Chronologie : Environ un mois après le retour à Terrae, le temps que tout le monde se soit remis de leurs différentes blessures.


Je remerciais chacun des membres de l'équipe 4, bien consciente des difficultés parfois inattendues auxquelles ils devaient avoir fait face lors leur mission. Après leur avoir indiqué que je restais à leur écoute s'ils en ressentaient le besoin, mon regard s'attardant légèrement sur Aoi et Nikkou qui m'avait déjà rendu visite avant ce débriefing, je les libérais de leur devoir.

Alors que tous quittaient la salle, mon regard s'attarda un instant sur Elwynn, et je l'interpelais avant qu'elle ne quitte la salle des Masters à la suite de ses compagnons de mission.

-Elwynn, tu veux bien rester quelques instants de plus, s'il te plaît ? J'aimerais m'entretenir de certaines choses en privé avec toi.

J'attendis qu'elle accepte et revienne vers moi, laissant aux autres le temps de s'éloigner dans le couloir.
Eclipsant les différents points de vue qui m'avaient été transmis, tentant de me concentrer sur l'objectivité de la situation, je me remémorai les images de leur mission que j'avais encore visionné la veille. Ces utilisations de pouvoirs si meurtrières. Je savais que la situation l'avait poussée à faire ça, je savais aussi qu'elle avait probablement cédé en partie à la panique, agissant rapidement et sans forcément réfléchir aux conséquences pour tenter de sauver et épauler ses pairs, mais les images restaient violentes et brutales. Et elles restaient, justement.

-J'aimerais revenir avec toi sur ce qu'il s'est passé lors de la mission, si tu le veux bien. Les images que nous avons récupérées témoignent d'une terrible violence. Bien sûr, j'imagine que tu n'as pas forcément eu le temps de réfléchir à ça sur le coup, et que l'urgence de la situation t'a parfois poussée à agir rapidement.

Agir de façon non-léthale face à des personnes si violentes est évidemment compliqué, mais je ne peux m'empêcher de me dire qu'avec la maîtrise des pouvoirs dont elle a fait preuve, elle aurait pu trouver d'autres solutions pour les évincer, sans créer un tel bain de sang.

-Certaines de tes actions ont été particulièrement meurtrières sans qu'il n'y ait toujours une réponse aussi violente en face. Et j'ai peur des répercussions que cela pourrait avoir sur les personnes qui t'ont accompagnée en mission. Cette dernière transformation, sous la forme d'un hippopotame, a vraiment été brutale et sanglante. Et j'ai vraiment l'impression que tu aurais pu neutraliser ce soldat sans avoir recours à toute cette violence...

Je marquai une légère pause.

-Comment te sens-tu, toi, après cette mission ?

Ce n'était pas une conversation facile à mener. Parce que je savais qu'elle avait probablement ressassé elle aussi depuis qu'elle était rentrée, et je n'avais aucune idée de là où elle en était arrivé après tout ça. Mais même si ce n'était pas si simple, cette conversation devait avoir lieu. Pour elle, pour moi, mais aussi pour tout ceux qui avaient participé à cette mission.

Le débrief a mis du temps à venir. On a tous mis un peu de temps avant de se remettre des blessures, à récupérer du stress et de la fatigue, parce qu'une fois rentrés c'était pas entièrement fini. La mission principale a pas été entièrement remplie, et puis y avait les gosses à gérer, et puis les traumas des autres aussi. Personne avait envie de voir la gueule d'Aria, Nico et Alice après cette mission. Encore moins quand c'est tes meilleurs potes, j'te jure.

Et puis pour un débrief, ça va relativement vite. On a fait ce qu'il fallait, on a fait au mieux surtout. Je suis vraiment contente de l'équipe que j'ai eu, et je les regarde plus eux que la directrice. Je suis heureuse qu'on aille tous à peu près bien. Qu'on récupère à nos rythmes. Et puis on se lève tranquillement, on commence à sortir et Hideko m'appelle. Jérém' se tourne vers moi un instant, je lui adresse un sourire, et le laisse partir. Je referme la porte et tourne la tête vers Hideko.

C'est maintenant, du coup. Hm. Je sais ce qu'elle va me dire, enfin, j'm'en doute. Et en vrai, j'aurai trouvé ça pas cool qu'elle le fasse pas. Enfin étrange, au moins. Elle fait bien comme elle peut elle aussi.

Je hoche simplement la tête, j'accepte de parler avec elle. Je fais oui de nouveau : oui, c'était violent. Je ne réitère pas, par contre, quand elle dit que j'ai pas réfléchis. Si, j'ai réfléchis, dans l'urgence, dans la nécessité, mais j'ai réfléchis. A toutes mes actions. J'ai pris chacune de mes décisions consciemment. Et je ne vais pas lui mentir.

