HRP : Ouais, j'me balance, le titre c'est tiré d'une des chansons du film Vaïana. Sans le contexte elle prend un sens qui s'applique bien à Mira donc c'est perfect.

Je remontai la fermeture éclair du manteau de Riku et me tournai vers Daisuke pour essuyer une trace de dentifrice qu'il lui restait sur le bord des lèvres. Je leur adressai un sourire doux avant de les embrasser chacun leur tour sur la joue, me redressant par la suite.

-Donc c'est compris Daisuke ? Quand maîtresse Tomoe est en train de s'occuper des petits, tu dois essayer de faire ton travail tout seul. Elle te fait confiance parce que tu es un grand, alors ne fais pas de bêtise.

Il baissa les yeux pour fixer ses pieds et un léger rire m'échappa.

-Bonne journée les enfants !

Ryu me dépassa et me vola un baiser avant de partir avec les deux monstres. Je les regardai s'éloigner devant la maison, puis refermai enfin la porte, expirant lentement.

Aujourd'hui, j'avais prévu de rendre visite à Mira qui était hospitalisée depuis quelques jours déjà. Contre toute attente, ce n'était même pas suite à son altercation avec Akkiko (un autre problème que je devais encore gérer d'ailleurs ; il faudrait que j'aille voir les psys pour demander si au moins il allait les voir). Respectant le secret professionnel, je n'avais pas cherché à avoir le bilan par le biais du personnel soignant. Mira déciderait si elle voulait en parler ou pas, si elle voulait partager ce qu'elle vivait ou pas. Mais si elle était là depuis quelques jours, je me doutais que ce n'était pas pour rien.

Jetant un coup d'oeil à mon téléphone pour vérifier l'heure, je soupirai. Je devais encore attendre un peu que l'hôpital ouvre pour les visites. Je me dirigeai donc vers le salon et ouvris un tiroir du buffet pour saisir l'un des cristaux qui s'y trouvait. Quitte à attendre, autant rendre cette attente profitable. Ryu me remplaçait au bureau ce matin pour que j'ai tout le temps nécessaire pour aller voir Mira, je ne commençais donc que cet après-midi.

Emportant mon manteau avec moi, j'allais dans le jardin pour m'entraîner un peu à la manipulation de l'eau. Malgré la difficulté que j'éprouvais face à cet objectif peut-être un peu trop ambitieux que je visais à présent, à savoir contrôler basiquement tous les pouvoirs, je trouvais que je faisais des progrès et cela m'encourageait. Je jonglais donc avec l'eau, m'entraînant à la geler correctement, quand l'heure arriva enfin.

9h30, j'étais devant les portes de l'hôpital qui s'ouvrirent devant moi. On m'indiqua la chambre où je pourrais trouver Mira, et je toquai quelques coups à la porte, attendant qu'on me réponde pour entrer.

Le noir complet, l'intemporalité, le manque de substance et le manque de présence. Le début ... ou la fin ? Ce qui demeurait avant et ce qui demeurera toujours ; le vide, calme et cruel, bourreau aux mains gantées qui ne fait pas savoir à sa victime qu'elle souffre. Les bordures s'agitent alors, vibrant à la sonorité d'un écho qui me revient doucement, mais pas moins férocement. Je les reconnais, ces mirages, ce sont mes souvenirs. Ils ont rampés jusqu'à moi, s'étendant comme des flammes, d'abord braises, puis étincelles et finissant cendres, mais pour l'instant, je brûle encore. Comme une nouvelle étoile, les images et les sons me reviennent, se bousculant dans les recoins de ma conscience endormie. J'entends ... mon père. Et ma mère. Ils chuchotent ? Non, mais j'en ai l'impression et ce ton semble si ... familier. Je crois avoir déjà entendu mes parents parler de ça et en ces mêmes termes. Je crois que c'était quand ... on les a mis au silence.

Un coup de feu brise ma berceuse, arrachant à ma mémoire les voix de mon sang et dessinant l'esquisse d'un paysage chaotique dans mon esprit. Je revois les corps de mes parents baigner dans leur sépulcre d'hémoglobine, mains lâchées, pupilles perdues et larmes troubles aux joues. Le silence avait apposé son voile dans le hall. Personne n'y demeurait. La seule figure que je voyais était celle que je n'avais jamais pu reconnaître ; le visage de leur assassin. Il était drapé d'une brume noire, défaut de ma mémoire capricieuse qui n'a jamais voulu honorer ce moment de quelconque rétention. Mais j'aurais pu jurer de mes yeux éveillés que je le vis lever son canon vers moi et dans la seconde qui suivit, j'entendis la détonation fouetter l'air.

Tout me revint alors si violemment. Chaque mémoire, chaque peine, chaque parcelle de douleur que j'ai pu endurer pendant ces quelques derniers mois, absolument tout me revint comme des milliers d'aiguilles. Elles pressaient, se fichaient, s'arrachaient sous la baguette maîtresse de chaque remembrance qui m'agressait. Mes parents, mes pouvoirs, mon meurtre, mon exil, ma solitude, mon entêtement, ma maladie ... mes faiblesses, chaque souvenir ; une lame. Je me vis pleurer, je m'entendis hurler, je me sentis saigner et j'empestais la détresse, le tout avec l'arrière-goût du chagrin au fond du palais. Apposant mes mains dans le vide, j'y rencontrai un appui et de ma tête complètement libérée de tout contrôle, j'en enfonçai la surface. Un bruit de glace brisée sonna et ma propre voix perdue dans l'abîme en suivit la note.


J'ouvre les yeux.

En sursaut, je me réveillais comme si je ne m'étais jamais endormie, comme si briser la vitre n'avait fait que me ramener à la réalité depuis un autre monde. Je mis un certain temps pour me souvenir que j'étais encore à l'hôpital. Je n'arrivais plus à compter les jours, mon sommeil était trop irrégulier. Tout ça, c'était depuis que j'avais apparemment crié de douleur dans ma salle de bain et que l'on me retrouve évanouie sur la carrelage. Je n'aurais jamais pensé que persévérer dans l'effort m'aurait refilé une infection comme la tuberculose ... j'ai dû la chopper lors de mon excursion au centre de Tokyo. La clope n'a pas dû aider.

