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La pluie s'abat dans mon coeur... [RP solo]
##   Mar 28 Mai 2013 - 16:14
Aaron Williams

Personnage ~
► Âge : 34. (apparence 29 ans)
► Doubles-comptes ? : Aoi, Ariana, Misao, Lola
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Aaron Williams
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Humeur : Aha ! ... Attendez, c'était une vraie question ?

... et une tempête ravage mon âme

Fond sonore~:


Je contemple un instant le sac que je viens de remplir avec quelques affaires de rechange, un sentiment de malaise me prenant la gorge. La douleur voile mes iris carmin, et je ne parviens qu'à grand peine à reprendre un visage calme et assuré. Il m'a déjà été suffisamment difficile de demander à Hideko l'autorisation de partir pendant plusieurs jours – je ne peux pas, à présent, lui faire comprendre à quel point cette sortie me mine le moral depuis plusieurs jours. À cette pensée, ma main sur crispe sur la crosse de mon flingue – et je me mords la lèvre avec force. Je ne suis même pas sûr de parvenir à Boston avec la totalité de ma raison.
Ça fait un moment que j'y pense ; partir là-bas. Pas vraiment un rituel, ni même un pèlerinage ; je cherche simplement des réponses à mes trop nombreuses questions. Pourquoi avait-on tué Diana ? Est-ce bien lui qui a commandité son meurtre ? Tout porte à le croire. Mais ce n'est pas ça qui m'intéresse le plus. Peu importe ce qu'il s'est déroulé par le passé, il paiera. Il paiera pour elle, pour Damian, pour moi ; pour tous ceux à qui il a un jour souhaité faire du mal.
Il paiera.

Le temps passe à une vitesse vertigineuse ; et j'ai encore tellement de choses à accomplir. À régler. Il est temps que je grandisse, que je raye une bonne fois pour toute ce passé ignoble qui continue à me hanter nuit et jour. J'aime pas me plaindre, mais j'ai vraiment eu une vie de merde, ça y a pas photo. Vous voulez que je vous dise quoi, au juste ? Que ma mère me haïssait, trop perdue dans ses délires psychotiques ? Que son mari, mon père, ne l'était pas ? Que mon père biologique, ce traître à sa patrie, avait assassiné ma sœur cadette ? Que je me faisais mettre sur la gueule par eux trois lorsque je ne faisais pas ce qu'ils attendaient de moi ? Que la seule personne capable de me voir autrement que comme un sale gosse bipolaire, à moitié muet et foutu d'avance s'est aussi fait buter ? Sérieusement, vous voulez que je vous dise quoi ?
J'ai essayé d'oublier. J'ai sincèrement essayé d'oublier la douleur, la solitude et le désespoir. Je suis devenue une personne exécrable, incapable de se supporter elle-même. Au nom de quoi ? D'un mec qui débarque, quinze ans après avoir abandonné ma mère, pour m'annoncer qu'il est mon père et que tout ce en quoi je croyais était du vent. Et je peux vous assurer que je croyais pas en grand chose. La seule information que mon cerveau arrivait à traiter, c'était le mot « survie », et ce que ça impliquait. À savoir le fait qu'il fallait apprendre à courir vite pour pas se faire balancer du haut d'un pont, éviter des assiettes volantes, hurler à l'aide quand votre pédopsychiatre se révélait être un véritable pédophile et développer un minimum de résistance mentale à la douleur. Ça a plutôt bien marché – mais c'est pas pour autant que le résultat a donné quelque chose de suffisamment humain pour que je puisse être considéré comme tel.
Au moins, je suis toujours en vie, c'est déjà ça de gagné.

Je balance le pistolet sur le canapé d'un mouvement brusque, puis attrape la serviette posée sur mes épaules afin de me sécher les cheveux. En me dirigeant d'un pas lourd jusqu'à la salle de bain, je prends soin de ne pas me cogner à tous les meubles que je rencontre, histoire de préserver mes pauvres orteils. J'atterris devant la glace après avoir étendu la serviette et attrape une brosse pour... me coiffer. Évidemment. Je vais pas me mettre à chanter du Mylène Farmer avec, c'est pas trop à ça que ça sert. Mes yeux rencontrent leur reflet dans le miroir, et mon regard s'assombrit subitement. Mes cheveux sont tirés vers l'arrière, encore un peu humides, et je ne peux m'empêcher de trouver une certaine ressemblance avec mon géniteur. Je m'empresse de passer une main entre mes mèches sombres pour les ébouriffer et me faire ressembler un peu plus à... moi. Enfin, à un hérisson, pour le moment, mais soit.
Mes paupières s'abaissent, et je prends une longue inspiration pour me calmer. Ça sert à rien de se mettre dans des états pareils dès maintenant. Attendons au moins d'être arrivé sur place pour péter une durite, ça sera toujours mieux que d'exploser son propre appartement et une partie de la ville dans le même mouvement.
Après quelques secondes à reprendre un état d'esprit plus serein, je retourne dans ma chambre, et m'approche de ma table de chevet. Un seul tiroir, où ne se trouve qu'un simple coffret, de taille moyenne, renfermant mes trésors les plus précieux. Un couteau à cran d'arrêt, une photo, une bague.
Le couteau est un cadeau de Damian, pour mes dix-sept ans. Je le gardais généralement sur moi, mais à partir du moment où j'ai eu mes pouvoirs, j'en ai plus tellement eu besoin. Je le garde quand même, pour la valeur symbolique. Il m'a permis de me sortir de sacrées emmerdes par le passé et je tiens à le garder sur moi.
La photo, c'est un peu une photo de famille. Celle que j'avais, que je voulais garder, et que je souhaiterais avoir, encore aujourd'hui. Les jumelles au premier plan, assises sur le canapé, Malorie et Isa à côté d'elles, souriantes comme à l'accoutumée, et derrière, Jeremy, Damian et moi. Le trio inséparable des abrutis, apprentis gamers à nos temps perdus, qui sourions comme si nous n'allions jamais nous éloigner l'un des autres. À côté de moi, un peu à part tout de même, Ben, qui a réussi à me rendre le sourire lorsque je croyais l'avoir définitivement perdu. Jérémie et Isabel, je sais qu'ils sont partis vivre loin de Boston, mais où j'en ai pas la moindre idée. Ils sont mariés, d'ailleurs, je crois bien. Ben, lui, est à New-York, et Malorie, je crois que c'est la seule à être restée sur place. Après la mort de Damian et Diana, tout s'est effondré. Damian, c'était un peu le ciment du groupe, autour de qui gravitait tout ce beau monde. Même si Ben et lui se supportaient pas...
La bague. Le dernier objet que j'ai reçu de la part de Damian, pour notre mise en couple. Ouaip, mise en couple, c'est pas une hallucination. J'ai toujours préféré les nanas, et avoir une famille, c'est mon rêve, mais il m'était indispensable. Il l'est toujours. Après sa mort, la porter était trop dur ; j'arrivais pas à tenir le coup, et je partais en dépression à chaque fois que je la voyais. Du coup, je l'ai foutue au placard et j'y ai plus touché jusqu'à aujourd'hui. Sa jumelle est autour de mon cou, accrochée à une chaîne comme un pendentif que je garde jalousement caché des autres. La clé de mon cœur, probablement. C'était la sienne, vous vous en doutez. Il l'avait oubliée à chez nous, avant de... partir. Je le soupçonne de l'y avoir laissée délibérément – c'est tout à fait le genre de truc qu'il était capable de faire, avec un de ses petits sourires mystérieux qui avaient le don de me faire piquer une crise de nerfs.
J'attrape la bague du bout des doigts, précautionneusement, puis la mets. J'irais pas jusqu'à dire que ça fait du bien de la porter, mais sentir le large anneau enserrer mon index me rends aussi mélancolique que serein.
C'est étrange...

Je relève les yeux, et mon regard se perd dans la contemplation du ciel, au dehors. Le jour se lève à peine, avec une lenteur toute factice ; les nuages sont éclaircis de rose, d’orange et de jaune et forment de longues traînées cotonneuses qui s’étirent sans brusquerie. Le sentiment de sérénité offert par ce paysage aux allures idylliques ne parvient pourtant pas à me toucher, et mes iris redeviennent durs et sans la moindre émotion. Un sourire s’étire sur mes lèvres, pâle, vide.
Le néant.
Ma vision est troublée par la lumière de plus en plus vive et éclatante ; cependant, je ne bouge pas, comme emprisonné dans mes pensées qui vagabondent sans cesse, à des lieues et des lieues d’ici, en m’enfonçant de plus en plus dans mon passé. Si je le pouvais, je n’irais pas là-bas ; mais il y a un moment où les choses doivent être réglées. Être en harmonie avec moi-même, pour une fois, ce ne serait pas du luxe.
Et puis, je ne suis jamais retourné sur la tombe de Diana, depuis le temps. C’est vrai que ça remonte ; cinq ans… Non, six ? Six, je crois bien. J’oublie. J’oublie à chaque fois, et je crois que c’est mieux comme ça ; au moins, je me détruis pas plus encore. C’est tout à fait mon genre, mais parfois, faut savoir aller de l’avant. Et pour ça, je suis contraint de régler cette histoire, une bonne fois pour toute.
Le soleil est levé. L’heure est venue de partir.
J’enfile ma veste, empoigne mon sac ; mon flingue est coincé sous ma ceinture, caché par les pans de tissus qui me tombent sur les hanches. Je ne veux pas partir. Ça n’a pourtant jamais été aussi difficile, de quitter Terrae ; pour quelques temps. Quelques jours, quelques heures, peu importe ; la seule chose à savoir est que je ne remettrais pas les pieds ici avant d’être en paix avec moi-même.
Vivre cloîtré dans le passé, ou avec une perspective d’avenir. Il faut faire un choix, et je l’ai fait. J’aurais probablement dû prendre cette décision bien plus tôt, mais qu’est-ce que j’y peux ? Plusieurs fois, on m’a dit que tout était déjà fait, qu’on n’y pouvait plus rien. Pourtant, tout est encore à faire. J’en suis parfaitement convaincu.
Comme pour me le prouver à moi-même, je hoche la tête. Je suis conscient de ce que je fais, et de ce que je risque en repartant à Boston. À cette pensée, j’ai un nouveau sourire triste.
Seul le silence me répond.





Aaron vit en #E5882A.
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Dernière édition par Aaron Williams le Lun 31 Mar 2014 - 16:54, édité 8 fois
##   Mer 12 Juin 2013 - 13:58
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... et brouille jusqu'à ma raison

Fond sonore~:

À destination, le jour n'a même pas encore commencé à décliner et nous sommes en fin d'après-midi. Le temps est maussade, tout comme mon humeur ; Boston baigne sous la pluie. Je tourne délicatement le cristal de téléportation que m'a confié Emmy entre mes doigts déjà frigorifiés. Je ne sais pas ce que j'aurais pu faire, sans elle ; par ailleurs, je ne suis pas certain qu'elle sache la raison de mon départ si soudain. Hideko non plus, à vrai dire. Elles sont au courant que je me suis absenté, mais voilà ; ça ne va pas plus loin. Quoi qu’Hideko doit sûrement s'en douter, pourtant ; elle me connaît mieux que personne.
Je ne sais pas.

Revoir ces bâtiments familiers m'emplit d'une nostalgie sans précédents. Je me laisse aller à la méditation tandis que j'admire les immeubles sans pouvoir détacher mon regard, collé à leur façade. Quelques rayons de soleil se reflètent contre leurs fenêtres, mais ce n'est pas suffisant pour m'éblouir. Je reste enfermé dans les ténèbres.
Mon crâne est pris dans un étau de plus en plus douloureux.
Mes pas me guident inconsciemment. Pour tout un chacun, je dois avoir l'air d'un ivrogne, titubant légèrement, l'air presque hébété. Je me laisse idiotement tremper par la pluie, en sachant pertinemment que je ne réussirais qu'à me rendre malade, sans pourtant effacer la peine qui me ronge. Cauchemar onirique. Rêve nostalgique.
Le ciel est gris terne, mais me brûle peu à peu les yeux – clair, trop clair. Je pleure sans le savoir, mes larmes se mélangent à l'averse ; tout se confond, rien n'est distinct, trop trouble, vide, vide, vide.
Vide...
Pour un peu, je me serai laissé tomber au sol pour sangloter. Peut-être que mon ancien moi l'aurait fait – cet enfant, ce gosse de 19 ans, trop petit, trop seul, trop éploré, trop perdu dans sa douleur pour penser aux autres. Pour penser à ceux qui comptaient. Ceux qui restaient. Cassidy.
J'étais un monstre. J'ai décidé de ne plus l'être. Je ne pleurerai pas, ne me laisserai plus aller à l’angoisse ; c’est ce que je souhaite ; c’est pour ça que je suis ici.
À présent ce sera comme ça, et pas autrement.

J’arrive en vue du cimetière ; endroit désert, battu par la pluie. Personne n’est assez fou pour s’y aventurer. La foule de parapluies sombres s’éloigne alors que j’y pénètre, juste assez lentement pour avoir le temps de le détailler. Des tombes. Partout. Des noms, des dates, des mots d’adieu ; quelques pots de fleurs sont vaincus par les intempéries, jetés au sol par le vent audacieux. Tout est gris, tout est pâle et terne ; pas la moindre lueur de vie à l’horizon, pas le moindre souffle indiquant une quelconque présence.
Le néant.
Le silence.
Je me repère difficilement, ne sait pas par où aller pour trouver ce que je recherche. Je passe longuement entre les allées, observe les cadres de photo aussi trempés que moi à la recherche d’un visage connu. Six ans. Six ans, et j’ai oublié. Je ne sais pas si c’est mal, si c’est bien ; mon cœur me dicte de ne pas y faire attention, mais ma tête ne suit pas le mouvement. Je repense encore au passé. À ces belles journées où nous étions tous ensemble. La fragilité de ces instants leur conférait une importance irréfutable.
Ma démarche est à nouveau claudicante, irrégulière ; le sol transformé en terrain légèrement boueux manque de me faire glisser à plusieurs reprises. Aucun de mes gestes n’est maîtrisé. Je commence à me dire que venir ici était l’idée la plus stupide que j’ai eue au cours de ma vie. Bon, peut-être la troisième, ou la quatrième. Mais pas beaucoup plus.
Je m’oblige à calmer ma respiration, à ne pas céder à la panique. Ah. Je me souviens, finalement. Ce devait être par là-bas.
Nouvelle inspiration, je m’approche, contemple la pierre sans produire le moindre son. Mon souffle s’est coupé, et je n’arrive plus qu’à la fixer de mes yeux inanimés. Je ne suis pas sûr de ressentir la moindre émotion en cet instant ; tout est néant, froid et mort.
Un pâle sourire étire mes lèvres, que je ne contrôle pas ; sourire sans enthousiasme, sans passion, sans affection. Un sourire creux, comme ma poitrine douloureuse.

