Le temps était venu pour ses proches de partir, de faire ce qui est juste. Il a pris le temps d’échanger avec Mitsuki rapidement avant son départ — lui dire qu’elle devait faire attention à bien ramener le matériel, de préférence, même s’il préfère si elle rentre juste elle —, de saluer Pandora d’un signe de tête, et surtout de prendre le temps auprès d’Elwynn, Jérémy, Aoi et leurs deux coéquipiers. Il dit pas grand-chose, il veut pas les stresser ou les déconcentrer ; alors il se contente de leur dire bon courage, de faire attention, et de revenir. Après ça, il est resté un peu avec Huo et Fai, qui fixaient l’équipe disparaître après leur téléportation.

Et Misao pensait vraiment qu’il pourrait se rendre utile. Il a assuré à Hideko qu’il resterait là, ou au moins joignable. Mais les images à l’écran, les échanges entre les différentes équipes retransmises dans la salle des Masters lui donne rapidement le tournis. Il ne dit rien, se contente d’essayer de rassurer Huo ; mais une fois qu’il a quitté le QG pour rejoindre la salle de classe avec la psy, Misao regarde avec horreur les vidéos en direct, qui permettent de suivre l’action. Il y a des morts, même si Terrae, même si Hideko voulait l’empêcher.

Il déglutit, s’approche de sa soeur, sa jumelle, concentrée. Lui passe une main sur le bras, pour la rassurer, la contenir, mais aussi pour attirer son attention.

—Je vais sortir. Si tu as besoin de moi, appelle-moi tout de suite, je serai pas loin.

Il a du mal à parler tellement sa gorge est serrée ; il a peur pour ses amis, et pour la première fois, se dit que peut-être, il aurait aimé être avec eux. Pas là-bas, mais pas les laisser tout seuls. C’est ça ce que provoque l’attente, le fait de rester en arrière. Et pourtant, il n’est pas et ne sera jamais un soldat. Il inspire. Il n’est même pas sûr qu’on ait besoin de lui à ce compte-là ; Mitsuki va gérer sa mission, alors il n’y aura pas besoin qu’il soit là pour décortiquer.

Il sera un consultant pour après, sûrement.

Alors il s’efface de la salle des Masters, et s’il pensait que la boule dans son estomac allait disparaître, à la place elle grandit. Il se dit qu’il peut rejoindre Huo en salle de classe, mais quand il y arrive, une fille crie. Il part rapidement, remonte les escaliers. Il sait pas vers qui se tourner, c’est flou dans sa tête — et en fait, c’est dans sa tête que ça tourne. Huo est en bas, occupé, Hideko a autre chose à foutre, Elwynn est partie avec sa clique. Matheo est sûrement dans sa chambre, peut-être qu’il peut le rejoindre… pour l’occuper tant que Nicolas est parti. Ah mais non. Il est sûrement à l’hôpital, à attendre que les blessés arrivent. Même Aaron, cet espèce de crétin, est en mission. Il se voit mal retrouver Saori. Joyce n’est plus là depuis longtemps.

Y a un truc en lui qui s’effrite un peu, alors qu’il essaie de reprendre son souffle, de chercher l’air. Il est déjà arrivé à l’étage des Airs entre temps, et alors qu’il contemple le couloir, il se rend compte qu’il est tout seul, et qu’aujourd’hui il risque de perdre tout le monde.

Il avance malgré tout dans le couloir, espérant presque que Mathéo soit bien dans sa chambre… il n’y est évidemment pas. Mais un peu plus loin, il se souvient qu’il y a aussi Roman.

Il est pas encore habitué, ça fait que peu de temps qu’ils se connaissent, et Misao n’aime pas venir se crasher chez les gens comme ça. Même s’il l’apprécie, qu’ils s’entendent bien. Mais peut-être qu’il a pas envie d’être tout seul non plus… Il inspire et s’avance, voit la porte grande ouverte. Par ce froid, c’est un peu étonnant. Il toque à la porte. … Il est invisible, sûrement depuis qu’il a quitté l’étage de l’école.

—Salut… Je te dérange pas ?

Misao essaie de contrôler sa respiration, son expression faciale. Une expression neutre. Neutre.
Neutre, on a dit.
Puis il se rend à nouveau visible, lentement, pour qu’il ne fasse pas de crise cardiaque.

