J'écoute les conseils d'Afya. Ce qu'elle me dit me fait beaucoup réfléchir. Les pas de danse sont exclus, je suis vraiment trop mauvais avec mon propre corps. En pensant à ça, c'est comme si une lumière s'était allumée dans mon esprit.

- Est-ce que ça pourrait avoir un lien avec le fait que je sois maladroit, enfin, pas très coordonné ? Je demande.

Pas maladroit comme pataud, je suis plutôt vif et sportif malgré ma carrure de fil de fer. Mais j'ai assez peu de coordination. C'est comme si les ordres qu'envoyait mon cerveau à mon corps mettaient du temps à arriver et qu'ils perdaient en précisions entre temps. Si ça se trouve, c'est ce qui pêche dans mes téléportations ! Je repense à ce que disait Afya juste avant.

- Mais comment peut-on se téléporter quelque part sans penser en lieu ? Je demande, réellement curieux.

Par contre, il va falloir qu'elle arrête de s'excuser ! Si elle gagnait un penny à chaque fois qu'elle s'excusait, elle aurait déjà deux pence. Et c'est deux de trop ! Avant que j'ai pu m'en empêcher, ça m'échappe.

- Et arrête de t'excuser : tu es en train de m'aider, c'est moi qui devrais te remercier. Je dis avec un grand sourire.

Elle réfléchit, elle n’est pas certaine de la réponse à sa première question. Faut-il être coordonné pour se servir correctement de son pouvoir ? Sans doute, elle avait déjà pu observé que plus une personne semblait gourde dans sa démarche, plus elle l’était dans son utilisation des pouvoirs, qui finalement n’était qu’un prolongement de soi. Quelqu’un de brouillon manquerait toujours de précision avec son pouvoir, et cela semblait logique.

« C’est possible. Ton pouvoir ne peut pas agir isolément de toi. »

Une nouvelle question, et un nouveau temps de réflexion pour l’ivoirienne qui se passionne vraiment pour cette discussion. C’est rare qu’elle en ait de si animées, à part avec Ariana et Boubou, mais finalement ce n’est pas si désagréable qu’elle l’eut escompté.

« Si tu te concentre sur la destination tu réfléchis en lieu, si tu te concentres sur le chemin, tu réfléchis en déplacement. J’imagine ? »

Si le lieu est vaste, il peut s’y téléporter dans tous l’espace, mais s’il suit un chemin, il n’ira qu’à un seul endroit. C’est du moins la logique qu’elle imagine. C’est de cette manière qu’elle-même utilise son pouvoir, plutôt que de chercher un évènement précis dans la multitude des avenirs, elle part de lieux fixes dans le temps et qu’elle connait, elle remonte ou avance le fil du temps. Elle aurait trop peur de se perdre dans son immensité.

« Ah, euh déso… Non, c’est que je parle de choses que je ne maitrise pas, et du coup je me sens peu légitime pour t’apporter mon aide. »

Les explications de la jeune femme me semblent tellement logique que je me sens un peu idiot de ne pas y avoir pensé par moi-même. Un instant je me demande si mes élèves avaient parfois la même impression pendant mes cours, quand je répondais à leurs questions. Peut-être bien, certains faisaient de drôles de têtes... Et ça ne pouvait pas être à cause d'une mauvaise traduction, on parlait tous anglais.

J'acquiesce. Penser en déplacement. Par exemple, au lieu de me dire "Je veux aller à l'autre bout de la salle", me dire "Je veux me déplacer de 5m dans cette direction". Peut-être que ça m'aiderait. En tout cas ça sera sûrement mieux que cette idée de pas de danse. Mais peut-être que je devrais commencer par harmoniser mes mouvements en général... Par un art martial ? La danse, c'est exclus, j'ai vraiment essayé. Je pourrais peut-être demander à Senri, lui qui a l'air d'être vachement mieux coordonné que moi... Rien qu'à cette idée, une vague de fatigue me traversa. Revenons au présent. Je me secoue intérieurement.

- Haha mais si au contraire, tu me donnes plein de pistes intéressantes. Je dis à Afya. Donc si je suis ton raisonnement, je cherche plutôt à voir mes téléportations comme un mouvement ? Au lieu de me dire je passe d'un point A à un point B, je me dis que je vais d'un point A à un point B.

