La matinée a commencé tranquillement. On a pris le petit déjeuner ensemble avec Aoi et Fai et j'ai eu le temps de faire un peu la cuisine. Je crois que Fai aime bien l'omelette, il en met moins à côté de son assiette quand on en fait. J'ai eu le temps de cuisiner un peu pour ce midi et j'ai laissé Fai avec Tomoe et les enfants pour le reste de la matinée. Il a râlé un peu mais comme Lottie était là, il est vite passé à autre chose.

J'ai un projet, de toute façon. Je préfère pas trop faire des travaux manuels à la maison. Déjà, parce que ça évite d'esquinter les meubles si je me loupe. Ensuite, parce que cette fois c'est un peu une surprise.

On aurait besoin de décorer un peu plus quelques murs. Pas quelque chose de trop complexe mais on peut pas mettre que mes photos. Et puis j'ai rarement le temps ou l'occasion de dessiner ou de faire du manuel. Bref.

J'ai envie de construire un truc un peu joli qu'on puisse mettre dans notre chambre ou dans le salon. La peinture c'est bof comme idée et la sculpture moyen aussi. Faire un meuble serait un plan aussi. Un petit truc pas trop complexe.

Je me pointe à l'atelier. Il n'y a personne pour le moment donc je prend mon temps et commence à regarder sur les établis et les étagères. Je trouve un peu de bois, des planches pré-découpées plus ou moins droites que je laisse sur un établi. J'attrape quelques outils et sort un carnet de ma poche. J'ai vaguement une idée mais il vaut toujours mieux fixer ce qu'on veut faire plutôt que partir direct dans le bricolage. Au minimum il faut des mesures.

Je sifflote un air que j'ai entendu à la radio hier, une bande son de film qui passait quand j'étais en train de corriger un article. Un petit banc taille enfant, ce serait bien. Si je le fait assez large, il devrait être stable même avec des pieds carrés et je pourrais le peindre. L'anniversaire de Fai est pas si loin, ce serait un cadeau original.

Ou alors, une lampe. Avec un pied carré et un abat-jour en papier. Si je dessine dessus ça pourrait faire de jolies ombres. Je continue de croquer quelques idées et repose le carnet. Il faut que je fasse un choix. Je pourrai pas tout faire ou même finir un truc aujourd'hui de toute façon.

La matinée a assez mal commencé. Réveillée très tôt par un nouveau cauchemar, incapable de me rendormir, j'ai fini par me lever avec réticence. J'ai enfilé un jogging et suis partie faire un footing à l'aube, à jeun. Pas envie de manger, revivre une énième fois la mort de Mama m'avait assez retournée pour que j'en ai la nausée. Je suis sortie et j'ai glissé mon vieux téléphone dans ma poche de pantalon. Pour le coup, j'ai laissé ma super jolie veste et mon écharpe porte-bonheur au dortoir, pour ne pas les abîmer.

Je trottine une dizaine de minutes avant d'accélérer le rythme pour atteindre ma foulée habituelle. Tout se passe bien, le lever de soleil est magnifique et m'apaise autant que la course. Je me sens mieux... Jusqu'à ce que je trébuche sur un caillou. La chute n'est pas très violente en elle-même, je m'ouvre un peu les mains, un peu les genoux... Une chute sur les cailloux quoi. Mais j'entends surtout un objet tomber et un gros craquement retentir. Je m'assois et prends le temps de reprendre mes esprits, puis je ramasse mon téléphone qui est en morceaux : je n'ai pas de coque et l'arrière de l'appareil a sauté, de même que la batterie, la carte SIM et la carte SD. Heureusement je retrouve tout, mais le dos du téléphone ne tient plus...

Puta merda de telefone, porra! Porra de seixos das minhas bolas...

Pas besoin de traduction : j'insulte juste le téléphone et les cailloux. Je me relève et j'en veux à la terre entière. Pas envie de continuer la course... Mes mains et mes genoux me font mal, j'ai envie de pleurer et mon téléphone, où se trouvent mes seuls souvenirs de ma vie au Brésil et les contacts de mes seules amies, est en morceaux. Je rentre au dortoir, dépitée, et prends une douche rapide, puis j'enfile un nouveau sweat noir et un pantalon cargo pour monter à l'atelier... Avec un peu de chance, il y a un pistolet à colle pour refixer l'arrière du téléphone.