Je regarde à côté de mon lit, sur la table de chevet ... toujours pas de fleurs. Je ... ne suis pas déçue. Je m'y attendais. Mais il faut bien avouer que ça aurait été ... agréable. Mes yeux s'abaissent, je les sens faire sans les maîtriser, pourtant, je réussis à garder une expression que je juge impassible. Un coup d'oeil dans le miroir à ma droite me fait vite comprendre que je fais bien moins bonne garde qu'avant, niveau masque émotif. Je suis dans un état minable, il n'était pas nécessaire de rajouter un visage de déprimée sur ces traits de mourante.

...

Le regret est une faiblesse doublée d'un pêché, j'ai trop de choses à faire pour pouvoir seulement me reposer. J'ai des traîtres à incinérer et un établissement à fuir, pas nécessairement dans cet ordre, mais j'ai peur de ce qui pourrait arriver si l'on tente de m'arrêter ici-même. Je retrouvai alors enfin mon expression plus déterminée. Rien à foutre de la maladie, mes problèmes ne peuvent pas attendre ! Alors j'expire l'intégralité de mes poumons et ...

*Toc toc toc*

- Oui ?!

Ma main étouffa immédiatement ma bouche. Depuis quand je pouvais atteindre des notes aussi hautes avec ma voix de toxico ?! Mais ... qu'est-ce que c'était que ça ? Je n'avais jamais autant détesté mon attitude et ma manière d'expression que ce que ce seul mot m'avait fait ressentir. Comme si mon regard pouvait reprocher à mes lèvres de s'être ouvertes, je mirais vers le bas une oeillade foudroyante.

La stupeur revint dominer mon expression lorsque je vis Hideko glisser dans le battant. C'était ... étonnant. Je n'aurais pas pensé qu'elle serait ma première visiteuse, notamment vu comme on s'était laissées la dernière fois.

- Si c'est pour les intérêts généraux vis-à-vis de l'arbuste cramé, vous pouvez demander à Tiago de me remplacer.

La réponse fut rapide, teintée d'impatience et d'envie. Je sentis mon coeur se soulever, comme si à travers ce simple mot, Mira venait d'exprimer toute la douleur qu'elle ressentait en permanence.

Pourtant, quand j'entrais dans la pièce, malgré son air fatigué et éteint, Mira posa sur moi l'un de ses classiques regard glacial et agacé. J'arquai un sourcil un instant, avant de secouer négativement la tête, haussant une épaule pour retenir un soupir.

-Je crois qu'il y a plus important à gérer pour le moment.

Je m'approchai d'elle, sans savoir si je devais m'asseoir ou non à ses côtés. Je décidai finalement de tirer une chaise pour m'y installer, reposant mon regard sur elle, qui voulait se montrer si forte dans cette situation pourtant si difficile. Qu'est-ce que j'aurais aimé qu'il soit plus facile de briser cette carapace Mira... Ce n'est pas facile d'être là pour quelqu'un qui ignore encore qu'elle a besoin de cette présence.

-Comment tu te sens ?

Combien de malheurs devront encore s'abattre sur toi pour que tu acceptes l'aide qu'on t'offre, Mira ?

Je ne parvenais même pas à sourire, parce que je savais que ce serait déplacé, quand bien même je voudrais que ce sourire soit bienveillant. Je me contentais de poser mon regard sur elle, inquiète, et surtout désespérée de ne pas savoir quoi faire de plus pour pouvoir être là pour elle. J'attendais qu'elle me réponde, ne sachant encore à quel type de réponse j'allais avoir droit aujourd'hui. Le rejet ? L'agacement ? La colère ? La tristesse ? Montrait-elle un jour véritablement ses sentiments ? Ou continuerait-elle à se cacher derrière ce masque qui ne pourra que lui faire mal encore et encore.

Quand le masque tombera-t-il Mira...?

Ooooh ... voyons, qu'est-ce qui peut être bien plus important que de rembourrer à la flore l'arbre que j'ai calciné ? Hm, peut-être faire incarcérer le type qui a littéralement tenté de me tuer sans le moindre fondement ? Je ne l'ai pas encore recroisé, mais je jure solennellement que si ce jour arrive, je le changerai en fond de cheminée. Mais oui, il y a plus important à gérer et pour faire en sorte de s'en occuper je dois sortir de cette chambre d'hospice le plus vite possible ! Je n'ai pas le temps pour l'inquiétude de ma tutrice, pas plus que j'ai le temps de faire en sorte qu'elle n'ait aucun regret vis-à-vis de moi, ou de nous deux.

Son inquiétude me gêne, je n'ai pas envie de la pitié des autres, c'est un fardeau dont mes épaules se dispenseraient volontiers. Je suis trop fière pour seulement envisager l'idée que l'on puisse vouloir m'aider. Personne n'est aussi qualifiée que moi pour résoudre mes propres problèmes, même si en l'occurrence, un tueur à gages pourrait être utile. Mais faire ça ici, ce serait s'exposer à l'exclusion. D'autant plus que c'est une affaire que je tiens à régler personnellement et aussi ... Hortensia est encore là-bas.

- Je vais très bien.

Aucune autre réponse n'était plus adaptée, je n'avais rien à lui dire, en soi. Dans ma tête, j'étais déjà en train d'imaginer un plan pour pouvoir sortir efficacement de cet enclos. Peu importe si je me fais repérer, peu importe si l'on me reconnaît, ce qui compte, c'est que je sorte et peu importent les circonstances, peu importent les conséquences. Si j'ai bien eu une personne que je peux appeler "amie" dans cette vie, c'était bien Hortensia, elle qui devait être désormais séquestrée par ceux que j'aurais pu appeler mon propre sang. Cela aurait pu être, s'ils ne m'avaient pas trahie.

