__–Fiou.
__–Maman me regarde. Regarde la combinaison. Puis Alyona. Claque la langue. La tension est tellement épaisse que respirer devient vraiment difficile.
__–« C’est pas mal. »
__–Ooooooookay. Merci Alyo, tu me sauves. Les potes, quand-même, ça sert, des fois, y’a pas à dire. Alors là, je retourne quand vous voulez sur le champ de bataille, plutôt que de faire des courses de fringues avec ma mère.
__–« Tu en penses quoi ? »
__–Oui non mais c’est vrai que c’est bien, d’avoir mon avis, aussi !
__–« En vrai, j’ai déjà testé des trucs du genre avec Pandora et ça allait à peu près. Ça vaut pas un bon falzar… Mais ça va, ouais. »
__–Non puis bon, la séance habillage avec Pandora s’était conclue par… conclure avec Pandora, déjà, puis que les combis, ça allait. Bon enfin, je peux pas lui dire que plus tard, une séance fringues avec Ariana, qui s’est conclue aussi sur conclure avec Ariana, a débouché sur la conclusion que, quitte à avoir un style, autant assumer à fond celui de meuf qui s’habille en mec et mettre le blouzon de motard, le gros cargo, les chaînes de punk et tout le bordel.
__–Mais bon.
__–C’est pas trop un magasin étudié pour ça et c’est pas trop l’ambiance.
__–« Hé bien ?
__–– … Hé bien ?
__–– Tu vas l’essayer ou tu prends racine ? »
__–Oui bah ok c’est bon j’y vais, rooh. Puis, prendre racine, je peux en plus, assez littéralement.
__–« Ok, à tout de suite. »

__–Sitôt que Luna s’éclipse donc direction les cabines d’essayage, Anita souffle un grand coup et c’est comme si une lourde pression s’est ôtée de ses épaules.
__–« Vous savez, Alyona, ce n’est pas tous les jours facile, d’avoir une fille pareille. Dès qu’elle sortait, qu’elle allait voir tous ces mauvais garçons, je mourrais d’inquiétude pour elle. Et elle est trop de fois revenue amochée. À vingt-six ans, elle a déjà perdu presque deux membres, sans parler de ses autres cicatrices… Ça me tue un peu plus à chaque fois de la voir comme ça… »
__–Elle s’interrompt et regarde Alyona avec un sourire triste et fatigué :
__–« Enfin bon. Prenez soin d’elle, d’accord ? C’est mon unique fille. Elle a besoin de plus de fréquentations sages et gentilles comme vous, pour lui rappeler que ce n’est pas si mal, aussi, d’essayer de rester en vie. »

__–Bon ben voilà je sors et… Bah quoi, ça va pas fort on dirait, c’est pas si moche que ça ma tenue, si ?

La tension est palpable alors qu'Anita observe sa fille, puis la combinaison, puis sa fille de nouveau... Avant de conclure que c'est pas mal. Bon, elle ne respire pas l'enthousiasme non plus, mais c'est déjà mieux que rien, hein ! Et Luna a l'air carrément soulagée - elle accepte même de passer en cabine pour l'essayer, face à l'insistance de sa mère. La brune disparaît rapidement en nous laissant seules, Anita et moi. La femme soupire, avant de me faire une sorte de... Confession, un peu inattendue.

"Oh, je- je ne savais pas... Luna ne m'a pas beaucoup parlé de sa vie ici, de ce qu'elle a fait avant Terrae."

A part ses fameux steaks de crocodile là... Mais je ne sais même pas ce qui est arrivé à son bras, par exemple - et je n'ai clairement jamais osé lui poser la question de front, il y a certains mauvais souvenirs dont on n'a pas forcément envie de se rappeler, hein. D'ailleurs, ça m'avait pas mal surprise que Luna propose de rendre visite à sa famille, quand je lui ai parlé de prendre des vacances toutes les deux. Mais je suis contente de découvrir cette partie d'elle - et de découvrir sa maman, qui a l'air d'une femme très chouette. Et qui s'inquiète visiblement beaucoup pour elle. Je lui souris doucement en prenant sa main dans la mienne, et serre un peu ses doigts.

"Luna a beaucoup d'amis sages, à Terrae, et on prend tous soin les uns des autres... Mais vous savez, elle est quand même plutôt... Responsable, hein. Surtout depuis qu'elle a repris le bar, je pense que ça lui a fait du bien, d'avoir des responsabilités."

