Perdu. Je m'étais tout simplement perdu dans les couloirs. J'étais sorti en fin de matinée pour me procurer des mangas et cette punk de bibliothécaire m'avait limité à en prendre QUE trois ! Le retour avait été simple : merci les transports en commun. Mais maintenant, je déambulais depuis vingt minutes dans les couloirs à la recherche du dortoir et de ma chambre. Trois fois que je passais devant le même ascenseur en panne, il était donc temps de l'avouer : j'suis paumé, merde.

    Comment j'savais que l'ascenseur est en panne ? Porte entrouverte, caisse à outils qui trainent devant et surtout : une voix qui pousse des jurons de temps à autres. Encore une fille en plus... y avait que des filles ici à Terra ou quoi ? J'croisais presque que ça depuis mon arrivée ! Ok, j'avais bien aperçu un ou deux mecs à la bibliothèque ainsi que dans le bus mais... on est une denrée rare ou quoi ? Nan, c'moi qui me fais des idées... ou alors cette école est bien une secte avec cette histoire "d'initiés" et le grand gourou est un vieux sagouin dégoutant qui recrute plein de nanas. D'où j'imagine ça moi d'ailleurs ? Internet est vraiment le truc à ne pas mettre entre toutes les mains, surtout pour un enfant, j'remercie pas la personne qui m'a filé un smartphone et le libre accès à toute cette perversité. Quoique...

    Je regardais vers l'ascenseur, entendant un énième juron passer la porte. Les gens ici étaient vachement vulgaire aussi. Je fouillais machinalement dans mes poches pour trouver un bonbon ainsi qu'un chewing-gum. J'savais que j'aurai du sortir avec un paquet de chips enfin tant pis. Je glissais mon bandage de ma bouche le temps d'y fourrer le chewing-gum quand au même moment la réparatrice me brailla de lui filer une clé de douze.

    Lui faut douze clés ou une clé avec douze dents ? Mais non, il lui faut un outil suis-je bête ! Je me penchais sur la caisse à la recherche de la fameuse clé de douze... C'était le foutoir là-dedans : un peu de rangement ne ferait pas de mal, on dirait ma chambre. J’aperçus enfin le "12" gravé sur un outil et je m'empressai de le ramasser pour le tendre dans l'ascenseur pour le filer à la voix tout sauf amicale qui en émanait.
    – Voilà m'dame. J'espère ne pas m'être trompé... Vous auriez deux minutes pour m'indiquer où est le dortoir s'il vous plaît ?

    La réparatrice arracha des mains d'Isoshi la clé de douze sans même lui accorder un regard. La garçon commençait vraiment à se poser des questions sur l'état d'esprit des gens qui vivaient ici. Entre la bibliothécaire en fauteuil qui menace de le cramer car il l'a appelé madame et cette nana qui jure comme un charretier pour défaire un boulon. Remarque, des fois la tête de vis est toute esquintée et il devient difficile de desserrer ou alors le filetage est grippé, l'écrou rouillé... Y a de quoi s'agacer, en effet mais à ce point ? Reste qu'il y avait un certain progrès : on ne s'énervait pas sur lui cette fois.

    Le grand gaillard resta immobile, les bras ballant en attendant une réponse à sa question qui ne viendrait probablement jamais. On lui avait conseillé à deux reprises de se faire des amis, de vivre le moment présent pour se sentir mieux mais... à ce rythme, il allait surtout errer encore des heures dans les couloirs sans jamais trouver sa chambre. Il finirait assit dans un coin, sûrement à côté d'un distributeur de snacks et de boissons pour y lire ses malheureux trois mangas qu'il avait emprunté. Peut-être même retrouvera-t-il la sortie du bâtiment ? Quitte à errer, autant le faire à la bibliothèque.

    C'est alors qu'après des jurons puis une main, ce fut le tour -enfin- d'une tête d'apparaitre entre les portes de l'ascenseur : on l'avait finalement entendu ! Une jeune femme aux cheveux blancs, le regard améthyste mais surtout agacé, venait de surgir pour fixer Isoshi. Sa première pensée fut : encore des cheveux chelous ? Les gens vivant ici naissaient tous avec des coloris étranges ou alors la mode de les teindre était en vogue ? Cette fois, il était peut-être vraiment face à une kogaru ? Vu son comportement à jurer dans son coin, son manque de tact et de politesse... c'était plausible.