Je reste figée, insensible à l'émoi que mon état peut inspirer à Hideko. Elle se sent concernée par mon mal-être ? Certainement, mais là est le problème. L'humain est égoïste, ce n'est pas par empathie qu'elle se trouve là, juste pour combler cette horrible sensation qui vient lorsque l'on attend quelque chose qui ne vient pas. Peut-être attend-elle de la bonté, de la gratitude, des excuses, du réconfort, certainement ! Je n'ai rien à donner de tout cela, pas même le moindre commentaire sur ma maladie, pas la moindre nuance de détail qui pourrait lui indiquer quoi que ce soit sur ce qu'il se passe avec moi, actuellement. Elle m'avait beaucoup appris, mais dans ma tête, j'étais préparée à une vie d'exil, quitte à fuir Terrae toute ma vie, quitte à ce que j'apprenne à maîtriser ces pouvoirs de par moi-même.

- Une directrice telle que vous n'a-t-elle donc rien de mieux à faire que de rendre visite à une simple malade ?

J'avais daigné poser mon regard immuable sur elle. En habit blanc de patiente, j'avais l'impression exacerbée d'être jugée comme une victime, ici. C'était tout le contraire. J'avais dépassé ma limite, je m'étais affranchie de mon rang, j'avais réussi à surpasser la douleur et la condition physique auxquelles on me limitait. Même en vêtements d'infirmes, je n'avais pas peur de garder la tête haute.

Elle allait bien.

Je ne relevais pas. Elle n'allait pas bien, mais je n'étais personne pour le lui faire admettre.

Mon regard resta posé sur elle sans s'en détourner. Je cherchais quoi dire pour alimenter la conversation sans rien trouver de concluant. Est-ce que Mira était contente de recevoir de la visite ? Le contraste entre ce "oui" qui m'avait autorisé à entrer et ce visage qui se trouvait désormais face à moi était frappant.

Parfois, je me disais que j'aurais aimé pouvoir voyager dans le temps. Aller voir un peu ce que les nombreuses personnes qui étaient ici avaient vécu pour se retrouver dans cet état-là.

Ce n'était pas rare que je me remette en question. L'aide que nous leur apportions ici était-elle suffisante ? Nous avions recruté des psychologues, nous essayions au possible d'être là pour tout le monde, mais était-ce vraiment assez ? Que fallait-il vraiment pour les aider ? Beaucoup de personnes avaient réussi à changer, à se relever et à avancer, mais j'étais suffisamment consciente pour savoir que c'était loin d'être le cas de tout le monde.

On dit souvent que le temps est le seul remède, mais c'est parfois si frustrant de devoir rester simple observateur. On se demande toujours si on ne pourrait pas faire plus, et de nouveaux moyens sont déployés, mais comme d'habitude, ce n'est jamais assez.

Quand elle reprit la parole pour me demander si je n'avais pas mieux à faire qu'être ici, j'arquai un sourcil. Quelle réponse est-ce que tu attendais, Mira, hein ? La question n'était pas innocente. Et pour une fois, j'avais envie de me raccrocher à mon instinct qui me disait que derrière ce "oui" enjoué de tout à l'heure, tu étais heureuse de recevoir de la visite. Derrière cette question, tu ne me demandais pas subtilement de partir. Tu cherchais véritablement à comprendre pourquoi j'étais ici, là, pour toi.

-"Une directrice telle que moi" ? relevai-je.

Je haussai une épaule. Il n'y avait jamais de bonne réponse avec toi, Mira.

-Tu n'es pas juste une "simple malade" pour moi.

Je croisai mes jambes.

-J'ai demandé à Ryu de me remplacer ce matin pour que je puisse passer te voir. Parce que tu es alitée depuis plusieurs jours déjà, et que je m'inquiétais de ton état. Et que contrairement à ce que tu dis, je doute que tout aille "bien" ; on ne reste pas plusieurs jours en surveillance à l'hôpital lorsque tout va "bien".

La réponse à ma question, je l'entendis si abattue que j'en eu l'impression de distinguer un soupir, alors que je savais pertinemment qu'elle n'en avait soufflé aucun. Suis-je donc si désespérante pour ainsi ne pas trouver les réponses que vous souhaiteriez me donnez, chère Hideko ? Il n'y a pas d'inquiétude à avoir, je serai partie bien avant que je ne devienne un fardeau pour vous.

Du moins, c'était ainsi que je le pensais, jusqu'à ... ce qu'elle trouve la bonne réponse, j'imagine. Je ... je n'ai pas de réplique à ça. Qu'est-ce que je suis censée dire, de toute manière ?! Il y a un air contrit sur mon visage, je le sens s'afficher, déformant mes traits comme la fois où j'avais cassé le vase de ma grand-mère. Putain. Du remord. Quelle sensation affreuse. J'ai envie de m'arracher les ongles, mes doigts sont en train d'essayer, en tout cas. Ils remuent sur eux-mêmes, essayant de soulever les ornements de chacun d'entre eux. Je sais que je ne suis pas sensée ressentir quoi que ce soit pour autrui, ça a toujours été ainsi dans la famille. Mais peut-être, et seulement peut-être que le fait qu'elle ait seulement admis que je n'étais pas une simple élève à ses yeux, ça l'a écarté du cercle secondaire de simples connaissances. Je n'aime pas faire de mal aux gens dont je me soucie, je suis peut-être une connasse égocentrée et têtue, mais je ne suis pas un monstre.

Avec un regard que je jette ailleurs et un visage troublé, je cherche une réponse à lui donner. Rien ne me vient. Alors, je soupire tandis que doucement mon visage se secoue. Presque avec un murmure, mais sans peine pour ma situation, je lâche.

- La tuberculose.