J'entre et m'assois dans un coin, posant les divers composants de mon téléphone sur la table avec un soupir. J'essaie de réassembler le tout, mais ça ne marche pas : la batterie ne rentre pas. Je sens mes nerfs lâcher et me mets à renifler tout en essuyant les larmes sur mes joues. Puis je réessaies... Rien à faire, je dois mal m'y prendre.

Allez, rentre, s'il te plaît... Marmonné-je pour moi-même.

Quand les insultes ne marchent pas, il faut essayer la politesse, c'est bien connu.

Je fouille dans les étagères et les bacs de matériel. Je n'arrive pas à me décider sur une idée. Chaque fois que j'aperçois un nouveau truc qui a l'air intéressant, j'ai une nouvelle idée. C'est inspirant mais pas très productif.

Puis faut avouer que j'ai beau m'en sortir bien en bricolage système D pour réparer des trucs temporairement, construire quelque chose de nouveau c'est différent. Je dépose un tas de morceaux de bois et attaches variées sur l'établi.

Ok. Constructif. Je me pose un instant, exercice de respiration pour chasser la nervosité. Je me détends un peu comme je peux. Je me redresse et pose mon cul sur le tabouret et contemple ma pile de bordel.

Un morceau de bois flotté que je me rappelle pas avoir ramassé attire mon œil. Je le rapproche de moi et l'examine d'un air suspicieux quand j'entends la porte s'ouvrir.

Je me tourne vers la nouvelle arrivante et je hausse un sourcil. Elle ne m'a pas vu, concentrée sur ce qui ressemble à un téléphone. Je fronce les sourcils en l'entendant renifler. Oulala. Ça sent le souci de contact avec la famille, ça.

Je me lève et m'approche en essayant de pas être trop silencieux au cas où elle veuille être toute seule.

— Hey. Ça va ? Je peux t'aider ?

Elle est magnifique cette fille. Novice, par contre. Donc ça m'étonne pas trop qu'elle se sente pas bien si elle vient d'arriver et qu'il lui arrive déjà des tuiles.

— Moi, c'est Huo. Il lui est arrivé quoi à ton téléphone ?

J'aime pas voir les gens pleurer.

Je repose la batterie du téléphone pour m'essuyer les yeux avec ma manche. Que faire ? Je vais perdre toutes mes photos ! Pour les contacts, je temporise. Je peux toujours aller toquer aux portes pour les redemander. Mais ces photos sont importantes, il y a toutes celles sur lesquelles apparaissent Mama, les gars du quartier, mon coach, mes victoires... Je ne veux pas perdre tout ça !

J'entends des pas derrière moi. Un homme s'approche, cheveux rouges et de beaux yeux bleus. Je m'empresse d'essuyer les nouvelles larmes qui avaient débordé de mes yeux d'un geste vif.

Ç-ça va...

Très convaincant. Il propose de l'aider et je suis tellement désemparée que je n'essaie même pas de l'envoyer promener.

J'ai fait tomber mon téléphone tout à l'heure et il a éclaté en mille morceaux. Je sais pas comment le réparer...

Et voilà, ma voix me trahit à nouveau en montant dans les aigus. Je sens les larmes menacer de déborder. Ah non, pas devant un inconnu. Inconnu, vraiment ? Il s'est présenté, il s'appelle Huo.

Je m'appelle Tori... J'ai des choses très importantes dans ce téléphone mais il est vieux alors j'ai plus la notice.

C'est définitivement une journée de merde. Je suis obligée de demander de l'aide à un type que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam ! Mais même avec une notice, je n'aurais pas pu faire grand chose. Je remonte le col de mon sweat-shirt pour y enfouir mon nez, partagée entre la frustration, l'angoisse et l'espoir qu'il puisse m'aider.

Tu t'y connais un peu ?

Elle s'essuie un peu les yeux et je lui souris gentiment. La pauvre a l'air au bout de sa vie. En même temps si elle a aucun back-up de ses photos et de ses contacts, je peux comprendre.

— Oh, ouais ça peut être problématique.

Huo. Ta gueule. Genre vraiment. Elle a l'air au bord de la crise de larmes, va pas en rajouter avec tes commentaires nuls. C'est exactement pour ça que j'ai pas de tact, putain.

