J'avais eu du mal à quitter mon lit ce matin. J'avais aussi eu du mal à quitter ma maison.
Une fois levée, douchée, après avoir pris mon petit déjeuner... J'avais passé plus d'une demie-heure, le t-shirt relevé, à regarder mon ventre dans la glace. J'étais enceinte de quoi maintenant... Un mois ? Un mois et demi grand maximum ? J'avais l'impression que ça allait être les plus horribles mois de ma vie. Les plus longs, les plus dérangeants... Les plus tristes. Qui était le père ? Je n'en savais rien.
Je n'en savais absolument rien.

Seule Haley était au courant. Je n'avais rien dire à Ryu. A ce stade de la grossesse, on ne voit encore rien. Qu'en sera-t-il dans plusieurs mois ? Je soupirai, et laissai finalement retomber mon t-shirt sur mon ventre. Je partis mettre mes chaussures, j'enfilai un gilet fin avant de prendre mon manteau, et je partis en direction de mon bureau, où j'avais convoqué Tomoe et Shizuru. C'est là que je me souvins... Que j'avais littéralement oublié ce rendez-vous. Et que par conséquent, j'étais déjà en retard.

Lorsque j'arrivai enfin, elles étaient là toutes les deux, assises en face du grand meuble en bois. J'avais entendu des voix lorsque j'étais dans le couloir, et avais présumé qu'elles parlaient, sauf que quand je m'arrêtai devant la porte, j'entendis Tomoe se plaindre d'être ignorée. J'entrai juste après ces derniers paroles, et seul le visage de Tomoe se tourna vers moi. Je la saluai d'un signe de la main, même pas motivé pour lui adresser un sourire poli. De toute façon, ma grossesse m'énervait, et leur comportement m'énervait. A qui j'allais sourire ? A des filles qui m'énervaient ? Bien sûr.

- Y a du bruit dans ton ventre, on dirait que ça fait des battements de cœur, t’as pas eu le temps de prendre un sandwich en arrivant ici, déjà que t’es en retard, une ou trois minutes de plus ca aurait pas fait la différence hein ?

Un grand sourire vint se dessiner sur mes lèvres, mauvais et sadique. Elle croyait qu'elle pouvait se permettre ce genre de chose avec moi ? Oh oh... Tu as très mal choisi ton jour Tomoe.


- Non pas que t’es grosse, mais c’est tout comme quoi.

Enceinte de un mois et grosse ? Désolée, je ne partage pas ton avis. Tu sais quoi en plus ? Je sens mon Feu qui me picotent le bout des doigts... Si je pouvais juste cramer ta bouche pour te faire taire, ce sera parfait.
Tendant mes doigts au maximum pour tenter de me calmer, je m'avançai et passer à côté d'elles pour aller m'asseoir sur le siège de mon bureau.
Je ne devais pas m'énerver. Et je devais reprendre mon calme... Sinon, je n'allais pas être capable de cacher cette petite énergie qui commençait à se créer dans mon ventre, et j'étais certaine que c'était déjà grâce à ça que Tomoe avait senti la différence.
Je me mis à tapoter mes doigts sur la table, un petit bruit sourd s'élevant dans les airs à chaque fois que mes ongles touchaient le bois.

-Tomoe. J'espère que tu as été heureuse d'apprendre que ta soeur s'était réveillée de son coma (avec une chance terrible !) amnésique ? Tu as été la voir ? Elle t'a dévisagé un bon moment avant de te dire "Qui tu es ?" J'espère que ça t'a fait mal. Tu te diras peut-être que si tu avais agi, ça ne serait pas arrivé...

Sèche ? Froide ? Méchante ? Et comment elle m'avait accueillie elle ?
Je me tournai vers Shizuru et cessai de claquer mes ongles contre le bureau, aplatissant mon poing dessus en me redressant, me penchant légèrement en avant.

-Et toi ! Tu m'expliques ce qu'il t'a pris ? T'as aucune limites, c'est ça ? Je ne me souviens pas t'avoir appris ça, Shizuru.

Je les regardais toutes les deux, attendant une réponse, sentant que j'étais, encore une fois, à bout de nerf. Mais aucune réponse ne vint. Ni de la part de Shizuru, ni de celle de Tomoe. Aucune, jusqu'à ce que cette dernière se décide enfin à me répondre.