J'accentue le mot "vais". J'espère que j'ai bien pigé ce qu'elle a essayé de m'expliquer. C'est la première fois que quelque chose me paraît si compliqué.

Elle hoche la tête. Elle réfléchit, fait apparaitre deux boulles d’eau, au dessus de la première elle dessine un A aqueux, et fait de même avec un B au dessus de la deuxième. Elle se dit que ce serait bien plus simple d’illustrer ce qu’ils sont en train de dire plutôt qu’en discourir. Certains diront que ce qui se comprend bien s’énonce clairement, ceux-là ne sont pas eaux, et ont de bien meilleures compétences de communication que l’ivoirienne. Un bon schéma vaut milles mots.

« Alors au lieu de faire ça : »

Elle transforme la boule A en mini Camille, la fait redevenir sphérique alors qu’elle transforme la boule B en mini Camille.

« Il faudrait penser ça : »

Ce coup-ci un filet d’eau fin apparait entre la mini Camille A et la sphère B, à la manière d’un vecteur pour montrer la route parcourue, puis la mini Camille A redevient sphère et la Sphère B devient une mini Camille avant que le chemin qu’elle a parcouru disparaisse. A noter cependant que l’ivoirienne n’a pas la moindre idée de ce que sont des vecteurs ou une translation à l’identique.

« Finalement, ce n’est qu’une autre manière d’exprimer que ce n’est pas la destination qui compte, mais le chemin. » dit-elle en riant.

Elle rassemble toute l’eau qu’elle a fait apparaitre, la sphère n’est pas bien grosse. Une demi-dizaine de centimètres maximum. Elle s’imagine un instant coach de vie, et l’idée est tellement grotesque qu’elle ne trouve aucun futur la concrétisant. Afya, parler à des gens. Volontairement. Tous les jours. Naaaan. Pas possible. Jamais.

Je regarde Afya maîtriser l'eau. C'est impressionnant la précision avec laquelle elle peut la modeler à son envie. Je suis un peu jaloux, il faut bien l'avouer. Mais on dirait qu'on est sur la même longueur d'onde : elle mime exactement ce que j'ai voulu dire avec mes mots. Du coup j'acquiesce avec enthousiasme.

- Oui c'est ça ! Exactement !

Reste cependant le problème de l'atterrissage. Pour ne pas tomber à tous les coups, il faut que je trouve aussi quelque chose.

Par contre à l'arrivée, une fois le chemin effectué, il reste encore le fait d'être sur ses pieds. En ce moment j'ai de plus en plus de soucis avec ça. Avant, je trébuchais juste ou je tombais à genoux. Mais il y a peu, j'ai fait une téléportation en l'air.

Je me suis retrouvé à un petit mètre au dessus du sol et avais failli écraser un garçon qui se trouvait là... C'est à la fois dangereux pour les autres, et pour moi-même maintenant puisque sans Afya, j'aurais sûrement fini par retourner voir Norah à l'infirmerie.

- Bref, après ce premier raté, j'ai du mal à me concentrer pour arriver en touchant le sol, que ce soit sur mes pieds ou à genoux. J'ai toujours une espèce de sensation fantôme de chute.

Mes explications sont un peu maladroites, c'est dur de décrire un ressenti, surtout à une personne qui possède une autre affinité.

- Enfin, je veux pas te prendre trop de ton temps hein. Tu m'as déjà bien aidé, alors si tu as d'autres choses à faire je comprendrais. Je dis avec un sourire.

Elle regarde ce qu’il s’est passé pour la jeune femme par acquis de conscience, puisqu’elle a vu une équivalence à la scène ce jour-même. Elle réfléchit, la conversation est autrement intéressante. Elle aime bien se poser des questions, et trouver des histoires pour en expliquer les solutions ce coup-ci, ce n’est pas tout à fait la même chose. Elle ne cherche pas une solution qui lui convienne à elle, mais une solution qui parle à sa vis-à-vis. Elle songe un instant qu’elles doivent avoir l’air étrange debout au milieu de la salle, mais finalement ne s’attarde pas sur ça.