    Reste qu'elle le détaillait du regard. Il n'aimait pas qu'on le regarde comme ça, se sentir juger, qu'on fixe ses longs bras décharnés d'un teint blanchâtre. Pourquoi avait-il mit un débardeur en plus ? Il détestait exposer ses bras ainsi mais ne disposait pas d'une garde-robe très variés. Il sentit le regard de l'inconnue passer sur son visage, fixer un instant les bandages qui dissimulaient sa bouche, son menton et surtout une vilaine cicatrice. Histoire de reprendre contenance, il tira sur son pantalon trois fois trop large pour le remonter sur ses hanches. Un cadeau de son grand-père qui avait même voulu lui filer ses bretelles mais Isoshi n'en avait pas voulu. C'était déjà suffisamment la honte de porte un truc en tweed plus vieux que lui, inutile d'agrémenter d'apparat superflu. Ce fut d'ailleurs ce que pensa la demoiselle en s'interrogeant à haute voix sur l'accoutrement du garçon.

    Isoshi sentit ses joues rougir, il avait chaud sous ses pansements qui faisaient office d'écharpe. Elle s'excusa rapidement et lui demanda s'il s'était brûlé récemment. Le garçon afficha un sourire qu'on pouvait voir au plissement de ses yeux.
    – Pas depuis quinze ans nan. Même si la dame de la bibliothèque m'a juré de me cramer si... j'suis encore trop poli avec elle ? C'était purement rhétorique et pas vraiment compréhensible pour lui alors pour son interlocutrice. J'ai juste eu un accident y a longtemps et... Il tira machinalement sur ses bandages pour les resserrer. C'mieux comme ça.

    La nervosité montait, il s'était écrasé le nez en serrant si fort le tissu et machouillait à présent de façon frénétique son chewing-gum sans même s'en rendre compte. Pourquoi tombait-il que sur des filles ? Et pourquoi celles-ci étaient toutes aussi... méchantes ? Non, l'inconnue était trop franche et ne devait pas connaitre le sens du mot tact, ça n'en faisait pas une vilaine personne pensa-t-il. Elle enchaina encore pour s'excuser avant de hurler et lui demander s'il mâchait bien un chewing-gum. Isoshi haussa les épaules, fourra une main dans la poche de son pantalon qui en profita pour dégringoler de quelques centimètres -foutue ceinture qui ne tient pas- afin de sortir le paquet de chewing-gum pour le tendre à la réparatrice.
    – Yep. Z'en voulez ? Et vous m'dame, pourquoi vos cheveux sont blancs ? Vous les décolorés façon kogaru ou z'êtes plus vieilles que vous en avez l'air ?
À ses mots, il se remémora Ipiu, sa méchanceté et ses menaces de mort. Il comprit qu'il venait de réitérer le même schéma en prenant la réparatrice pour une punk, voyou voire même prostitué tout en disant qu'elle était peut-être vieille. Ses yeux s'écarquillèrent en grand, pourquoi n'avait-il pas retenu la leçon ? Restait pour lui à espérer que le chewing-gum aurait au moins le mérite de la détendre... la pauvre, s'il savait seulement...

    Finalement, cette fille était plutôt cool et sympa pensa Isoshi. Certes, elle jure comme un charretier et apprend plein de gros mots à un gosse mais c'est justement ça qui est cool ! Sa colère semblait se dissiper, elle fixait le gamin avec intérêt ou gêne, lui-même ne le savait pas trop : genre il savait décoder les émotions des autres... c'te bonne blague. Elle refusa poliment le chewing-gum et prit une longue inspiration avant de retourner à son bricolage. Isoshi avala un chewing-gum de plus, histoire de pas avoir sorti le paquet pour rien et s'approcha un peu plus par curiosité. Il n'avait jamais bricolé ni fait de mécanique ou autre, son père réparait rarement des trucs, il était pas spécialement manuel. C'était donc une première pour le gamin qui espérait bien apprendre quelque chose, pis c'était supposé être un truc de bonhomme de défaire des vis, enfoncer des clous et utiliser une clé à molette !

    D'ailleurs pourquoi c'était une fille qui réparait l'ascenseur ? Il haussa les épaules en se disant qu'il était inutile de se poser des questions si dérisoires. La dame lui expliqua que ses cheveux avaient toujours été ainsi... Sa mère avait les cheveux blancs et ses grands parents aussi. Une famille de vieux en conclut Isoshi. Naitre vieux c'est quand même pas super cool, il plaignait cette pauvre dame et comprenait qu'elle puisse jurer si facilement, elle devait être aigrie par la vie. Ouais, le gosse avait rien compris... Bref !