- Je ne l’ai pas vue et je ne compte pas aller la voir. Depuis sa naissance elle n’avait pas sa place à mes côtés, ni dans ma famille. Père a choisi de la laisser avec sa folle de mère, ce n’est pas ma faute si son éducation est à re dire et encore moi qu’elle a été assez stupide pour se battre contre Shizuru. Elle savait depuis le début qu’elle n’y arriverait pas et que je n’interviendrai pas.

Ohoh. Si ce n'était pas beau, tout ça ! Quelle fraternité. Non, vraiment, voilà que j'étais impressionnée par ce lien si fort qui les unissait. Mais Tomoe n'oubliait-elle pas un point terriblement important ? Oh que si...

- Je n’ai que faire qu’elle ne me reconnaisse pas, elle aurait du mourir ce jour là.

J'avais senti ce rictus, irrépressible, étirer mes lèvres. Elle m'amusait. Oui, lorsque j'étais contrariée, énervée, passablement agacée... Je n'étais plus cette femme "gentille". Non, non. Je devenais cette femme mesquine et mauvaise, prête à tout pour enfin nuire à l'autre. Je n'étais pas gentille, je ne l'avais jamais été. Sinon, pourquoi aurais-je tué toutes ces personnes dans ma vie ?
Dans l'ancienne Terrae, on ne parlait pas de "Lunaire" ou de "Solaire". On parlait de Démon et d'Ange. La Lune correspondait aux Démons d’antan, et le Soleil aux Anges. Et qu'étais-je ? Ca alors... Feu Lunaire. Ou alors Démon de Feu... Un hasard ? Bizarrement, malgré tout, j'en doutais.
Alors que j'allais répondre à Tomoe, de ce ton mauvais et fier, Shizuru pris la parole.

- J’ai abusé.

Je tournai la tête vers elle, et laissai un léger rire, complètement désabusé, m'échapper. Un de ces rires qui signifie clairement "Nooon, vraiment, tu crois ?". Je la fixai, haussant un sourcil amusé, attendant la suite. Car elle n'allait pas s'arrêter là, n'est-ce pas ?

- Je savais que ce combat n’avait pas lieu d’être, mais d’une manière je ne pouvais pas dire non. Marina était à côté de Tomoyo, là toutes les deux à me demander de les combattre, pour elles cela était peut être plus important que de simples coups, peut être que ce n’était pas seulement un combat mais plutôt une révélation. Je sais que ni Marina, ni Tomoyo me portent dans leurs cœurs et je n’en ai que faire. Je ne me cherche pas d’excuses, je suis prête à subir les sanctions nécessaires pour les fautes que j’ai commise ce jour là.

Mon sourire s'élargit, et je hochai la tête, adoptant un faux air de réflexion.

-Hmm... Je vois.

Je n'arrivais pas à m'en empêcher. J'avais envie d'être méchante, blessante, cassante. Peut-être que c'était à cause de cette réflexion qu'avait faite Tomoe en entrant, et qui avait achevé le peu de politesse que j'avais prévu d'utiliser aujourd'hui ? Peut-être était-ce à cause de tous ces problèmes qui ne cessaient d'apparaître ces derniers jours ?
Vous voulez que je vous résume ? Arrivée d'un élève torturé par les scientifiques : Mugen. Combat d'Allen et Matthew dans les couloirs. Dérapage entre Shizuru et Mitsuki, avec Bob qui s'était rajouté... Mise dans le coma de Tomoyo, qui devient amnésique, état déplorable de Marina à la suite de ce combat suicidaire... Et Tomoe et Shizuru, là, tranquillement installées, qui prennent un air de "je maîtrise la situation, je sais ce que je fais". Dernier détail : Ah, oui, il faudrait peut-être que je pense à moi ! Et vous savez quoi ? Je suis enceinte. Ca va, j'ai assez d'arguments pour être à bout de nerf ces derniers jours ? Ma patience à ses limites, et je suis navrée que ça tombe sur elle.
Je finis par rire, finissant par trouver cette situation terriblement comique. Oh mais oui ! Voyez donc vous ça... Je commençai par me tourner vers Tomoe.

