Elle soupira. Cela lui échappa, et c’était bien rare d’ailleurs. C’était un de ces soupires qui valent miles mots. Elle aurait pu lui dire qu’il était con. A quoi bon ?

« Tu décides tout seul de la fin d’une histoire qui s’écrit à deux, et tu laisses de côté la seule qui aurait pu la mener vers une fin heureuse. C’est égoïste, et c’est… irrespectueux ? Tu ne lui laisses que le choix d’être faible, et si elle devenait ton appuis comme tu as su être le sien ? »

C’était à nouveau bien trop de mots, il n’en méritait pas tant. Sans doute des coups pour lui faire sortir ses idées de la tête.

« Si tu l’avais quitté parce que tu ne l’aimais plus, personne n’aurait rien à redire. Si tu l’a quittée pour la protéger, c’est comme si tu lui disais « je ne te pense pas assez forte » et tu te plantes. Ariana est forte. »

Pour les autres plus que pour elle bien souvent, mais ça lui faisait du bien d’aider les autres. Ca l’aidait à se sentir utile… L’avait-il compris ?

Mon coeur se serra face à la réaction d'Afya. Déjà parce qu'on sentait assez bien son agacement, ensuite parce que ses mots faisaient mal. Peut-être qu'Aria était forte, oui. Elle l'était forcément, vu tout ce qu'elle avait endurer. Mais et si c'était moi qui n'était pas assez fort ? Qu'est-ce que je pouvais lui dire, hein ? Je ne pouvais pas aller vers elle, ce n'était pas physiquement possible. Même répondre à son message, lorsqu'il y avait eu cette attaque dans notre enceinte, n'avait pas été possible. J'avais eu beau réfléchir trente six mille fois au message à envoyer, ça n'avait abouti qu'à un enregistrement dans les brouillons sans suite. Parce que le simple fait de devoir appuyer sur "envoyer" me terrorisait.

Alors quoi ?

Je pris une lourde inspiration, comme pour tenter de me donner du courage.

-Alors considère que le faible et le lâche, c'est moi. Parce que je ne suis juste pas capable de retourner vers elle pour le moment.

Ca me changera pas trop, d'être le faible lâche, de toute façon.

« Pour le moment » ; il y avait une nette progression quand même. C’était passé de « à tout jamais pour la vie et jusqu’à la fin de l’univers » à « pour le moment. » C’était un pas en avant de géant en quelques sortes. Elle retint un nouveau soupir.

« Le plus dur c’est toujours le premier pas, mais si t’as besoin d’aide, il suffit de la demander. »

C’est si simple que ça ? Oui, totalement, s’il dit qu’il a besoin d’aide, elle la lui fournira sans trop se poser de questions. S’il a juste besoin qu’on lui donne un coup sur l’arrière de la tête.

« C’est peut-être plus difficile que de faire l’autruche mais ça te permettra de te sentir plus fier de toi je pense. »

Je sentis étrangement que la tension retombait. Afya n'était plus en colère ? Ou moins, semblait-il. Cela me soulagea peut-être un peu trop rapidement. Je me reposais sans doute trop sur mon pouvoir de Sensitif pour ça.

Mon regard se voila un instant alors qu'elle reprenait la parole. Je baissais le regard, encore, pour changer, pauvre enfant qui se fait sermonner, bien que plus délicatement, pour son incompétence.

Si j'avais besoin d'aide, il suffisait de le demander, hein...

-J'vais voir le psy régulièrement, me sentis-je obligé de préciser.

Le problème n'est pas que je n'ai pas conscience de mes difficultés. Non, le problème, c'est bien le fait que je ne sois tout simplement pas capable de les gérer, ces difficultés.

Bien entendu il dévia encore une fois la conversation. Afya faisait confiance aux psychologues, ils l’avaient aidé à accepter sa maladie comme une part à d’elle sans se définir uniquement au travers d’elle. Elle savait à quel point leur soutient pouvait être important.

« Je voulais dire, si tu as besoin d’aide de tes amis. »

Parce que pour elle ça avait été parfois bien plus important de se reposer sur Ariana ou Asbjorn que sur un étranger, et si vider son sac lui avait fait du bien, si elle ne négligeait pas le bénéfice qu’avaient eu les conseils de son thérapeute, elle savait que ce qui avait été le plus dur avait été de changer sa vie et sa mnière de fonctionner au quotidien. Elle inspira lentement, quand il ne disait pas de grosses conneries égoïstes, elle l’appréciait quand même beaucoup Allen.

Je me passai une main sur ma nuque, un peu déstabilisé par les paroles de la jeune ivoirienne. Si j'ai besoin d'aide de mes amis... Est-ce qu'elle se considérait comme l'une d'eux ? Non, évidemment que non, puisque jusqu'à présent, la conversation avait été loin d'être celle de deux amis qui se retrouvent après un moment sans nouvelle. Afya était l'amie d'Ariana. Pourtant, ses mots donnaient l'impression qu'elle me proposait aussi son aide, indirectement.

-Je prends bonne note du conseil.

Je lui adressai un sourire un peu gêné et surtout très peu confiant, avant de désigner un point un peu plus loin de l'autre côté du parc.

-J'allais justement chez le psy là alors... Sauf si tu as autre chose que tu veux me dire...?

D'accord, j'allais normalement décaler mon rendez-vous, mais je crois qu'il était finalement bien plus nécessaire que ce que je croyais. Parce qu'après cette conversation, j'étais peut-être encore plus perdu qu'avant.

L’ivoirienne n’avait rien d’autre à ajouter. Si ce n’est peut-être qu’elle aurait pu lui dire de passer le bonjour au psy… Mais elle n’était guère certaine qu’il s’agisse de celui qui l’avait guidé à son arrivée. Ils étaient plus nombreux à présent, alors c’était moins certain. Elle se contenta de lacher un soupir.

« A plus. »

C’était la fin d’une conversation compliquée. Elle aurait pu se venter d’avoir été la meilleure version d’elle-même. Elle n’avait pas frappé Allen, elle lui avait même proposé son aide. C’était beaucoup demander quand elle le trouvait si bête. Et même méchant, il faisait du mal à Ariana et se faisait du mal aussi par… Stupidité? Il y avait de ça.

Elle ne rajouta pas un mot, beaucoup de choses avaient été dites et elle lui avait déjà donné de nombreuses clefs. Elle ne pouvait certes plus lire son destin, mais elle savait qu’il finirait par trouver les portes qu’elles ouvraient. Oh, elle n’en était pas certaine, mais elle avait ce pressentiment.

-Salut.

Je m'éloignais sans me retourner.

La conversation était terminée. Et si j'avais espéré un instant que cela me ferait du bien, je constatais avec douleur que ce n'était pas vraiment le cas. Est-ce que j'aurais aimé savoir plus de choses sur Aria ? Sur comment elle se sentait en ce moment ? Est-ce que j'aurais voulu que cette entrevue se passe encore plus mal ? Est-ce que je ne méritais pas de souffrir un peu plus, de subir un peu plus de regards accusateurs ? Peut-être que je les évitais un peu trop aussi. J'avais bien vu avec qui Aria traînait en ce moment, et je me doutais bien que si je croisais ces personnes, j'aurais pas donné bien cher de mon estime de moi en croisant leurs regards.

Lorsque j'arrivais chez le psychologue, je ne décalais pas le rendez-vous. Mes résultats pourraient attendre. Je n'étais même pas certain de mériter de valider mon année. Mais les choses seraient ce qu'elles avaient prévu d'être, pas vrai ?