—Désolé euh… Y avait de l’agitation en bas. Je savais pas où aller.

Du coup je suis venu ici. Je sais pas pourquoi.

J'ai serré Elwynn dans mes bras en me persuadant que ça serait pas la dernière. J'ai serré les mains, les corps de celles et ceux qui m'avaient accordé du temps et de la sympathie, les encourageant comme je pouvais, avant de quitter la salle. Je savais qu'il y avait un point d'échange, d'écoute et de paroles, mais je supportais pas l'idée de ce qui allait se passer.

Parce qu'on va pas se mentir, là où ils vont, je connais trop bien pour savoir que tout va pas bien se passer. Je sais ce que je vais voir, je sais par coeur et je sais à quel point j'en veux pas. Alors j'ai évité la salle pleine, le trop plein et les cris, je suis monté tout en haut de l'Institut, loin de tout. Le couloir des Airs a l'avantage d'être assez loin du reste, en hauteur. J'ai passé la porte de ma chambre, j'ai regardé autour de moi, et ça tournait dans ma tête.

Qu'est-ce que je fais si y a des morts ? Qu'est-ce que je fais si El' revient pas ?

J'étais pas là pour elle, alors que j'aurai pu. Je connais mes atouts, mes faiblesses, j'ai formé énormément, accompagné, assité, j'ai monté des plans, participé à la stratégie, j'ai foulé le terrain plus que j'aurai aimé, bien plus. Mais je suis pas capable. De toute façon, avec mes pouvoirs naissants, j'aurai pas été accepté, sûrement. Je crois que le pire dans tout ça, c'est que je sais pas si je suis toujours capable de tenir la route dans ce genre d'environnement, alors que j'en aurai peut-être besoin et c'était pas prévu comme ça. Et je déteste les deux possibilités. Que j'en sois capable. Et incapable.

Je voudrais juste que tout ça, ça arrête d'exister. Je voudrais arrêter d'exist-.

Je laisse la porte ouverte, attrape un saladier, sort chaotiquement tout ce que je peux des placards, tout ce avec quoi je peux faire quelque chose. De quoi faire des cookies, voilà, c'est très bien les cookies, c'est parfait ça ahah, faisons ça des cookies ! J'attrape les quantités, je me trompe, jette tout frénétiquement à la poubelle, et je recommence, d'abord le sucre, les oeufs, la farine, non c'était pas ça l'ordre, tant pis, ça fera pareil à la fin, je balance tout dans le saladier, pétri la pâte avec énergie, beaucoup trop, j'y ajoute quelques larmes pour le grain de sel, et puis je découpe en petite boule en même temps que je souffle profondément.

Je souffle. De l'air.

Souffle.

hhhhh.


Mes doigts ralentissent, et je sculpte mes petites boules. Minitieusement. La pâte colle trop, tant pis. Ca pourra pas être mauvais, pas vrai ? Je me calme à mesure que je dispose les futurs cookies sur la plaque de cuisson de mon tout petit four. J'envoie la première fournée. Je prépare les autres petites boules. Fixe mes mains pleines de pâtes. Longtemps.

Trop longtemps.

J'en goûte un peu sur mon index droit. Hm, c'est pas mauvais. Je souris un peu, lèche mes doigts et rince le reste à l'eau chaude. Son contact me fait du bien. Je garde un peu mes mains comme ça, et puis je m'essuie les mains, range un peu ma chambre, et puis je me dis que ça serait chouette d'inviter les autres à partager les cookies. Ca peut être sympa. Mais j'ose pas trop descendre encore. J'verrai quand j'aurai lancé la deuxième fournée. Tiens bah la première doit être terminée. J'attrape un torchon et puis je sors la plaque du four, pose les cookies dans une assiette, casse ceux qui se sont collés entre eux, parce que bizarrement, ma pâte était pas la plus réussie du monde.

J'enfourne la plaque avec la deuxième partie des petites boules de pâtes. En posant la plaque, j'ai un sentiment bizarre : y a quelqu'un. Je me retourne alors que ça toque, un peu trop sur la défensive. Il n'y a personne, pourtant je suis persuadé de pas être seul. J'entends la voix de Misao, et je fronce un peu les sourcils, avant de me rappeler qu'il est Invisible. Il réapparait, et je souffle un peu, en riant un peu.

Salut, haha je comprenais pas d'où venais ta voix.