-Master. Tu es devenue Master... Ton rôle n'est-ce pas de protéger les élèves ? Je suis désolée pour ton coeur, il est sans doute partie ailleurs puisque tu ne te sens même pas concernée par le sort de ta propre soeur. Mais tu vois, en dehors de ça... Bizarrement, je pense à ces élèves qui t'ont vu regarder ça sans rien faire. Mince ! On leur garantit une protection à Terrae, on leur promet qu'ils vivront mieux, qu'ils pourront oublier leurs malheurs... Et qu'est-ce qu'ils voient pour bieeeen montrer ce qu'on dit ? Une espèce de psychopathe qui trouve ça incroyablement intéressant de tuer les autres, et une personne censée représenter l'autorité qui n'est même pas capable de bouger le moindre petit doigt pour aller sauver une élève sur le point de rendre l'âme, soeur ou pas. Car oui, derrière ce lien parental, tu pourras la déshériter autant que tu le voudras... C'est inutile de chercher, Tomoyo reste ton élève. Je suis navrée, vraiment... Être obligée, par tes responsabilités, de défendre une personne que tu semble tant haïr... Tu as tellement peu de chance !

Un nouveau rire m'échappa, et je regardai ailleurs, ne supportant plus la vue de leurs visages.

-C'est vrai quoi... Vous n'avez tellement pas de chance, toutes les deux ! Vous avez des pouvoirs, ce qu'énormément de gens vous envie. Vous avez un foyer, un endroit ou vivre sans aucun frais à payer, pas de logement, ni rien. Vous avez tout à votre disposition ! Et quoi ? Ca ne vous suffit pas, parce que vous n'êtes que des gamines capricieuses et égoïstes, qui ne pensent qu'à elle. On ne se rend compte de ce qu'on a lorsqu'on le perd, vous le savez ?

Avec un grand sourire, je plantai mon regard dans celui de Tomoe, puis dans celui de Shizuru.

-Vous pensez que perdre Terrae vous ferais quelque chose ? Aaah, je meurs d'envie de vous voir traîner dans les rues, perdues, sans plus rien pour vous, sans la moindre petite illusion de magie à votre disposition. Je serais débarrassée de deux incapables qui ruinent mon projet et qui nuisent à la vie d'élèves qui méritent mille fois plus votre place. Franchement... Je me porterais tellement mieux sans deux parasites comme vous. Les idiotes, c'est gentil un moment, ça divertit, ça change du quotidien... Mais il arrive toujours un moment où il faut s'en débarrasser avant que ce ne soit trop tard. Parce que vous êtes bien mignonnes toutes les deux, hein...

Je posai mes yeux sur Shizuru et laissai un léger rire jaune m'échapper.

-Tu vois Shizuru... Tu es bien mignonne avec ton "j'accepte toutes les punitions, car je me rends compte que je le mérite". Ce qu'il faut, ce n'est pas agir après, ou "accepter d'endurer la punition" après. Non, ça, c'est complètement débile, et si j'étais à ta place, j'aurais même honte d'avoir osé dire une connerie pareille. Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? T'as pas l'impression que c'est trop tard ? T'étais pas assez intelligente pour te dire "Mince, je suis en train d'aller trop loin, il faut que je m'arrête ?" Tu m'avais déjà demandé ce que tu pourrais faire une fois que tu serais Master. Pour commencer, mais ça j'imagine que tu l'aurais deviné seule, maintenant tu vas pouvoir attendre un bon moment avant de devenir Master. J'ai besoin de maturité pour accorder ce titre, et visiblement, Tomoe ne le mérite d'ailleurs ce titre, étant donné qu'elle n'est pas assez mature pour se dire "D'accord elle ne me mérite pas, mais je ne peux pas laisser un être humain se faire tuer comme ça". Et ensuite, Shizuru, sache qu'un Master, c'est quelqu'un qui est capable de REFLECHIR avant d'agir. Et qui ne cède pas bêtement à chaque combat.

Finalement, un nouveau rire, encore et encore, s'échappa de mes lèvres, mauvais, rauque, jaune... Je secouai négativement la tête en me calmant, et pris une longue inspiration avant d'expirer lentement.

-C'est dingue de voir à quel point vous me décevez... J'en suis au point de me dire que j'ai été carrément conne pour vous avoir permis d'obtenir une telle puissance qui ne vous sert... A strictement rien. Quedal. Niet. Nada. Quelle perte de temps...

Je n'avais qu'une seule envie présentement : attraper Tomoe par le col, l'étouffe avant de faire des confettis de sa cervelle, découpant ses membres un à un pour les passer au mixeur...
Mais je n'en fis rien. Certainement parce que ce n'était pas le moment.
Tandis que la fenêtre éclatait sur le sol, un éclat de verre tombant juste à mes pieds, je poussai un profond soupir, écoutant avec lassitude le long discours de Tomoe. Et bien. Elle aussi avait eu le choix... Elle n'avait qu'à refuser ses pouvoirs dès le début. Pourquoi restait-elle ici si ça ne lui apportait rien, hein ?
Je n'eus pas à attendre la réponse à cette question intérieure trop longtemps.
Alors que je la regardai prononcer ces dernières paroles, elle se retourna, sauta par la fenêtre et pris son envol. La rattraper ? Inutile. J'avais bien le cristal de Ryu, mais l'utiliser dans cette situation était tout bonnement inutile. Je n'avais pas de temps à perdre avec des personnes comme elle. Posant mes yeux sur Shizuru, je tentai de réprimer ce fichu sourire amusé qui ne semblait pas vouloir quitter mes lèvres. Je retins un soupir. A quoi bon lutter contre mon corps, hein ?