Je me rapproche un peu plus près et acquiesce quand elle m'explique plus dans le détail son souci. Ok. Tori, donc. Elle pas là depuis longtemps du tout, j'ai un vague écho de Vide qui vient d'elle donc j'essaye d'être un peu rassurant et je regarde le désastre sur la table. Il n'a plus de protection à l'arrière et la batterie dépasse un peu comme si elle ne rentrait plus.

Je fronce les sourcils et approche ma main avant de prendre le téléphone et la batterie pour les regarder de plus près.

— Pas vraiment mais j'ai eu un téléphone comme ça y a un moment.

Quand j'avais pas les moyens de m'en payer un mieux après que je me sois barré de chez mes parents. J'enlève délicatement la batterie et souffle un peu dans l'espace vide pour enlever la poussière. Il y a pas l'air d'y avoir de gros dégâts en vrai.

— Tu as gardé la carte SIM et la carte SD ?

En vrai à ce stade, si ses données sont dedans, ce sera peut-être juste plus simple de prendre un nouveau téléphone.

— Si tes photos et tes contacts sont pas dans la mémoire interne du téléphone, ce serait plus simple de te prendre un nouveau portable. Doit y avoir de quoi par ici même si ce sera pas du neuf.

Sinon, je peux toujours demander à Mitsu de jeter un œil. Ou Ipiu à la limite mais bon juste pour un téléphone on va éviter à moins d'avoir aucun moyen de le réparer autrement.

J'essaye de relativiser mais c'est dur. Et Huo ne m'aide pas vraiment. Je le laisse approcher sans rien ajouter, j'ai trop peur qu'il m'annonce que tout est foutu. Il attrape le téléphone donc la coque arrière ne tient plus. La batterie manque de tomber sur la table et je la rattrape. Sa question entraîne une moue maussade sur mon visage.

Bien sûr que je les ai... Mais je ne sais pas où étaient stockées les photos.

Les photos : c'est tout ce qui m'intéresse. Le reste, je m'en fiche. Le souci c'est que je ne m'y connais pas vraiment en informatique, pour ne pas dire pas du tout. Je n'ai aucune idée de si les photos étaient bien stockées sur la carte SD. Huo me propose de prendre un téléphone qui traîne dans le coin. Je hausse les épaules.

On peut toujours essayer je suppose...

Je me lève et vais fouiller dans les boîtes et les armoires, jusqu'à tomber sur une boîte à chaussures avec un étiquette "appareils élec.". Les téléphones doivent être ici... J'ouvre la boîte et trois modèles se présentent à moi. Un téléphone dont l'écran coulisse sur le clavier, un autre semblable au mien avec les touches où il faut appuyer plusieurs fois en fonction de la lettre qu'on cherche, et un dernier, visiblement plus récent, avec un écran tactile et un dos d'un joli vert. Je prends les trois et reviens à la table.

C'est tout ce qu'il y a...

Je sors ma carte SD et ma carte SIM que j'avais gardé dans l'enveloppe contenant les restes de mon dernier salaire. La SIM est une petite carte simple, et la carte SD également. Quand j'ai pris ce téléphone, les micro-SD et micro-SIM n'existaient pas.
Je commence par ouvrir le téléphone tactile, et vois immédiatement que l'emplacement pour les cartes est beaucoup trop petit. Je le referme et le mets de côté. Celui-là ne conviendra pas.
Le second téléphone, celui à clapet, a des emplacements qui correspondent. Il est petit et compact, donc pratique. Mais je ne pourrais pas lui mettre de protection... Peut-être tiendrait-il dans une chaussette ?
Le dernier a la bonne taille pour les cartes également, mais le modèle ne me permettrait pas de regarder les photos. J'opte donc pour le second.

Une fois les cartes introduites, j'allume le téléphone. Il n'a pas beaucoup de batterie...

Tu penses que les chargeurs sont dans le coin..? Sinon, peut-être que le chargeur du mien marcherait ?

Je me suis un peu calmée, le fait de me concentrer sur mon problème m'empêche d'être trop émotive.

Je fronce les sourcils quand elle m'explique qu'elle n'a aucune idée d'où était stocké ses photos dans le téléphone. Bon, je dirais qu'on une chance sur deux du coup. Mais comme c'est un vieux modèle ils avaient peu de mémoire de stockage donc en vrai c'est assez probable que le stockage des données et donc des photos soit externe. Je pense. De toute façon on saura pas avant de vérifier.

