Gabriel en avait eu marre de ce voyage. Devoir rester assis pendant plusieurs heures n’était pas son point fort étant donné qu’il était presque constamment à la limite de l’hyperactivité. Mais son frère était avec lui, c’est ce qui lui importait. Oui, il ne pouvait presque jamais se séparer de son frère jumeau. De grandes cernes s’étaient dessinée sur son visage, il n’avait pas pu dormir et il avait été anxieux tout le long du voyage à cause de sa claustrophobie. Et puis il y avait tout de même 9 heures de décalage horaire entre l’Angleterre et le Japon. Et c’est le genre de choses auxquelles il à du mal à s’habituer. Il espérait aussi qu’il pourrait suivre quelques cours, ça lui manquait depuis le temps, malgré son âge. Même si c’est le genre d’endroit qui grouille de monde et où le bruit et quasi constamment présent. Le Master, c’est comme ça qu’ils sont appelés apparemment ici, les avait laissés tous les deux devant le portail en leur assurant que quelqu’un viendrais à leur rencontre. Mais après, rien n’était sûr, peut-être bien que personne ne viendrais et qu’ils devraient tous les deux se débrouiller seuls. Il était stressé par ce nouvel environnement, il n’avait jamais quitté son pays. Alors se retrouver dans ce genre d’endroit le faisait complètement délirer. Mais là encore, heureusement que son frère était là. Il n’avait pas cessé de lui tenir la main pendant toutes les heures de vol pour arriver ici, et il le tenait toujours. Il refusait absolument d’être éloigné de lui dans cet endroit, sauf si il était d’accord. Il lui demanda avec une voix légèrement tremblante :

-Tu crois vraiment que quelqu’un va venir ? Ça fait un moment déjà qu’on attend… Je commence à être fatigué.

Il avait quand même dû porter seul ses valises qui faisaient tout de même un bon poids, en plus de ses deux guitares qui avaient chacune une place sur son dos. Il posait toutes ses affaires contre le muret qui se trouvait proche du grand portail. D’ailleurs ce portail lui faisait froid dans le dos, il lui rappelait trop celui qui permettait d’entrer dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique de Londres. Il eut quelques frissons en y repensant. Ça lui rappelait trop ces moments passés à devoir prendre des tas de médicaments pour soi-disant aller mieux, alors que ça n’avait aucun effet sur lui. Non, tout ce dont il aurait eu besoin, ce serait son frère et sa mère. Et sa mère lui manquait beaucoup. Elle était morte à cause de lui, mais indirectement. C’était plutôt de la faute aux médecins qui l’avaient interné. Si il le pouvait, il les aurait tués ces médecins, parce qu’ils avaient tué celle qu’il aimait le plus au monde. Il sentait que l’Angleterre et tous ses amis allaient lui manquer, en même temps il avait à peine pu leur dire au revoir. Il faut avouer qu’il avait versé une petite larme quand il les avait tous quittés. Vous vous imaginez en train de prendre l’avion puis le train pour ne pas savoir quand vous allez retrouver vos amis ? Si vous les retrouvez un jour… Enfin, il espérait au moins avoir une existence tranquille ici, sans devoir un jour retrouver les couloirs d’un de ces maudits hôpitaux pour les fous. Ce qui pouvait bien se sentir, mais seulement quand on était au courant de son état, c’est que sa schizophrénie l’insupportait au plus haut point. En même temps, je doute fort qu’être dans cet état soit de tout repos. Qui trouverait un problème psychologique assez grave reposant ? Surement pas lui. Pour lui, la chose la plus reposante restait la compagnie de son frère et de ses amis. D’ailleurs, heureusement pour lui que son frère l’avait accompagné.

Trêve de bavardages inutiles. Donc, pour résumer, il se trouvait devant un grand portail, en compagnie de son frère, avec toutes ses affaires posées contre un muret. Il profitait que ce muret soit plutôt bas pour s’asseoir dessus. Froid. Ce muret était même carrément gelé, ce qui n’était pas étonnant puisqu’ils étaient encore en hiver. Il avait fait une petite grimace en s’asseyant et soupirait après s’être habitué à la fraicheur sur laquelle il était assis. Il sortit son briquet et un paquet de cigarette, en allumait une et la fumait en souriant. Ah, la cigarette, un autre des moyens qui lui permettait de ne pas craquer. Ça le réchauffait, le fait d’avoir quelque chose qui brûle non loin de sa bouche. Il hésitait à prendre sa guitare acoustique et à jouer un morceau. Mais finalement, il la prit pour faire quelques accords. Il avait trop froid aux mains pour pouvoir entamer un morceau, après peut-être que si il rentrait il pourrait en jouer. Une fois ses accords terminés, il regarda son frère et lui dit en souriant :

-A ton avis, les gens sont sympas ou pas ici ? En tout cas ils doivent être frileux pour ne pas sortir, ou alors ils sont en cours.