Ca me frappe comme une évidence, mais l'expression de Misao est pas du tout naturelle. Je lui souris doucement, les sourcils inquiets.

Ouais, ouais j'comprends. Pour moi aussi c'était euh. Ahaha, trop dur.

Je me frotte l'arrière de la tête en souriant un peu bête. Ouais, bah voilà. Je le regarde là comme ça, un peu trop longtemps. Et puis je me rappelle que j'ai fait des cookies, en fait. Je lui fais signe de s'asseoir.

Tiens, prends une chaise si tu veux. J'ai fait des cookies... Ils doivent pas être fous, mais au moins, c'est des cookies.

Je me demande une seconde si j'vais tenir le coup, et j'ai la sensation que oui. J'attrape 2 tasses.

Tu veux un truc avec ? J'ai du thé, du café, et je dois avoir du jus de mangue.

Je le regarde avec un vrai sourire, et puis l'image des copains me revient furtivement en tête. Je ferme un instant les yeux, et puis repose mon regard dans le sien, toujours en souriant.

Je veux juste te le dire, c'est assez évident, mais je sais pas trop comment gérer la situation. Je suis pas super stable. Et j'ai un peu l'impression que c'est super déplacé de te proposer un goûter comme ça. Mais je vois pas trop quoi faire d'autre. Toi ça va ?

Je me dis qu'il vaut mieux être sincère plutôt que tout le reste soit gênant. C'est peut-être un peu gênant à recevoir mais au moins ça dure que ce temps-là. Et puis il a pas l'air super bien non plus. Alors au moins, comme ça, on sera deux. Avec des cookies pas ouf.

Il a réussi à gérer son expression faciale, c’est bien. Roman, en face, n’a pas l’air au meilleur de sa forme non plus ; il a l’air agité en cuisine, et le temps que Roman le capte, que Misao se décide à s’annoncer, il peut évidemment l’observer. Embarrassé, Misao se passe une main sur la nuque et s’excuse, pas très à l’aise de l’avoir fait sursauter. C’est pas qu’il contrôle pas, en plus, c’est juste que parfois, il réfléchit pas et disparaît simplement. C’est plus simple quand on le voit pas, il n’a pas à s’inquiéter de ce que pourraient penser les autres.

Et plus Roman rigole, sourit, essaie de noyer le poisson, plus Misao se rend compte qu’il ne gère pas tant que ça. Alors il acquiesce simplement, sans oser rentrer tant qu’on ne l’y a pas autorisé. Enfin, jusqu’à ce que Roman lui désigne la chaise.

—Tu préfères que j’enlève les chaussures, ou que je les garde ?

S’il lui laisse le choix, il les enlèvera dans l’entrée, comme toujours. Enfin, il humait effectivement l’odeur de cookies en rentrant, ça sent le beurre. Misao lui sourit tranquillement, mais plus Roman s’agite et plus sent la boule dans son ventre grandir.

—C’est très bien, les cookies. Merci.

Il continue à l’observer, entrant dans la chambre sans s’imposer, puis avançant vers lui ; il lui prend gentiment les tasses des mains, le fixe aussi en acquiesçant.

—Un café, s’il te plaît.

C’était la réponse courue d’avance, connue ; il est encore super tôt, et même s’il est parfaitement réveillé, l’amertume du café lui permettra de se focaliser sur autre chose. Peut-être qu’il aura l’impression que ses neurones se mettront plus vite en route, aussi ; au cas où on a besoin de lui… Sa gorge se serre, alors que Roman ferme les yeux, inspire, les rouvre. L’Invisible pose sa main sur son bras, comme un encouragement. Il essaie de se donner de la force aussi, comme ça.

—J’me doute… J’avoue, je me demandais comment tu allais. Et j’avais pas envie de gérer tout seul non plus… (Silence.) Je crois que j’ai vraiment besoin d’un goûter, en vrai.

Effectivement, c’est pas confortable. Misao se détourne pour placer les tasses très droit sur la petite  table que lui désignait Roman tout à l’heure. Il prend son temps pour les replacer. Il hésite. “C’est en train de chauffer pour les équipes, j’avais pas envie de voir ça. C'est la guerre, là-bas.” Nan. Il peut pas lui dire ça.