J'ai l'impression d'être perdue, mes mots me manquent et j'aimerais en rajouter plus, mais l'envie n'est pas là. Le silence est une addiction, une maladie, c'est un tabac que l'on fume et qui doucement empoisonne, jusqu'à ce qu'enfin la voix s'étouffe et que plus aucun mot ne sorte sans une grave tonalité. Avoir de longs discours et de la répartie comme moi, ça n'a rien à voir, on peut être silencieux et déblatérer chaque seconde de chaque heures de belles paroles. Si l'intérieur n'est pas celui qui parle, alors autant rester muet ... quand bien même seule la façade importe.

- J'ai perdu le sommeil, récemment. J'ai un problème et pour le régler je suis allée tous les soirs au lac, pour essayer de faire grandir mes flammes.

Sans le savoir, Hideko a indirectement assisté à l'une de ces séances d'auto-flagellation, lorsque l'autre timbré l'a appelé pour lui dire que j'avais tenté de cramer la forêt. En vérité, ça aurait pu être le cas. Mes flammes sont sauvages, menaçantes, elles vibrent de fureur et si quelqu'un les contrôle, alors ... ce n'est pas moi. C'est rageant à admettre, même à moi-même, mais je fais bien la frontière entre l'honnêteté et la faiblesse. Je ne dirai rien de cela à qui ne devrait pas le savoir, et encore moins la directrice.

- J'ai atteint un niveau incroyable avec tout cet acharnement, vous n'en croiriez pas vos yeux. J'esquisse un sourire fier, mais nuancé. Mais le docteur dit que cet abus d'efforts a renforcé la maladie, ça et le tabac.

Mais ça ne m'empêchera pas de continuer.

Il n'y a pas de bonne réponse avec toi Mira, et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, j'ai comme l'impression d'avoir, pour la première fois depuis que je connais, tapé dans le mille.

Les traits de mon visage s'animèrent d'une légère inquiétude mêlée à l'incompréhension quand je la vis commencer à triturer ses doigts, détournant le regard. J'arquai finalement un sourcil quand elle reprit la parole pour m'indiquer la raison de son séjour ici, et un fin sourire rassuré, terriblement discret, mais pourtant présent, étira le coin de mes lèvres.

Mes sourcils se froncèrent pourtant à nouveau quand elle avoua avoir un problème. La curiosité me piqua et je la fixais tandis qu'elle parlait, ne l'interrompant pas. Je ne comprenais pas de quel problème il pouvait bien s'agir pour qu'elle tente de le réparer seule en jouant avec le feu, bien que je comprenne un peu mieux pourquoi elle se trouvait dans la forêt si tard la nuit lorsqu'il y avait eu cette altercation avec Akkiko.

J'étais là pour les entraînements, et je pouvais l'aider et la guider. Elle le savait. Et même si je la savais fière, je savais aussi qu'elle avait toujours pris ces entraînements au sérieux, malgré les apparences. Et malgré la fierté, elle continuait à poser des questions pour comprendre ses erreurs et avancer.

Non, le problème venait d'ailleurs, de quelque chose qui ne me concernait pas, et que je ne pouvais pas comprendre, parce que c'était ce même problème qui l'avait mise d'aussi mauvaise humeur la dernière fois que nous nous étions retrouvées pour un entraînement.

Mes sourcils se détendent un peu quand elle s'exclama presque qu'elle avait progressé comme je ne pouvais même pas l'imaginer. Mon sourire s'étira délicatement en coin et je hochai la tête tandis qu'elle poursuivait en m'indiquant que cet entraînement intensif n'avait pas aidé la maladie.

Je haussai une épaule.

-Je n'ai aucun doute sur ta progression. Tu es volontaire et motivée, tout en toi montre que tu as envie d'avancer. Alors en te donnant les moyens, tu ne peux que t'améliorer, j'en suis certaine.

Et j'étais maintenant bien curieuse de voir ça.

-Mais...

Parce qu'il y a toujours un mais.

-Il faudra que tu fasses attention à l'avenir. Tu ne peux pas mettre ta vie en danger simplement pour ça.

Je baissai un instant le regard, me rappelant mon propre passé où j'avais décidé de me laisser mourir avant d'être trouvée par Ryu.
Je relevai les yeux vers Mira. Je devais bien la tenter, hein...

-Quels sont ces problèmes qui t'empêchent de dormir ? Je doute que ce ne soit qu'une préoccupation concernant tes pouvoirs. Au contraire, à force de les utiliser et de les manipuler tu ne peux que t'épuiser physiquement... Ca ne pourrait pas t'empêcher de dormir.

Je marquai une légère pause. Maintenant que j'avais mis un pied dans le plat, autant y aller à fond.

-Est-ce qu'il y a quelque chose que je pourrais faire pour toi ?

L'ambiance se déride, un phénomène causé par l'abaissement de ces barricades que je dresse, mais même cette légèreté nouvelle ne parvient pas à m'ôter l'amer arrière goût qui tache le fond de mon palais. Cette sensation, c'est si proche de la famine comblée par quelques bouchées d'insectes secs et farineux, le besoin est comblé, oui, mais la saveur laisse à désirer. J'imagine que c'est ça de se prendre un coup à l'égo, je devrais le savoir après toutes les humiliations que j'ai pu souffrir entre ces murs. Mais la pire d'entre celles-ci ne réside pas à Terrae, ce qui rend la chose plus cruelle encore. Un psychopathe qui essaye de me tuer à cause de voix qu'il entend, c'est un problème que je peux prendre en charge, mais je ne peux malheureusement pas être partout autour du globe. Si c'était le cas, le monde au travers de mes yeux serait bien plus beau.

Malheureusement, je ne peux compter que sur moi ou Hortensia pour ces problèmes. La seconde solution étant actuellement coincée par le problème, il ne reste donc que moi et seulement moi pour faire en sorte de l'éradiquer. Un mot justement choisi pour ce que je compte faire si un jour je retourne en Italie. J'y retournerai, pour le meilleur ou pour le pire ce n'est pas quelque chose que je peux me permettre de choisir.