– Diana Williams, je murmure sans m’en rendre compte.

Ma sœur.

– Je suis tellement désolé.

Un sanglot me prend violemment à la gorge et secoue brusquement mes épaules, alors même qu’une envie irrésistible de vomir se fait ressentir. Le nœud de mon estomac se resserre ; mais je me retiens de toutes mes forces pour ne pas succomber à la tentation. Ne pas se laisser aller, rester résolu et, surtout, rester serein. Je n’arriverai à rien autrement. À rien du tout.
Je reste planté là un moment ; quelques minutes ou plusieurs heures, qu’importe ? Rien ne change, tout est identique. Le même cauchemar, partout.
Autour de moi, le vent ne s’est pas calmé, et une puissante bourrasque me tire de mes pensées. Je ne suis pas là pour ça. J’ai encore des choses à faire – tant de choses !... Je ne sais pas si j’aurais la force d’y parvenir dans l’immédiat.
Je fais demi-tour, le cœur au bord des lèvres, le teint cireux et le visage plus fatigué que jamais. Mon sac, accroché à mon épaule, se fait plus lourd qu’auparavant, et je me traîne presque afin de sortir de ce lieu funèbre. Je me force à ne pas regarder en arrière, à passer sans regarder devant la tombe de ma mère ; j’ai envie de la haïr, mais je ne peux pas. Pourtant, si je me retourne, j’aurais perdu. Je saurais définitivement que je ne peux rien faire afin de sauver le peu de lumière en moi.
C’est égoïste, mais je souhaite encore sourire, vivre ma vie comme je l’entends, sans avoir besoin de mesurer mes propres pensées, de me dire si elles sont bonnes pour moi ou si elles risquent de me plonger dans la dépression. Rester en vie était mon objectif principal. À présent, si je le peux, j’aimerais pouvoir rester en vie et pouvoir sourire à nouveau, réaliser mes rêves. Me laisser aller à l’amour sans remords et à la joie sans peine. Ne plus être seul, profiter, aider les autres et leur demander en toute sincérité de rester avec moi. De ne plus m’abandonner. Je ne sais pas si je le mérite ; peut-être pas réellement. Mais je souhaiterais, moi aussi, y avoir droit un jour.

Je quitte la nécropole, un malaise grandissant dans mon cœur. Un pas de plus vers la libération, mais qui m’ajoute un mal supplémentaire. Est-ce que c’est ça, le prix à payer pour s’évader de sa vie de servitude ? Mais servitude envers quoi ? Soi-même ? C’est insensé.
J’inspire, j’expire. L’air glacé me brûle les poumons – chose étrange que je n’ai jamais comprise. Je sors lentement de ma torpeur, chasse toute trace de peur qui subsisterait encore, puis j’avance. Cette fois, mes pas sont calmes, mesurés, mais emplis d’une ardente détermination. J’avance vers mon but sans reculer, sans me stopper, les yeux fixés vers l’horizon. Je ne faiblirai pas, cette fois.
Arrivé en vue d’un immeuble un peu défraîchi puisqu’ancien, je m’arrête. Je franchis le seuil et atterris dans le hall, comme je le faisais chaque jour il y a plus de cinq ans à présent. Une vieille habitude, inscrite au plus profond de moi-même. Je continue ma marche, passe devant le premier appartement du deuxième étage. Je sonne ensuite à la porte avec une confiance feinte, et étire un sourire lorsque celle-ci s’ouvre sur une femme plutôt âgée, coiffée d’un chignon desserré. C’est la propriétaire de notre appartement, mais aussi l’une de nos voisines de palier.

– Bonjour jeune homme. Je peux faire quelque chose pour vous ?

Elle semble se demander pourquoi quelqu’un viendrait la déranger à une telle heure. Elle n’a pas changé, depuis le temps ; toujours aussi droite, avec la même lueur bienveillante dans le regard.

– Bonjour madame Parks, je la salue en hochant légèrement la tête. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi. Je suis Aaron Williams.

Ses sourcils se soulèvent un instant, et elle réajuste ses lunettes sur son nez comme pour y voir plus clair. Cette fois, je perçois une lueur de reconnaissance dans son regard, et elle met ses mains devant ses lèvres, stupéfaite.

– Ça alors !... Aaron, tu as tellement grandi ! Je pensais... On pensait que...

Un sourire discret étire mes lèvres.

– Eh bien, je suis toujours en vie, oui. Je venais vous voir pour vous demander ce que vous comptiez faire de l'appartement. Puisque Cassidy est partie, je me doute que vous avez dû le proposer à nouveau à la location. En réalité, je souhaite le racheter, si c'est encore possible.
– Oh, souffle-t-elle, gênée. Bien entendu, oui. Tu comprends cependant qu’il me faudra un peu de temps pour réunir la paperasse administrative, et tout le reste… Oh, entre donc, entre donc !
– Bien entendu, je lui souris toujours, tâchant de maîtriser les battements précipités de mon cœur. Si je peux faire quoi que ce soit…

Je pénètre chez elle, remarque la dizaine de bibelots qui prennent la poussière sur les étagères du couloir menant au salon. Je la suis jusque là-bas, et elle m’invite à m’asseoir sur le canapé à ses côtés.

– Ne t’en fait pas, Aaron. Je suis  contente que tu reviennes ici, même après tout ce temps. Je pensais ne jamais avoir l’occasion de te revoir, argumente la vieille femme en secouant légèrement la tête, pensive. Pense à donner de tes nouvelles de temps à autres à la petite Malorie ; elle était très inquiète après ton départ brusque… Tout le monde a pensé que tu avais souhaité en finir. Avec tout ce qu’il s’était produit cette année…
– Non, bien sûr que non.

Ma mâchoire se crispe quelque peu, et je retiens une grimace, me contentant de sourire, encore et toujours, comme j’en ai l’habitude. C’est une chose merveilleuse, que de pouvoir sourire si naturellement sans que personne ne se doute de rien : pas de questions, ni de regards déplacés. Pas de pitié, surtout. La pitié, je déteste ça au plus haut point.

– Est-ce que d’autres personnes ont loué l’appartement depuis ?

Elle semble réfléchir un instant, avant de répondre :

– Non, personne. Mais quelqu’un a déjà demandé à l’acheter, il y a quelques semaines. Je lui ai dit que je ne souhaitais pas le vendre, et l’acheteur ne s’est jamais remontré.
– Vous ne vouliez pas--…
– Je sais à quel point cet appartement compte pour toi, sourit-elle en me posant une main sur le bras.

Elle m’explique ensuite qu’elle avait espoir que Cassidy ou moi-même revienne, ou l’un de nos proches ; néanmoins, à quelques mois près, elle n’aurait pas hésité à le louer ou à le vendre. Une petite retraite comme la sienne ne permet pas d’entretenir aussi longtemps une pièce vide. Je hoche la tête, évidemment – que faire d’autre ? Je suis déjà ému par tant de prévention à notre égard ; j’avais oublié à quel point cette vieille femme  nous considérait avec tendresse. Une sorte d’instinct maternel lorsqu’elle a vu que nous n’étions que des gosses – et que nous étions déjà foutus d’avance.
Une dizaine, peut-être une quinzaine de minutes plus tard, voire plus, je ne sais pas, je ressors, le cœur plus léger et la poche lourde comme du plomb. La clé qu’elle m’a confiée avec un petit regard malicieux m’appelle, mais je n’ose pas poser les doigts sur un tel trésor. Il y a si longtemps que je ne l’avais pas tenue dans ma paume ! Je frissonne longuement, en sentant le morceau de métal contre ma peau, et je me fais une raison : pour rien au monde je n’aurais souhaité faire demi-tour.

Je m’avance avec une lenteur toute calculée vers la porte, insère la clé, déverrouille. Le cliquetis métallique me tire un frisson violent. Un instant, je me perds dans la contemplation de la poignée, ne sachant pas si je devais l’abaisser ou pas. L’angoisse me vrille les entrailles et je suis contraint de prendre une longue et profonde inspiration avant de me jeter à l’eau.
La porte grince sur ses gonds en s’ouvrant, et la lumière se réverbérant contre les murs blancs me pète les yeux sans aucune douceur. Ça change de l’atmosphère calme et feutrée de chez Parks, ça c’est clair. Mes yeux furètent à droite et à gauche alors que je continue à avancer, hypnotisé. Tout est là, comme des années auparavant. De la poussière s’est accumulée çà et là depuis que Cassidy est partie, et je la soupçonne de ne rien avoir changé de place, par pure nostalgie.
Dans l’entrée, un petit miroir qui me renvoie l’image d’un homme que je ne reconnais pas tout de suite : c’est moi. Adulte, changé, toujours triste mais encore plein d’espoir. Contre le mur, le meuble à chaussures, presque vide ; dessus est posé un vase immonde dans lequel trempent des fleurs fanées depuis longtemps. C’est un cadeau d’Isabel pour notre crémaillère. Enfin, mon emménagement avec Damian, plutôt ; lui habitait ici depuis presque un an déjà. Nos relations étaient un peu tendues à, mais j’ai quand même accepté de venir, parce qu’à la maison c’était carrément devenu invivable. Je dis « tendues » dans le sens où j’avais eu la merveilleuse idée de lui sortir que je l’aimais, un soir où j’étais bourré. Et il m’avait lamentablement envoyé bouler, soit dit en passant. Oui, on vendait du rêve, je sais, merci.
Je continue mon exploration, passe devant la salle-de-bain sans y entrer et débouche sur le petit salon–cuisine–salle-à-manger parfaitement rangé. Le canapé traîne au beau milieu, une table basse juste devant, quelques chaises en plastique sont empilées dans un coin et la cuisinière blanche s’étend contre le mur de droite. Puis je laisse mon regard courir sur la gauche ; deux pièces. L’une, mon ancienne chambre transformée en bureau, en bordel total, laissée telle quelle ; des papiers sont échoués dans tous les coins, et je me souviens de certains d’entre eux – des équations, des listes de choses que je n'ai jamais faites... L’autre, la chambre de Dam, puis notre chambre. Petite, avec un lit double, des murs jaune orangés. À côté de la fenêtre, on peut voir des traces de mains de toutes les couleurs, comme si des enfants s’étaient amusés à repeindre le mur avec leur paume ; c’était nous, quand on avait dix-huit ans. Malorie, Isa, Jerem, Ben aussi, Cassidy, Diana, Damian et moi.

Je remarque à peine m’être assis, et mes yeux vides se fixent sur un point invisible sur le mur. Je me remémore les rires, les accolades ; mais surtout les caresses et les baisers échangés dans cette pièce, dans ce lit, avec cette personne que j’aimais plus que tout. Je ne sais même pas où Damian a été enterré...
Souvent, j’ai eu honte de ce que je devenais – de ce qu’il me faisait devenir. Dans ma tête, c’était « Je suis pas gay ! » et j’avais pas tellement tort. Les mecs m’effrayaient plus que tout le reste – pourtant je me suis efforcé de ne plus y faire attention. D’ignorer les autres, et juste de savourer ces moments avec lui. J’aurais été capable d’aimer une femme bien plus tôt – si seulement j’avais pas été complètement obnubilé par ce boulet depuis mes quatorze ans.
Mes paupières s’abaissent, et mon souffle est de plus en plus apaisé. Des larmes s'échappent a nouveau de mes yeux, et j'étire un sourire las.
Je ne sais même plus ce que je fais là.




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Dernière édition par Aaron Williams le Mar 1 Avr 2014 - 17:53, édité 4 fois
##   Dim 28 Juil 2013 - 20:43
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... et le noie avec lenteur
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Le lendemain, je me réveille au son de mon téléphone portable, qui hurle avec véhémence dans la poche de ma veste. Mes yeux s'ouvrent avec difficulté, se plissent sous la lumière aveuglante filtrant à travers la fenêtre. Je me redresse sur mes coudes et observe la pièce dans laquelle je me trouve durant plusieurs longues secondes. Pendant un temps, je retourne en arrière ; un doux sourire étire mes lèvres et je tourne la tête afin de regarder à côté de moi. J'ai un coup au cœur en réalisant que ces dernières années n'étaient pas un rêve et que je ne me réveillerai plus aux côtés de la personne que j'ai tant aimée. Cet espoir vain n'a duré que quelques secondes, mais il suffit à me replonger dans une profonde léthargie. Lorsque l'espoir s'en va, il ne reste rien ; pas même le désespoir.
Je constate sans surprise que je suis encore vêtu des habits de la veille – j'ai probablement dû m'endormir à force de fixer le mur sans rien faire. Note à moi-même : ne jamais rester inactif aussi longtemps, surtout après avoir passé une semaine à ne pas dormir.
Rectification. Surtout après avoir passé six ans à ne plus fermer l'œil.

Je me lève avec lenteur, me passe une main sur le visage. Mes pieds nus glissent sur le sol et s'y posent avec un bruit feutré un peu dérangeant tandis que je me traîne jusqu'au salon pour éteindre le réveil, puis vers la salle d'eau. Mon visage est toujours aussi pâle, et mes cernes bien plus marquées encore. Je déteste ces traits, et surtout ces yeux ; les mêmes que ceux de mon père. J'aurais tellement souhaité avoir ceux de ma mère, ces beaux yeux bleus qui illuminaient mes journées, étant enfant. Un magnifique ciel d'été. Celui que j'ai pu retrouver, vingt ans plus tard, chez ma supérieure.
J'ai jamais cru au destin et pourtant, parfois, je crois qu'y a l'univers qui essaie de me faire passer un message.
Une petite demi-heure plus tard, je ressors de la pièce propre et changé. Traîner sous la pluie hier soir m'a filé un début de crève pas très agréable et j'ai pas mal transpiré durant la nuit, mais tant pis, c'est pas ça qui retardera mes plans. J'attrape mes chaussures, que j'ai abandonnées hier soir devant la porte de la chambre en même temps que ma veste et mon sac. Puis, je m'habille pour sortir. La petite clé est toujours dans ma poche, enfouie aux côtés d'une clé USB, mais avant de partir faire ce pourquoi je suis ici, je dois passer quelque part. J'ai noté toutes les adresses de mes proches dans mon téléphone, pour savoir où les retrouver. Ils sont éparpillés un peu partout dans la région, et ça me fait mal au cœur. Le pire, c'est de savoir qu'eux sont là, tandis que moi, je suis Japon. Et Damian, bah... Je crois que je l'ai déjà dit, mais je sais même pas où est sa tombe. C'est même pas déprimant ; je crois qu'à ce niveau-là ça me blase plus qu'autre chose...