« Si tu t’imaginais apparaitre dans une espace, donc tu ne pouvais pas exactement jaugé d’où avec précision à moins de très bien maitriser ton pouvoir, mais si tu t’imagines te déplacer entre deux lieux, tu sais le chemin que tu parcoures et donc comment tu arrives dans l’espace j’imagine. Alors bien sûr, c’est approximatif j’imagine, vu que tu ne peux pas savoir si quelqu’un a bougé une table ou un truc comme ça… Peut-être qu’avant de continuer tu devrais apprendre à tomber ? Tu veux qu’on empile des matelas et qu’on y mette une table à côté pour t’entrainer à atterrir ? »

Elle est curieuse maintenant, elle se demande comment Camille va s’en sortir avec ses pouvoirs. Elle a envie d’aller voir le futur, mais si elle ne rechignait pas à regarder le passé de la blonde, elle ne veut pas lui voler ses victoires à venir.

« Pour l’instant j’ai rien d’autre à faire, et je m’amuse pas mal à t’aider en fait… »

Aussi étrange que cela puisse être.

Les gens autour de nous continuent à s'entraîner. C'est drôle de voir comment personne ne se gêne. Même Afya et moi qui sommes plantés dans la salle ne semblons pas déranger les autres. C'est agréable cette espèce d'harmonie. J'expose mes soucis suite à ma téléportation ratée qui a mené à ma rencontre avec Taegin. Le regard de la jeune femme se fait vide un instant avant de reprendre sa vivacité habituelle. Ses suppositions font encore une fois mouche.

- Ah en effet. Si je m'imagine me déplacer sur le sol, je devrais y rester. C'est plus simple que d'imaginer la destination avec précision !

Par contre, pour ce qui est des chutes...

- Mais tu as peut-être raison, il faudrait que j'apprenne d'abord à tomber. Tu ne seras peut-être pas là la prochaine fois et ça pourrait mal finir. Je plaisante.

Mais avant de s'y mettre, je m'enquiers de savoir si Afya n'en a pas marre de mes multiples questions. Heureusement, ça n'a pas l'air de la déranger. Je me mets donc à rassembler quelques uns des matelas qui ne sont pas utilisés. Assez lourds, je mets un peu de temps à les empiler. Quand c'est fini, trois matelas de quelques centimètres d'épaisseur chacun sont posés les uns sur les autres, prêts à recevoir mes cascades.

- Je pense pas qu'il y ait besoin de rajouter une table, j'ai juste à essayer de me téléporter dessus non ? Vu que naturellement j'ai tendance à chuter, ça sera bien plus efficace. Je suppose, encore un peu essoufflé par l'effort.

Et avec les matelas je ne risque plus de me faire très mal, normalement.

« Je pourrais, mais ce serait étrange que je me retrouve uniquement sur les lieux où tu rates une téléportation… »

Ce serait à la réalité un peu triste, et cela créerait un précédent non négligeable. Elle ne pourrait accorder la même attention à tous les habitants de Terrae, et certains trouveraient le moyen de lui reprocher. Elle n’avait pas les épaules assez larges pour cela, et s’occuper des autres n’était pas chose naturelle s’ils n’étaient pas ses amis. Elle pouvait se saigner aux quatre veines pour ceux qu’elle aimait, mais le faire pour n’importe qui ne faisait pas parti de sa personnalité… Et bien que la conversation avec Camille soit plaisante, elle ne la considèrerait pas si facilement comme une amie.

Elle l’aide à trainer les matelas qui pèsent un âne mort. Cela doit être gage de confort ? En tous les cas ils ont peu de prises et c’est bien difficile de les bouger. A deux cela devient plus facile.

« J’allais te dire que c’est risqué d’apprendre à chuter en même temps que tu te téléportes, mais en fait tu vas bien viser les matelas donc ça va. Juste il nous en faudra un de plus à gauche. »

Bien entendu l’ivoirienne est allée voir ce que réservait le futur à court terme de la blonde. S’il y avait eu un risque, elle l’aurait sans doute guidé vers une autre méthode. Elle n’aurait pas l’énergie pour sauver Camille plusieurs fois d’affilé, elle n’en doutait pas. Faire apparaitre autant d’eau et rapidement lui en demandait beaucoup.

- Ce serait dommage que tu sois là que pour me sauver la mise. Je préfère de loin papoter un peu avec toi. C'est super intéressant. Je dis en souriant.

Je suis honnête : j'adore notre conversation, c'est super intéressant et ça me donne plein de nouvelles pistes. Et en parallèle ça me permet de comprendre comment Afya pense et de découvrir un peu sa personnalité. C'est une chouette expérience.