Quand bien même il se voudrait radieux, je trouve le sourire de Hideko déchirant. Pitié, égards ou réconfort, entre ces trois faiblesses, laquelle devrais-je choisir ? Quitte à devoir élire la source de mon idiotie, peut-être devrais-je ne pas choisir du tout. La faiblesse c'est la fin de tout, alors je dois demeurer forte, comme à mon habitude et ne pas céder à ces complaisances. Mais maintenant qu'elle exprime de la fierté, qu'elle me met en garde pour ma vie, je me dis que tout ce que j'ai fait jusque là justifie chacun de mes mots. Maîtriser la flamme, le corps d'autrui, des dons surréels que personne n'aurait envisagé avoir un jour sont désormais à ma portée comme si j'apprenais doucement à jouer d'un instrument. Mais je ne veux pas de ballades, je veux articuler des crescendos, accompagner l'aria de la vie avec puissance et sans faute. Dans le requiem que je m'imagine écrire, je suis la pièce centrale et l'orchestre joue selon ma rythmique. Je n'ai pas besoin de chef d'orchestre, mais les portes me sont closes.

Je ne suis pas idiote, je sais reconnaître les opportunités quand j'en vois une, et quand bien même le mensonge est une acrobatie qu'il faut savoir performer, l'honnêteté demande une souplesse bien plus difficile à acquérir. Impossible de dire si je devrais prendre la main qui m'est tendue, elle est bien trop tentante pour que les conséquences qui en découlent soient profitables. Mais pour une fois dans ma vie, je vais m'accorder un écart de faiblesse, ne serait-ce que pour espérer tirer Hortensia de l'antre qui la retient.

- J'ai hérité de la mafia de mon père, normalement, je pense que vous êtes au courant. Maintenant, elle s'est retournée contre moi. Il faut que je retourne chez moi pour pouvoir remettre de l'ordre dans mon héritage.

Par "remettre de l'ordre", j'entends évidemment réformer ce bordel laissé par mon père qui n'a plus vraiment raison d'être, sans mon aval. J'ai l'argent, le nom, la réputation qu'il faut dans ce milieu pour pouvoir faire en sorte de replacer la première brique dans le bon angle. Enfin ... cette réputation était celle de mon père, mais je ne doute pas de pouvoir prendre avec brio la relève qui m'est réservée.

- Quand l'on s'est rencontrées pour la première fois, je vous ai dit que j'aurai envie de ressortir à l'avenir et que j'aimerais que l'on m'en donne l'autorisation plutôt que de devoir redoubler d'inventivité pour enfreindre vos règles. Vous devez forcément vous en souvenir, puisqu'apparemment, vous n'avez toujours pas bu les bouteilles que je vous ai données.

Je n'en sais trop rien, mais vu comment elle en avait parlé la dernière fois, je me doute qu'elle les a mises de côté et qu'elle n'en a même pas touché le bouchon. Mais ça, c'est le cadet de mes soucis.

- Laissez-moi rentrer chez moi, avec mes pouvoirs. Je reviendrai quoi qu'il arrive, de toute manière. Si non, eh bien cela voudra simplement dire qu'il ne faut pas m'attendre. J'esquisse un sourire suffisant.

Si je ne reviens pas à Terrae, alors c'est que j'aurai trouvé l'ambition de développer mes pouvoirs de par moi-même, ou bien ... une fin semblable à celle de mes parents.

- Si Terrae est bien l'institut de la seconde chance que vous avez souhaité bâtir, alors laissez-moi faire table rase de mon passé. Il est trop lourd à traîner.

Je sens mon nez qui tremble, pire encore, j'aperçois au coin de mon oeil droit le scintillement d'une larme qui n'a pas lieu d'être. Sans la laisser naître, je l'essuie hors de ma paupière et fixe un regard déterminé dans celui d'Hideko. Il s'agit peut-être de la pire de mes demandes, mais c'est aussi un ultimatum. De sa réponse dépendra bien des choses, que ce soit de ma volonté ou bien contre mon gré.

Mira mit un peu de temps mais elle finit par me répondre. Mon regard se posa sur elle tandis que le sien se faisait déterminé. Plusieurs des dernières conversations me revienrent en mémoire. D'abord celle avec Houston, puis les reproches faits par Akkiko concernant les personnes que nous accueillions ici.

Les termes qu'elle employait ne me plaisaient pas toujours. Remettre de l'ordre, dans ce genre de milieu, ça ne se fait pas autour d'une partie de monopoly. Mes sourcils se froncèrent légèrement alors qu'elle me faisait officiellement sa demande pour partir d'ici avec ses pouvoirs. Pour régler ses différends avec la magie.

Ce fut un sentiment fort de contrariété qui s'empara de moi quand je sus d'ores et déjà quelle serait la réponse que je lui offrirais. Je savais que cette larme qui avait habillée son regard n'était pas guidée par la comédie. Elle ne jouait plus. Pour une fois, elle s'ouvrait peut-être à moi, et cette unique fois-là, j'allais devoir dire non.

Quelques secondes de silence s'installèrent durant lesquelles je me remémorais nombre des choses qui s'étaient passées ces derniers mois. Nous avions déjà un Master fou, accompagné par un pyromane sanguinaire qui usaient de leur magie hors de nos murs, rejetant sur nous toutes leurs fautes et réduisant à néant tous les efforts que nous avions faits ces dernières années pour faire évoluer le regard des autres sur nous. C'était bien trop lourds en conséquence. Même s'il s'agissait d'un milieu fermé, même s'il s'agissait d'un milieu souvent rejeté par le monde extérieur, rien ne m'assurait qu'ils ne finiraient pas par prendre parti pour l'ennemi pour nous rejeter une fois encore. Je me pinçai la lèvre inférieure avant de porter mon regard sur la fenêtre.

Il y aurait des représailles. Il y a toujours des représailles. C'est trop facile de faire parler la colère et la vengeance.

-Je ne peux pas te laisser y aller avec tes pouvoirs.

Je reportai mon attention sur la jeune femme, le coeur lourd.