Je prend un taxi, qui m'emmène jusqu'à l'adresse que je lui indique – et, plus nerveux encore que lorsque j'ai passé le pas de mon ancien chez-moi, j'arrive sur les lieux. Un immeuble plutôt moderne, situé en bordure de la ville ; je sonne, et après un temps une voix féminine m'interpelle par l'interphone.

– Oui ?
– Malorie. C'est Aaron, je--
– AARON ? AARON WILL-- OH Fu--

Je sursaute en entendant l'appareil grésiller sous le soudain éclat de voix, mais la porte de l'immeuble s'ouvre avec un petit buzz distinctif. J'ai un peu de mal à comprendre si je dois prendre ça pour un « Entre, je t'en prie » ou un « Casse-toi tu pues »... Dans le doute, on va dire qu'elle est ravie de me revoir, d'accord ?
J'avance d'un pas en poussant la porte, et une fois fait je le regrette immédiatement. Des bruits de pas précipités se répercutent dans la cage d'escalier, et je suis pris de l'envie de m'enfuir en courant.
Une furie rousse me saute dans les bras en menaçant de nous faire tomber ; je me rattrape au mur comme je le peux et souris doucement en serrant la jeune femme dans mes bras. Malorie, sûrement l'amie la plus proche que j'ai jamais eue. Mis à part Tomoe, je veux dire – mais bon, Tomoe c'est différent. On ne va pas tergiverser là-dessus, hein, c'est pas le moment...
Elle lève ses grands yeux humides vers moi, m'offre un sourire éblouissant. En six ans, elle s'est encore embellie, c'est hallucinant de voir ça.

– Aaron, Aaron ! (Son sourire s'élargit, et elle dépose deux baisers bruyants sur mes joues.) Je suis tellement contente de te revoir !
– Oui, moi aussi, je ris doucement en déposant mes lèvres sur son front en un geste paternel, ravi de ne pas me prendre une claque de sa part. Tu m'as manqué.
– On a cru que tu étais mort, Aaron. Que tu t'étais tué par désespoir, souffle-t-elle. Mais moi, je savais que tu ne pouvais pas l'avoir fait. Même si tu allais mal, je savais que tu ne l'aurais pas fait.

J'esquisse un sourire triste. Je suis content de savoir qu'y en a encore une, au moins, qui croit en moi. Parce que pour le moment j'ai eu droit à une baffe et à un « Ça alors, tu n'es pas mort ! » Sa main glisse doucement dans la mienne alors qu'elle me tire à sa suite. Nous grimpons les deux étages et entrons dans l'appartement de droite sans échanger un mot. Elle m'intime ensuite de m'asseoir et nous entamons une longue discussion, où je lui explique, entre autre, la raison de mon départ. Protéger Cassidy comme je le pouvais en restant loin d'elle. Retrouver mes esprits après la mort de Damian. Je lui explique pour mon père, pour cette mission sordide qu'il nous avait demandé d'accomplir, et ce fichier qu'il avait souhaité obtenir – et que jamais je ne lui ai remis. Je continue sur Terrae, en omettant la partie sur les pouvoirs pour ne pas la mêler à ça, et la fait sourire en lui annonçant que, oui, je suis bien devenu prof de maths. Je la rassure en lui disant que Cassidy est là-bas, qu'elle va bien, que je veille sur elle et que je ne la laisserai plus toute seule. Elle ne m'interrompt pas, continue à serrer ma main dans la sienne et à crisper la mâchoire lorsqu'elle sent l'émotion l'étreindre. Puis elle-même m'annonce qu'elle est fiancée, qu'elle est journaliste. C'est elle qui avait demandé à la vieille logeuse de lui céder l'appartement, et je lui en suis reconnaissant – elle aussi possède des souvenirs impérissables de cet endroit. On s'y retrouvait tous, et on comatait des heures devant la télé, en mangeant comme des gros. Tu parles de souvenirs... Et pourtant, c'est là qu'on était les plus heureux.
Tous ensemble.

Elle continue, me parle d'Isabel et Jeremy, me demande si je vais aller voir leur nouveau-né – j'ai un sourire mais lui répond que non. Que la seule personne que je souhaite voir, avant de repartir, c'est Ben.
Et son regard se fait infiniment triste.

– Il va mourir, tu sais.

Je sais. Il est en phase terminale d'un cancer, et est à l'hôpital depuis des mois. Cette saloperie de maladie m'a déjà volé ma mère – que j'avais encore espoir de retrouver intègre et saine d'esprit – et je sais très bien que ce n'est pas fini.

– Je veux le voir. Avant de regretter une fois de plus de ne pas avoir pu le prendre une dernière fois dans mes bras.

La rouquine hoche la tête, compréhensive.

– Je sais que vous étiez proches.

À ces mots, je manque de pleurer. Proches, oui. C'est le mot. Quand j'étais ado, je crois que je tenais autant à lui qu'à Damian. D'une autre manière, cela dit. À croire que je portais la poisse ; tous ceux que j'aimais ont fini par périr. Je prie encore pour qu'ils ne meurent pas tous de cette manière, les uns après les autres.
Une malédiction qui me poursuit encore, semble-t-il...
Je retiens mes larmes, et prends une grande inspiration. Un sourire teinté de tendresse et de tristesse mêlées se peint sur mes lèvres, remplaçant la moue fataliste que j'avais auparavant.

– C'est bien pour ça que j'y vais.

C'est surtout pour ça qu'il faut que j'y aille, avant de le voir disparaître à son tour. Je n'ai que trop peu eu l'occasion de présenter dignement mes adieux aux gens que j'aimais. Maman, Diana, puis Damian.
Malorie fait la moue, hoche finalement la tête. Je crois qu'elle comprend. Mais la tristesse que je lis dans ses yeux me fait douter un court instant. Aurais-je la force de le revoir dans un tel état ? Mourant. Comment peut-on en arriver là si aisément ? S'endormir un soir, tout va bien ; se réveiller, six ans plus tard, et tout a changé. Parfois, j'aimerais être en mesure d'échanger le peu que mon âme a réussi à sauvegarder pour extirper de la douleur l'une de ces vies si pures et innocentes, ballottées par le destin. Mes précieux amis, ma précieuse famille. Ben, Cassidy, Terrae toute entière. Tous ceux que j'aimerais être en mesure de protéger.
Je ne veux plus voir mourir personne.

Ma visite ne tarde pas à s'achever, et un goût amer s'insinue dans ma bouche. La suite des événements ne sera pas aussi réjouissante, hélas. J'ai tellement peur d'y aller. De tuer, encore. Pourtant, il y a six ans, je m'en suis fais la promesse.
Mon père paiera de sa vie pour toutes celles qu'il a réduites à néant. Je ne lâcherai le morceau que devant son cadavre baigné de sang. C'est uniquement pour cette raison que je suis ici. Faire une coupure nette et sans bavure avec ce passé, pour pouvoir enfin aller de l'avant. Je ne dis pas qu'il me faut l'oublier ; mais pour le surmonter, il y a des tas de choses qu'il me faut encore affronter. Ce n'est pas que pour moi que je le fais, c'est pour Elle. L'ange de mes jours et la gardienne des ténèbres enfouies dans mon cœur. Celle pour qui je suis prêt à tout risquer, jusqu'à ma vie, pour préserver son sourire et sa candeur. Certaines personnes diraient que c'est de l'amour. Moi, je me contenterais de leur répondre que c'est plus fort que ça, mais que ce n'est pas ce qu'ils croient. Ils n'ont pas besoin de savoir tout ce qui me traverse l'esprit ; le leur est déjà suffisamment compliqué à décoder comme ça.

Mes pas me mènent à nouveau à l'extérieur après avoir acheté de quoi me ravitaillé et rappelé un taxi, qui met bien vingt minutes à arriver. Peut-être plus, ou un peu moins, j'y ai pas fait attention. Je ne peux que rester focalisé sur mon objectif principal. Le temps de la récréation viendra plus tard ; pour le moment, ben... Fight.
Je m'installe dans l'habitacle, donne l'adresse de l'appartement au conducteur. Il me faut attendre encore un peu que la nuit tombe ; de toute manière, je n'ai pas mon arme sur moi.
Une fois arrivé, je me plante devant l'écran de mon ordinateur, comme pour espérer que le doux ronronnement du moniteur parviendrait à me calmer. Pourtant, je reste nerveux, et mes gestes maladroits. Je sais parfaitement que, ce soir, je devrais être en pleine possession de mes moyens. Pourtant, il n'y a rien à faire. La peur, la frustration, la tristesse, la colère et le désespoir ; tout déborde.
Je ne peux que me noyer dans mes doutes.



Aaron vit en #E5882A.
Louisa danse en #78AB3F.


Un peu d'amour ♥:


Dernière édition par Aaron Williams le Mar 1 Avr 2014 - 17:54, édité 2 fois
##   Lun 31 Mar 2014 - 17:06
Aaron Williams

Personnage ~
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Aaron Williams
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Humeur : Aha ! ... Attendez, c'était une vraie question ?

... et trace un sillon de sang

Fond sonore~:


Les minutes s’égrènent, impossibles à arrêter. Le stress monte, envahit chaque parcelle de mon être. Mais bientôt ce n’est pas la peur qui prédomine, mais la colère, sourde et tonitruante. Je me souviens de Gaetano, la manière avec laquelle il perdit le contrôle ; je me souviens qu’il me regardait de ces yeux froids et vides – ceux d’un tueur, qui jugeait si je méritais encore de vivre ou non. Je me souviens de cette haine terrible et terrifiante qui pulsait dans son cœur, et qui se déversait en moi comme un torrent déchaîné, mais surtout incontrôlable.
Je ne souhaite pas perdre le contrôle de cette manière, et devenir une machine à tuer. Mais lui… Qui a fait tant de mal autour de lui ? Qui nous a fait tant de mal ? Je ne pas si je vais être capable de contenir ma haine. Me retenir de lui mettre une balle entre les deux yeux… Rien qu’à imaginer la scène, mon corps est parcouru de frissons. Pas de peur, non ; d’excitation. Je suis le prédateur excité à la vue de sa proie, toute proche, et vulnérable. Excité à l’odeur de son sang. À l’idée de me jeter sur lui et lui planter mes crocs dans la jugulaire, jusqu’à la lui arracher, et voir son âme s’échapper d’entre ses lèvres. Son regard s’éteindre. Ressentir cette mort jusqu’au fin fond de mes tripes, avec autant de dégoût que de joie, de satisfaction et de plénitude.
Un rêve qui me poursuit depuis si longtemps… Presque dix ans que je ne pense qu’à l’envoyer croupir six pieds sous terre, six que tout s’est brisé par sa faute. Comment lui pardonner ? Comment lui pardonner d’avoir fait de ma vie un tel enfer ? D’avoir brisé celle de Cassidy ? D’avoir détruit, enfin, celles de tant de gens ? Pour l’argent. L’argent et le pouvoir, cette avarice malfaisante.
Je me le suis juré en arrivant à Terrae. Je me le suis juré : je le tuerai. Esprit moral ou non.
Comment je pourrais le laisser vivre après avoir vu ma sœur dans un tel état de délabrement ? Et avoir constaté les ravages qu’il a commis ? J’aimerais pouvoir prier, demander à ce semblant de Dieu ce que je dois faire. Parce qu’honnêtement, ce que je dois faire, j’en ai pas la moindre idée. Lui mettre sous le nez tous les dossiers que j’ai récupérés à son sujet ? Récupérer et détruire le fameux virus qu’il m’avait chargé de lui donner ? Le détruire, lui et son entreprise, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un amas de cendres ?
Et tous ces noms, ces noms que j’ai vu défiler. Ces noms d’autres jeunes utilisés jusqu’à ce qu’ils soient brisés ; ces gens morts pour le business d’un monstre. Complices du mal absolu – gouvernement de merde, industries de merde et laboratoires de merde. Et tous ces salauds. Je veux tous les voir disparaître, jusqu’à baigner dans leur sang. Pouvoir voir rouge, rouge, rouge partout ; voir, sentir, toucher, goûter le sang, et leur appel sombre et douloureux, malveillant ; cette horreur qui semble tant pouvoir apaiser ma colère. La seule chose qui semble le pouvoir, en réalité.
Le mal, qui prend peu à peu possession de mon cœur.
Mon corps au repos, mon esprit en éveil ; je me relève après avoir fait une tentative plus ou moins loupée de sieste. Fébrile, je me prépare plus à fond. Je prends mon flingue, de quoi le recharger – fidèle compagnon. Jusqu’au bout. Ce qui est le plus drôle, c’est que c’est lui qui me l’a filé. Je me ferais une joie de lui en pointer le canon sur la tempe, en espérant qu’il se remémore le jour où il a fait abattre ma sœur, et où il a tué ma mère.
Mes preuves ? Des mots, des conversations, mails et témoignages. J’ai retrouvé l’assassin de Diana et lui ait fait arracher des aveux – avant de me retenir de jouer à la chaise électrique avec lui. Tout ce dont j’avais besoin. Il ne m’en faut pas plus pour le considérer comme entièrement coupable. Et Damian… Dam.
Ahh. Dire qu’il avait survécu à notre raid. Comme un con, j’avais pensé qu’il le laisserait tranquille si je lui donnais ce qu’il voulait. Mais non. Evidemment. C’est plus drôle de le faire exploser, en tuant quatre autres jeunes soldats dans le même temps.
C’est même pas rageant. C’est désespérant.
Je ne pourrais jamais cesser d’éprouver des remords à ce sujet. Même s’il ne m’a pas laissé le choix ; il voulait venir, s’en mêler, me protéger. Et il n’y avait pas la moindre chance que je lui fasse changer d’avis. Quand ça me concernait, il devenait fou. À la vie à la mort, comme on dit. Ouais… sauf que lui est mort, et que je suis encore en vie.
C’est injuste.
Un soupir m’échappe, alors que je me tourne vers la fenêtre. Et, quelques secondes plus tard, mon corps disparaît.