—L’attente devenait angoissante, j’ai préféré partir. J’ai demandé à ma soeur de m’appeler s’il y a besoin de moi, mais il semblerait que pour l’instant, à part constater des mutations de pouvoirs, on n’a pas trop besoin de mes services.

Il lance un regard à Roman, comme pour lui demander si c’est ok de piocher dans les cookies.

Je balaie ses excuses d'un geste de la main. La situation là de suite, c'est pas vraiment le contexte qui aide à prendre les meilleures décisions. J'espère seulement qu'il ne m'a pas vu trop paniquer, qu'il ne m'a pas vu trop moi. J'ai beau avoir du mal et réussir à le dire aux autres, y a des choses que j'aimerais garder pour moi. Y a des choses que j'ai pas envie que les autres voient.

Oh, euh, tu peux les garder.

C'est aussi par intérêt. S'il y a le moindre besoin de lui en bas, il valait mieux gagner tout le temps possible. Je survivrai à ce qu'il garde ses chaussures. Il me dit que des cookies ça lui va, je hoche la tête. Ok, cool, très bien, c'est parfait alors. On mangera les coookies, même s'ils sont pas fous. Je le laisse s'approcher de moi. Je me demande si quand on se rapproche, on le sent, que je suis pas bien, que je suis tendu, que j'ai l'impression que tout peut de nouveau s'écrouler. A nouveau, je ne résiste pas quand il prend les tasses, et je lui souris doucement. Est-ce qu'il peut sentir à quel point j'ai mal dans la poitrine ?

Ca marche, je te fais ça.

Et puis j'arrive à sortir ce qu'il y a dans ma tête. Ca va déjà un peu mieux après l'avoir dit. Il est gentil, son contact me fait du bien. Je souris un peu. J'ai dit comment j'allais, il se sent pas de gérer tout seul non plus. Je suis content qu'il compte sur moi, ça me touche beaucoup. Je sais qu'il a plus à y perdre que moi, il connait beaucoup plus de monde sur ces missions, j'imagine qu'il doit vraiment pas être à l'aise. On est ceux qui restent en arrière, c'est jamais une sensation agréable. Je souris doucement, pose un instant ma main sur la sienne, plus fraîche, puis me retourne pour préparer le café. Je sors la poche, tranquillement, fais chauffer l'eau, prépare la poudre. Je me retourne quand il recommencer à parler, et viens m'asseoir d'une seule fessse, prêt à retourner faire le café quand l'eau sera chaude.

Hmhm je comprends. J'aurai voulu aider autrement mais je... J'ai pas la force je crois. J'oscille entre la confiance et la terreur de pas avoir été là s'il se passe-...

J'ose pas continuer. J'imagine Elwynn, Nicolas, Jérémy ou Ariana au sol, avec du sang partout. L'image de Nina vient s'y superposer. Mon poing se serre et se desserre frénétiquement un instant et je cherche le regard du Feu pour que ça s'en aille. Je ne souris pas au début, et puis je soupire doucement en le regardant. Je hoche la tête doucement et l'encourage à se servir en en prenant un moi-même. Je croque dedans.

Hm. Bon c'est pas les meilleurs que j'ai fait, mais c'est pas si pire.

Je rigole un peu, pas vraiment convaincu mais j'essaie vraiment de l'être. Pour moi, plus que pour lui.

C’est d’un signe de tête que Misao remercie Roman, et commence à s’installer. Il l’observe faire, curieux et étonné par sa manière de gérer le stress. Qu’il comprend aussi, quelque part, bien qu’il soit un peu plus contenu, de son côté. C’est la manière de gérer de Misao — se stabiliser d’abord, pour éviter d’exploser en plein vol comme il lui arrive régulièrement.

Finalement, ils s’installent avec le fameux café. Misao mange un premier cookie, et en vrai ils sont pas si terribles. Et puis, ils pensent à autre chose au moins. Alors il acquiesce en écoutant Roman.

—Si on est pas en état d’y aller, on n’aurait été qu’un poids, rajoute Misao pour le rassurer. Ils ont une bonne équipe. On aide aussi en ne paniquant pas, ou en tenant la baraque le temps qu'ils rentrent.

Tous, finalement, mais il pense surtout à Elwynn en disant ça. Il sait que c’est pour elle que Roman s’inquiète le plus, et c’est légitime au vu de leur passif. Est-ce qu’avoir l’impression de perdre quelqu’un deux fois, c’est pas ça le pire ?