-Quitter Terrae n'est pas aussi difficile que tu le penses. Les temps ont été compliqués quand tu es arrivée, à cause de l'Eclipse, mais nous n'avons plus de raison d'être fermé au monde extérieur. En revanche, te laisser partir avec des pouvoirs pour accomplir une vengeance, je ne peux pas le permettre.

Je gardai mon regard rivé sur Mira. Elle avait raison. Son passé était trop lourd à porter. Mais cette larme qui avait perlé n'était pas là parce que sa fierté n'encaissait pas cette trahison. Il y avait forcément quelque chose d'autre derrière. Elle prenait des pincettes. Si elle m'en avait parlé, c'est qu'elle y avait réfléchi. Elle n'aurait jamais balancé ça à la légère. Quelque chose d'autre était en jeu.

-Est-ce véritablement simplement pour remettre de l'ordre dans cet héritage que tu souhaites y aller ?

Car quelque part, maintenant que tu es ici, peu importe ce qu'ils feront, ça ne pourra plus te toucher toi directement. A moins qu'il y ait véritablement une raison cachée...

Je ne suis pas déçue par sa réponse, en rétrospective elle était prévisible. Comme quoi toute cette émotion était inutile, au vu du résultat, à quoi sert l'émoi s'il n'atteint aucune corde à faire vibrer ? Tout ça, c'est ridicule et j'ai l'impression qu'Hideko sous-estime fortement de quoi je suis capable pour retourner chez moi, en Italie. Ce n'est pas pour moi qu'elle a peur, c'est pour Terrae, elle a peur que l'on témoigne des pouvoirs hors de ces murs et que cette sécurité soit compromise. Tant pis pour l'institut, à mes yeux, le plus lourd secret de ce monde ne vaut pas ce que je cherche à récupérer et à garder. Si l'on me donnait le choix, je noierais ce monde de flamme plutôt que de devoir les laisser disparaître.

La larme que j'avais laissée tomber, je la sèche pour de bon et je referme l'expression que j'avais ouverte, certainement dans un élan de faiblesse. Quelle idée ... ha ! J'aurais simplement dû m'en douter, mais j'ai préféré être naïve, juste parce que c'est infiniment plus facile. A croire que parmi les moutons, je ne suis rien d'autre qu'une chèvre. Mon ego n'est pas vraiment fan du concept, c'est bien mieux de se penser loup. Mais même après le refus d'Hideko, je n'ai pas envie de mordre, ma maladie me pousse à garder mes forces pour ne pas fatiguer inutilement et ça inclue ne pas s'énerver pour rien.

Mais tout de même, cette femme m'amuse autant qu'elle m'impressionne, soit elle a une foi si aveugle en moi qu'elle me pense capable de mettre tout ça en oeuvre pour une raison autre que la dignité. Soit elle est assez perspicace pour voir au travers de toutes ces fumées et tous ces miroirs que je dresse. Dois-je conclure qu'elle est aussi naïve que ses élèves, ou au contraire bien assez clairvoyante pour justifier son poste ? Je ne sais pas vraiment, je ne pense pas m'en soucier ... ou peut-être que si, ce qu'il se passe dans ma tête en ce moment demeure un mystère, même pour moi.

- Il y a beaucoup de raisons. La vengeance, comme vous voulez l'appeler, ou alors le fait qu'ils aient investi ma propre maison, ou bien qu'ils détiennent mon assistante.

Je ne sais pas, peut-être que le fait d'avoir une vie humaine menacée ferait changer l'avis d'Hideko, mais même si c'était le cas, de toute manière, il y aurait un gros problème d'intérêt.

- Ce sont mes affaires, si je ne peux pas régler ce problème, alors personne ne le fera pour moi, et si vous ne voulez pas me laisser y aller avec mes pouvoirs, alors j'irai sans. Mais dans tous les cas, je ne peux pas rester ici une minute de plus et dans tous les cas des têtes vont tomber.

Certainement la mienne si j'y vais fleur au fusil, mais les règles de là d'où je viens et celles de Terrae sont bien différentes, pour le meilleur ou pour le pire. Si la directrice avait un minimum de jugeote, elle pourrait comprendre d'elle-même ce que j'allais lui dire.

- Vous savez, on ne peut pas se tirer de tout par la parole ou le dialogue. Il y a des situations où il s'agit de tuer ou d'être tuée et je ne peux pas éviter ça, cette fois. La seule chose qui va changer si vous me laissez mes pouvoirs ou non, c'est qui mourra. Au final, il y aura tout de même du sang sur le plancher.

Piètre négociation, mais juste étalement des faits, peut-être qu'elle va croire que j'exagère, mais moi-même je souhaiterais que ce soit le cas. L'hypothèse de devoir faire une nouvelle fugue s'avère de plus en plus envisageable.

La vengeance. L'investiture de sa maison. La détention de son assistante... Chacune de ses raisons n'attendent de voir que ma réaction.

Mon regard se fixa sur Mira alors qu'elle reprenait la parole, justifiant son point de vue et son mode de fonctionnement. Je n'étais pas stupide et je comprenais parfaitement les enjeux de cette conversation, en plus de comprendre ce qu'il se tramait dans sa tête. Il me suffisait de me souvenir des agissements qu'elle avait déjà pu avoir par le passé, et les liens se faisaient assez rapidement. Dans ces circonstances-là, les volontés de Mira n'étaient pas si difficiles à cerner.

Chacune des raisons qu'elle m'avait fournies était valable pour donner à cette enfant de la mafia l'envie de rentrer régler ses problèmes. Mais l'une des raisons titillait ma curiosité. La vengeance, c'était un motif simple. La prise de la maison aussi ; la fierté en prenait un coup et il fallait défendre l'honneur. En revanche, le fait qu'ils détiennent son assistante et qu'elle le mentionne, ce n'était pas la même chose. Elle n'aurait pas eu à le mentionner si elle s'en fichait. Mais elle ne s'en fichait pas. Elle ne pouvait pas leur dire "tuez-la, ça ne me fera rien". Parce que ça ne lui ferait pas rien.