J’atterris dans un bureau sombre, fermé de l’intérieur. Les souvenirs affluent immédiatement, martèlent mon esprit comme un tambour de guerre. L’horreur et la tristesse, la douleur. Cette souffrance et ce vide, ce manque ; l’absence. L’absence… et le doute. L’absence… et les larmes. Pleurer, encore et encore, jusqu’à se noyer entièrement, sombrer dans les profondeurs abyssales sans possibilité d’en remonter. Je ne sais pas comment les gens font pour s’en remettre. Pour paraître « bien » au quotidien, sans pour autant pousser l’hypocrisie à l’extrême. Parce que c’est ce que je suis ; hypocrite. C’est tellement dur de ne pas être soi-même, de n'être plus qu'un pantin sans vie. On s’y habitue, avec le temps. Terrae aide. Mais comment faire ? Comment faire … ?
Mes yeux se ferment d’eux-mêmes et je me pose, alerte, sur le fauteuil de velours. Ce fauteuil où mon père se tenait à l’époque, fort et dominant nos pauvres corps, uniquement destinés à le servir. Les mots qu’il prononçait se répercutent encore en moi aujourd’hui et imprègnent encore les murs.
Comment un Master peut-il continuer à se prendre la tête de cette manière, hein ? C’est la question qui rythme mes jours depuis près de cinq ans. Certainement n’est-ce pas être un vrai Master. Ne pas mériter ce don qui lui a été offert. Mais je me suis battu pour, n’est-ce pas ? Je ne sais pas si ça compte. Le sang pour le pouvoir. La violence… encore.
Peut-être que la masterisation n’est, au contraire, que la forme symbolique de cet abandon à la violence ? Renaître dans le sang de son maître pour abandonner le goût du sang par la suite… Peut-être, non ? Je ne sais pas. C’est ce que j’aimerais croire – parce que c’est moins lâche que de simplement souhaiter le pouvoir des Dieux et de devoir blesser jusqu’à la personne que l’on admire le plus pour y accéder. La mort de l’Homme pour revivre, presque en tant que Dieu. Contrôler les forces de la nature de cette manière, acquérir la « sagesse » absolue, cette Harmonie, le Cœur de Terrae, dont on se force à se couper par simple égoïsme. Parfois pour ne pas souffrir – d’autres pour ne pas laisser les autres souffrir de notre présence à leurs côtés. Pour qu’ils ne puissent plus sentir mon cœur battre comme je sens le leur ; pour qu’ils ne puissent plus imaginer les larmes muettes et invisibles, immuables, que laisse échapper mon cœur. Ce cri amer qui lancine et lacère.
Mais à présent, tout ça ne prend plus. Tout ça doit disparaître, à jamais. Parce que Cassidy est près de moi, que Ben va sûrement pas tenir le coup – je dois le voir, avant de partir. Le voir, avant que lui ne s’en aille. Pour couper court à cette malédiction, stopper cet « ancien moi » et sa progression, le déraciner entièrement, et replanter ailleurs. J’aurais du faire ça depuis très longtemps.
Pardon Tomoe. J’ai mis le temps à me rendre compte de ce que je ressentais, et à ce que je devais faire pour toi.
Pardon aussi, Cassidy. Je sais que je mérite ta haine et ta colère. Et tu me haïras peut-être bien plus encore lorsque tu apprendras la vérité. Ce que j’ai fait. Les fautes que je devrais porter sur ma conscience pour le restant de mes jours. Et surtout celles que je vais encore commettre aujourd’hui.

Un temps infini passe. Je reste à fixer la porte close face au bureau, le poing serré, crispé sur mon arme, alors même que le bâtiment est encore vide – il fait toujours nuit. Ma respiration est calme et profonde.
J’hésite encore. J’hésite à le tuer dès qu’il aura franchi la porte, à lui arracher la tête et à la brandir dans les couloirs de son entreprise. Puis massacrer tous les autres, jusqu’à ce que plus personne ne respire. Jusqu’à tous les voir morts, baignant dans leur sang et celui de ceux qu’ils ont participé à tuer, pour leur montrer l'horreur de la mort d'un peu plus près.
Un soupir m’échappe. Dieu, que la vengeance est belle, lorsqu’on la contemple du haut d’un promontoire, distancié des miséreux agonisants. Je sais que si je ne le fais pas dès qu’il arrive, j’aurais perdu la partie. Mais je ne sais pas si j’y parviendrai.
Je lâche la crosse de mon arme, la pose à proximité. Puis je déplace la souris de l’ordinateur sur le côté gauche du clavier, après avoir allumé la machine. L’écran illumine la pièce, toujours plongée dans la pénombre, et je me force à me concentrer dessus. Ma rétine semble s’être enflammée.
Je pianote dessus rapidement après avoir cracké le code d’entrée ; il ne me faut pas longtemps pour atteindre les fichiers que je souhaite lire. J’ai le temps, d’ici à ce que le jour se lève et qu’il daigne venir là. J’aurais pu le faire à distance, mais si déjà je suis sur place… Autant me calmer en tripotant son clavier, et disséminer quelques virus au passage. Ça lui fera les pieds.
Les lignes de codes défilent ; j’ouvre finalement les dossiers cryptés, étire un sourire satisfait. J’hésite à tout supprimer directement. Je branche finalement une clé sur l’ordi pour récupérer les dernières mises à jour et ouvre mes propres fichiers ; tout en surveillant du coin de l’œil les caméras disposées un peu partout dans les locaux, où les hommes de sécurité montent encore la garde. Une chance qu’il n’y ait pas de caméra ici – il y en a une, en revanche, juste à l’extérieur, devant la porte. Puis, avec une satisfaction toute particulière, je m’amuse à éparpiller mes dossiers  sur le bureau, prêt à allumer le projecteur lorsqu’il serait arrivé.
Tout est tellement simple. Le système de sécurité si basique. Et lui, faible, si faible proie…
J'ai un coup au cœur en voyant les dossiers contenant les images de ma mère s'ouvrir, puis Diana ; et leurs rapports, les mails échangés, les numéros de téléphone, les conversations, les témoignages. Les ordres donnés. Les plans de cette base. Tout ça. Toute cette horreur, que j'ai mis des mois, des années à accumuler. Toute ma vie, leur vie, leur mort. Et la Justice, impartiale, qui va bientôt pouvoir rendre son jugement.


Fond sonore~:


J'allume une clope pour me détendre et éteint l'écran, profitant encore des derniers rayons lunaires de cette nuit si belle et si calme. Apaisante, presque. Mais la sérénité ne peut pas prendre place dans mon cœur. La colère et l'anxiété se font plus pressantes et violentes.
Le petit jour pointe, rose et orange, au travers des volets et des larges baies vitrées. Le temps passe encore avec lenteur, mais je savoure les minutes autant que mes clopes, qui brûlent au coin de mes lèvres en me cramant les doigts.
Lorsque du mouvement se fait voir sur les caméras de sécurité, j'esquisse un sourire carnassier. Enfin.
La porte s'ouvre, et mon cœur s'arrête. Je ne bouge pas, caché dans l'ombre de la porte, et j'observe l'homme entrer dans la pièce. Je ne vois pas encore son visage, mais je sais que c'est lui, qu'il est là. Je reconnais sa silhouette et son ombre, son pas feutré mais conquérant ; l'éclat de la montre hors de prix à son poignet, le sombre de son costume. La porte claque dans son dos, et j'appose le canon de mon arme contre sa nuque. Le métal froid semble le faire frissonner alors que son corps entier se raidit, et qu'il ne tourne très lentement la tête vers moi. Une multitude d'émotions contradictoires passent dans ses yeux, de la surprise à la colère, de la haine à l'amusement.

– J'aurais dû me douter que l'odeur de fumée n'était pas normale, laisse-t-il simplement tomber, un sourire étirant le coin de ses lèvres. Que puis-je pour toi de si bon matin, mon petit Aaron ?

À l'intérieur, cette boule d'énergie gronde. La rage s'empare d'elle, et la fait s'agiter jusque dans les tréfonds de mon âme. Un rictus cruel prend place sur mes lèvres.

– Asseyez-vous, Mr. Evergreen. Nous avons à parler affaires.

Je l'oblige à se diriger vers la chaise face au bureau en enlevant la sécurité de mon flingue, et tourne le loquet de la porte au passage.

– Comme ça, nous pourrons être au calme. N'est-ce pas ?

Il ne me répond pas et se contente de me toiser du regard, froid mais provocateur. Il a toujours ce même visage, un peu anguleux, quelques rides au coin des yeux qui témoignent du temps écoulé. Six ans. C'est long, finalement. Et ses yeux, parlons-en. Ses yeux. Les mêmes que les miens. Deux pierres sanglantes.
Deux pierres tombales. Une pour chacun d'entre nous.

– N'essaie pas d'appeler les flics, d'ailleurs. Ce serait une expérience douloureuse que tu n'aimerais pas vivre.

Son sourire goguenard me donner envie de lui mettre un coup au visage, puis de le lui arracher. Et lui faire voir quel misérable masque il a porté toutes ces années.
J'aurais dû étaler une bâche sur le sol, c'est dommage.

– Est-ce que tu sais pourquoi je suis ici ?
– Tu n'as pas l'air d'avoir beaucoup dormi Aaron. Tu veux t'asseoir et discuter ?

Je prends soudainement conscience que je m'étais mis à lui tourner autour comme un fauve en cage, les yeux rivés sur sa proie de l'autre côté du grillage. Lentement, je respire. Décrispe ma main de la gâchette de mon arme, pour éviter de lui plomber la tête tout de suite. Il essaie de détourner mon attention. Que je fasse des erreurs en cédant à la colère. Et me faire perdre mon temps. Pourquoi ?
Je le vois glisser la main dans sa poche, essayer d'en tirer son téléphone discrètement, pendant que je lui tourne le dos. Un sourire mauvais s'étale à nouveau sur mes lèvres. Je l'avais prévenu, ce con.
Le téléphone explose dans sa main avec un petit bruit, lui faisant lâche l'objet de stupeur et de douleur.

– Donc, comme je te l'ai dit... je te déconseilles de faire quoique ce soit de contrariant. Je dis ça pour toi, je ricane.

Mes yeux carmins brillent d'une lueur mordorée fauve et malsaine.

– Dis-moi, je continue en m'asseyant sur son bureau, face à lui, et en pointant l'arme sur son front. Tu te souviens de la dernière fois qu'on s'est vus ?

Question rhétorique. Ma voix est basse, rauque ; chaque syllabe roule sur ma langue comme autant de menaces. Lentement. Pour me laisser le temps d'examiner toutes ses réactions, même les plus infimes.

– Bon. Posons les règles du jeu. J'ai besoin de réponses. Si elles ne me conviennent pas, je me réserve le droit de t'en mettre sur la gueule jusqu'à ce que ce soit le cas. Compris ?

Un nouveau sourire cruel, mon pied qui s'appuie sur la chaise, et une clope que j'allume au coin des lèvres. Une partie de moi, profondément humaniste, voudrait simplement en finir sur le champ, pour éradiquer enfin ce monstre de la surface de la terre. Une autre, au contraire, souhaite connaître ses motivations. Certainement pour attiser un peu plus ma haine à son égard. Et lui réserver un châtiment bien pire que la mort. Je ne pense pour le moment pas à d'autres alternatives ; je me ferai Justice seul, si elle ne peut m'aider.

– Allons, tu as perdu ta langue ? Toi qui es habituellement si loquace... Allez, fais-moi plaisir. Dis-moi que tu as compris.

Il reste silencieux et continue de me provoquer du regard, attendant certainement de voir jusqu'où va ma patience. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'ayant attendu près de six ans pour le rejoindre, je ne suis pas spécialement pressé. J'ai des heures et des heures devant moi ; je pourrais presque l'enlever, l'attacher à un lit et lui faire subir les pires tortures qui soient. Mais à ce moment-là, c'est moi qui ne serai plus humain.
Il tient sa main meurtrie contre lui, certainement pour faire refluer la douleur. Mais malgré son amusement apparent, il est inquiet ; il ne doit pas savoir quoi faire pour se dépêtrer de cette situation. Surtout qu'il a l'air d'avoir remarqué que faire exploser un portable simplement en le regardant, ce n'est pas normal.
Évidemment, ce n'est pas normal. Mais c'est tellement jouissif. Jouissif de me savoir plus puissant que lui. De savoir que, si je le voulais, là, maintenant, je pouvais maquiller un meurtre en suicide, en le pendant aux câbles d'alimentation présents dans la pièce. Chose que je ferai certainement si je ne perds pas totalement mon calme d'ici là.
Je veux sentir sa terreur, l'entendre me supplier de l'épargner. Voir dans ses yeux cette lueur infime ; celle que tu as lorsque tu sais que tu vas mourir. Celle qui te donne un air de biche effrayée par le chasseur, qui s'avance en te mettant en joue, sans te laisser la moindre possibilité de t'échapper. Et quel bonheur lorsque finalement c'est toi qui te retrouves dans le rôle du prédateur.
Et il est ma proie.

– Dis-le, je réitère en lui mettant un coup de pied dans le ventre, l'obligeant à se plier en deux sous la douleur. Dis-le, maintenant.
– J'ai... compris, grogne-t-il en m'assassinant du regard.
– C'est toujours plus facile quand les autres coopèrent, hein ?

Je ne bouge pas un cil, et allume l'écran de télévision sur le mur à notre droite, qui est relié électroniquement à l'ordinateur, d'une simple pensée. Pratique pour les réunions, on devrait faire pareil en salle des Masters. Face à moi, toujours immobile, l'homme fronce les sourcils. J'aime toujours autant voir l'air incrédule des gens lorsqu'il se passe des trucs inexpliqués – la magie, hein ? Évidemment, pourquoi penser à cette solution ? Tellement plus simple de se dire que j'ai une télécommande dans la poche. Venant de moi, je sais que pas grand chose ne l'étonnerait.
Des tonnes de visages défilent à l'écran. Les lettres que j'ai récolté, les témoignages des familles. Toutes victimes de son œuvre. Certains sont morts, d'autres ont été poussés au suicide ; certains ont été internés, d'autres encore enfermés pour des crimes qu'ils n'ont pas commis. Son expression ne se modifie pas, il reste les yeux fixé dessus, froid, mais le cœur parfaitement ouvert à mes intrusions. La peur et la colère suintent ; mais aussi l'indifférence et le dégoût. À croire qu'il ne les considère vraiment comme rien d'autre que des objets. Est-ce qu'il est au moins capable de sentiments positifs ? Je commence à en douter sérieusement.
Ce type est un malade mental. Un psychopathe comme on en trouve beaucoup, au narcissisme poussé et à l'intelligence démesurée. Certainement, oui. Mais il ne l'est pas plus que moi, c'est ce qui me rassure et me permet de rester réfléchi. Pourtant, j'ai de plus en plus de mal. Malgré les accusations, il reste stoïque, et ce malaise que j'attends tellement se fait de plus en plus lointain. Tout ça lui fait perdre du temps – ou l'amuse un peu, à la limite. Je note presque de l'émerveillement devant mon dossier. Il ne devait pas s'attendre à ce que je développe une telle obsession. Dommage, je suis aussi taré que lui. Comme quoi, certaines choses sont congénitales.
Puis, enfin, le visage d'un femme apparaît. Je n'ai pas besoin de tourner la tête pour m'attarder sur ses boucles brunes et ses grands yeux bleus ; je connais ses traits par cœur, malgré le temps passé depuis sa mort.

– Et elle, tu t'en souviens ?

Un rictus se plaque sur son faciès, le défigurant presque. Il reprend la parole, alors même qu'il n'avait osé ne serait-ce que prononcer un son depuis tout à l'heure.