Enfin… Misao sourit tranquillement, secoue la tête.

—Nan. Ils sont très bien, t’inquiète. Je les aime bien. Même s’ils sont un peu cramés, j’admets.

Enfin après, il est Feu ; est-ce que ça le dérange tant que ça ? La réponse est que ça n’a rien à voir, mais qu’il apprécie le moment malgré tout. C’est ce qui compte le plus, aujourd’hui. Avoir cet endroit où se réfugier.

—Tu as déjà mangé des desserts japonais ?

On va parler d’autre chose que la mort aujourd’hui, p’tetre, nan ? Continuer sur la pâtisserie, les spécialités japonaises. Les choses qu'il aura envie de cuisiner pour Roman, Elwynn et le reste de leurs amis quand ils reviendront. Se projeter dans un futur qui existe, qui est réel. Même s'il regarde sa montre connectée régulièrement, et checke s'il a des messages. Rien pour l'instant. Il faut encore attendre.

Je hoche la tête autant pour valider son propos que pour m'en convaincre, pour que l'information intègre mon cerveau et mon corps, pour qu'elle calme les douleurs dans mon corps et apaise le sentiment que tout peut vaciller d'une seconde à l'autre, que tout peut glisser comme une nape qui s'est bêtement accrochée à un bijou et qui entraine tout avec elle, les couverts les verres le beurre et le pain les assiettes et le dessert le saladier vide, tout et tout termine au sol dans l'vide.

On aide en paniquant pas. On verra pour tenir la baraque. Enfin pas que je doute pour les capacités de Misao à gérer. Mais chacun ses priorités. Il me rassure sur les cookies et je lui fais un sourire reconnaissant sans rien ajouter. Ils sont un peu cramé et ils sont un peu trop dur, mais rien d'immangeable.

Ahaha. J'en referai, tu pourras les goûter si ça t'en fais envie. Promis, ils seront meilleurs.

Parce que ça va aller, et qu'à la fin je pourrai juste passer à autre chose et faire des cookies parce que j'en ai envie, pas parce que j'en ai besoin. Son sourire et ses encouragements m'apaisent quand même, beaucoup plus que j'aurai pu croire. J'arrive à respirer sans y penser et puis il me fait sourire. J'ai la sensation étrange de pouvoir compter sur lui là tout de suite. Et c'est agréable. Je me rends pas compte qu'il a fait la même chose en venant intuitivement dans ma chambre. Je secoue la tête en faisant voler mes boucles trop longues sur mon front.

Non, enfin, pas depuis que je suis ici. J'ai dû gouter des mochis en France, mais des trucs de supermarché, et c'est à peu près tout... Donc un peu limitant. Et puis j'en connais pas beaucoup finalement, des desserts japonais. Tu sais en préparer toi ?

Je croque de nouveau dans un cookie qui croustille un poil trop bruyament sous mes dents, je pouffe de rire par le nez en croisant le regard du Feu, sans rien ajouter, juste, ça me fait rire. C'est con, c'est raté, mais ça m'fait du bien de m'accrocher à quelque chose d'aussi banal.

—On pourra les faire ensemble la prochaine fois, si tu veux. J’en fais pas souvent, mais j’aime bien une fois de temps en temps. Ils sont pas aussi bons que ceux de Jérémy, mais Elwynn les aime bien alors ça va.

Ca leur fait un moment de partage, de rire. Il s’est rendu compte qu’il aimait bien la chaleur rassurante des fourneaux, même en plein été ; sans doute un truc de Feu. Et les pâtisseries, c’est ce qu’il préfère, même s’il ne l’avoue que peu, de peur qu’on le traite d’enfant. Il acquiesce tranquillement aux paroles de Roman, réfléchissant un peu. Ca fait longtemps qu’il n’en a pas fait, mais il pourrait réessayer.

—Hmm… Oui je sais en faire. Si tu as envie, je peux t’apprendre, c’est pas trop compliqué quand on a les bons ingrédients. Et on est au Japon, alors… il sourit.

Lui aussi croque dans un cookie et croise le regard rieur de son ami ; c’est un moment un peu plus apaisant, celui où ils peuvent discuter de pâtisserie sans trop de mal.

—Et puis il y a les dango, les daifuku,… J’aimerais bien te faire tester tout ça, une fois. Ils en vendent à la pâtisserie de Terrae, mais les faire à la main c’est amusant.