Je la laisse fouiller vers l'étagère des bidules électroniques et revenir avec trois modèles de téléphone différents. Elle extrait les deux cartes du pauvre portable en bout de course. Je la laisse faire ses manip et choisir le téléphone de remplacement. Ça a l'air de la calmer un peu de faire un truc concret pour régler son souci, ce que je comprends.

— Hm… S'il y a un chargeur dispo il devrait être pas loin de là où était le téléphone. Après si c'est la même marque et le même genre de modèle que ton ancien, le même chargeur devrait fonctionner, ouais.

Je retourne vers l'étagère des bidules électroniques et trouve la boîte où elle a pris les téléphones. Il y a une autre boîte à chaussure juste à côté qu'elle n'a pas du voir labellisée "câbles etc". Merci Mitsu. Je prend directement la boîte et la ramène en l'ouvrant pour regarder. Elle est effectivement pleine de câbles divers mais aussi de vieux chargeurs.

— Tiens, regarde si celui-là a l'air d'être le bon.

Je lui tends un des chargeurs qui a l'air d'avoir la bonne forme pour le trou de chargement que j'ai aperçu.

Une fois un peu plus calme, Huo est toujours à mes côtés pour m'aider et j'avoue que je lui en suis reconnaissante parce que je n'y connais pas grand chose en électronique. Je trouve un téléphone qui convient et y glisse les cartes puis l'allume. Nouveau problème : la batterie est presque à plat. Quand je le questionne sur un éventuel chargeur, Huo a la réponse. Pendant qu'il va chercher si il trouve de quoi, je regarde de mon côté mon ancien téléphone et celui que j'ai emprunté... Et évidemment, c'est ni la même marque ni un modèle semblable. Le trou n'a pas non plus la même forme. J'ai l'impression que les merdes me tombent au coin de la gueule les unes après les autres.

Heureusement, le rouquin revient et pose une boîte devant nous. Après quelques instants de recherche, c'est Huo qui trouve le bon modèle. Je le remercie et cherche un endroit où le brancher. Il y a une prise près du plan de travail et je m'accroupis pour connecter le chargeur. L'écran du téléphone s'illumine à mon grand soulagement, et il affiche une date et une heure complètement aux fraises. Peu importe pour le moment, je cherche les fichiers et ouvre ceux-ci. Et là, c'est le drame (bis, ou ter, je sais plus) : les photos ne sont nulle part.

Je comprends pas... Elles devraient être là ?

Je me mets à chercher frénétiquement sur le nouveau téléphone, parcourant la galerie (vide), les fichiers (quelques musiques), tout ce qui pourrait correspondre à l'emplacement des précieuses photos. Et plus je fais chou blanc, plus les larmes montent. Jusqu'à ce que je craque. Une première larme vient tomber sur l'écran, puis une seconde. Je suis obligée de m'arrêter parce que je ne vois plus rien à part du flou.

Qu'est-ce que je vais faire... Je ne peux pas les perdre...

Une petite partie de moi en arrière-plan est désolée pour Huo qui assiste à ce spectacle.

Bon, maintenant je suis beaucoup trop investi dans cette histoire. Je veux vraiment aider Tori à récupérer ses photos et contacts donc elle les récupèrera. Nah. Même si j'dois aller réquisitionner Aaron ou Mitsu. Pour le moment, on en est pas là mais j'en fais une mission personnelle.

On arrive finalement à brancher le nouveau téléphone mais catastrophe les photos sont dans la mémoire interne de celui cassé. Tori commence à paniquer puis elle pleure et je grimace. Tain, j'suis nul pour réconforter les gens. Heu. Je fais quoi, moi ?

— On va trouver une solution, ok ?

Je lui tapote le dos gentiment, pas trop sûr de si elle est à l'aise avec ce genre de contact venant d'un étranger mais bon… J'suis là, faudra faire avec.

— Bon. Fais voir ça, on va essayer de le remettre en état de marche. Et tu devrais garder celui-ci si tes contacts sont sur la carte SIM. Au moins tu as le chargeur et il est en meilleur état.

Je prend délicatement les pièces du téléphone cassé. Il n'a plus de coque arrière depuis un moment si j'en crois les tonches dans le plastique. Mais mise à part la batterie, il a pas l'air si cassé. Je fronce les sourcils et regarde de plus près. Je souffle doucement pour chasser la poussière qui s'est déposée dans l'habitacle de la batterie.