– Évidemment. Ta salope de mère.

Mon pied part tout seul à la rencontre de son visage. Je l'attrape par les cheveux et lui pointe le flingue entre les deux yeux, grinçant les dents de fureur.

– Connard. T'es pas en position de manquer de respect à qui que ce soit, ici. Apprends où se trouve ta place, je crache avec un mépris difficilement dissimulé.

Docilement, il lève les mains en se recalant sur le siège lorsque je me recule, se retenant probablement d'essuyer le sang qui s'écoule lentement de son nez.

– L'erreur médicale qu'elle a subie. C'est à cause de toi, ou je vire simplement paranoïaque ?

À nouveau, le chef d'entreprise se mure dans le silence. Mais son regain d'enthousiasme soudain me renseigne immédiatement sur son implication dans sa mort. J'ai une brève pensée pour elle. Je ne comprends pas...

– Pourquoi tu as fait ça ? je tente d'articuler. Elle ne t'avait rien fait. Jamais.
– Alors dis-toi simplement que j'ai abrégé ses souffrances ? ricane-t-il, alors que je pâlis. Elle était folle, de toute manière. Tu devrais me remercier, plutôt que de tout me reprocher, mon petit Aaron. Ta mère m'avait contrarié de trop nombreuses fois. Elle a fait trafiquer ton acte de naissance, pour que je n'ai aucun droit sur toi. C'est tellement dommage que je n'ai pu te récupérer que bien des années plus tard... J'aurais eu tellement de choses à t'apprendre, Aaron. Peut-être que tu aurais compris ce qui me motive.

Mon poing se serre par pur automatisme, et mes membres se mettent à trembler. Justement. Ses motivations me resteront toujours obscures. Je me disais que peut-être que tout n'était qu'à cause de moi. Mais je n'aurais pas pu l'empêcher de commettre ses méfaits, même si j'aurais au moins dû protéger ceux qui m'étaient chers. Il est le seul responsable. Il m'a forcé à devenir tel que je le suis à présent. À vivre tout ce que j'ai subi ces dernières années.
Toutes ces années perdues à me chercher moi-même.
Je décide de ne pas m'attarder. Je vais perdre mon calme – et selon son emploi du temps, il a rendez-vous bientôt avec un grand ponte. Je n'aimerais pas... être interrompu.
L'image change encore. Le visage de ma sœur. Les ordres de mission. Les appels, les notes ; tout est affiché. Lui a un sourire plus que ravi. Je l'amuse de plus en plus. Il m'énerve.

– Je n'ai pas besoin de t'interroger à ce sujet, comme tu peux le voir. J'ai mené ma propre enquête. Dommage, j'ai retrouvé la personne que tu as engagée. Tu n'as pas assez prudent, Mr. Evergreen. C'est bien d'avoir du fric ; dommage que les transactions soient aussi visibles.

Il ricane, cette fois.

– Quoi, tu m'en veux encore pour ça ? Je t'avais... posé les modalités du jeu, comme tu l'as si bien dit tout à l'heure. Ta sœur n'était qu'un dommage collatéral. Tu devrais savoir que ça arrive... Mais n'y prends pas garde. Après tout, tu n'arrives pas vraiment à ressentir quoi que ce soit, pas vrai ? Tu es comme moi.
– Comme toi ? Me fais pas rire, je grogne entre mes dents serrées.

Je vais le tuer.
L'affichage change encore. Cette fois, un homme. Jeune. Blond. Damian. Mon premier amour. Le seul, avant Terrae, à avoir su se mettre à mon niveau. Comme lorsqu'on parle à un enfant. Ou à quelqu'un de mentalement dérangé. Ce que je suis, après tout...

– Oh, tiens. Il t'aimait bien, lui, pas vrai ? Dommage. Un bon garçon. Il m'a supplié de te laisser tranquille s'il m'aidait. Pauvre gosse naïf. C'était presque mignon, lâche-t-il en éclatant soudainement de rire, sans faire réellement attention au pistolet pointé sur lui.

De mon côté, mon corps se fige et je le fixe, abasourdi. Ma main retombe le long de mon bras.

– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Ça ne t'a jamais surpris qu'il cherche à aller à l'armée tout juste après la mort de ta sœur ? Allons, Aaron. Je te pensais plus malin que ça.
– Tu... l'y as envoyé ? Pour qu'il puisse...

J'ai un flash. Je me souviens, des années plus tôt. Lorsqu'il m'a ordonné de chercher des fichiers dans cette maudite base. Qu'il aurait soi disant ciblée parce qu'il serait facile d'y entrer. Grâce à Damian. Qui s'entraînait là-bas. Cette même base qui a explosé, à peine une semaine plus tard. Une bonne opportunité. Une bonne... putain.
Un frisson remonte le long de mon échine. Un déclic. Mes yeux me brûlent, alors que je me suis relevé pour le toiser de haut. Lui recule sur son siège. Je crois que mes yeux ont changé de couleur.

– C'était pour la bonne cause, tu sais ?

Quand je pense qu'il a fait ça uniquement pour revendre les informations à l'étranger. En plus d'être un putain de meurtrier, c'est un traître à sa patrie.

– Espèce de...

J'ai à peine le temps de réagir qu'il me fait lâcher mon flingue d'un coup bien placé. Son poing part et s'écrase sur mon nez, alors que nous nous jetons l'un sur l'autre en roulant sur le sol. Je me sens partir, peu à peu, tandis que mes poings s'abattent sur son visage, grésillant au contact de la peau qu'ils brûlent. Je me prends quelques coups mais mes réflexes me sauvent – il est plus grand, plus lourd que moi. Mais peu importe. Lui n'a pas ma rage. Il n'a pas ce feu qui consume son âme, encore et encore. Jusqu'à tout réduire en cendre. Ma raison. Le peu de conscience humaine qu'il me reste. Tout ça n'est plus que néant.

– Et les autres ?! je crie subitement. Tous les autres ? Ceux que tu as manipulé et fait enfermer pour toi, tous ceux que tu as menacé, tous ceux que tu as tué ?! TU TROUVES CA JUSTE ?! TU TROUVES CA HUMAIN ?!

Mes phalanges me font mal à force de lui asséner coup sur coup. Je n'arrive pas à m'arrêter. Je vais le tuer. Comme ça, sur le sol, en le rouant de mes poings, jusqu'à ce qu'il se vide de son sang. Un arc électrique l'envoie finalement valser plus loin après que je me sois pris un nouveau coup. Essoufflé, j'attrape mon flingue d'un geste malhabile et le met en joue. Je tremble avec tant de force que je n'arrive pas à le viser. Ma mâchoire se resserre. Un éclair illumine le ciel, alors que les nuages se sont accumulés en quelques minutes, et le tonnerre fait trembler la terre. L'écran de télévision grésille, avant de s'éteindre. Coupure de courant.

– Tu ne tireras pas, Aaron, articule-t-il en essayant de se redresser, sonné par le choc.
LA FERME !

Je le pourrais. Je le pourrais, et je le souhaite ; mais mon doigt reste sur la gâchette sans parvenir à appuyer dessus. Sans parvenir à mettre fin, enfin, à ce sourire affreux qui lui déchire le visage. Je ne lui ressemble pas. Je ne suis pas comme lui. Je ne suis pas un monstre.
Connard. Salaud. Profiter des faiblesses des autres, il sait faire. Profiter de la situation, de mon trouble, de ma colère, de mon désespoir et de ma tristesse.
Je tremble encore. Je ne peux pas ôter la vie à un être humain. Je peux pas. On dit souvent que tuer est facile ; que ce sont les remords qui sont les plus durs à supporter. Que la mort ne nous blesse que quand elle est déjà présente. Mais c'est faux. C'est entièrement faux. Un mensonge de plus, destiné à nous tromper.
Ma mâchoire se crispe encore, et j'ai peur de voir mes dents se briser sous la pression. Comment peut-on tuer sans rien ressentir ? Le poids du plomb alourdit ma main. Ma vision se trouble un peu plus.
Je suis si faible. Si faible de ne pas pouvoir mettre fin à tout cela. Je ne veux pas être considéré comme un tueur lâche. Je refuse d'être considéré comme le même type de monstre que lui.
L'image. Finalement, ça ne change pas. C'est toujours cette connerie qui revient. « Je ne veux pas qu'on me voit ainsi. »
En réalité, je crois que je ne veux pas qu'Elles me voient comme ça. Tout simplement. La faiblesse de l'homme est dans son cœur. Mais aussi dans son esprit.
Le plus dur est de mettre fin à cette ronde de la vengeance. Cesser de faire couler le sang. Il faut cautériser la plaie, sans quoi nous finirons par nous vider de notre vie définitivement. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une autre solution. Même s'il risque de me pourrir la vie longtemps, je saurais le tenir à l'écart. J'ai déjà tout ce qu'il me faut.
Je me lève en m'appuyant au bureau, le canon de l'arme toujours pointé sur lui. Mon visage n'exprime plus rien d'autre que cette détermination farouche à en finir avec cette histoire.
Un clignement de l’œil, et toutes les données de son ordinateur s'effacent sous son cri de colère. Je sais ce que j'ai à faire.

– Je te tuerai pas, ça te ferai trop plaisir.

Son regard se fait surpris.

– Mais qu'est-ce que tu veux alors ? Tu ne veux plus de ta vengeance ?
– Oh, je l'aurai. Ce dossier a déjà été envoyé cette nuit aux ordinateurs de la CIA. Tu vas être fiché dans à peu près tous les états d'Amérique. Et tu n'aurais nulle part où te dissimuler. Crois-moi, les autorités gouvernementales n'aiment pas spécialement les types de ton genre qui vendent des infos à leurs ennemis politiques. Je suis certain qu'ils seront ravis de te coffrer.

Je fixe son visage se décomposer. Il espérait que je le laisserais comme ça ? Il est drôle. Qui est le plus naïf d'entre nous ?

– Je te souhaite bien du plaisir dans ta fuite... très cher père.

Sur ces derniers mots, je récupère mon paquet de clopes et disparaît dans la seconde.
J'aurais dû le tuer tant que je le pouvais encore.



Aaron vit en #E5882A.
Louisa danse en #78AB3F.


Un peu d'amour ♥:
##   Mer 2 Avr 2014 - 18:52
Aaron Williams

Personnage ~
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Aaron Williams
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Emploi/loisirs : Prof de maths et papaaaaa ♥
Humeur : Aha ! ... Attendez, c'était une vraie question ?

... et ruisselle de ses yeux purs
Fond sonore~:


Je venais de tomber. La poussière maculait mon pantalon, et mon genou écorché me faisait un mal de chien. Quelques larmes perlèrent à mes yeux, alors que je les levai vers la femme qui s'accroupissait à côté de moi. Quelques sanglots déchirèrent ma gorge, et je tendis les bras dans sa direction pour qu'elle me prenne dans ses bras.
– Mamaa... Me suis fait maal... pleurai-je doucement.
Sa main, douce et rafraîchissante, effleura ma joue avec beaucoup de tendresse pour essuyer les larmes qui y perlaient. Le soleil derrière elle m'éblouissait, m'empêchant de correctement voir son visage. Pourtant, je distinguais le contour de son sourire, aussi franc et pur qu'une première neige en hiver.
– Viens mon chéri, on rentre à la maison. Ce n'est qu'un petit bobo de rien du tout.
Elle me souleva sans difficulté dans ses bras, et je m'accrochai à son cou en y blottissant mon nez, reniflant un peu pour faire refluer mes pleurs. Je me calmai petit à petit alors qu'elle caressait mes cheveux en un geste affectueux.
– Allons, Aaron, ne pleure pas... Tout va bien mon chéri, murmura-t-elle à mon oreille.


Tout va bien...





Je me réveille en sueur, empêtré dans les draps de mon lit, et Sa voix résonnant encore dans ma tête. Mon souffle est lourd et sifflant, et je sens quelques larmes salées ruisseler sur la plaine déserte de mes joues. Mes yeux se perdent dans le vague un instant, fixent le plafond comme en espérant y retrouver les derniers restes de mon rêve envolé. De mes souvenirs, en réalité. Un vieux, si vieux souvenir... Quel âge avais-je ? Quatre ans ? C'est l'un des seuls qu'il me reste de cette période de ma vie. Le reste est noir, ou simplement flou. Un mirage, je crois bien. Quelques étreintes, quelques mots doux ; j'aurais tout aussi bien pu avoir implanté ces souvenirs de moi-même dans mon esprit, afin de créer l'illusion d'un bonheur qui n'était peut-être que factice.
Quelques instants de plus, je profite de la quiétude toute particulière du motel en pleine après-midi. Après m'être téléporté à New-York, épuisé aussi bien moralement que physiquement, j'ai cherché un hôtel de libre et me suis écroulé sur mon lit sans pouvoir rien faire pour empêcher le sommeil de m'emporter, par vagues courtes mais successives.
Puis, enfin, je me redresse et me lève, laissant mes pieds nus courir sur le sol avec légèreté pour me diriger au radar jusqu'à la salle de bain. J'ai pas pris le temps de me soigner en rentrant, aussi l'image que me renvoie mon miroir fait peine à voir. Mon nez porte une petite marque et du sang coagulé retrace la commissure de mes lèvres. Je baisse les yeux sur mes mains, que j'avance devant moi. Mes jointures n'ont pas tenu le coup. C'est étrange pourtant, je n'ai pas mal. Comme si je me retrouvais hors de mon corps. Étranger à moi-même.
Je secoue doucement la tête et allume le jet d'eau pour me laver les mains et le visage.
Toc. Toc. Toc.
L'eau s'échappe encore du robinet après que je l'ai éteint et goutte dans l'évier, métronome insupportable, marqueur du temps qui passe sans aucun barrage. Des sillons rouges se tracent sur la blancheur de l'émail, sang sur neige, souillure de la pureté de la vie. Je tourne encore le robinet. Tout s'inonde. L'eau nettoie la souillure et ne laisse que la blancheur.
Comme si rien ne s'était passé.
Je me passe encore un peu d'eau sur le visage pour me rafraîchir les idées. Mon double me fixe à travers le miroir d'un air torve, vidé. Plus aucune lueur dans ses yeux – plus aucune vie. Pas la peine de se demander pourquoi. Je suis à bout de force. Mal dormir se ressent un peu, mais ce n'est pas le pire. J'ai l'habitude de ne pas me reposer. Le pire, c'est cette ambiance. Cette obscurité, cette tristesse qui broient tout sur leur passage.
J'ai l'impression de n'être plus qu'un pantin désarticulé, ballotté par trop de sentiments contradictoires. La sérénité de ne pas avoir cédé à mes pulsions, la colère de ne pas m'être vengé. La douleur de me retrouver dans cet appartement vide, le bonheur mélancolique de pouvoir y puiser, au calme, tous ces merveilleux souvenirs. Une fois que la fatigue sera passée, je sais que je n'aurais pas de mal à me dire que tout est enfin terminé. Que ce Vide est enfin surmonté.
Malgré mon passage à Master, j'ai douté. J'ai douté de moi, de ma capacité à me remettre debout. Maintenant, je n'ai plus le choix. Il faut que j'avance. Pas seulement pour les autres. Mais aussi pour moi, pour une fois. J'ai le droit d'être heureux, non ?
Je relève les yeux pour me fixer, longuement. Peut-être pas encore. Il me reste une dernière chose à accomplir, et il faut que je sois présentable pour Lui. Une dernière fois.
Je prends une douche rapide et sors de la petite chambre, avant de rendre les clés et de payer. La réceptionniste semble plus rassurée en me voyant – l'état dans lequel je suis arrivé a manqué de lui faire appeler la police. En sortant, je passe un court appel à Malorie, afin qu'elle m'envoie une adresse sur mon portable, puis appelle un taxi pour qu'il m'y dépose. En observant défiler le paysage, je laisse mes pensées dériver très loin de moi. Cette journée n'appartiendra pas à mon père, mais à Lui, à Eux tous.