Même si il avait mis une bonne veste, une écharpe et des gants, il avait froid lui aussi. Il aurait même bien voulu aller en cours rien que pour être au chaud à l’intérieur. D’ailleurs il comptait bien les reprendre ici les cours, contrairement à la plupart des jeunes adultes de son âge, ça lui manquait de ne plus aller dans ces salles où les gens apprenaient des choses. Surement à cause de sa maladie. Encore, et toujours cette maladie psychologique qui le ronge de l’intérieur, qui lui ruine sa vie et qui fait souffrir son entourage autant que lui. Finissant sa cigarette, il se leva, fit les cents pas, et attendit une ou deux minutes avant d’en rallumer une autre. Il commençait à perdre patiente. Attendre n’était pas son fort, encore moins quand il devait supporter le froid. Après ils auraient pu rentrer dans l’établissement, mais Gabriel ne savait pas comment était cet endroit, il appréhendait le regard des autres. Et puis il préférait aussi que quelqu’un vienne les voir. Et puis il se demanda si il il y avait vraiment une gentille âme pour venir à la rencontre des deux frères.

Cela devait faire un assez long moment que les deux frères attendaient devant le portail, presque une heure, voir plus. Gabriel grillait cigarette sur cigarette, toujours en soufflant la fumée vers le ciel. Il s’amusait à chaque fois, il essayait de faire de petits cercles avec cette substance gazeuse qui formait une petite brume juste au dessus de sa tête. Il la chassait rapidement en soufflant un grand coup et se remit à fumer normalement. Il pensait à la vie qu’il venait de quitter, son pays, ses amis. Sa famille était avec lui, ou alors dans ses souvenirs. Il se perdit dans ses pensées. La cigarette à la bouche et les mains dans les poches, il repensait à son passé. Ses amis, qu’il avait quitté en faisant des adieux précipités, l’hôpital, qu’il était plus qu’heureux de quitter. Il rouvrit les yeux après quelques minutes et regardait son frère. Qui semblait d’ailleurs sur le point de tomber à cause de ses tremblements. Ses lèvres violettes donnaient froid dans le dos. On aurait même pu croire qu’il s’était plongé dans un bac de glaçons. Et c’est en partant d’une bonne intention que Gabriel lui dit en tendant le paquet de cigarettes :

-Prends-en une, ça te réchauffera.

Mais il retira vite le paquet. Son frère ne fumait pas, il n’avait aucun problème de santé… Pour lui c’était un modèle, mais il ne le suivait pas. De toute façon, il ne pouvait rien contre sa schizophrénie et il s’était déjà habitué à l’arôme et l’émanation de fumée envoutante de la cigarette. D’ailleurs, il comptait bien s’arrêter à celle-là pour aujourd’hui. Si il ne pouvait pas aller en racheter du week-end, il aurait épuisé tout son stock. Surtout qu’il n’était pas sût de trouver la même marque que celle qu’il achetait en Angleterre. Donc il rangea son paquet presque vide dans son sac avec tous les autres. Et en attendant, il enfouissait son nez dans son écharpe, autant pour se protéger le visage du froid qui l’assaillait que pour sentir cette odeur de tabac. Quelques instants après, il vit une petite silhouette s’avancer vers eux.

Ça se voyait que c’était une jeune fille. Déjà par son petit corps, mais aussi par ses cheveux assez longs. Elle s’avançait bien dans leur direction. Gabriel la regardait avec un petit sourire. Enfin quelqu’un qui venait les voir ! Et puis, la petite inconnue tenait quelque chose dans ses mains. Une fois qu’elle était en face d’eux, il se leva et remarqua qu’elle était bien plus petite que lui. Lorsqu’elle lui tendit un gobelet rempli d’un liquide fumant en lui demandant si il en voulait, il lui dit :

-Merci beaucoup, mais tu n’étais pas obligée tu sais. Mais en tout cas merci.