Je ne hoche pas la tête non plus : certaines de mes actions ? Lesquelles, précisément ? Parce que dès qu'on était au contact, j'ai été violente. J'ai retenu mes coups tant qu'on était pas encore trop en danger, pas encore pris au piège, pas encore en sous-nombre ou avec des forces inégales. A l'instant où l'a été, j'ai été particulièrement violente. Alors, "certaines", c'est gentil de sa part.

Et puis je vois où elle veut en venir : l'hippopotame. Je pince légèrement mes lèvres. Hm. Ouais, c'était plus démonstratif que ce que j'aurai voulu. Elle me pose enfin une question, bien une question de directrice ça. Je souris légèrement.

Moi, je vais très bien. Ma seule inquiétude, c'est pour ceux qui sont partis, et pour mes camarades de mission. C'est plus un secret, tuer, ça a jamais été un truc particulièrement difficile pour moi. Blesser, non plus.

Je baisse les yeux une seconde, avant de retrouver le regard d'Hideko. Je parle calmement, j'essaie d'être la plus claire possible sur ce que je pense.

Je pense que j'aurai pu mieux gérer cette mission. Je suis partie avec des gens plus sensibles que moi, et je ne l'ai pas assez pris en compte. Pas tout le temps, en tout cas, parce que je pense avoir fait ce qu'il fallait la majorité du temps. Mais effectivement, me transformer en hippopotame me semblait la meilleure solution. Je le crois toujours, mais si je ne l'avais pas fait, Erik serait peut-être mort. Probablement.

Je suis étrangement détendue en parlant de ça. Parce qu'il ne l'est pas, mort. Il est bien vivant, il sourit toujours et fait ses blagues douteuses. Il est là pour le débrief.

J'aurai peut-être dû faire différemment, mais à ce moment-là, c'était la vie de ce soldat ou celle d'Erik. Je ne serai pas désolée d'avoir dérogé aux règles si c'était pour le sauver. Par contre, je devrais sûrement aller m'excuser parce que ça a pas dû être facile pour lui, et que je voudrais réparer au mieux cette action si elle a des conséquences sur lui. Même minimes.

C'est la seule chose qui compte pour moi. C'est qu'ils aillent bien. Tous. Le soldat, j'aurai pu le noyer aussi, ou lui tirer une balle dans la tête. Est-ce que j'aurai été assez rapide ? Si je ne l'avais pas fait assez vite, il aurait pu tuer Erik. De ma lecture à moi, il aurait pu, il l'aurait sûrement fait.

Peut-être que j'ai tort et que j'aurai pu neutraliser ce soldat différemment. Mais de mon point de vue, à ce moment-là, alors qu'on avait une blessée, et plusieurs membres paralysés à nous tous, un homme armé d'une arme à feu dans un espace aussi restreint, c'est presque sûr qu'Erik serait mort. J'ai agi le plus rapidement que je pouvais avec mes blessures à ce moment-là. Mais encore une fois, ce n'est que ma vision en plein milieu d'une action. Et ma décision consciente à ce moment-là.

Une partie de moi était satisfaite du discours d'Elwynn, parce qu'elle avait conscience de la violence de ses actes pris dans l'urgence de la situation.

Je hochai la tête quand elle m'informa qu'elle considérait l'idée d'aller s'excuser auprès d'Erik pour la brutalité du spectacle qu'elle avait offert, n'ayant rien de plus à ajouter. Si ce n'est que ce n'était peut-être pas le seul qu'elle avait probablement choqué, mais je n'étais là messagère de personne. Tant qu'elle avait déjà conscience de ce qu'elle avait fait, c'était le principal.

Les images des vidéos me revenant en même temps qu'elle parlait, je continuais à hocher la tête. En quelques secondes, tout cela s'était transformé en bain de sang, sans parler de la torture qu'elle avait infligé à cet homme en jouant avec son eau pour le noyer jusqu'à ce qu'il perde connaissance, résistant avec peine à l'envie de le tuer... Les choses auraient probablement été différentes ici si elle était seule. Aurait-elle tué plus facilement ? Ou bien ne l'aurait-elle pas fait du tout...?  

-Je sais que tuer n'est pas difficile pour toi. Mais c'est justement pour ça que ça fait de toi une personne adaptée sur le terrain. Parce que tu as les compétences et l'expérience suffisante pour choisir de le faire ou non.

Et là, tu as choisi de le faire, en te transformant en une bête énorme, de façon impitoyable. Et de mon point de vue, toi plus que plein d'autres, as la capacité de jauger ta force pour mettre hors d'état de nuire quelqu'un sans porter atteinte à sa vie. Je sais qu'elle n'est pas stupide, et qu'elle comprendra le sous-entendu de ces paroles.

