Le temps était mauvais aujourd'hui. De gros nuages noirs obscurcissaient le ciel. Pricie s’entraînait dans un coin de l'espace vert, elle tentait de déplacer l'eau du seau emprunté au jardinier sur ses fraises sans les mains. C'était peu évident, elle devait ne pas tout déplacer d'un coup pour ne pas noyer ses fraises mais assez pour les arroser. Le jardinier lui avait donnée des pousses de fraises, il en avait eu trop pour chez lui. Pricie toute contente s'était empressée de les planter dans un coin de l'espace vert non loin d'un arbre.

Elle se concentra sur le seau, elle devait séparer l'eau compacte en gouttes d'eau pour arroser ses fraises. Ce n'était pas des plus simples. Elle se concentra, sois l'eau, ne guide pas l'eau, sois comme l'eau, lui avait dit grande-sœur Luna. Elle leva doucement la main et écarta les doigts l'eau s'éleva et se sépara en petites flaques.

Trop gros les flaques pensa t'elle, elle tenta de séparer les flaques en gouttes d'eau, elle tenta sans grand succès si bien qu'elle baissa le bras déçue, l'eau retomba dans le seau en un « plouf » bien distinct.  

Elle décida d'arroser les fraises à l'ancienne c'est à dire avec les mains. Elle porta le seau pour l'approcher des fraises. Puis elle prit un peu d'eau dans sa main. Elle approcha sa main et se concentra elle dirigea l'eau vers le sol pour qu'elle tombe plus lentement que la normale si elle était versée sans l'utilisation de son don.

Les gouttelettes descendirent avec une extrême lenteur sur  les pousses de fraises. Puis elles se déposèrent sur les feuilles de plants de fraises comme une plume légère sur le sol. Pricie sourit plus ça avançait plus elle arrivait à manipuler l'eau même si seulement initiée son don restait limité.

Elle ne pouvait contrôler que l'eau déjà présente près d'elle pour en former des petites masses d'eau sans pour autant pouvoir vraiment les séparer en gouttelettes.

Elle espérait cependant qu'avec le temps elle contrôlerait de mieux en mieux ses dons surtout la voyance aux  visions vagues, courtes et floues qui lui donnaient mal à la tête.

Un éclair zébra le ciel, le tonnerre gronda, Pricie eut peur pour ses petits plants de fraises si fragiles. Ils allaient être détruit par la pluie qui se promettait très forte. Pricie était inquiète pour ses fraises, si bien qu'elle décida de rester près d'elles pour les protéger.

Le ciel gronda à nouveau et craqua la pluie se mit à tomber fort. Pricie paniqua et tenta avec son pouvoir de repousser la pluie et à ce moment là et quelqu'un avec un parapluie passa et se fit arroser  de la tête aux pieds par la tentative vaine de Pricie de sauver ses plants de fraises de l'orage.  

« Pardon ! » s'affola Pricie en enlevant vite son anorak pour en couvrir ses plants de fraise et les protéger du gros orage faute de bien maîtriser son don. Il avait fait chaud ces temps ci, le temps explosait.

« Tout va bien ? Je suis désolée ! » dit elle à la personne, une adulte au parapluie qu'elle avait mouillée de la tête aux pieds, trempée la personne n'avait plus beaucoup d'utilité à avoir un parapluie.

Se promener dans les espaces verts de Terrae avait quelque chose de réconfortant pour Svea. Chaque bruissement des feuilles, chaque parfum de fleur sauvage, chaque rayon de soleil qui filtrait à travers les branches des arbres la rappelait à la majesté brute de la nature. Cela lui offrait un moment de paix et de tranquillité, loin des tracas et des incertitudes qui accompagnaient son arrivée dans ce nouvel environnement.

La verdure luxuriante et les paysages variés la faisaient parfois se sentir comme si elle avait été transportée dans un autre monde, un monde de beauté pure et de sérénité. Et pourtant, chaque brin d'herbe, chaque arbre, chaque animal qu'elle croisait, la rappelait à son propre pays, à la Norvège. Les images de sa maison, de ses montagnes, de ses forêts, de sa nature omniprésente, affluaient dans son esprit et, malgré la distance et le dépaysement, lui offraient une certaine forme de confort.