Non, là c'était différent. Si elle voulait rentrer pour régler ses deux premiers problèmes, c'était justement pour rendre sa liberté à son assistante. Elle tenait à elle. Et ça, venait de Mira, c'était improbable.

Aussi, je finis par hocher la tête, ignorant son argumentaire sur le fait qu'on ne pouvait pas tout régler par la parole. Parce qu'elle avait de toute façon raison. Je ne lui avais d'ailleurs jamais demandé d'argumenter sa cause ; je savais déjà que lui conseiller de s'asseoir autour d'une table avec ces gens pour parler n'était pas une solution.

-Je t'accompagnerai.

Elle n'est pas contrôlable. Et je ne pourrais pas l'empêcher de partir. Alors plutôt que de courir le risque d'avoir un nouveau déserteur à Terrae, il est préférable de me rendre directement sur place pour éviter le pire. Ce monde est un monde fermé. Tout ce qu'il faut faire, c'est empêcher ce qui se produira là-bas de se savoir. S'il n'y a pas d'écho, alors personne ne pourra nous pointer du doigt.

Si on ne peut pas contrôler la personne, rien de plus simple que de prendre le contrôle de la situation.

Il y a un sentiment bizarre ... pas seulement dans mes tripes mais dans la pièce elle-même. Je sais jauger les salles, c'est facile de capter une atmosphère pour qui sait se servir un minimum de sa tête. La pression ambiante est évidemment guidée par le silence d'Hideko dont le poids me force à ne rien ajouter. J'aurais pu renchérir, plaider ma cause, mais à quoi bon, de toute manière j'avais dit tout ce que j'avais à dire. La véritable raison de cette oppression ambiante résidait dans les conséquences qui en découleraient, me forçant à me poser une simple question ... est-ce que j'étais vraiment préparée à ce que j'allais devoir faire si elle continuait à refuser ? Je persistais à penser que oui, mais mes plans n'étaient d'aucune prudence, à ce niveau, je m'étais même résolue à devoir poignarder le gardien pour sortir si le besoin s'en faisait ressentir.

Tout s'envola alors d'un battement fugace, rythmé par la ponctuation qui suivit ces mots qui étaient sortis d'entre ses lèvres. Une simple affirmation qui portait bien plus qu'une acceptation, entre nous, j'avais l'impression qu'il s'agissait toujours du même cirque ; des sous-entendus qui ne cessaient pas. J'ai grandi dans ces manières, les retrouver ici est aussi inconfortable que familier. Malgré mon habitude, je ne trouve pourtant pas de réponse immédiate, il y avait trop de choses que j'ignorais.

Sous mon mutisme, je la fixais, essayant de jauger ce que je voyais devant moi. Une directrice si désespérée d'aider sa pupille qu'elle fonçait au devant d'une affaire dont elle ne saisissait pas la gravité, ou quelqu'un qui connaissait bel et bien le visage de la mort. Peut-être bien qu'elle avait vécu pire que moi, quand bien même fut-ce le cas, je ne me trouvais de toute manière pas à plaindre. Je ne doute pas de sa supériorité en matière de magie, mais lorsque le moment viendra où il faudra prendre une vie sans hésiter, pourra-t-elle s'exécuter sans flancher ? Moi, j'en suis capable. Fronçant mes sourcils et retrouvant mon habituel sérieux que j'affiche lors de situations ... professionnelles, j'accepte cette alternative sans le déclarer explicitement.

- Nous devons partir dès que possible. Je me fiche de ma maladie, si vous pouvez partir maintenant, alors il n'y a pas lieu d'attendre.

Regardez-moi, à donner des instructions à la plus haute stature d'autorité de cet établissement. C'est mon histoire, mon problème, mon affaire qui était censée être réglée personnellement, alors ce sont mes règles que je compte imposer. Je ne compte pas faire dans la clémence, peut-être l'a t-elle deviné mais dans le cas contraire ce sera à moi de corriger ses torts. Autant annoncer la couleur.

- Vous comprenez bien que votre présence à mes côtés ne justifiera pas le moindre ménagement de ma part envers ces traîtres ?

Elle doit commencer à me connaître, maintenant, après avoir laissé tomber tant de fumée et de miroirs. Peut-être commence-t-elle à réaliser quel genre de personne elle a pris sous son aile, peut-être l'a-t-elle toujours su. J'imagine que former une jeune dans cet établissement procure la même sensation que celle d'éduquer un élève. En vérité, elle comme moi devons pertinemment savoir que je n'ai aucune intention devenir une simple scolaire dont les pouvoirs ne sont qu'une anecdote à usage ponctuel. L'entraînement qu'elle m'a fournie n'a de différence avec une formation militaire que l'ambiance faussement chaleureuse qui y régnait. Je m'entraîne pour tuer, pas pour allumer un feu sur la plage et y plaisanter avec les autres résidents de Terrae. Le naturel revient bel et bien au galop, une fois qu'on l'a chassé, mais je considère cette vérité comme une grâce que je lui accorde.

Après tout, je lui ai bien assez menti ...

Sans afficher la moindre expression, je fixai Mira qui me renvoyait son regard. Je lisais dans ses yeux qu'elle ne s'attendait pas à cette réponse de ma part. Mais quand elle reprit la parole, quelque chose me dit qu'elle n'avait pas bien compris ce que ma présence impliquait réellement.

Je n'allais pas la laisser tuer impunément tout le monde dans la violence. Et surtout, je n'allais pas l'accompagner pour en faire de même. Cette "mission" ne serait pas un pugilat. Je n'avais aucun intérêt à venir pour me salir les mains.

Seules deux options s'offraient à moi : observer et m'assurer que le travail a été fait de manière suffisamment propre pour que rien ne retombe sur Terrae, ou bien intervenir dans l'intention de stopper les pulsions de Mira, et l'empêcher d'agir d'une manière qu'elle pourrait être en mesure de regretter plus tard.