La musique pulsait en nous, semblait-il, au même rythme que nos cœurs. Les yeux fermés, je me laissai aller avec un sourire amusé, ravi de constater la proximité d'autant de personnes dans la salle. Puis je rouvris les yeux, et tombai face à Lui. Le frère d'Isabel, si je me souvenais bien – mais j'avais ingurgité une telle quantité d'alcool que je ne parvins pas à remettre un nom sur ce visage Ô combien agréable. Nous avions échangé quelques mots en début de soirée, plus ou moins sobre. Un coup de chance que je pus me souvenir de son... ouverture d'esprit, dirons-nous, avant de tenter quoi que ce soit.
– Bah alors, Aaron ? Tu ne tiens déjà plus debout ?
Je souris largement, me rapprochant lentement mais sûrement de lui. Certainement un peu trop éméché. Mais qu'importait ? Tant que je me sentais bien, je n'allais pas refuser un peu de compagnie. Charmante compagnie, qui plus était.
– J'ai l'air de ne plus tenir ? Une illusion, crois-moi.
– En effet... Tu es sûr que tu n'as pas besoin d'un peu d'aide pour te soutenir ?
– Je ne refuse jamais une danse...
Mon sourire s'étire en coin, alors que je glisse ma main sur son épaule pour me rapprocher un peu plus. Nous dansâmes alors, longuement, l'un contre l'autre, un rire au cœur et ses lèvres au bord des miennes.



Apprendre à se connaître à moitié saoul était assez difficile ; aussi nous nous rattrapâmes les jours suivants. J'appréciais sa compagnie, qui me rappelait tant celle de Damian, alors même qu'il était loin d'ici. Un an sans le voir, et c'était toute une vie qui s'écroulait. Je trouvais en Ben ce que je désirais trouver, un partenaire de jeu idéal et un parfait ami. Un peu possessif, certainement ; mais rester dans ses bras ne pouvait que me rendre de meilleure humeur encore. Il était trop doux dans ses mots, trop tendre dans ses gestes. J'aurais mieux aimé qu'il me brise en deux, pour ne pas avoir constamment l'impression de faire quelque chose de mal. Pour avoir une vraie raison de pleurer. Je crois que j'aurais préféré l'aimer lui – plus simple, moins prise de tête. À portée de main. Reposant. Sa présence était rassurante – ou, du moins, j'aurais souhaité le croire. Mon esprit s'embrouillait au fur et à mesure que le temps passait.
J'esquisse un sourire doux. Je me souviens encore de la rencontre entre Ben et Damian – mon plus ou moins partenaire, versus la personne que j'aimais. Sportif. Pas spécialement amusant, sur le coup, surtout pour ce pauvre Ben. Mais le départ de Damian, un an et demi plus tôt, m'avait tant blessé que je ne pouvais qu'être réjoui de nos retrouvailles. Je crois même que « se réjouir » est assez faible, comme mot...


Son souffle près  de mon oreille me berçait doucement. J'étais à moitié affalé contre Ben, alors qu'on regardait un film qu'on avait déjà vu vingt fois avec Isabel, Jerem' et Malorie. Nous avions réussi, sans trop savoir comment, à nous entasser sur le canapé et le fauteuil sans que personne n'ait de fesse au sol. Ce qui, il fallait bien l'avouer, relevait du miracle.
Un gémissement plaintif s'échappa d'entre mes lèvres lorsque quelqu'un sonna à la porte, massacrant l'interrupteur plusieurs fois de suite. Malorie, comme montée sur ressorts – et certainement bien trop heureuse de pouvoir échapper à la vision de son ex en pleine exploration de la cavité buccale de sa nouvelle copine –, se leva immédiatement pour ouvrir, alors que je levai à peine la tête. La flemme. Je ne dormais plus depuis des mois, plongé dans mes équations nuit et jour pour ne pas péter un câble. Je souhaitais juste dormir un peu. Rien qu'un peu, être au calme, fermer les yeux, et surtout ne plus cauchemarder. Le néant, plutôt que tout ça.
J'entendis un peu de bruit, des gens qui se levaient, mais je ne bougeai pas. J'étais perdu, complètement, dans une contrée trop lointaine pour pouvoir en émerger. Puis, soudainement, plus un seul bruit. Le silence.
Et sa main qui cessait de caresser mes boucles sombres. Ce simple fait me tira lentement de ma léthargie, d'une manière tout bonnement incroyable. J'ouvris alors un œil, puis les deux, et me redressai, interrogateur.
Choc 1. Choc 2. Choc 3.
Damian se tenait juste face à moi – à nous, en réalité, mais qu'importait ? Je le reconnus immédiatement. Toujours aussi grand, sûrement plus encore, toujours musclé, toujours aussi beau. Aussi parfait. Et ses yeux verts me transperçaient littéralement, me mettaient entièrement à nu.
Le silence s'étira, encore, pour ne plus laisser le moindre bruissement s'échapper de la pièce. Autour de moi, plus personne ne bougeait ; j'en vins presque à regretter que le blond ait sa main enfouie dans mes cheveux. Possessive. Il m'aurait accroché une pancarte autour du cou « chasse gardée » que ça n'aurait pas été différent. Je m'en fichais. Là, il y avait Dam, qui me fixait dans un silence quasi religieux de ses pupilles indéchiffrables. La seule chose que l'on pouvait y lire était claire : de la colère. Elle me lacérait de l'intérieur.
La main se retira, lentement. Le regard du nouvel arrivant semblait lui hurler de me lâcher, de me laisser partir. À moi, ils semblaient me lancer : « T'es qu'un con. Tu m'as manqué... C'est qui, lui ? » Ou, plutôt, j'aurais aimé que ce soit le cas. Il devait s'en foutre. Et je m'en foutais un peu aussi. Un peu.
Pas du tout.
Comme dans un rêve, mon corps se redressa complètement. Je ne m'étais pas retenu, j'aurais déjà fini dans ses bras.
Ah.
C'était le cas, en réalité.
Je me mis à chialer comme un gosse, sans même comprendre comment j'en étais arrivé à terminer enveloppé de cette manière dans ses bras, lové tout contre sa trop large poitrine. Trop grand, bordel. Beaucoup trop grand. Bien vite, sa main retrouva sa place – Sa place – dans mes cheveux, et il parvint immédiatement à me calmer. Je m'éloignai un peu, suffisamment pour le regarder, mais pas assez pour me décoller de lui, et lui lançai un sourire éblouissant de bonheur, malgré les larmes qui humidifiaient encore mes joues. Derrière, je sentais Ben fébrile, certainement agacé. Blessé. Tant pis... C'était pas comme si nous étions ensemble après tout.
– Tu m'as manqué, crétin, je soufflai en fermant les yeux, alors qu'il passait son pouce dessous pour les essuyer, un sourire en coin sur les lèvres, et certainement un peu calmé lui aussi.
– Toi aussi, espèce d'abruti.
Si je l'avais pu, je serais resté accroché à sa chemise pour le restant de mes jours. Je voulais plus le lâcher. Je pouvais plus. Par désespoir ? Sûrement pas.
La seule chose que je sentais naître dans mon cœur était cette floraison d'un espoir, au fin fond de mon cœur. Damian était revenu.
Damian était revenu, putain.



Mon sourire se fait plus triste, mais aussi infiniment plus apaisé. J'ai toujours cette culpabilité d'avoir laissé Ben derrière, sans autre explication que « c'est Damian ». Ils se sont haï par ma faute ; alors que, j'en suis encore persuadé aujourd'hui, ils auraient pu s'entendre à merveille. Leurs caractères étaient carrément compatibles, contrairement à ce qu'ils pensaient. Lorsque Damian est revenu, je devais avoir seize ans environ. Mine de rien, c'est long, un an et demi. C'est long de se dire qu'on a pu vivre autant de temps l'un sans l'autre, quand on voit les retrouvailles qu'on a eues. Ben, lui, m'en a évidemment voulu, mais restait très attaché à moi, malgré tout ce que je lui faisais subir. Je ne comprends même pas ce qu'il a réussi à me trouver ; il méritait tellement mieux que ce que j'avais à lui offrir, tellement plus que ce que je représentais. Mais je ne pouvais pas, je ne pouvais pas leur dire à tous les deux que je ne voulais pas d'eux dans ma vie ! J'en avais tellement besoin...
Cependant, ce n'est pas à ça que je souhaite penser à présent ; j'ai juste envie de me remémorer ces scènes. Même si Damian, aujourd'hui, n'est plus là... Je sais que ces souvenirs de lui, de nous tous, seront les plus doux et les plus puissants, et qu'ils resteront, qu'importe le temps qui passe et qui détruit tout.
Mais voilà. Je suis heureux, donc je souris. C'est ça, le bonheur, même s'il est à présent aussi lointain que l'horizon. Savourer chaque heure, chaque minute, chaque instant de sa vie, en ne ressassant plus, et se contentant de gonfler son cœur de ces petites touches de couleur quotidiennes. Ceux-là sont les plus rares et les plus précieux d'entre tous. Ce sont ces instants-là que je chéris, que je souhaite graver dans mon âme. À tout jamais.
J'ai eu tort de ne pas suivre ces conseils à la lettre, finalement. J'aurais pu aimer plus profondément, plus intimement encore cette vie qu'on m'a offerte, si j'avais su regarder devant moi, et non pas derrière.
Tout ça est triste, quand on y repense. Je n'ai fait que fuir lâchement, durant toute mon existence. Terrae... Le seul espoir, c'est la fuite, hein. À présent, je refuse d'adhérer à ces propos. Le seul espoir, c'est de faire face. Enfin.




Le taxi s'arrête, et je suis comme éjecté de mes pensées. Comme un spectre, je sors et paie ma course, avant de me tourner vers le bâtiment. L'hôpital.
Mon humeur, qui avait réussi à retrouver un semblant de stabilité positive, chute à nouveau d'un seul coup pour s'enterrer six pieds sous terre. Bâtiment froid, porteur de vie... mais surtout de mort. La douleur concentrée en un seul point. Je déglutis, mal à l'aise. Puis me décide enfin à entrer en traînant les pieds, observant autour de moi d'un air mal assuré, pesant. J'ai envie de vomir sitôt que je passe la porte. Trop d'émotions. Toutes négatives. Je ressens comme si elle était la mienne la fatigue des infirmières et des médecins, mais aussi la tristesse sourde et incontrôlable des proches, la douleur des malades. Cette souffrance distillée goutte par goutte dans leurs veines, jusqu'à les brûler de l'intérieur.
Le désespoir, partout.
J'entends leurs voix dans ma tête, ces Appels désespérés. De nouveaux candidats, peut-être ? Il faudra les recherches pour monter des dossiers, je pense, essayant de me concentrer sur autre chose que sur cette boule d'angoisse grandissant au creux de mon ventre.
J'avance lentement vers la réception, interroge la secrétaire d'une voix blanche, qui me donne l'étage et le numéro de la chambre. Oncologie. Forcément. Tant que ce n'est pas la morgue...
D'un pas lent, le souffle coupé, je prends l'ascenseur et remonte le couleur, jusqu'à trouver la porte correspondante. J'hésite longuement. Tremble un peu. Tente de faire refluer la panique, et de me composer un visage. Puis je pose ma main sur la poignée, et ouvre la porte.


J'ouvris la porte d'un geste infiniment lent, que j'espérai silencieux, et jetai un regard dans la pièce, sans trop oser rentrer. Les rideaux étaient tirés devant la fenêtre où le pâle soleil d'hiver brillait, plongeant la chambre dans une pénombre agréable mais un peu confuse. Le bip régulier des machines me rassura aussitôt, et me permit d'avancer de quelques pas. Je refermai soigneusement la porte derrière moi, et ramenai la chaise près du lit, afin de pouvoir observer Son visage endormi. Ses traits gardaient la même grâce, malgré les années passées – si son teint n'était pas si cireux et qu'elle possédait encore des cheveux, on aurait presque pu croire qu'elle allait bien. Il fallait aussi ignorer les trop nombreuses machines auxquelles elle était reliée.
Un ange endormi. Si belle dans son écrin de blancheur, malgré l'absence de ses si magnifiques boucles brunes.
Et ce sourire si tendre, léger comme les ailes d'un papillon, qui étirait ses lèvres dans son tout dernier sommeil.