Enfin, il faut aimer les saveurs particulières du Japon, en même temps. Misao espère qu’il ne détestera pas, mais il lui montrera avec plaisir.

—Quel genre de goût tu aimes bien, en dessert ? Que je sache ce que tu pourrais préférer.

Leur petite bulle est agréable, délicieuse. Sereine malgré l’agitation quelques étages plus bas, et bientôt quelques étages plus haut. Son téléphone n’a pas encore sonné.

Je hoche la tête vivement.

Hmhm, oui avec plaisir. J'ai pas encore eu le plaisir de goûter ceux de Jérémy mais je suis sûr qu'à nous deux, on peut faire quelque chose de génial aussi.

Je ris en parlant, de toute façon ça pourra pas être pire qu'aujourd'hui pas vrai ? Je me rends compte que ça me ferait vraiment plaisir de cuisiner avec Misao, juste cuisiner avec des gens c'est sympa, ça fait une activité où tu peux discuter, rigoler. Je sais pas, y a un côté convivial, plus encore que manger ensemble. Si tu prépares avant, y a autre chose. Alors quand il parle de m'apprendre, j'acquiesce d'autant plus énergiement.

J'aimerais bien oui. Comme ça si j'aime bien, je pourrais les refaire à volonté.

Je trouve ça toujours très chouette d'apprendre de nouvelles choses avec les autres. Je suis pas très bons dans beaucoup de domaines, mais j'en ai testé beaucoup au final. Pas que par choix mais avec le recul, je suis quand même content d'avoir testé plein de choses.

Entre deux baskets, ce sera avec plaisir, vraiment. Je sais pas ce que c'est que des dai... euh, daifuku ? Ouais. Mais je te fais confiance. Et puis je suis pas difficile, et j'adore le sucré. Et El' s'est jamais privé de me faire goûter des mélanges doux-amer typique du japon.

De toute façon faut tenter pour savoir. Il enchaîne sur mes goûts, et j'ai oublié que j'angoissais quelques minutes avant. Je fais mine de réfléchir un peu, avant d'essayer de formuler tout ça le plus justement possible.

Je crois que je suis pas difficile, dans le sens où j'aime... Un peu tout ? J'aime bien le côté frais des fruits, j'ai un peu plus de mal avec les agrumes mais je pense quand même. Tout ce qui est chocolat ça fonctionne, j'aime un peu moins les mélanges parfois avec d'autres saveurs, mais ça va. J'adore l'amande, et je sais que j'adore la pâte de haricot rouge sucré aussi. Hmmm et voilà ? Je connais surtout mes goûts par rapport à ce qu'on mange en Europe et en France... Mais j'adore goûter.

Je lui fais un grand sourire, et j'aime cette discussion, ça se voit parce que je le laisse transparaître entièrement. J'aimerais qu'elle dure plus longtemps et qu'elle me fasse complètement oublier ce qu'il se passe, mais je peux pas ignorer l'agitation que je sens dehors, par instinct, par ce que j'entends mais aussi avec les mouvements d'air qui des fois se connectent à moi avant de repartir, c'est encore flou tout ça.

Et puis ça vibre, j'arrête de parler, je glisse mon regard dans le sien, on sait tous les deux ce que ça veut dire, et j'essaie d'être soutenant pour lui. J'essaie de lui dire en souriant, en le regardant, que ça va aller.

J'essaie de m'en convaincre par la même occasion.

Un sourire échappe à Misao, qui acquiesce tranquillement. L’ambiance est calme, tranquille ; on oublierait presque tout ce qu’il se passe dehors, là où sont leurs amis. Parler de biscuits, ça permet de penser à quelque chose de plus doux et tendre, de se projeter dans un futur qui va bien. Où tout le monde va bien, où ils pourront continuer à s’organiser pour le mariage de leurs amis. Découvrir des choses ensemble.

—Ah, tu seras obligé de nous en faire alors ! le taquine-t-il. Ca m’étonne pas trop qu’elle t’ait fait goûter plein de choses… C’est son genre. Le daifuku, c’est un mochi fourré, en fait. C’est très sucré et doux, mais il on peut les fourrer avec n’importe quoi. Mes préférés sont au haricot rouge et au sésame, mais j’aime beaucoup les variantes aux fruits.

