Ce qui est particulièrement pénible quand on va mal, c'est qu'on ne remarque pas quand c'est également le cas pour les autres. Et là, j'étais bien incapable de remarquer à quel point j'avais mis Misao mal à l'aise avec mes questions, beaucoup trop préoccupée par moi, ma peine, mes tourments.

Je baissai les yeux vers Balto quand il revint, attendant la réponse de Misao, qui me confirma que nous ne nous étions jamais croisé là. Parce que le laboratoire était différent. Et que la pratique l'était peut-être aussi. Avaient-ils un guide à suivre obligatoirement ? Ou bien les directives changeaient-elles en fonction du laboratoire où ils se trouvaient ?

Balto repartit en courant chercher son bout de bois, et j'allais prendre la parole pour poser encore l'une de ces questions particulièrement déplacée, quand Misao m'invita presque à lui demander de partir.

Ce n'est qu'à cet instant que je réalisais que je n'aurais peut-être juste pas dû poser ces questions. Je tournai la tête vers lui, intriguée par sa phrase. J'arquai un sourcil, avant de souffler.

-N'importe quoi. C'est moi qui te pose les questions, j'vois pas en quoi tu t'imposerais à moi.

Je détournai le regard, un peu surprise par le ton sec de ma voix, affichant un manque de tact évident. J'avais vraiment beaucoup de mal à me situer en ce moment. Je croisai mes bras sur ma poitrine, ne parvenant pas à me défaire de cette boule dans ma gorge.

-Je crois que depuis le temps, j'ai appris à faire la paix avec ce que tu représentais au départ à mes yeux. T'es pas juste cet ancien scientifique. T'es aussi quelqu'un... Et t'as une histoire. Une vie. Des raisons qui t'ont poussé à faire ça. Même si elles étaient pas forcément bonnes, mais bon, tu sais, à partir du moment où j'ai fait partir un missile en direction de Terrae, en apparaissant au mauvais endroit au mauvais moment, j'suis pas sûre d'avoir grand chose à dire sur les raisons qui nous poussent parfois à agir...

La discussion prend un tour qui ne plaît pas du tout à Misao. La poitrine douloureusement compressée, il se contente de fixer droit devant lui sans plus oser croiser le regard de Mitsuki. Il se pince les lèvres, se retenant de lâcher un soupir. Dans un sens, il comprend cette réaction, et même si elle la rassure presque, elle l'énerve aussi. Terrae l'a accepté ici ; si Mitsuki ne l'acceptait pas, lui non plus, ce serait sûrement vu comme un manque de foi envers l'institut. À ce compte-là, qu'est-ce qui est plus facile : se retourner contre Terrae qui défend le monstre, ou simplement accepter sa présence ?

Alors il a un rire un peu cynique, un peu salé ; quelqu'un, qui a une histoire, c'est vrai. Mais elle n'est pas obligée de le pardonner. Elle n'est pas obligée de le voir comme un humain. Quand on passe ce stade dans la vie, on n'est plus vraiment humains, même si on fait des erreurs, même si on essaie de se rattraper... Ca n'enlève pas les vies qui sont parties, les vies que l'on a détuites... Pas vrai ?

Les pensées de Misao sont comme un tourbillon qui ne s'arrête plus. Il a conscience de laisser son trauma parler, sa culpabilité prendre le dessus ; mais une fois de temps en temps, ça ne peut pas faire si mal que ça... pas vrai ?
Il a un goût amer sur la langue.

Il secoue la tête et lance un sourire pitoyable à la Master.

—C'est pas comparable. Tu as fait ce qu'il faut pour l'arrêter, même si... 'fin... Faudrait quand même que tu fasses attention à toi, en fait.

Le visage troublé de Misao me gêna terriblement. Tout bêtement parce que je n'étais simplement pas en mesure de gérer ça pour le moment. Je baissai les yeux vers Balto quand il revint une énième fois vers moi, et le caressai sur le sommet du crâne sans lui renvoyer le bâton, constatant qu'il commençait tout de même à fatiguer, la langue bien pendante. Il vint s'allonger à côté de moi, à mes pieds, de mon côté du banc.

Un soupir m'échappa. Son rire, un peu froid et distant, résonna un peu plus longtemps à mes oreilles, alors que je le sentis tourner la tête vers moi, probablement pour m'offrir un sourire que je n'aurais pas eu la force d'affronter.

-Rien ne pourra plus changer ce qu'il s'est passé maintenant, alors il faut apprendre à avancer avec, à accepter, sans forcément le valider.

Ce fut à la fois étrange et douloureux d'entendre ces paroles échangées avec la psychologue sortir de ma propre bouche. Je décidais de ne plus revenir dessus, et je secouai la tête pour remettre un peu d'ordre dans mes pensées.

-Tu vas réussir à rentrer ? Je ne vais probablement pas tarder avec Balto.

Faire plus attention à moi, hein... C'était adaptable aussi pour lui, vu la manière qu'il avait de réagir là.

-Tu chausses du combien ? Je peux te ramener des chaussures si tu veux.

Mitsuki a l'air d'être passée par de sacrés moments, elle aussi. D'un côté, Misao se sent coupable ; il a l'impression d'avoir participé à ajouter un poids sur ses épaules, participé à rendre cette terre un peu moins sûre pour les gens comme eux. Comme eux, oui. Lui aussi fait partie des terraens maintenant, même s'il préfère parfois encore se voir comme différent d'eux. Pas à cause de ce qu'ils sont, mais à cause de ce qu'il est lui.

Accepter c'est difficile, surtout quand c'est de notre faute. Il ne lui dira pas ça et préfère acquiescer. Il n'a pas le droit de douter, mais quand elle va si mal et quand elle est une victime des gens comme lui.

—Merci de t'en inquiéter, répond-il d'une voix plus sobre, mais aussi plus douce. Ça ira, t'en fais pas. Je vais pas te retenir plus longtemps. Enfin, c'est sympa d'avoir pu discuter avec toi. Ça faisait longtemps.

Longtemps, parce qu'il la considérait quand même comme son amie, avant. Il regarde ses pieds d'un air un peu perdu et dépité, avant de finalement se déplier et poser ses pieds sur le sol en grimaçant.

—Ma psy dirait que c'est bien de se confronter aux situations qui nous provoquent de la détresse ou nous mettent inconfortable. L'institut est pas si loin, va.

Et au pire il peut toujours les brûler, ces chaussettes.

Je fronçai légèrement les sourcils, avant de baisser le regard pour fixer ses pieds qu'il vient enfin de poser sur le sol en grimaçant. Mon coeur se serra un peu à la mention de sa psy, et je détournai le regard pour le poser sur Balto.

-D'accord.

Je caressai le sommet du crâne de Balto pour lui indiquer que nous allions partir, et il se redressa sur ses pattes, s'éloignant de moi pour que je puisse me lever du banc sans encombre. Mon visage se tourna une dernière fois vers Misao et je hochai la tête.

-Je te laisse alors. Si jamais tu changes d'avis, tu... m'enverras un message ?

Il n'a pas mon numéro, mais nous avions déjà chatté autrefois sur suffisamment de réseaux sociaux pour qu'il ait le moyen de me contacter si besoin.

Je pris donc la direction de la sortie du parc, entraînant Balto avec moi, et adressant un dernier signe de la main à Misao en m'éloignant.

-A la prochaine, Misao !

Un léger sourire naquit sur mes lèvres, avant de disparaître l'instant d'après, alors que je re-tournai la tête, pour regarder devant moi, prenant le chemin du retour, sachant qu'une fois rentrée, je serais seule... Encore.