Mes gestes sont automatiques, suivent un ancien schéma bien connu, inconsciemment ; je me suis assis sans m'en rendre compte, perdu dans mes pensées. La première chose qui me frappe est le bouquet de fleurs sur le rebord de fenêtre, couleurs vives et claires dans cet univers de blancheur et de mort. Au moins, quelqu'un vient lui rendre visite. Quelque part, je m'en sens rassuré. Me dit qu'il n'a pas été seul, ces dernières années. La seconde chose qui me tape à l’œil est son visage, empreint des paisibles lueurs du sommeil, pâles et tremblotantes, qui a perdu de son éclat pour virer au gris terne. Ses joues se sont creusées – il doit avoir perdu énormément de poids. Il est encore beau, quelque part – mais sa beauté venait de sa vivacité et de son sourire angélique. Le genre d'expression à vous faire plonger la tête la première dans les abysses sublimes du bonheur. J'aurais pu chercher à être heureux avec lui. Mais je ne sais pas quoi en penser, aujourd'hui encore. Est-ce que c'est ce que je cherchais vraiment ? Finalement, je voyais en Ben le meilleur ami que je ne voyais plus en Damian. Mais je n'ai pas vraiment remplacé l'un par l'autre ; ce serait une pensée un peu trop stricte et manichéenne. Si on me l'avait demandé, à l'époque, j'aurais pu répondre que je les aimais tous deux, d'un amour certes différent, mais tout aussi puissant. Cela dit, à quoi bon ? Ce n'est pas ce qu'ils souhaitaient savoir. Pas la peine de les bassiner avec ça.
C'est dur, d'aimer.
Avec une délicatesse presque exagérée, je glisse ma main sur sienne. Si froide. Ben me manque... Damian aussi. Leur absence laisse le monde toujours aussi morne. Mes deux astres se sont éteints ; toi, Ben, qui illuminait mon cœur de ton visage doux comme celui d'un saint, les nuances vert-argent de tes yeux qui me berçait comme la lune berce sa compagne la nuit, discrète et silencieuse, sans jamais te plaindre.
J'ai mérité son abandon. Qu'il parte ainsi sans me prévenir. Mais lui n'a pas mérité de passer la moitié de sa vie dans un hôpital. Il avait déjà tant souffert jusqu'ici, à passer de la maladie à une pseudo rémission, qui finissait toujours par des rechutes de plus en plus violentes. À combien d'entre elles a-t-il dû accepter de faire face ?
Une infirmière passe pour voir comment il se porte, mais me dit d'un air gêné qu'elle repassera un peu plus tard, que ça n'a pas beaucoup d'incidence. J'acquiesce et lui réponds d'une voix étranglée – je me rends alors seulement compte que des larmes inondent mes joues. C'est trop. Il y a trop de choses ici, trop de choses que je ne peux pas supporter. Trop de forces qui m'entraînent vers le bas.
D'un geste rageur, j'essuie mes yeux et me lève, lâchant avec beaucoup de regret sa main. Si faible. Si froide...
Je me détourne pour avancer vers la porte, le cœur lourd. Puis me stoppe subitement. Un bruissement, puis un faible murmure me parvient. Lentement, je tourne la tête vers lui, dont les yeux sont entrouverts et mes fixent sans trop y croire. Ses lèvres se tirent légèrement. Douloureusement. Son âme déborde de joie, et s'il ne peut me le montrer, quelques larmes lui échappent pour en témoigner.

– Aaron...

Sa voix n'est plus qu'un souffle inaudible. Un murmure, qui peine à traduire l'ouragan de ses sentiments. Il est si fort, mon Ben. Tellement beau. J'en suis heureux, et j'ai mal à la fois. Je ne l'ai jamais vu pleurer, pas une seule fois. Il ne pleurerait jamais pour lui-même.

– Aaron... répète-t-il encore lorsque je me rapproche pour m'asseoir près de lui, sur la chaise que je venais de délaisser. Tu as tellement changé...

Avec précaution, ma main se pose sur la sienne pour l'effleurer.

– Je suis venu pour toi, Ben, je lâche d'une voix infiniment douce et cristalline.

Il referme les yeux et je caresse tendrement sa joue, avec une certaine mélancolie. Il a l'air si faible. Je cache ma peine derrière un sourire léger.

– Où étais-tu passé ?
– Je suis parti loin. J'avais besoin de temps. Mais j'ai trop traîné, pardon.
– Non... Tu n'y es pour rien.

Le silence s'étend. Il n'est pas gêné, simplement serein. Nécessaire. Il ne faut pas le brusquer. J'ai peur de l'épuiser en l'obligeant à parler. Chaque respiration semble lui être douloureuse. Et sa voix, qui flanche presque à chaque mot...

– Tu sais, je suis... vraiment heureux de te revoir, je lui avoue sans trop oser continuer.
– Ne me mens pas, Aaron... Je te connais. Tu n'aimes pas les effusions d'affection.
– C'est vrai. Mais j'ai été con. Je... j'avais besoin de te revoir. Tu me manquais. Mais je voulais pas qu'on se retrouve dans ces conditions.
– Moi non plus...

Je serre doucement sa main dans la mienne, mais pas trop fort, de peur de la briser. Mes yeux sont humides, et je les détourne pour qu'il ne me voit pas faire. Le voir dans cet état est insupportable. Mais ce doit être encore plus dur pour lui que pour moi.

– Je te fais pitié, il soupire en fermant les yeux, glissant avec difficulté son autre main sur la mienne.

Sans attendre, je secoue la tête.

– Jamais. Je... Je n'aime pas te voir... comme ça. Savoir ce qui... je lâche en me mordant la lèvre, avant de m'interrompre. Pourquoi ne m'as-tu jamais rien dit ?
– Qu'est-ce que tu aurais pu y changer ? Tu avais tes problèmes... Avec ta mère. Ta sœur. Et Da--

Une quinte de toux le prend, et je réagis immédiatement, un peu paniqué, en lui proposant un verre d'eau. J'attends qu'il se calme en le redressant lentement, caressant son dos pour l'apaiser, et le fait boire doucement. Cette situation me rappelle tellement celle avec maman, des années plus tôt. La douleur, mais aussi le soulagement de la voir encore bouger un peu, même si elle s’affaiblissait un peu plus chaque jour. Le temps qui passait nous plongeait dans la peur, un peu plus chaque fois que nous la voyons. Le temps qui passait nous plongeait dans la peur. Ses joues qui se creusaient démesurément, ses yeux qui, peu à peu, s’enfonçait dans ses orbites. Et, bientôt, le sommeil profond et immuable avant la mort.
Lui n’en est plus très loin – je reconnais les signes, et je perçois son aura, cette dernière flammèche qui l’étreint encore. Je rêve cependant encore d’une vie où il pourrait être présent, comme avant. Accompagné de son  rire et de ses yeux pétillants.
Je l’aide à se rallonger et il me remercie d’un regard. Nous n’avons pas besoin de parler pour ces choses-là.

– Tu vas repartir bientôt ? souffle-t-il en se recalant dans ses coussins, les yeux à demi fermés.
– J’aimerais rester un peu. Revenir te voir encore avant de partir. Tu voudrais ?

Un pâle soleil illumine ses lèvres.

– Tu n’es pas obligé.
– Mais j’en ai envie. Je voudrais juste…
– Rattraper le temps perdu ?

Mon cœur se serre.

– C’est impossible, Aaron.

Je ferme douloureusement les yeux. Je le sais. Je le sais bien. On ne rattrape pas six ans perdus comme ça. Tout comme on ne rattrape pas presque trois ans d’amour ignoré. Je le sais, oui ; mais ça fait toujours aussi mal lorsqu’on nous le dit. Bien que ce soit Ben qui en ait le plus souffert. Je me sens toujours aussi pathétique face à lui. Un petit enfant capricieux, qui n’a jamais su ce qu’il désirait vraiment obtenir. Mais que sait-on du bonheur, lorsqu’on a dix-neuf ans ? On est con et égoïste, à cet âge-là. On pense que le bonheur nous est dû. Que si on est pas heureux, les autres n’ont pas besoin de l’être non plus. Que ce n’est rien de grave. Et que ça ne change rien.
Sa main serre doucement la mienne, faiblement, mais son geste se veut réconfortant.

– Pardon Aaron, murmure-t-il encore, la voix entrecoupée de longs silences. J’aimerais aussi pouvoir rester avec toi. Mais je sens que… je suis au bout de mes forces.
– Alors permets-moi de rester un peu.

Il est heureux, même s’il ne me l’avouera jamais. Ben est le genre de personne à ne se plaindre sous aucun prétexte. De peur de blesser. De forcer les gens à agir pour lui. Tomoe et lui se ressemblent un peu, finalement. Lui est cependant plus abrupt, plus masculin. Inconsciemment, sans vraiment le vouloir non plus. Ben est sûrement le type le plus vertueux que je connaisse. L’un de ceux qui ne mériteraient pas de souffrir, jamais.
Je garde sa main dans la mienne longuement, effleurant parfois sa joue d’un geste affectueux. Il en est souvent étonné. Me demande encore parfois si je ne fais pas ça par pitié. Mais c’est quoi, la pitié, au juste ? Ca n’existe pas, quand on aime. Parfois, lorsque la douleur se fait insupportable, je l’assomme légèrement avec mes pouvoirs. Pour l’empêcher de la ressentir. Calmer sa peine.
Et alors, depuis le tout début, je lui raconte mon histoire depuis que nous nous sommes quittés. Son regard se fait plus profond lorsque j’évoque la falaise et l’océan, où nous avions passé quelques heures pour une balade. Damian nous y avait emmenés pour nous changer les idées après la mort de notre mère, et les filles avaient adoré cette étendue bleue à quelques mètres devant elles. Après avoir appris pour Damian, je me suis retrouvé là-bas, complètement seul et désespéré, le cœur en miettes. Pendant quelques instants, j’étais tenté d’en finir. De sauter, et disparaître dans les abysses en contrebas. Je me contentais pourtant de regarder l’horizon, comme pour chercher à y apercevoir Son visage dans le lointain. Et là, au moment où mon cœur finissait de se briser, et que je constatai que jamais je ne pourrais le revoir, une femme est arrivée. Elle avait un fort accent asiatique, et me parlait dans un anglais troublé mais doux, d’une voix que je n’avais encore jamais entendue. Si belle, et si envoûtante. Elle parlait d’un endroit magique, où ma peine pourrait être effacée à jamais. Où je pourrais apprendre, et me reconstruire.
Longuement, je lui parle de Terrae. Des pouvoirs formidables que nous pouvons acquérir. Son visage est plus doux, serein. Je ne sais pas s’il s’imagine que je lui raconte des histoires, comme je le ferai avec un enfant, mais il est apaisé par mes mots, petit à petit. Puis, finalement, l’heure de la fin des visites arrive. Je me lève à regret et, lentement, me penche sur lui pour l’embrasser au coin des lèvres.

– Je repasserai.
– Merci, Aaron…

Lorsque je ressors de l’hôpital, je ne sais pas si j’ai le cœur plus léger ou alourdi par toutes ces émotions. Cependant, je sais ce que j’ai à faire.
Je cherche un motel près du bâtiment, décidé à rester quelques jours. Je m’achète quelques fringues de rechange, décidé à économiser mes allers-retours avec mes cristaux de téléportation. Je crois que le lavomatique va me voir assez souvent dans les prochaines semaines.
Puis, une fois posé dans ma chambre d’hôtel, j’attrape mon portable et appelle rapidement Hideko – en me faisant copieusement engueuler à cause du décalage horaire qui lui convient pas – pour la prévenir que j’allonge mon voyage. Elle manque de faire une crise cardiaque quand je lui dis que « Je sais pas, deux semaines, peut-être un peu plus » et que « Je verrais de toute manière quand je reviendrai ». Mais vu mon ton, je crois qu’elle a compris que c’était important pour moi. Que n’était pas simplement un caprice de plus.
Puis, à nouveau, je m’allonge sur mon lit et ferme les yeux.


– Allez, resserrez vous un peu, vous êtes pas dans le cadrage, râla Diana en mettant en place l’appareil photo sur son trépied, son œil regardant à travers l’objectif. Mais non, pas sur la gauche, sur la droite ! Mais, Aaron, t’es bête ou quoi ? L’autre droite !
Nous grommelâmes un peu avant de nous rapprocher, mais j’étirai un sourire amusé en voyant les airs agacés de mes deux blonds préférés.
– Frangin, tire pas cette tête, rit doucement Isabel en jetant un regard amusé à Ben, qui snobait complètement Damian et se tenait plus à l’écart, un peu agacé.
Cassidy était excitée comme une puce et sautillait presque sur le canapé, attendant avec impatience que Diana ait fini de programmer l’appareil.
– Anaaa, bouge-toi un peu !
– Ouais, c’est vrai, le pauvre petit Aaron commence à avoir une crampe à force de sourire, ricana Damian en me donnant une tape bourrue dans le dos.
- Je t’emmerde, Jonesie.
– Du calme les tourtereaux, mettez vous en place, je mets le compte à rebours !
Ana s’éloigna de l’appareil et se jeta presque sur le canapé, entre sa sœur et Malorie, sous les exclamations contrariées de cette première. Se chamaillant gentiment durant quelques secondes, elles finirent par reporter leur attention sur l’objectif pointé sur nous. Dans mon dos, je sentais les doigts de Damian effleurer ma paume, et vis du coin de l’œil Ben se détourner un peu plus. Le flash s’enclencha, et je mis quelques secondes à comprendre ce qu’il venait de se passer. Jeremy déposa un bref baiser sur la joue de sa petite amie, alors que Malorie roulait des yeux d’un air exaspéré. Les jumelles lui sautèrent dessus pour l’enlacer dans un rire sonore, et elle ne put les repousser, un peu décontenancée par leur soudaine hilarité. Les filles n‘étaient  pas stupides, et ça me faisait plaisir de voir qu’elles étaient aussi proches de Malorie et des autres. C’en était presque mignon.
J’interceptai le regard interrogateur de Damian alors que je l’obligeai à lâcher ma main, pour aller voir Ben quelques instants. D’un geste vague de la main, celui-ci me fit comprendre que je n’avais pas à m’en faire, que ça lui passera, que tant pis, il savait, et qu'il devait l'avoir mérité après tout. Il commença à débarrasser les cadavres de bière un peu partout dans l’appart’ alors que mon cœur se serrait, et nous nous mîmes tous au travail, histoire de rendre l’appartement vivable.
Bientôt, les autres partirent et nous eûmes tout notre temps pour nous poser sur le canapé. Je déposai ma tête sur l’épaule de Damian en fermant les yeux, bercé par son souffle. J'étais éreinté, et un peu triste pour mon ami. De ne pas avoir pu le lui dire directement, plutôt que de le faire espérer des mois pour du vent.
– Plus jamais on fête Noël ici, c’est trop le bordel, je soupirai doucement, alors qu’il passait sa main dans mes cheveux.
– Eh, c’est toi qui a proposé, assume, s’amusa-t-il en taquinant mon ventre.
Je pinçai les lèvres et lui lançai un regard boudeur. J'attendis un instant, avant de reprendre :
– On est si peu discrets que ça ?
La question le surprend mais il haussa les épaules, habitué à mes changements de sujets toujours aussi soudains.
– Encore moins que d’habitude, tu veux dire ?
Je fermai les yeux, hochai lentement la tête en blottissant mon nez dans son cou.
– Merci d’être là, Dam.
Qu’aurais-je pu faire sans toi, hein … ?





