui sait… Est-ce qu'elle s'autorise à pleurer ? Est-ce qu'elle s'autorise à être en colère ?

J'arrive pas à voir au-delà du rien derrière son sourire. Tout passe par les yeux. Et pourtant, elle est forte à ce jeu-là.

J'inspire. Alors je lui explique son dossier dans le détail. Même si elle se pensait stérile, tout son appareil reproducteur fonctionne encore. Il est mal en point, et d'ici quelques années peut-être, ou à force d'utilisation de la guérison de sa Greffe, cela risque d'être plus difficile pour elle d'avoir des enfants, puis impossible. Mais pour le moment, il y a encore un espoir, si elle le souhaite. On sera là pour l'aider dans ses démarches si elle en éprouve le besoin.

—Pour le moment… Prends du temps pour toi, je souffle. Tu as besoin de te remettre. Tu peux prendre rendez-vous avec un psychologue si tu en as besoin ; ce serait même conseillé. Et… Je serai là si tu as envie de parler, ou juste d'être avec quelqu'un.

Elle n'en a sûrement pas envie, mais je ne veux pas la laisser tomber. Qu'elle souhaitait cet enfant ou non, ça peut être traumatisant, surtout au vu des circonstances. … Je ne comprends pas que Ys soit parti comme ça.

Aoi se mit enfin à parler, et je fus particulièrement heureuse de l'entendre retrouver un ton plus calme, plus fort. Ca allait mieux, un peu, petit à petit. C'était tant mieux. Elle ne devait pas être triste de cette situation, il fallait qu'elle pense à elle, et qu'elle prenne soin de son bébé qu'elle attendait avec, malgré les réticences dues à la situation depuis plusieurs mois à Terrae, beaucoup d'impatience aussi, j'en suis certaine.

Alors, tandis qu'elle parlait, je hochai périodiquement la tête, pour lui montrer que je l'écoutais et que j'enregistrais toutes ces informations qu'elle me donnait, ponctuant parfois ces gestes de petit "Hn hn" ou "D'accord". Après qu'elle m'eut tout expliqué, un léger silence s'installa, et je reposai mon regard sur le tabouret où se trouvait Ys quelques instants auparavant. Mes yeux glissèrent alors jusqu'à la fenêtre, et je fus ramenée à la réalité par la voix d'Aoi qui reprenait la parole. Mince, je n'ai rien dit pour terminer cette conversation, elle doit se sentir obligée de parler... Je suis désolée.

Je tournai la tête vers elle, et lui adressai un léger sourire.

-Oui, d'accord. Je te remercie Aoi, merci pour tout. Et merci d'avoir été là pour t'occuper de mon cas hier, ça n'a pas dû être facile. Je te remercie. Je vais me reposer maintenant, d'accord ?

Tu veux bien que je reste seule, un peu ? Juste aujourd'hui. Après ça, promis, tout redeviendra comme avant.

-Oh, tu sais si quelqu'un a retrouvé mon téléphone là-bas...? Je ne le vois pas sur la table de chevet.

Mitsuki est attentive, elle ne laisse rien paraître. Evidemment, je suis bien incapable de comprendre ce à quoi elle pense, ce qu'elle peut bien ressentir. Alors elle détourne les yeux, regarde la fenêtre, comme absente. Puis se souvient que je suis là. J'ai envie de me ratatiner sur mon siège, mais je baisse simplement les yeux, puis secoue la tête. Son ton est tellement… Vide. Aha. Je n'allais pas non plus la laisser, c'est… Tellement bizarre. J'inspire. Souris faiblement. J'aimerais dire de rien, j'aimerais dire "ce n'est rien, c'est normal", ou au moins "j'ai été contente de le faire". Mais je ne vais pas bien, je ne suis contente de rien, je suis seulement inquiète pour mon amie qui a failli mourir. Et qui est seule…

Qui a besoin d'être seule, sans doute. Ce n'est pas de moi qu'elle a besoin, maid d'Ys… Et il n'est pas là. J'inspire. Je souris, moi aussi.

—D'accord, bien sûr. Tu as encore besoin de dormir un peu. Si tu as besoin d'assistance, tu peux appuyer un infirmier avec le bouton.

Je désigne le bouton en question… Prenant une inspiration, je commence à me relever en me tenant à la chaise, puis la regarde à sa question. Je secoue la tête.

—Je ne sais pas, désolée. Je vais appeler à l'institut, ils l'ont peut-être ramassé… Je leur dirai de te l'amener.

Cette fois, je lui renvoie un sourire un peu pâle. J'essaie de ne pas vaciller, hésitant avant de me déplacer vers la porte.

—Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit, d'accord ?

Puis je m'en vais, lui laissant l'espace dont elle a besoin, me tournant à temps pour qu'elle ne voie pas les larmes revenir inonder mes yeux. Il faut aussi que je prenne soin de moi, maintenant… Mais je n'arrête pas de penser à la discussion, si on peut appeler ça une discussion, que l'on vient de vivre.

Ca va aller… pas vrai ?