-Est-ce que toi au moins, tu es récupérable ? Ou bien en es-tu arrivé au même point que Tomoe...?

Je plantai mon regard dans le sien, retrouvant le silence, attendant sa réponse. Je n'avais pas besoin de dire quoi que ce soit d'autre, j'avais déjà tout dit. A quoi bon en rajouter encore et encore ? Mon discours était terminé. Tomoe avait décidé de partir, et elle perdrait donc bientôt ses pouvoirs. C'était maintenant à Shizuru de faire son choix. Rester, ou partir. Un choix que je demandai à chaque novice, mais que tout élève pouvait faire à n'importe quel niveau. La présence à Terrae n'était pas obligatoire, ce n'était pas une punition, et tous pouvaient repartir quand ils le souhaitaient à partir du moment où ils nous prévenaient et que leurs pouvoirs étaient repris.
Shizuru devait donc choisir. Et en fonction de son choix, elle déterminera son futur.

- Une catastrophe dites-vous ?

Une forme de provocation ? J'arquai un sourcil, avant de me rendre compte que c'était fort peu probable : Shizuru n'était pas bête à ce point. De puis, elle n'était pas aussi lâche que Tomoe, et elle me l'avait dit elle même : elle ne partirait pas comme ça. Et puis... Moi-même, je préférais que ça se passe ainsi. Parce qu'elle avait trop de pouvoirs, trop de potentiel pour déserter Terrae comme ça... Elle deviendrait trop importante pour Terrae, une fois Master, pour être lâchée comme ça dans la jungle urbaine, dépourvue de pouvoirs et de capacités.

- Combien de temps … jusqu’à ce que je prouve que je sois enfin prête pour récupérer mes pouvoirs je suppose. Jusqu’à ce que je sois de nouveau digne de votre confiance sans doute … Dans ce cas … Je n’ai pas le choix, de m’effacer pour une fois.

Elle était réaliste et surtout, elle prenait conscience des conditions par elle-même, ce qui m'aidait grandement. Je hochai la tête en silence, gardant mon regard fixé sur son visage. Finalement, je décidai qu'il était temps de procéder au retrait de ses pouvoirs. Soupirant lourdement, et surtout longuement, trouvant avant même de l'avoir commencée la tâche pénible, je me levai de mon siège. Faisant le tour de mon bureau, je vins me placer à côté de Shizuru, qui ne leva qu'à peine le regard vers moi, comme si ce que j'allais faire la... blasait.
Je vins poser deux doigts au milieu de son front ; mon index et mon majeur. J'inspirai, expirai... Mon tatouage s'étira sur tout mon bras, allant jusqu'à dessiner avec harmonie les contours et détails de mon omoplate. Shizuru s'évanouit l'instant d'après. N'utilisant pas ma greffe au maximum, je ne pris pas possession de son corps, et je me contentai de placer correctement sa tête pour ne pas qu'elle se fasse de torticolis.
C'est à ce moment que je fermais les yeux, et que je me concentrais sur l'énergie contenue dans le cristal que m'avait offert Ryu. Il se mit à rayonner, s'élevant légèrement dans les airs, pourtant toujours accroché autour de mon coup. Je gardai les yeux fermés, posant doucement mes mains sur le ventre de Shizuru, la frôlant à peine. Trois secondes à peine s'écoulèrent avant qu'un énorme éclat de lumière resplendisse, plongeant la pièce dans l'argent, peignant les murs, le sol, le plafond de gris et de blanc. Mon coeur rata un battement en même temps qu'un courant d'air balayait mon visage.
Le sceau était posé... Là, sur le ventre de Shizuru. Une marque qui s'en irait une fois le sceau retiré...
Je rouvris les yeux, et observai le visage endormi de Shizuru. Je souris. Bah... Il ne me restait plus qu'à l'amener jusqu'à sa chambre.
Bonne nuit, Shizuru.