D'avoir autre chose à faire de son temps que simplement glander et fumer. Le seul problème de prendre ses responsabilités, c'est que Luna a décidé des les prendre à fond, allant jusqu'à participer aux missions face au Centre, avec les conséquences que tout ça a eu... Mais les choses sont redevenues plus calmes, maintenant, et j'espère que ça va durer. Je lâche la main d'Anita alors que mon amie sort de la cabine d'essayage en nous lançant un regard un peu sceptique. Je retrouve un large sourire en sautillant jusqu'à ses côtés.

"Oooh wahhhww ça te va trop bien ! T'as l'air d'une vraie business-woman super sérieuse comme ça ! Il manque plus que des chaussures un peu classes, et ce serait parfait hihi !!"

Bon, il faudrait aussi faire quelque chose pour ses cheveux, sans doute - mais on ne va peut-être pas abuser non plus, pour le moment, améliorer sa garde-robe sera suffisant.

__–Maman a un sourire soulagé quand elle regarde Alyona. Hm. Hm mm. C’est pas du tout suspect ça, y’a pas de problèmes. En attendant, la tenue marche bien, Alyona sautille sur place un peu plus que d’habitude en me voyant.
__–« Hé ben super, ça me fera un truc un peu habillé ouais, pour quand j’ai des réunions un peu sérieuses et tout… Ah oui, les pompes, alors. Tant qu’il y a pas de talons, ça me va. »
__–Et ça limite pas mal aussi le choix. Grosso-modo, à des sandales ou des espèces de baskets ou de choses comme ça. Les grosse bottines d’hiver, c’est pas en région équatoriale qu’on va en trouver. J’opte pour le second choix. Et puis, il n’y a plus qu’à suivre Alyona pendant qu’elle fait les courses. Et c’est là que ça devient pratique d’être titanide, c’est que même avec une seule main et une seule jambe encore valables, je peux tout porter sans effort.
__–Ah, si.
__–« Comme on est là, Alyona, ça te botte d’aller acheter des maillots ? Non parce que, quitte à être là, autant choper du beau gosse, hein ? »
__–Et oui devant ma mère, elle sait très bien que la moitié de Manaus est passée dans mon pieu, voire sur son canap’, ça va. Elle roule quand-même des yeux pour la forme.
__–En tout cas, je pars sur un bikini vert. (Si Alyona prend du bleu, ça va vraiment faire cliché terraen qui s’habille aux couleurs de sa maison, mais vu que personne d’autre que nous deux comprendra, on pourra y survivre. Et bleu ça lui irait super bien.)
__–Après, soyons clairs, blanche comme elle est et totalement épilée, ça va être une concurrence particulièrement rude sur le terrain.

__–Sur ce, direction la voiture, après avoir acheté assez de sapes pour qu’Alyona puisse tenir plusieurs jours tranquille, puis direction la plage ! Quand on y est, elle remarque vite qu’on va dans un coin plus… plus privé. Dans le sens, un peu à l’écart de tout le monde, avec trois loubards qui regardent dans toutes les directions que personne essaye de devenir calife à la place du calife pendant que papy se mouille les arpions avec sa petite famille.
__–Enfin, on n’a que quelques minutes à pied pour arriver aux coins à touristes. Papy, mon père et les gardes sont déjà sur le sable. Et évidemment, les deux hommes bouquinent, ce qui attire aussitôt les foudres de maman :
__–« Voyons, chéri, tu n’aurais pas révélé tes abdominaux pour aucune raison, si ? »
__–Oui parce que, truc à dire, mon père est une armoire à glace taillée dans le marbre. Et papy, au calme en bermuda torse nu, a de très bons restes aussi. Pendant que papa bredouille un truc, papy nous fait coucou et nous invite à venir.
__–« Ahh, les filles, vous êtes magnifiques. C’est bien, c’est bien. si vous voulez boire ou manger quelque chose, on a pris un pique-nique, la glacière est là. N’hésitez pas à demander à Esteban, Evandro ou Luis de vous accompagner, d’accord ? »
__–Luis, c’est un Noir d’un mètre 95 avec un revolver à la ceinture et un stetson sur la tête. Il est descendant d’esclaves qui ont appartenu à des Confederados et a une photo de Sherman toujours sur lui, dans son blouson en cuir. C’est un vrai petit rigolo, même si on dirait pas comme ça.