La jeune femme m'aide à placer les tapis et une fois qu'on y est, je reprends ma respiration. Quand elle indique qu'il en faudra un autre à gauche, je comprends qu'elle a dû aller voir si l'expérience représentait un quelconque danger. Donc je risque de tomber un peu à gauche. rien de grave, mais je m'exécute de bonne grâce et dépose un autre tapis sur la gauche de l'empilement qu'on a fait.

- Je pense que je vais arriver à viser la zone si je ne pars pas de trop loin. Mais c'est surtout que tomber en sautant d'une table et tomber en sortant d'une téléportation, ce n'est pas la même chose. Le corps n'est pas dans la même position, tout ça. Du coup je me dis que c'est plus logique d'essayer en se téléportant. Puis ça va me permettre de mettre de tester nos théories. J'explique en souriant.

J'observe le dispositif. On prend un belle place dans la salle d'entraînement, mais si jamais d'autres ont besoin, ils peuvent toujours utiliser la zone comme amortisseur pour un atterrissage brutal. Et si quelqu'un a besoin de tapis, on pourra toujours en donner.

- Allez j'essaie ! Je dis en reculant de plusieurs mètres.

Une fois à la distance voulue, je me concentre et sens à nouveau l'énergie s'accumuler dans mon corps. La sensation d'un élastique tendu revient et j'essaie de visualiser le trajet plutôt que le point d'arrivée. Une fois que je l'ai bien en tête, je relâche mon énergie. Avant que j'aie le temps de vraiment comprendre que je suis arrivé, mes chevilles se prennent dans les trois tapis, comme un croche-patte et je fais un plat sur ceux-ci, qui retentit dans la salle avec un claquement bruyant. Le ventre et le visage endoloris, je me redresse.

- Bon. Je suis resté au niveau du sol... Mais j'ai pas eu le temps de mettre mes mains devant pour amortir...

Je dois avoir le front et le nez tout rouges, vu comment ça me cuit.

Elle répond d’un sourire à Camille. C’est toujours extrêmement plaisant de se rendre compte que le plaisir d’un palabre juste est partagé. Elle est heureuse que la blonde trouve autant d’intérêt qu’elle à leur conversation

Elle hoche silencieusement la tête. Elle ne peut que concevoir la différence entre une téléportation et un saut. Le saut est prévisible, on sait exactement d’où on part et où on atterrit. Il n’y a pas cette incertitude entre le départ et l’arrivée. Elle ne peut donc qu’encourager et quand Camille se ramasse bruyamment, elle doit quant même lutter pour se concentrer sur la jeune femme qui lui fait face plutôt que sur les regards curieux attirés par le bruit. Elle n’aime pas être au Centre de l’attention, mais si elle porte son attention sur Camille, elle n’est plus qu’en périphérie du centre.

Elle lui tend la main pour l’aider à se relever après avoir fait quelques pas mal assurés sur les matelas. Ils luis semblent plus denses que de véritables matelas, peut-être que si elle avait été au lycée, elle aurait su qu’ils s’agissaient de tapis amortissants que l’on mettait normalement sous les agrès. Elle ne lui fait pas remarquer qu’elle est bien rougie par le choc, ne voyant guère d’intérêt à cela. C’est fait, c’est un détail, à quoi bon l’évoquer.

« Oui, peut-être qu’il faut que tu partes déjà d’un matelas pour être à niveau ? Ou alors que tu t’imagines monter des marches ? »

Elle ne sait pas trop si elle l’aide ou pas…

Je prends volontiers la main d'Afya pour me remettre debout. J'ai tout le torse qui me brûle, et je passe par réflexe une main sur mon nez, mais je ne saigne pas. C'est une bonne chose, ça veut dire que je ne me suis pas non plus éclaté trop fort. Afya fait une nouvelle suggestion. Essayer en commençant à la même hauteur, ou essayer en m'imaginant monter des marches..? Je ne suis pas certain que la seconde option marche bien.

- Je suis pas sûr d'arriver à m'imaginer monter des marches en même temps que j'essaie de me concentrer sur l'idée d'un chemin plutôt que d'un but...