    Isoshi termina à quatre pattes pour passer la tête dans l'ascenseur et mieux voir ce que la réparatrice faisait. Elle lui demandait justement s'il l'avait déjà utilisé depuis son arrivée ici. Il réfléchit à la question, mâchouillant frénétiquement son chewing-gum avant d'essayer de faire une bulle. Celle-ci éclata entre ses dents, coincée par ses bandages. Merde ! Pour une fois qu'il allait réussir à faire une bulle !
    – Une fois , je crois. Ouais, je l'ai pris pour sortir du bâtiment tout à l'heure. J'suis rentré et monté par l'escalier et... me suis perdu. On a pas le droit de manger dans l’ascenseur ?
Au départ la question pour savoir s'il avait pris l'ascenseur en mâchant du chewing-gum lui avait parut bizarre mais maintenant, il se disait qu'il était peut-être interdit de manger à l'intérieur.  
    – Du coup je plaide coupable alors ! J'suis vraiment désolé, je savais pas !

    Lors de sa sortie du bâtiment, Isoshi se souvenait très bien manger un paquet de chips dans l'ascenseur et si comme il le pensait, il était interdit de manger dedans : elle allait lui passer un savon. Reste qu'il avait pas de chance : il se faisait gronder où qu'il aille aujourd'hui... De nervosité, il tenta de faire une autre bulle de chewing-gum mais cette fois-ci, il tira un peu son bandage pour y laisser dépasser ses lèvres.

    Il souffla et souffla encore. La bulle gonflait, il y arrivait ! Trop fier de lui, il voulait le dire à la dame mais quand il tenta d'articuler. PAF. La bulle de chewing-gum explosa pour lui recouvrir une partie du visage, le reste vola dans l'ascenseur, des morceaux finirent dans les cheveux blancs de la réparatrice et d'autres morceaux... dans le truc qu'elle venait de démonter. Les yeux grand ouvert, le corps immobile comme s'il espérait que s'il ne bougeait pas : elle ne le verrait pas... genre il se pensait invisible ou... ?
    – Woups...

    Après ce malheureux incident, la réparatrice posa lentement sa pince à épiler avec peut-être trop de minutie. Iso s'interrogea rapidement, elle lui avait demandé une clé de douze et utilisait un autre outil, pourquoi lui avoir demandé en fait ? Mais il senti rapidement que le problème n'était pas là. Elle le foudroya du regard et instinctivement le jeune homme recula un peu comme si s'éloigner de quelques centimètres était la meilleure chose à faire. Elle disait qu'il se foutait de sa gueule, elle enchaina en lui demandant combien de temps ça allait prendre à réparer, que ça la rendait folle et termina en demandant pour qui il se prenait.

    Les réponses se bousculaient dans la tête de Isoshi. Il se prenait pour qui ? Un type perdu qui demandait son chemin sans obtenir de réponse ? Un gamin curieux de voir comment on répare un ascenseur ? Un gosse fier d'avoir réussi sa première bulle de chewing-gum mais dégouté que celle-ci est explosée et en ait foutu partout ? On notera qu'une partie de la dernière phrase ferait un magnifique "titre" mais ce n'était pas vraiment le sujet ni le moment pour une blague de mauvais goût. Il ignorait aussi combien de temps il faudrait pour réparer, faut dire qu'il n'y connaissait rien comme pour la rhétorique ou le sarcasme.
    – J'suis désolé m'dame ! C'la première fois que j'arrivais à faire une bulle et... je pensais pas vous en mettre plein les cheveux ! Répliqua-t-il paniqué en montrant encore un talent insoupçonné pour ces fameux "titre". J'ignore le temps que ça va prendre à réparer mais j'peux vous aider pour m'excuser ! J'ai vraiment pas fais exprès... Pardon madame...
Ses derniers mots sortaient timidement de sa bouche alors que son regard fixait le sol, les yeux légèrement embués car il se faisait disputer... ENCORE. Dire qu'il avait voulu regarder par curiosité et que ça tournait si mal, il était maudit depuis son arrivée à se faire réprimander par toutes les femmes qu'il rencontrait. Son charme de gamin innocent et gentil avait clairement disparut et les infirmières de l'hôpital où il avait reprit connaissances lui manquaient : elles étaient si gentilles et douces avec lui.

    Il ravala un sanglot, secoua la tête pour reprendre contenance et fixa la réparatrice timidement, le corps tremblant prêt à sombrer dans une crise de larme d'un instant à l'autre.
    – J'fais quoi pour vous aider m'dame ? J'vous promet de me rendre utile ! Pis après... vous pourrez me dire où est le dortoir car j'suis toujours perdu en fait...
Face à Mitsuki, il attendait la sentence. Il hésitait aussi à prendre la fuite car elle semblait VRAIMENT être en colère et clairement, elle lui faisait peur mais un homme doit prendre ses responsabilités, son papa le lui disait souvent. Mais bon, clamser pour une bulle de chewing-gum, c'était vraiment con pour assumer ses responsabilités.