Cependant, ces mêmes images portaient également en elles une certaine mélancolie. Une nostalgie douce-amère qui la faisait parfois verser quelques larmes. Le manque de sa terre natale, de ses proches, de tout ce qu'elle avait laissé derrière elle pour venir à Terrae, se faisait parfois ressentir plus fortement. Elle ne regrettait pas son choix, elle était convaincue qu'elle avait fait ce qui était le mieux pour elle. Mais cela ne rendait pas les adieux moins douloureux, ni le manque moins présent.

Malgré cela, elle appréciait ces moments de solitude et de communion avec la nature. Ils lui permettaient de se recentrer, de se reconnecter à elle-même et à ses racines, tout en lui offrant un aperçu des beautés que Terrae avait à offrir. Ils étaient un rappel de ce qu'elle aimait et ce qu'elle avait choisi de défendre.

Perdue dans ses pensées, elle se promenait donc tranquillement lorsqu'elle sentit quelques gouttes sur son visage. Quelques gouttes qui se transformèrent rapidement en une averse. Habituellement, Svea avait toujours un parapluie avec elle, une habitude née de sa connaissance de la météo imprévisible. Elle déplia donc son parapluie et décida de poursuivre sa balade malgré la pluie.

La pluie avait quelque chose de réconfortant pour elle. Chaque goutte qui tombait sur le toit de son parapluie créait une symphonie douce et apaisante, une mélodie que seul pouvait composer la nature. Elle aimait le son de la pluie, le parfum de la terre humide, la sensation de l'humidité sur sa peau. Pour elle, la pluie était un spectacle de la nature, un phénomène météorologique qui, tout comme elle, était indissociable de la Terre et de sa biodiversité.

La pluie avait aussi un autre avantage. Elle avait tendance à dissuader les autres de s'aventurer à l'extérieur, laissant Svea seule avec ses pensées et la nature. Elle aimait cette solitude, cette liberté de penser, de ressentir, sans être dérangée par le bruit ou l'agitation des autres.

Soudain, une véritable cascade d'eau s'abattit sur Svea, la détrempant de la tête aux pieds en une fraction de seconde. Sur le coup, elle resta hébétée, clignant des yeux, dégoulinante et désorientée. Son parapluie avait été une protection contre la pluie légère, mais il ne pouvait rien face à cette soudaine déferlante.

Son cerveau avait du mal à comprendre ce qui venait de se passer. Elle resta là, figée sous l'averse, les gouttes d'eau dégoulinant sur son visage.

Rabattant son parapluie devenu superflu, Svea se tourna vers Pricie avec un sourire.

"Oh, ne t'inquiète pas, je ne vais pas fondre pour quelques gouttes d'eau," dit-elle en riant légèrement, malgré le fait qu'elle était trempée de la tête aux pieds.

"Quelques gouttes…" répéta-t-elle en secouant la tête, faisant voler quelques gouttelettes d'eau.

"J'imagine que tu t'entraînais à maitriser ton pouvoir. C'est sûrement le temps idéal pour cela, non ?" continua-t-elle en jetant un regard autour d'elle, observant l'averse qui tombait doucement autour d'elles. Elle n'avait pas l'air contrariée, mais plutôt amusée par la situation.

L'adulte riait. Pricie se détendit un peu.

« J'ai encore du mal avec mon don... » avoua Pricie «  Ça fait trois ans que je l'ai , mais pendant deux ans je ne l'ai quasiment pas entraîné... » Elle se tut, jusqu'où Terrae accepterait son passif ? Bien sûr Camil, grande-sœur Luna et d'autres étaient au courant et l'acceptaient, on peut dire que Luna avait même l'air de s'en moquer et d’accueillir Pricie comme elle est tout simplement et c'était bien comme ça.  Mais le reste des gens ? Seront ils aussi accueillants là dessus ? Elle même ne l'était pas pour elle même. Elle avait fait un attentat, elle avait blessé des gens de Terrae, elle aurait pu en tuer. Cela faisait trois ans mais cela la hantait toujours

«  Quant aux autres, ils se rendront compte de ce que tu es réellement et c'est eux mêmes qui te foutront dehors. » murmura Pricie avant de se rendre compte qu'elle l'avait dit tout haut. Elle déglutit et s'empressa de dire : « Désolée c'est juste quelqu'un qui m'a dit ça autrefois... »

Pricie se mordit la lèvre et regarda le sol en maugréant : « Ne vous en faites pas cela n'a aucun espèce d'importance. » Ce qui était bien entendu faux.