Un soupir m'échappa quand elle déclara que nous devions donc partir sur le champ. Je secouai négativement la tête, la laissant tout de même me prévenir de ce qu'il risquait de se passer là-bas, que je sois là ou non. Je réprimai un sourire en coin.

-On ne part pas, non. Tu n'as clairement pas la force de voyager, et tu n'as absolument pas la force de te battre non plus. Si tu veux aller mourir, soit, mais je ne suis pas certaine de t'autoriser une mort si stupide.

Je désignai du menton les capteurs qui étaient encore reliés à son corps, ainsi que les perfusions sur ses bras.

-Une fois que tu auras retrouvé tes forces, nous partirons. Cela nous mène dans une semaine, j'imagine. Voire même moins. Peu importe. J'attendrais ta demande officielle pour sortir de l'enceinte de Terrae, remise en main propre dans mon bureau, au moins je serai sûre que tu es capable de tenir debout.

Je me levai alors de mon tabouret. J'imaginais que ces règles et consignes ne passeraient pas si bien, mais je ne voulais pas être là pour voir sa réaction. C'étaient mes termes, à elle de voir ce qu'elle en ferait. Il n'y avait aucune chance pour qu'elle puisse sortir d'ici par ses propres moyens, de toute façon. Evidemment que j'allais prévenir les Masters chargés de la sécurité et de la garde de l'entrée.

-Je te laisse là pour aujourd'hui, puisque j'ai bien cru comprendre que ma compagnie te dérangeait, malgré l'inquiétude qui m'a portée ici. Je te souhaite une bonne journée Mira. Repose-toi bien.

Et sur ce, je pris la direction de la sortie.

J'étais sur le point de me lever et de hurler que j'avais la force de faire tout ce que bon me semblait, j'en étais sincèrement persuadée. La conviction s'en alla avec moi quand ma protestation se renfonça aussi vite dans son terrier qu'elle en était sortie, sous la forme d'un couinement étouffé. Lorsque je parlais, je l'avais sentie, cette sensation "fumante" qui me gardait extrêmement silencieuse. Au moment où j'avais inspiré pour crier, cette brume dans ma trachée s'était changée en cendres douloureuses qui manquèrent de me brûler la gorge. Au lieu de ce que je visualisais comme un rugissement majestueux, sortit un hoquet risible, étouffé.

D'un soulèvement de tête, elle m'indiqua les chaînes médicales qui me retenaient ici. Comment décrire d'une autre façon ce qui nous contraint à demeurer dans un endroit où l'on ne désire pas être ? Je suis peut-être victime de ma maladie, mais je suis prisonnière de cet hôpital et dans une mesure plus large, de Terrae tout entier. Je ne comprenais pas, si je n'étais pas encore assez "forte" pour aller me "battre", comme elle dit ... à quoi ont servis tous nos entraînements ? En plus, ces termes me paraissent inexacts, il ne s'agit pas de force, il ne s'agit pas de se battre, avec ces pouvoirs qui sont les nôtres, il s'agit de maîtrise et d'exécutions.

Une demande ? Une semaine ? La réalité m'avait vite rattrapée, quoi que j'en dise, quoi que j'en pense, au final cet endroit demeurait bel et bien une école, dirigée par ce qui devait effectivement être une directrice. Une semaine ...? Vraiment ? Pour que moi j'aille mieux ? Mais je m'en fiche de ça, moi, à la rigueur, je mérite mon sort, à fumer comme s'il n'y avait pas de lendemain de toute manière. Mais Hortensia, elle, elle n'avait rien à faire au milieu de tout ça, elle était juste ma voix, mon outil ... quelles drôles de manières d'ainsi désigner ce que j'ai le plus proche d'une amie.

Je n'ai pas de mots pour répondre, pas plus que j'ai d'expression à part une lente réalisation qui ne se décide pas à s'exprimer. Les traits de mon visage abaissé se dessinent en une confusion latente que je renvoie à mes propres genoux, cachés sous la couverture. Je suis fatiguée de ne rien pouvoir faire, ma vie est encore là-dehors, j'aimerais que tout parte en cendres, que tout s'en aille pour pouvoir tout recommencer. Je suis fatiguée de n'être qu'une observatrice dans ce monde qui m'entoure, fatiguée que le moindre de mes gestes ne soit rien d'autre qu'une brasse dans un océan. Au bout du compte, je n'ai jamais vraiment importé. Merde ... quelle pensée pessimiste.

Avec un regard vide, je fixe Hideko alors qu'elle prend congé de moi. La nuance suppliante que je cachais au fin fond de mes pupilles s'imposa alors en expression maîtresse lorsque je fis constat du commentaire de départ de ma tutrice. C'était vraiment ça que je renvoyais ? C'était vraiment ça qu'elle pensait de moi, même après lui avoir tout raconté ? Cela me prit plusieurs secondes de trop pour réaliser que je n'avais été rien d'autre qu'une enfant gâtée et naïve, depuis le début. Naïve de croire que mon monde gravitait autour de moi, naïve de croire que je pouvais diriger quoi que ce soit, même assez naïve pour croire que la vengeance que j'avais planifié jusqu'alors me serait accordée de droit.

Lorsque la porte se ferme et qu'il ne reste plus personne pour m'entendre, je m'entends alors implorer ...

- Attendez ...

... mais je suis bel et bien la seule à m'entendre. Je reste immobile à regarder la porte, comme une gamine qui espère que sa mère va revenir pour son bisou du soir ... je faisais peine à voir. Ma tête se rabattit sur son oreiller et je regardais désormais le plafond, sans véritablement le voir. Quelque chose monta dans mon ventre, grimpant jusqu'à ma gorge ployée, la nouant de dégoût, d'un sentiment d'injustice, d'une frustration maladive qui me donnait envie de vomir. Avant quoi que ce soit d'autre, ce furent les larmes qui apparurent en premier, acides et lourdes.

J'avais été naïve, je me sentais humiliée et j'avais l'impression d'être toujours accrochée à des fils que je pensais avoir coupés. J'avais tort ... je n'avais jamais eu aussi tort.