— Il a pas l'air si pire. J'pense que je dois pouvoir remettre la batterie.

J'essaye de la remettre mais elle n'a pas l'air de rentrer. Pas de grand chose mais… Je l'enlève et regarde de plus près les petites pattes qui font le contact. Il y a un truc qui a l'air de s'être coincé à cet endroit. Je souffle un peu plus fort au cas où c'est de la poussière mais rien ne bouge. Hm…

— Tu as vu quelque chose comme une petite brosse dans le coin ? Genre taille brosse à dent ?

C'est une catastrophe. Mes photos. Mes precieux souvenirs... Je ne vais jamais réussir à les récupérer ! Et je je pourrais plus jamais en refaire d'autres, puisque Mama est... Mes joues sont maintenant inondées de larmes, et le pauvre Huo a l'air désemparé. Je l'embête en plus, alors qu'il n'était même pas là pour ça à la base. C'est vraiment une catastrophe. Je suis sûre maintenant qu'il va fuir en prétextant un rendez-vous oublié, un thé sur le feu, le four resté allumé, un truc comme ça ! Et il aurait bien raison de me laisser avec ma mer-

Pat pat.

Il est pas parti. Il m'a pas abandonnée avec ma merde, et en plus il me réconforte. On dirait que ça a désenclenché le mode panique dans mon cerveau. Je cligne des yeux, essuie mes larmes avec mes mains, les paumes contre les yeux puis j'acquiesce.

Voui. D'accord.

Je prends une, puis deux grandes inspiration pour retrouver mon sang froid. Son contact m'a fait du bien, alors quand Huo reprend la parole, je l'écoute en hochant la tête. Le rouquin manipule mon téléphone, celui que j'ai cassé, le regarde, souffle dessus, puis rend son verdict. "Pas si pire", ça veut dire qu'il peut encore marcher..? Je sens un petit espoir renaître en moi.

Si on pouvait remettre la batterie, je pourrais le rallumer, transférer les photos sur ma carte SIM et ensuite je pourrai utiliser l'autre téléphone le temps de m'en racheter un. Et tout irait bien dans le meilleur des monde. Un peu idyllique, mais comme on dit : sur un malentendu ça peut marcher. Du coup, je décide d'y mettre du mien et file chercher ce qu'il me demande, à savoir une petite brosse.

Je fouille dans les tiroirs, ouvre les quelques placards et finis par tomber sur deux options.

Y'a un pinceau ou des cure-dents... Je prends les deux ?

Question rhétorique. J'apporte les deux et les pose devant Huo. Le pinceau est un peu gros, avec une brosse carrée, mais les poils sont durs alors peut-être que ça marchera... Sinon il y a les cure-dents, tant qu'on les casse pas dedans. Tendue, je me penche pour observer ce que fait Huo, jusqu'à ce que nos épaules se touchent. Pas envahissante du tout.

Elle respire à fond un peu et elle a l'air de se calmer. Je lui fais un sourire un peu maladroit alors qu'elle essuie ses larmes. J'ai de la peine pour elle, en vrai. Elle a l'air perdue et je voudrais l'aider. Je sais ce que ça peut représenter les photos.

Je continue à examiner le téléphone cassé pendant qu'elle cherche de quoi le nettoyer. En vrai, à part la batterie y a pas l'air d'avoir de gros souci. L'écran est encore en état de marche et les touches aussi. Puis bon c'est un vieux modèle, ces trucs là sont quasi indestructibles à partir du moment où on a toutes les pièces.

— Prend les deux, ouais.

Je re-souffle fort un coup à l'intérieur mais rien ne bouge. Je prend le pinceau qui a l'air d'avoir des poils assez rigides pour être efficace. Tori se colle un peu à moi pour regarder ce que je fais par dessus mon épaule. Pas du tout stressée. Je retiens un sourire amusé et brosse doucement les pattes métalliques du contact de la batterie.

— Tu es à Terrae depuis longtemps ?

Oui, j'essaye de faire la conversation. Ça la détendra un peu si ça se trouve. Il y a quelque chose qui a l'air de bouger donc je continue de brosser un peu plus fort en appuyant. Un micro gravier se dégage de juste sous le contact de la batterie. Je le ramasse délicatement du bout du doigt et le laisse tomber par terre avant de remettre la batterie. Cette fois elle rentre pile poil et je laisse échapper une exclamation satisfaite.

— Tiens, essaye de l'allumer maintenant.