Il avait fini sa phrase en souriant. Il attrapa doucement le gobelet et sentait l’odeur qu’il dégageait. Chocolat chaud. Encore une chose qui lui rappelait de bons souvenirs. Il avait presque la même odeur chocolatée que celui qu’il se faisait les dimanches en hiver. Les feus de cheminée, les après-midi passés à composer avec son frère. Un goût auquel il était accro, comme pour la cigarette. Sauf que là, on ne pouvait pas tellement parler de drogue, c’était plus une envie à laquelle il devait automatiquement se soumettre. Et il n’était jamais contre. Il commença à boire une petite gorgée, et fit une grimace à cause de la chaleur décidément trop forte du chocolat chaud. Et puis la jeune fille dit son prénom.

Elle s’appelait Amanda. C’était un joli nom. Et puis ça lui faisait penser aux amandes, il en raffolait. Et puis elle leur avait ensuite demandé si elle pouvait les aider. De l’aide, c’est bien de ça qu’ils avaient besoin. Leur vie n’en dépendait pas, mais au moins ça leur permettrait d’être moins perdus. Après, ils n’allaient surement pas lui demander de les aider à porter leurs affaires, parce que premièrement, elle était probablement très jeune, et deuxièmement, ce sont les hommes qui doivent porter les valises. Alors il lui dit d’un ton doux et calme :

-Je m’appelle Gabriel. Et lui c’est mon frère, Raphael. Si tu pouvais nous accompagner à l’intérieur ce serait super sympa. On crève de froid dehors.

Lorsque son frère pris la parole, il le regardait. D’habitude, il avait tendance à s’éloigner le plus possible des filles, mais celle-là semblait inoffensive. Et puis toutes les filles n’étaient pas des brutes, certaines étaient très sensibles et douces. Raphael avait demandé à Amanda si elle savait pourquoi personne n’était venu. Et elle répondit qu’elle n’était là que depuis peu de temps et donc elle ne connaissait pas le comportement des autres élèves. Et si elle était sortie, c’est parce qu’elle ne supportait pas le chauffage des bâtiments, ce qui paru bizarre à Gabriel. Par ce temps là, qui ne supporterait pas de se mettre contre un radiateur allumé au maximum ? Enfin, peut-être qu’elle venait d’un pays nordique. Et puis elle était gentille de leur avoir apporté des chocolats chauds alors qu’elle ne les connaissait pas.

Elle leur indiquait le bâtiment qui se trouvait derrière elle et leur dit que le hall était là-bas. Et surtout, qu’ils allaient s’y réchauffer rapidement. Tant mieux, Gabriel était presque congelé à cause du froid. Quand Amanda se mit en route vers le bâtiment, Gabriel attrapa ses valises et mit ses guitares sur son dos avant de la suivre, tout en veillant à ce que son frère fasse la route avec eux. Le chemin pour aller dans le hall lui paru long tellement ses affaires étaient lourdes, mais il arriva quand même à passer la porte d’entrée. Dès qu’il pénétra dans le hall, ce fut comme si une immense vague de chaleur s’était abattu sur lui. Amanda avait raison, la chaleur ambiante de la pièce allait presque les faire cuire. Enfin, c’est une métaphore. Il s’avança dans la pièce et posa ses affaires contre un mur. Il trouva un banc près d’un radiateur où il s’assit en souriant. La chaleur, il adorait ça. Il n’avait jamais vraiment pu s’habituer au climat assez froid d’Angleterre, alors quand il neigeait, c’était vraiment pire. Il enleva ses gants et son écharpe qu’il mit dans son sac. Ses mains étaient rouges tellement le froid était passé au travers de ses gants, et puis le fait d’avoir accordé sa guitare n’avait pas arrangé les choses. Il dit en souriant à Amanda :

-Tu avais raison, on se réchauffe vite à l’intérieur ! Il fait bon ici, ça fait du bien…

Il devait faire une tête assez idiote avec son sourire d’enfant et ses yeux à moitié fermés. Mais il avait retrouvé la bonne vieille chaleur de son ami le radiateur alors il comptait bien en profiter… Si bien qu’il était presque collé à celui qui était à côté de lui.