Roman prend le temps de réfléchir et lui expliquer ce qui lui parle le plus en terme de goûts, ce que Misao enregistre méticuleusement dans un coin de son esprit. Il n’a pas trop l’air difficile, mais entre ne pas détester un produit et en adorer un, il y a un monde.

—C’est déjà pas mal, rit-il. Je te ferai tester des choses alors… Dans tous les cas, avec ce que tu me décris, tu risques d’aimer pas mal de choses, déjà. Et la noix de coco ?

Misao, lui, n’est pas très fan, mais certains aiment bien, alors il propose. Malheureusement, les pauses ont une fin ; son téléphone vibre, il fronce les sourcils et croise les yeux de son ami. Il se lève et décroche, échange quelques mots avec la personne au bout du fil, et grince des dents. Lorsqu’il se tourne vers Roman, il veut lui dire “il y a un souci avec l’équipe chargée de la machine anti-pouvoirs, ils ont besoin de moi”, mais ça ne sort pas. Ne pas trop l’inquiéter, malgré son coeur qui tambourine et l’absence visible de réaction. Son visage est passé de la colère à une expression lisse, émotionnellement absente.

—Certaines équipes vont être rapatriées à l’hôpital… Je vais aller leur donner un coup de main, ils ont affaire à des injections étranges.

Sans plus s’étendre, il délaisse son goûter avec un regard désolé pour Roman, et file jusqu’à l’entrée pour mettre ses chaussures. S’il n’y avait que les injections, ce serait moins stressant pour lui. Ils n’ont pas encore de nouvelles à propos de l’équipe d’Elwynn, mais ils découvriront ça très vite, hein.

—Je te donne des nouvelles dès que je peux, d’accord ?

Yep, n'est-ce pas. Oh, ok, ça doit être bon, tu le vends bien haha ! J'aimerais bien goûter en effet.

Je souris doucement en croquant de nouveau dans un cookie, et je dis à moitié la bouche pleine.

Faudra qu'on fasse cha.

Et mon sourire devient amusé, celui d'un enfant qui fait une gentille bêtise et qui a envie de la partager, les yeux plissés pendant que je croque et croque pour mâcher ce cookie. Ca me rend heureux qu'il me propose de me faire goûter des choses, j'adore tester des nouveaux trucs, et c'est pas si souvent qu'on propose.

Génial. Hmm la noix de coco j'aime bien,mais c'est pas vraiment m-...

Je me tais, son téléphone vibre. Mon visage change du tout au tout, je deviens concentré et inquiet. Je le regarde. Quand il se tourne vers moi, je reconnais très vite son expression. Je hoche à peine la tête, mon expression se détend : je sais. J'ai compris. Pas besoin de me protéger. Je connais ces situations. Je ne veux pas qu'on me protège, j'ai les ressources pour dire stop. J'ai besoin de support, pas de protection.

J'ai un instant pour me décider. Y a des injections, potentiellement des blessés. Il dit rien de plus, ça veut dire qu'il a pas plus d'infos, ou qu'il omet, que c'est plus grave dans ce cas. Je serre les dents. Si je bouge pas, je vais me retrouver dans le silence qui m'a renvoyé à tout ce qui me fait paniquer quelques minutes plus tôt. Si je pars, je risque craquer. Mais lui se lève, il se pose pas de questions. Je repose mon cookie, et je me lève moi aussi, tout à coup j'ai l'impression de savoir quoi faire de ce corps immense dans lequel je fais si bien semblant.

Je... Je viens.

Pas de question. Je peux aider. Je sais donner les premiers soins, gérer une crise de panique, je sais voir le sang, tant que les gens ne se battent pas, je peux aider. Je peux amener à boire et à manger ceux qui n'ont pas le temps de faire les efforts pour, juste le temps d'engloutir. Je peux aider. Je traverse ma chambre et enfile mes chaussures. Je baisse les yeux vers Misao, je suis pas rassuré, et ça se voit. Mais en vrai : personne l'est. Ca sert à rien de le cacher, maintenant faut faire. Je pose une main ferme sur son bras, pour lui donner du courage, le pousser doucement vers la porte pour me donner l'élan de sortir. Et puis sans le concerter, je me mets à courir. Pas comme un fou, de quoi pas être particulièrement essouflé en arrivant. Mais pas trainer non plus. On y va.