Les jours passent, et rien ne change. Je vais voir Ben tous les matins, pour passer autant de temps que possible à le divertir jusqu'au soir venu. Souvent, je lui raconte des anecdotes à propos de ma vie à Terrae, puisque parler lui est difficile ; d'autres fois, je l'observe dormir en silence, m'attardant sur ses traits pour en enregistrer toutes les courbes, les creux et les pleins. À la fin de la semaine, j'ai pu revoir Jeremy et Isabel, accompagné de leur petit garçon qui doit avoir le même âge que Daisuke. Ils sont installés dans un appartement pas trop loin, et m'ont proposé de rester chez eux le temps de mon séjour à New York. On se retrouve, on reparle, on se souvient. Lorsque nous nous sommes revus, on a évité de s'engueuler face à Ben. Ils ont attendu qu'on soit sortis pour me faire la morale sur ma conduite irresponsable. On voulait pas qu'il nous voit de cette manière-là, il n'en avait pas besoin. Surtout dans son état.
Sa santé s'est encore dégradée. Je suis arrivé il y a déjà trois semaines quand le mois de novembre prend fin. Le mois de décembre ne commence pas sur une note des plus enthousiasmantes, et je continue de supplier Hideko de me laisser un délais supplémentaire. J'ai mal, tellement. Tout est toujours tant douloureux autour de nous...
Finalement, un matin, la nouvelle nous est tombée dessus.
Ben est mort.
Le traitement inefficace, trop lourd. Il s'est éteint comme une étoile disparaît. En laissant derrière lui une lueur pure mais lointaine. Inatteignable.
L'enterrement se déroulera à Boston. Avant ça, je suis passé chercher Cassidy pour le lui annoncer. Le visage bas. Et nous avons pleuré longuement, en silence, dans la douleur de cette nouvelle perte ; cette famille déchirée de l'intérieure, victime de la pire des malédictions. Je lui ai attrapé la main, et nous nous sommes téléportés à Boston, grâce à l'aide d'Emmy, pour rejoindre ce maudit cimetière. Je ne voulais plus revivre ça.



« Aaron, Damian est mort. »


Mort.
Mort.
C'était impossible, pas vrai ? Il ne pouvait pas. Il m'avait juré de ne pas m'abandonner. Il m'avait juré de rester, coûte que coûte, auprès de moi.
Mort.
Mes sens se bloquèrent. Mes yeux restèrent fixés devant moi, hagards et vidés, et plus aucun son ne me parvint. Silence dans la pièce. Silence dans ma tête. Silence dans mon cœur.
Plus rien.
Mort.
Il ne viendra plus m'embrasser le matin pour me réveiller. Il ne se moquera plus de moi, avec tendresse et amusement, devant mes bourdes quotidiennes. Il ne me prendra plus dans ses bras, ne me laissera plus entendre sa voix affectueuse et douce. Il ne me dira plus à quel point il m'aime.
Mort.
Je réagis finalement. Violemment. Je hurlai. Je criai. Puis, sans comprendre comment, mes jambes me lâchèrent et j'atterris au sol en laissant échapper de lourdes larmes, brisé en deux. Sa voix résonnait dans mon esprit avec autant de force qu'un gong.


Damian est mort...
Et mon cœur s'est éteint avec.




Le Révérend laisse échapper une prière que je suis incapable d'entendre. Puis le cercueil s'enfonce lentement dans la terre, alors qu'une petite neige commence à tomber. Pure, mais éphémère. Si belle.
Si belle, putain.
Je retiens mes larmes comme je le peux en serrant ma sœur contre moi. Comme moi, je sais qu'elle repense à maman, à Diana, à Damian. À toutes ces personnes qui nous ont quittées. Abandonnées. Qui sont toutes là, dans ce cimetière maudit.
Pour la première fois depuis six ans, nous sommes tous là. Tous ensemble. Alors que les autres s'éloignent, je ne peux retenir un léger sanglot, la gorge nouée. Douloureuse. Pardon. Adieu, Ben. Tu peux te reposer maintenant. Dors. Dors...
Le temps passe, et je reste planté là, devant la tombe fraîchement creusée. Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien. Contre lesquelles personne ne peut agir. Pas même nous, Masters.
Cassidy se détache de moi et attrape ma main avec douceur, sourit faiblement. Ses grands yeux bleus sont inondés de larmes, et je n'ai même plus la force de les essuyer.

– Allons-y.
– Attends. Viens avec moi.

Elle m'entraîne lentement entre les tombes et se plante devant celle de maman. Je ferme les yeux en la voyant murmurer une prière, et effleure la pierre blanche.

Adieu, maman.

Puis elle se dirige vers celle de ma sœur, que je reconnais à quelques pas d'ici. Son sourire est plus doux. Infiniment triste, mais aussi infiniment mature. Ma Cassidy a grandi, tellement grandi... Si tu savais Diana, si tu la voyais comme je la vois ; si belle et si forte. Tellement plus que moi.
Là encore, je ferme les yeux doucement. Accompagne sa prière par la pensée.

Adieu, Diana.

Enfin, ses pupilles s'ancrent aux miennes. Son regard est trouble. Doux à la fois. Tendre. Ses doigts effleurent encore les miens, en une douce caresse. Elle m'en veut encore. Mais là, pour cette fois, il vaut mieux mettre nos rancunes de côté. Je lui expliquerai tout. Je lui expliquerai tout en rentrant...

– Viens, répète-t-elle encore.

Je ne comprends pas tout de suite où elle m'emmène mais obéis silencieusement, gardant mes yeux fixés sur son dos et son éternelle tresse. Elle prend un chemin, zigzague entre les rangées bien délimitées. Puis, soudainement, s'arrête devant une pierre, me lâche la main et recule, pour que je puisse voir l'inscription.
Un sanglot m'échappe. Puis plusieurs suivent. Je m'accroupis devant la tombe comme pour mieux constater la chose, cache mon visage dans mes mains, pudique. Détruit. Il était là. Il était là. Juste ici. De retour à la maison... Enfin de retour...


– On est deux idiots, rit-il finalement, et mon cœur bondit de joie dans ma poitrine.
Un léger sourire s'étira sur mes lèvres, alors que je fermai brièvement les yeux et posai ma joue tout contre son épaule.
– Tu ne boudes plus ?
– Nan...
Je soupirai doucement, ravi et rassuré. Mon nez va effleurer sa joue avec tendresse, alors que je continuais à sourire comme un demeuré.
– J'ai pas envie que tu penses que tu passes en dernier. Ce sera jamais le cas, et tu le sais.
– Ça ne m'empêche pas de le penser parfois, souffle-t-il en détournant les yeux, et je glisse ma main sur la sienne pour entrelacer nos doigts.
– Personne ne compte autant que toi, alors arrête de râler.
Il me fixa un instant, déposa une caresse tendre sur ma joue en me remerciant. Devant mon air embarrassé, il ajouta :
– Ne sois pas embarrassé comme ça, ce ne sont que des sentiments.
Le silence s'étira dans le salon, seulement troublé par les échos de la télévision allumée.
– Hé, Aaron.
Je ne répondais toujours pas, gardant les yeux détournés. Il rit doucement, prit mon visage entre ses mains en embrassant mes joues rougies.
– Je t'aime.



Moi aussi je t'aime, Damian.





Aaron vit en #E5882A.
Louisa danse en #78AB3F.


Un peu d'amour ♥:
##   Mer 2 Avr 2014 - 19:27
Aaron Williams

Personnage ~
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► Rencontres ♫♪ :
Aaron Williams
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Humeur : Aha ! ... Attendez, c'était une vraie question ?

... et lave mon âme de ses péchés

Fond sonore~:


Mes yeux se ferment avec lenteur, alors que ses longs et fins doigts courent sur mes bras et mon front, à la recherche d'un bleu ou d'une quelconque bosse. Je retiens mes frissons ; ce serait mal. C'est un toucher doux, innocent. Comme elle. Tendre. Aimant. Merveilleux. D'une volupté candide. La pulpe de son index retrace la courbe de mon arcade sourcilière mise à mal, puis de mon nez, toujours douloureux. Sa blancheur ne doit pas être maculée de taches rouges – elle devrait se stopper là. Le rouge, c'est l'agressivité. C'est la passion. Et moi, je me fais violence pour ne pas y céder.
Mes dents torturent mes lèvres. S'occuper. Ne pas penser. Ne pas imager qu'elle est là, plus proche qu'on ne pourrait le supporter. Son examen continue, sa longue et douce torture en fait de même. Je rouvre les yeux, plonge dans un océan de couleurs. Du vert, encore. Ce doit être une malédiction.
Pourtant, j'aime ses yeux. Même lorsqu'ils expriment cette colère factice, j'aime me réfugier en leur sein. On s'y sent rassuré, protégé. À l'abri des regards, derrière ses iris couleur feuillage. La gardienne de mes secrets. Mon secret. Ce cœur fragile et puissant à la fois. Sans ardeur guerrière, mais à la force miraculeuse.

– Tu es un crétin, Aaron.
– Ouais, je sais.
– Tu es vraiment incapable de faire attention à toi, hein ?

Ma réponse ressemble plus à un grognement. Elle se contente de me prendre un instant dans ses bras, et me berce, comme une mère bercerait son enfant. Derrière ses mots, je ressens son soulagement. Le soulagement de me voir plus ou moins entier, de me voir revenir ici malgré tout. Brisé. Mais entier.
Elle doit aussi avoir appris, pour Ben.

– Je savais que tu ne le tuerai pas, murmure Tomoe en se reculant, glissant une fois de plus sa main contre ma joue dans une tentative de réconfort que je ne saisis pas.

Mes yeux se détournent, et je baisse le regard sans oser la regarder. Je me sens pathétique de l'avoir laissé fuir, et qu'elle me le rappelle est une défaite de plus. Je me sens pathétique de ne pas lui avoir retiré la vie, lui qui a enlevé celle de ma sœur adorée. Même si elle est heureuse que je ne me sois pas laissé aller à la vengeance, j'ai un arrière goût amer dans la gorge. Comme un goût d'inachevé.
Je suis comme un spectre, depuis mon retour. Et je crois que ça se voit de plus en plus. Il me faudra encore un peu de temps pour me remettre. Même si mon cœur est déjà prêt.
Elle capte mon désarroi, secoue la tête et me prend les mains. Les siennes sont minuscules.

– S'il te plaît, Aaron. Il faut que tu te reprennes. Je serai là. Mais si tu ne le fais pas pour toi, fais-le au moins pour Mitsuki, maintenant. Tu vas vraiment la laisser se battre contre toi alors que tu es incapable de te faire confiance ?

Je la vois pincer les lèvres, indécise. Elle oscille sûrement entre le désespoir et l'agacement. Comme toujours.
Je ne suis pas sûr qu'elle sache réellement se mettre en colère. Trop gentille. Trop parfaite. Comme toujours. Comme Lui.

– Aaron.

La réalité s'impose à nouveau à moi. Je suis las. Tout juste rentré de mission, et je la retrouve plantée devant chez moi. Elle devait encore surveiller mes moindres faits et gestes. Pour changer. Elle fait toujours ça, avec tout le monde. Elle s'inquiète trop. Tomoe ne pense jamais à elle.

– Promets-moi que tu seras sérieux avec Mitsuki. Pas comme avant. Pas comme avec Kana. Vraiment sérieux. Je ne te demande pas de les massacrer, mais ne les traite pas comme si elles n'étaient que des enfants.

Je secoue la tête et me lève pour lui échapper et ne pas lui répondre, avec la furieuse envie de me glisser sous l'eau chaude de ma douche. La jeune femme attrape mon poignet pour me retenir, cette fois réellement agacée.

– Aaron. Promets-le, au moins pour Mitsuki. C'est le titre de Master qui est en jeu.

Elle marque une pause, desserre sa prise un instant. La blonde se plante devant moi, déterminée.

– Tu dois le promettre. Te battre à fond. C'est toi-même qui me l'a dit, non ? Tu veux prouver aux autres que tu n'es pas devenu Master en jouant au loto. De toute manière, tout le monde sait que tu n'as jamais eu de chance. Prouve-leur.

Un soupir m'échappe malgré moi et je lui fais à nouveau face, les yeux brillants. Je me force à ne pas repenser aux derniers événements.

– Retourner à Boston m'a fragilisé, même si ça m'en coûte de l'admettre. J'ai besoin de recouvrer un peu, avant de me lancer dans des promesses pareilles. Je sais que j'ai décidé de ne plus culpabiliser, mais ce n'est pas comme ça que ça marche.
– Aaron... Je sais que la situation est compliquée, mais il faut que tu te ressaisisses. Nous sommes là pour toi. Je... suis là pour toi ?

Sa mine inquiète et rougissante me tire un léger ricanement, sans que je ne puisse le retenir. Je le regrette immédiatement, mais je vois bien dans ses yeux que je l'ai blessée. Elle s'en fait sincèrement pour moi, et j'en tire bien trop de bonheur pour son propre bien.

– Aaron, s'il te plaît. Jure-le.

J'abandonne. Je peux rien lui refuser, de toute manière. Comme toujours.

– Je jure que je me donnerai à fond à partir de maintenant. De ne plus me blesser comme un couillon abruti parce que je me sens pas capable de me défendre sérieusement face à des gosses que j'entraîne. Et d'éviter de déprimer non-stop, aussi, c'est un bon commencement. Ça te va ?

Je soupire, me passe une main sur le visage. Besoin de dormir. D'oublier.

– Nan. Nan, moi ça me va pas. Je veux pas les envoyer à l'hosto. J'y ai passé trop de temps ces dernières semaines. Tu comprends au moins ce que--
– Si tu ne veux plus culpabiliser, alors ne culpabilise plus. Ce n'est pas comme ça que tu y arriveras, Aaron. Ils ne sont pas faibles, eux. Ils peuvent se défendre contre toi.

Son regard me cloue sur place, lourd de reproches. Elle crois que je ne le pense pas. Nouveau soupir. Je suis las, cependant que mon regard est déterminé. Je ne sais plus où j'en suis.

– Je serai plus fort. Pour Terrae, mes collègues et mes élèves. Je serai plus fort, non pas seulement pour me battre pour eux au péril de ma vie, mais aussi pour me battre à leurs côtés. Je serai plus fort pour leur transmettre la volonté et le courage de ne pas abandonner la bataille.

La seule chose que je sais, c'est que je ne reculerai plus. Pour Lui. Pour Eux.

– Tant qu'il me restera un souffle de vie, je me battrai. Et ce ne sont pas des paroles en l'air, je murmure pour moi-même, pris au jeu.

Les poings à demi serrés, je redresse la tête. Et, pour la première fois depuis bien longtemps, je lis de la fierté dans son regard. Un sourire niais se dessine subitement sur mes lèvres.

– Alors, j'étais bon ?~
– Tu es vraiment un beau parleur, hein...
– Ah, tu trouves ? Merci bien.
– C'est pas un compliment, tu sais ?

Elle me sourit, secoue la tête, amusée. Je m'assieds sur l'accoudoir d'un des fauteuils pour laisser mon regard vagabonder autour de nous.
Il m'avait fallu le temps pour ne plus me laisser aller...
'And I, Aaron Williams, swear it on my life.'

The end




Aaron vit en #E5882A.
Louisa danse en #78AB3F.


Un peu d'amour ♥:
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