Je lui tends le téléphone avec précaution histoire de rien faire tomber. Si avec ça elle peut pas récupérer ses photos, je démissionne.

Sur confirmation de Huo, je prends cure-dents et pinceaux et reviens vers lui pour l'observer travailler. Je me sens un peu mal de le laisser tout faire mais c'est pas avec mes gros doigts que je vais réussir quoi que ce soit. Je risquerais plus de casser quelque chose. Donc je reste là, mon épaule contre celle du rouquin. Le silence est un peu bizarre et je crois qu'il s'en rend compte parce qu'il engage la conversation. Il me faut un instant pour réfléchir.

Ça fait un mois il me semble... Je suis arrivée fin février.

Déjà un mois. Grâce à Alyona je ne l'ai pas vu passer. J'ai rencontré quelques autres personnes, toutes vraiment sympathiques... Sauf Ipiu, je ne sais vraiment pas quoi en penser. Je hausse les épaules.

Je m'habitue petit à petit. Et toi tu es là depuis longtemps je suppose ?

Il a l'air d'être un habitué. Enfin, si on peut dire ça, on est pas dans un bar. Ma question est coupée court par le cri de satisfaction de Huo, et un déclic qui me reconcentre sur le téléphone. La batterie est rentrée ! Huo me tend le téléphone.

C'est l'heure de vérité. Est-ce qu'il va s'allumer... J'appuie sur le bouton. Une seconde, deux, trois...
L'écran s'éclaire et laisse apparaître le logo du téléphone ! Mais je ne crie pas victoire tout de suite. J'attends qu'il s'allume, les épaules tendues. Je tape mon code pin, et ouvre le menu, les fichiers... Là ! Les photos sont là !!

Ça marche ! Les photo sont là !!! Merci, merci, merci !

Et, prise d'une impulsion qui sort de nulle part, je serre Huo dans mes bras. Il a sauvé mes précieuses photos ! Sans sa persévérance j'aurais sûrement abandonné et je me serais morfondu comme une âme en peine. Maintenant, je vais pouvoir les mettre en sécurité.

Je relâche Huo et lui fais un sourire d'excuse.

Désolée.

En quelques manipulations, je sécurise les photos et les transferts dans la carte sim. Je pousse ensuite un soupir de soulagement.

Ouf... Comme ça je suis sûre de les avoir quelque part en sécurité.

Je me tourne ensuite vers Huo.

Merci beaucoup, tu m'as sauvé ma journée... Est-ce que je peux te rendre la pareille ? Tu es venu ici pour bricoler non, peut-être que je peux t'aider ?

J'acquiesce quand Tori me dit être là depuis un mois. Ça fait sens, elle a l'air encore un peu… Perdue ? Enfin c'est souvent compliqué au début. Et puis elle est pas encore initié si je me trompe pas.

— Oh oui, au moins dix ans maintenant. C'est souvent dur au début, d'être ici avec le Vide puis il faut s'habituer aux pouvoirs. Y en a qui ont du mal avec ça.

Réussir à réparer le téléphone et la voir l'allumer avec un soulagement énorme me fait sourire. J'suis content d'avoir pu l'aider. Tori a l'air d'une fille chouette. Je ris doucement à sa joie, un peu surpris du câlin subit mais je n'ai pas le temps de le lui rendre. Dommage, c'est cool les câlins. Je suis devenu encore plus fan de ça depuis que je suis papa.

— T'excuse pas d'être spontanée, je refuse jamais un câlin d'une jolie fille, je la taquine avec un clin d’œil.

En tout bien, tout honneur, eh ! Elle est un peu jeune pour moi, puis bon j'suis papa et presque marié. Ça me fait trop plaisir de la voir heureuse comme ça, en vrai. Je lui fais un sourire alors qu'elle me rappelle qu'effectivement j'étais là pou un truc à la base mais...

— Heu j'avais pas vraiment de projet précis, je grimace un peu. C'est l'anniversaire de mon fils début Juin donc je voulais essayer de lui fabriquer un truc mais j'suis pas super doué en arts plastiques.

Je désigne de la main l'établi où je m'étais installé, en bazar avec des planches un peu partout et mon carnet encore ouvert. Je me passe une main sur la nuque, un peu embarrassé.