Soudain Pricie eut une idée elle se concentra et fit danser l'eau autour d'elle en tournant sur elle même, son manque de maîtrise ne lui permit pas de faire ça longtemps. Mais...

« C'était joli hein ? » s'exclama t'elle tout sourire. « J'ai encore du mal à créer ne serait ce qu'une goutte d'eau mais si l'eau est déjà autour de moi c'est un peu plus facile ! »  

Elle sourit à l'adulte et lui demanda : « Vous aimez la pluie ? Moi oui ! Quand il pleut pas besoin de pleurer le ciel le fait à notre place ! » Elle sourit doucement : « C'est un peu triste que le ciel soit triste mais on m'a dit que c'était pour laver les malheurs et douleurs du monde. »

Les Karasus aiment la pluie mais l'adolescente ne mentionna pas le nom de la secte dans laquelle elle avait grandi et qui lui avait fait agir autrefois contre Terrae.

Mais tout ça avait changé, à présent Terrae était sa famille et elle voulait leur faire confiance mais au fond d'elle restait la peur de la réaction des autres.

L'anorak s'envola, atterrit sur un arbre non loin tout en haut et Pricie cria surprise sous le vent violent, elle dit à l'adulte : «  Vite il faut récupérer mon anorak ou mes plants de fraises mourront sous la violence de l'orage. » Elle montra les petits plants à terre.

Qu’aurait pu répondre Svea ? Elle venait d'arriver à Terrae et était encore en train de s'adapter à tout ce qui lui arrivait. Le contrôle de son pouvoir, si elle en avait un, était encore un mystère complet pour elle. Ce n'était pas encore le moment d'y penser. Inutile de se rajouter plus de charge mentale ; elle y penserait quand ce serait le moment. Elle y mettrait sans doute bien plus de temps et d'énergie qu'elle ne devrait, comme à son habitude. Mais elle ne porterait aucun jugement sur la jeune fille devant elle. Comme elle n'avait jamais porté de jugement sur ceux qui ne travaillaient pas à l'école. À vrai dire, elle les enviait même un peu, parfois.

La pluie tombait maintenant avec force, et Svea sentait l'eau froide glisser le long de ses joues. Elle regarda la jeune fille, dont les yeux étaient remplis d'une combinaison de crainte et d'excuse, et sourit.

"Ne t'en fais pas, ce n'est rien. Je suppose que nous avons tous quelque chose à apprendre ici." dit Svea en secouant doucement la tête, les gouttes d'eau volant autour d'elle

Svea fixa la jeune fille devant elle, espérant que ses mots simples auraient suffi à rassurer. Dans sa tête, elle cherchait désespérément quelque chose d'autre à dire, quelque chose qui pourrait briser la barrière invisible entre elles et créer une véritable connexion. Mais les mots lui échappaient, se dérobant à elle comme les gouttes de pluie qui s'échappaient de ses doigts.

Elle se sentait parfois frustrée par cette inaptitude à communiquer efficacement avec les autres. Elle pouvait décrypter les équations les plus complexes, analyser des systèmes écologiques intriqués, mais quand il s'agissait de lire entre les lignes des émotions humaines, elle se sentait souvent perdue.

L'exhibition de Pricie laissa Svea à la fois amusée et sidérée. Bien qu'elle ait déjà observé d'autres personnes déployer leurs talents surnaturels, chaque manifestation restait pour elle un spectacle à couper le souffle, empli de merveille et de magie.

"C'est incroyable ce que tu as fait, félicitations," dit-elle, essayant de mettre en mots son admiration.

Malheureusement, Svea avait toujours eu du mal à exprimer pleinement son ressenti, et elle craignit que ses paroles ne soient pas à la hauteur de son enthousiasme. Néanmoins, la réaction de la jeune fille laissa entendre qu'elle n'avait pas pris offense, et Pricie détourna rapidement la conversation.

"Tu sais, il y a quelque chose de paisible avec la pluie. Le monde extérieur semble se calmer, et c'est vraiment apaisant."