Mieux vaut commencer tranquillement : j'attrape une chaise qui traîne dans un coin. J'en teste la solidité : elle devrait supporter mon poids. Je vais donc la placer à quelques mètres de l'amas de tapis. C'est déjà la cinquième téléportation que je m'apprête à tenter et je sens que je fatigue. C'est la première fois que j'en enchaîne autant, c'est drainant.

- Je pense que ça va être le dernier essai, je suis déjà claqué... J'annonce à la jeune femme.

Puis je monte sur la chaise et me concentre. C'est le dernier essai et j'aimerais bien que ça réussisse. Ça serait une belle façon de terminer l'entraînement, et finir sur un truc bien fait toujours du bien au moral... Du coup je m'applique. Je tends cet élastique mental et laisse l'énergie s'accumuler. Dans le même temps, je me concentre sur le chemin : une ligne droite, depuis la chaise jusqu'aux matelas. Quand j'ai l'impression de maîtriser les différents éléments de la téléportation, je relâche l'élastique.

Je sens mes pieds passer d'une surface dure à une surface molle. Dans le même temps j'ai l'impression de me prendre l'énergie cinétique du déplacement qu'implique la téléportation. Je trébuche et essaie de me rattraper. Finalement, je pers l'équilibre au bord des tapis et tombe sur celui qu'avait prévu Afya à gauche. Le choc est un peu rude mais moins douloureux que le précédent, et surtout j'ai le temps de me protéger de l'impact. J'atterris sur les fesses et me rattrape en mettant les mains derrière moi.

- Eh ben c'est déjà mieux... Je dis, la fatigue me tombant dessus comme une chape de plomb.

Elle regarde Camille reproduire la scène qu'elle a déjà vu quelques instants plus tôt, la chorégraphie est la même bien qu'elle ne l'est pas répétée. La chute n'est pas trop douloureuse. Cette fois-ci ce n'est pas de rouge que se teinte le visage de la blonde, mais de fatigue. C'est toujours intéressant de voir les premiers balbutiements de pouvoir, propres à chacun mais tellement semblables. Tout le monde se blessait un jour où l'autre, personne ne pouvait se vanter de n'avoir jamais fini à l'infirmerie.

Les feux et les tonnerres se brulaient, les airs ne savaient pas comment atterrir après avoir décollé, on pouvait imaginer que les terres (s'ils n'étaient pas titans et ne se blessaient pas en utilisant mal leur pouvoir) et les eaux se blessaient moins. C'était peut-être vrai dans les premiers temps de leur entrainement, mais combien de pluie de pierres avait heurtés des terres ? Combien d'eau s'étaient brûlés avec  de l'eau bouillante ou au contraire de la glace ? L'apprentissage passait souvent par des phases douloureuses pour tous. L'ivoirienne avait elle aussi ses marques de guerre, mais n'étant pas des intrépides, elle n'avais jamais eu de grosses blessures.

"Tu t'en es bien sortie, bravo !"

Elle s'assit en tailleurs non loin de la blonde épuisée. Elle savait qu'il leur faudrait encore ranger les matelas, mais pour l'instant elle pouvait la laisser se reposer. Elle s'améliorerait, comme tout le monde.  Il faudrait du temps et de l'entrainement, et bien entendu de nombreux échecs.

"Tu veux un peu d'eau ?"

La fatigue arrive tellement brutalement que je n'essaie même pas de me relever, certain que si j'essayais, je ne tiendrais pas debout. Heureusement, Afya semble l'avoir compris et vient s'asseoir près de moi. Je suis souris quand elle me complimente.

- C'est grâce à toi ! Tu penses d'une façon tellement éloignée de moi que je n'aurais jamais pu avoir les mêmes idées. Du coup ça me permet d'étoffer mes théories et mes essais. Merci !

Je suis sincère. J'aime rencontrer des gens, d'où le métier de prof que je faisais auparavant. Et l'une des raisons pour lesquelles j'aime tant découvrir de nouvelles personnes est justement la différence ! Tout le monde pense, parle et vit différemment et cette diversité est tellement intéressante à étudier et à observer. L'humain est un camaïeu de couleurs, et pour moi c'est quelque chose de fascinant.

J'essaie de récupérer un peu quand la jeune femme me propose un peu d'eau. Je souris à nouveau.

- Je dis pas non. Je crois que je ne vais pas pouvoir me remettre debout tout de suite.