-J'apprécie que tu sois capable de reconnaître la violence de la situation, vraiment, et je te remercie pour ça. Maintenant, ma question concerne la suite. Quelles conséquences aura cette mission sur toi, d'après toi ? Qu'envisages-tu pour la suite ?

Est-ce que tu vas réfléchir à ça, et considérer des possibilités où tu agis différemment ? Ou tu ne répètes peut-être pas certaines "erreurs" ?
Cette lutte contre le Centre se fait malgré tout à nos dépens, et nous n'avons pas le choix d'agir. Sauf que l'objectif de Terrae n'est et n'a jamais été de créer ou de renforcer des comportements meurtriers.

J'écoute les mots d'Hideko avec sérieux et je les considère sincèrement. Je hoche lentement la tête. C'est une jolie façon de me dire que je suis utile. Une autre de me dire qu'on me fait confiance pour gérer. Et que sur ce coup-là, c'était limite. Et j'en conviens moi aussi.

Je suppose qu'on attend de moi de faire mieux. J'y compte bien. La question qui suit me laisse silencieuse quelques instants. Je ne quitte pas la directrice des yeux mais je permets sans excuse de prendre un temps de réflexion. Je ne crois pas que sa question soit un piège. Non elle me demande sincèrement les conséquences de mes actes.

Mieux considérer mes actions en fonction de mon équipe. Me préparer mieux. Mieux demander les précisions des priorités. Si la priorité est de sauver les Terraens sans tuer les ennemis, je changerai de tactique, drastiquement. Mais si tuer reste autorisé, je ne garantis pas que le soldat serait sauf. J'aurai pu trouver une autre technique. Peut-être m'engager aussi sur d'autres formes de terrain. Je comprendrai qu'on ne me considère pas adaptée à certaines missions.

La mission aurait été drastiquement différente si nous avions eu l'interdiction de tuer. Pour nous tous. Et nous aurions sûrement perdu plusieurs membres de l'équipe si les possibilités de rappatriement était aussi limitées.

J'imagine aussi que nos conditions de missions vont évoluer. Rapport aux technoligies et aux informations que nous avons pu ramener. Ca aussi, ça influencera sûrement ma façon d'être sur le terrain. Ca ne vaut pas que pour moi j'en conviens mais plus on a d'informations, plus facilement on peut éviter les dégâts chez les ennemis.

En fait, plus on a de contrôle sur eux, pour les épargner et les supprimer. Pour ce qui est de moi : changer encore. Améliorer mes choix. Améliorer mes compétences. Et me préparer encore mieux.

Un mince sourire étira mes lèvres en réponse aux paroles d'Elwynn et je hochai la tête. Il n'y avait pas tant de bonne ou de mauvaise réponse ; ce que j'attendais là n'était que la vérité afin que je puisse envisager l'impact qu'elle pourrait avoir dans d'éventuelles missions à venir. A partir du moment où elle aussi était consciente des conséquences qu'avaient pu avoir ses choix et ses actions, je n'avais pas à la réprimander. La confiance devait être maintenue à Terrae, encore plus dans ces temps troublés par le Centre. La sanction et la punition, avant même d'avoir eu une discussion, n'étaient jamais des solutions fonctionnelles.

-Je te remercie pour ton honnêteté, Elwynn.

Je hochai une nouvelle fois la tête, plutôt par automatisme cette fois-ci que pour signaler que je l'avais bien écoutée.

-Evidemment, je pense aussi que nos conditions de mission vont évoluer. Il s'agissait là d'une... grande première, finalement. A présent, nous sommes davantage renseignés, et nous avons beaucoup plus d'informations pour nous préparer lors de nos affrontements impliquant le Centre.

Je marquai une légère pause avant de reprendre.

-Je te remercie d'avoir accepté de rester. Si tu n'as pas de question, je te libère.

"Je te libère". Quelle tournure de phrase qui continue toujours à me questionner.

Le sourire de la directrice me laisse comprendre qu'elle est satisfaite. Elle me remercie simplement, et je comprends d'autant plus qu'elle me fait confiance. L'avertissement est passé, bien compris pour ma part. Elle a ma position, et nous prenons toutes les deux consciences que les conditions des prochaines missions seront très différentes. Il y aura de nouvelles adaptations à faire, mais je serai prête.

Merci à vous.

Toujours bizarre de vouvoyer la soeur de mon meilleur pote.

Pas de question pour l'instant. J'apprécie la confiance.

Je lâche un léger sourire, sincère malgré tout. Je quitte la pièce avec en tête les excuses que je dois à mes co-équipiers, et la détermination intacte de réussir les prochaines missions.