L'aperçu des plants de fraises, affaissés et vulnérables sous la pluie battante, éveilla instantanément l'enthousiasme de Svea.

"Oui, sauvons ces merveilles !" s'écria-t-elle, ses yeux brillant d'une détermination sincère.

S'avançant vers les plants détrempés, elle déploya son parapluie pour leur offrir une protection provisoire. Pendant ce temps, Pricie s'affairait à récupérer son manteau. Svea examina rapidement les environs, cherchant une solution plus durable.

"On ne peut pas continuer longtemps comme ça avec un simple anorak et un parapluie. Nous ne pouvons pas rester ici indéfiniment," dit-elle, soucieuse mais concentrée.

"Peut-être pourrions-nous construire un abri temporaire avec ce que nous trouvons autour de nous? Plus tard, nous pourrons revenir et créer quelque chose de plus solide."

L'engagement de Svea n'était pas feint. Elle voulait vraiment aider Pricie, et pas seulement à cause de son amour pour la nature et les plantes. C'était aussi une opportunité pour elle de se connecter à quelqu'un, de partager un objectif commun, même si c'était quelque chose d'aussi simple que de protéger des plants de fraises. Dans ce geste spontané, elle sentait une camaraderie naissante et une chance de montrer sa créativité et son dévouement à une cause qui lui tenait à cœur.

Les plants de fraises allaient mourir si elles ne faisaient rien.

« J'ai une idée ! » dit soudain Pricie. « Il y a des bâches dans les affaires du jardinier !  Si on arrive à le trouver on pourra lui demander de nous les prêter  et de nous aider à les installer ! » Elle éloigna la pluie d'un geste du bras et ramassa des feuilles qu'elle mit sur les plants. Mais celles ci s'envolèrent.

« Ça ne tient pas, il faut faire vite ! » dit l'adolescente déterminée à agir. Elle désigna un coté du parc et dit : «  Allez voir par là moi je vais par là ! » Elle désigna l'autre coté. « La première qui trouve le jardinier le ramène aux plants de fraises ! »

Elle se mit à courir l'eau éclaboussait ses baskets et son uniforme était détrempé mais ce n'est pas un orage qui allait lui faire peur, elle en a vu d'autres ! Ses plants de fraise en revanche non... Elle arriva près du champs de fleurs et le traversa à toute vitesse, la boue maculait ses chaussettes, elle arriva près de l'abri du jardinier  à l'orée de la forêt, la porte de la minuscule cabane était entrouverte et ballotait dans le vent. Étrange. Et pas de jardinier !

Elle hésita mais le temps pressait elle prit une bâche et la tira. Mais celle ci était trop lourde. Elle tenta de la faire glisser en vain. Elle avait besoin d'aide ! Elle laissa tomber la bâche et continua ses recherches. Elle arriva près du lac, l'eau clapotais à sa surface comme l'heure de l'entrainement en avril dernier avec Minoru. Pricie rougit, elle aimait Minoru, d'un amour si pur mais si complexe face à son passé... Et là elle était là à contempler ce lac sous cet orage de juillet 2023, et ses plants de fraises étaient si fragiles, en danger...

En danger ! Ses plants de fraises étaient en danger !

Pricie se secoua ce n'était pas le moment de lambiner ! Elle finit par laisser de coté les recherches du jardinier et tenter de retrouver  Svea , dont elle ne connaissait pas encore le prénom, elle n'avait pas non plus penser à se présenter tant la santé de ses fraises la préoccupaient.

Elle la vit au loin et courut vers elle en disant très fort pour être entendu malgré la distance et l'orage : « Je n'ai pas trouvé le jardinier vous l'avez trouvé ? J'ai trouvé ses bâches et son abri ouvert on peut lui emprunter et tenter de les déplacer et mettre, elles sont lourdes, à deux mais il faudra présenter des excuses quand on le trouvera ! »

Avec un peu de chance la jeune adulte Svea aux cheveux couleur marron, coupés courts et aux yeux comme le bois brun d'un jeune arbre aurait trouvé le jardinier. Et même serait avec lui ! Du moins c'est ce que espérait Pricie en avançant vers  Svea le cœur plein d'espoir et de peur à la fois pour ses plants de fraises.

@Svea Bjørnstad