La fatigue m'a littéralement coupé les jambes.

- Je crois que je vais bien dormir ce soir ! Je plaisante.

Si je pouvais, je crois que je m'allongerais ici même et direction le pays des songes pour une petite sieste. Mais je n'ai aucune confiance en mon horloge interne alors je me retiens et étends mes jambes devant moi à la place.

- Au fait, quand tu as eu tes pouvoirs, tu as eu plus de mal avec quoi toi ? L'eau ou la Voyance ? Je demande par curiosité.

Elle sourit gênée qu’on lui ait fait un compliment. C’est pas évident de faire face aux compliments, on ne sait jamais trop comment les recevoir, se positionner. Est-ce qu’elle doit la remercier ? Oui, ça semble mieux.

« Merci. »

Heureusement, elle n’est pas du genre à se déprécier d’une blague pour faire glisser le compliment sur elle ? Non, elle est juste timide. C’est la moitié du travail de faite.

L’ivoirienne se concentre pour faire apparaitre une bulle d’eau qu’elle fait voler vers Camille.

« Tu n’as qu’à boire comme au robinet, tu mets tes lèvres contre l’eau et tu aspires. »

C’est étrange la première fois, principalement car on ne gère pas l’inclinaison d’un récipient ou qu’on n’a pas à freiner l’eau pour la laper. Il suffit juste de boire.

Elle réfléchit un petit temps avant de répondre à la questions de la blonde. C’était il y a longtemps et en même temps, il lui suffit de se projeter dans le passé pour vérifier l’exactitude de ses souvenirs.

« C’était différent, l’eau ne voulait pas m’obéir, ce qui était très énervant, et au contraire les visions arrivaient au hasard et sans contexte, c’était envahissant. Je dirais que finalement, c’était les visions le plus désagréable, je comprenais rien, j’avais souvent la migraine… Heureusement que c’est du passé ! »

Maintenant ses visions posent un autre type de problème : elle déphase. Elle n’appartient plus tout à fait à l’instant présent. L’eau est aussi plus aisée à manier, quand elle a compris qu’elle pouvait s’en servir pour son travail, qu’elle lui a trouvé une utilité, elle a réussi à la dompter.

La réaction d'Afya à mon compliment me fait sourire. J'aurais cru qu'elle serait troublée, qu'elle refuserait le compliment, mais elle le prend gracieusement et me remercie. Je fais un vague geste comme pour dire "de rien".

La jeune femme crée une bulle d'eau qui s'approche de moi. Un instant je me demande si je vais devoir plonger la tête dedans pour boire. Mes cheveux ont la particularité de retenir l'eau à la façon d'une serpillière, et de sentir le chien mouillé quand ils sont humides. Pas la chose la plus sexy, qu'on se le dise. Je me prépare à refuser, embarrassé qu'elle ait dépensé de l'énergie pour rien, mais elle m'explique comment faire et je me détends.

- Trop cool merci !

Et, une main dans mes cheveux pour les retenir en arrière, je me penche pou boire. C'est étrange, il n'y a pas de pression comme pour un robinet, ni d'inclinaison comme quand on boit dans un verre. Du coup je suis obligé d'aspirer. Je m'étouffe à moitié avec la première gorgée et dois me redresser en toussant pour faire passer l'eau. Afya m'explique ses difficultés. C'est vrai qu'être Voyant doit faire partie des pouvoirs les plus compliqués. Comme les Télépathes ou les Sensitifs... La preuve avec Senri qui est, comment dire... spécial. Enfin, peut-être qu'il l'était déjà avant Terrae, j'en sais rien.

Un instant j'essaie de m'imaginer Feu Invisible, ou Terre Titan, ou encore Air Sonore. Le dernier me fait sourire. Quand on sait que je n'ai absolument pas l'oreille musicale, ce serait un comble ! Je me repenche sur la bulle d'eau et bois encore un peu, plus prudent cette fois.

- C'est encourageant, quand on voit comment tu les maîtrise maintenant, je me dis que je ne suis pas un cas désespéré ! Je plaisante.

Je me sens un peu mieux, alors je me lève et vais chercher ma sacoche que j'ai laissé à quelques mètres. Je reviens m'asseoir avec Afya et en sors deux barres chocolatées.

- Tiens, tu en veux une ? Mon sac en est rempli ! Je propose.