Huo discute avec moi tout en nettoyant la batterie de mon téléphone. J'essaye de rester de marbre, mais ce qu'il dit me touche. J'ai eu énormément de mal en effet, en arrivant à Terrae. D'abord parce que je ne connaissais personne. Je n'ai jamais été quelqu'un de très sociable, alors me faire de nouveaux amis... En fait, je ne sais pas vraiment interagir. Heureusement qu'Alyona m'a trouvée. Sans elle, je serais sûrement repartie. Puis sont arrivés les pouvoirs. Cette histoire à dormir debout de pouvoirs que l'on reçoit à cause du vide. L'idée me terrifie, je n'en veux pas. Je suis venue en pensant que le Master blaguait sur cet aspect là. Je suis venue en me disant qu'au moins, ici j'aurais un toit. Que je n'avais rien à perdre, de toute façon. C'était mieux que d'être à la rue, de finir soit addict à une drogue quelconque, soit femme de ménage pour les hôtels du coin. Beaucoup de choses me passent par la tête. Mais au lieu d'en parler, je reste silencieuse et hausse les épaules.

Enfin, mon téléphone remarche, et la joie que je ressens à l'apparition des précieuses photos explose dans une étreinte surprise. Et aussi vite que ça s'est passé, j'y mets fin en m'excusant confusément. Mais Huo réponds avec un clin d'oeil et je me sens rougir de plus belle. Il est plus âgé que moi, c'est sûr ! Pourquoi dit-il ça ? Encore plus confuse, j'essaie donc de changer de conversation en lui proposant mon aide pour ce qu'il était venu faire ici. ET LÀ IL M'APPREND QU'IL EST PAPA ?! Je détourne les yeux quand je me rends compte que je le dévisage en frôlant l'impolitesse.

Euh, je suis plutôt douée en bricolage, quand il s'agit pas d'électronique, alors si tu veux et que tu avais quelques idées déjà, on peut essayer de faire quelque chose... Proposé-je.

Je regarde les planches éparpillées à l'endroit qu'a indiqué Huo. On dirait en effet qu'il n'a pas vraiment idée d'où il va...

On pourrait partir sur une table de chevet, un petit banc ou si on trouve quelques planches en plus, on peut même lui faire une petite table, comme celle des écoliers, avec la chaise accrochée et le petit trou pour l'encrier ?

Je ne sais pas si mes idées lui plairont, mais je propose des choses que je suis sûre de réussir à faire.

Elle hausse les épaules et je souris en coin. Ouais, en voilà une qui a eu de la chance et a dit oui sans trop comprendre dans quoi elle s'embarquait. Il y en a souvent, en vrai. Des gamins des rues, des gens victimes d'abus ou des personnes qui pensent que ce sera toujours moins pire que le Vide.

En vrai, c'est souvent la réflexion des personnes qui arrivent à Terrae. Parfois je me demande ce que je serais devenu si j'étais resté à Hong Kong. Probablement que je serais mort en essayant de venger Xiao. Ou bien Tao m'aurait juste fait tuer. Je me sors des idées noires quand elle me demande si j'ai besoin d'aide pour mon projet.

Je crois que je l'ai fait buguer en vrai parce qu'elle bafouille un peu et elle rougit. J'essaye de pas rire et je retourne vers l'établi où j'avais commencé à rassembler les matériaux.

— J'veux bien ? Mais te sens pas obligée si t'as d'autres trucs à faire.

Elle propose des idées et je fronce les sourcils un instant, en pleine réflexion. Le problème avec du mobilier d'enfant c'est que Fai va vite devenir trop grand si je les fais à sa taille actuelle. Encore que… Si un jour il a un petit frère ou une petite sœur ce sera pas perdu et au pire on trouvera toujours quelqu'un pour en vouloir.

— Une table de chevet un peu basse ? Pour le moment il a encore un lit à barreau mais ça changera bientôt et j'sais pas encore si ce sera un futon ou un lit.

Il commence à en avoir marre des barreaux et de toute façon il est assez grand pour sortir du lit même comme ça donc… En vrai j'aurais bien aimé lui faire un cheval à bascule mais. Premièrement il a l'avion de Maman donc un cheval en bois c'est un peu nul à côté. Deuxièmement j'ai absolument pas les compétences pour faire un truc aussi complexe et que ce soit sécurisé pour un gosse de 2 ans et demi.

— Et si il nous reste de quoi, on peut voir pour faire un banc ?

J'peux les peindre en vrai. Ça je sais faire.