J'acceptai le mouchoir de Misao avec un sourire, ne répondant à sa réplique que par un regard qui en disait long. Je me mouchai en tentant d'être la plus discrète possible, mais bon... On était tous les deux dans la maison, et personne ne parlait. Je pense que me moucher en silence aurait été compliqué !
Cessant donc de renifler, je repliai le mouchoir et le serrai dans mon poing avant d'aller le jeter. Je levai les yeux vers Misao qui me proposait d'aller m'asseoir pour parler. J'affichai un léger sourire, partagée entre l'émotion, le doute, et la peur, cette peur qui me rongeait l'estomac.
J'avais toujours gardé beaucoup de choses pour moi... C'était plus facile, de ne rien dire. Misao lui-même me l'avait d'ailleurs parfois reproché. Mais en même temps, si là j'avais envie de tout lui balancer de tout lui raconter, du début à la fin, j'étais aussi paralysée par l'idée de lui expliquer comment j'avais brûlé un village, figée en pensant à toute cette haine que j'avais éprouvé envers moi en cet instant. J'étais mal. Mais ça, il le savait.
Et de toute façon, je voulais le lui dire. Je voulais tout lui raconter, lui ouvrir mon coeur, redevenir aussi proche que nous l'avions été.
Alors, timidement, mais sûrement en même temps, je hochai la tête, et pris la direction du salon, où je m'installai sur le canapé. Je jetai un petit regard à Misao, accompagné d'un sourire maladroit, et lui proposai de me rejoindre.
Je fermai les yeux un instant, inspirant lentement pour expirer pleinement. Allez, c'est bon Hideko. Ca va aller ! Je rouvris les yeux, et lui adressai un joli sourire. Le sourire de Honda. (et un sacré sourire de tombeur, si vous voulez mon avis !)

-Je t'écoute. Demande-moi tout ce que tu veux ! J'y répondrais, c'est promis.

Je posai sur lui un regard doux, ramenant mes jambes vers moi dans le canapé, m'installant en tailleur. C'était le moment confession, apparemment. Alors bon... Je voulais être prête. Et bien installée. Confortablement, quoi !
Et puis bon, à tous les coups, j'avais évacué toute l'eau de mon corps ! Je pouvais l'écouter sans risquer de me remettre à parler maintenant. Surtout qu'une fois que j'aurais vidé mon sac... J'allais pouvoir changer les rôles, et, à mon tour, poser des questions à Misao. Ca faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas vu... Il me manquait. Ou m'avait manqué en tout cas. Terriblement. Alors je voulais rattraper le temps perdu !

J’observe le visage de ma princesse pendant qu’elle se mouche. Bon, d’accord, j’avoue que se moucher n’est pas l’activité la plus sexy qui soit, mais… C’est ma Hideko, et on prenait des bains ensemble quand on était petits, j’ai le droit de la regarder se moucher, non, c’est pas interdit que je sache ! Hum. Bon, d’accord, je voulais pas la faire pleurer, et je me sens un peu con… Du coup je la regarde en me tripotant les mains, sans trop savoir ce que je suis censé dire ou faire. J’ai l’impression qu’au moindre mot, au moindre geste de trop… je la perdrais à nouveau. Et ce serait une véritable torture. Je ne peux plus imaginer ma vie future sans elle. Je ne veux plus avoir à l’imaginer…
Elle revient après avoir jeté son mouchoir et je lui demande si elle veut s’asseoir, ce que nous faisons immédiatement après. Elle m’assure que je peux lui poser toutes les questions qui me viennent à l’esprit, et je choisis mes phrases avec soin. Mais j’ai trop de questions, trop de choses qui tournent dans ma tête…
J’essaie de reprendre mon calme. Je suppose qu’après viendra le temps des explications pour moi aussi…

- Ben… J’ai plein de questions. T’es pas obligée de toute y répondre, mais je vais t’en faire une petite liste, je souris en coin, caressant sa joue du bout des doigts, tendre.

Je prends une légère inspiration. Bon…

- J’ai déjà eu l’occasion de bosser sur Terrae avec… mes collègues.

Je pince les lèvres à ce souvenir. Je suis pas fier d’être allé avec eux, mais il fallait que je la retrouve. Ils étaient ma seule piste…

- Du coup j’ai déjà quelques connaissances, limitées, sur l’endroit. Mais j’aimerais que tu me racontes ta version. Comment tu es arrivée là. Ces pouvoirs, ce qu’ils sont. Ce qu’il s’est passé quand tu t’es enfui… Et les pouvoirs. On m’a expliqué la base, je sais qu’il y a les affinités et d’autres pouvoirs avec, qu’il y a des espèces de rangs ou je sais pas quoi… Mais c’est peut-être déjà trop long…

Je me mordille la lèvre.

- Et Daisuke… Il a quel âge ? Un an et quelques non ?

J'essaie tant bien que mal de me retenir de prendre sa main et de la serrer dans la mienne, pour pouvoir lui faire comprendre que je ne la presse pas. Ma question la met mal à l'aise, mais... les choses doivent être dites. On peut pas laisser les choses en plan comme ça. On ne peut plus se le permettre. Sinon on arrivera jamais à passer à autre chose. À reconstruire, même un peu, quelque chose ensemble. Ça me fait mal de me dire qu'on s'est pas vus pendant autant de temps, qu'on a tant de choses terribles à s'avouer à présent... Ça me fait tellement mal. J'aurais préféré qu'on continue à vivre ensemble, comme avant, qu'on ait pas besoin de totalement changer. Pour Terrae... ou à cause d'elle ? Je ne sais pas encore si je l'aime pour avoir offert un asile à ma sœur, ou si je la déteste pour me l'avoir volée. Et l'avoir mise dans cet état-là...
Elle me donne l'âge de Daisuke et je hoche lentement la tête. Un an bientôt, donc... Ca me donne quand même un coup de vieux, mine de rien. Hideko, maman… Et moi, j’ai même pas pu m’intéresser un minimum à qui que ce soit ces dernières années, trop obnubilé par mes recherches. Je sais pas réellement ce que je suis censé lui dire… Disons que j’ai déjà pas mal exposé mon point de vue par rapport à Daisuke donc c’est pas trop la peine de reprendre, même si je continue à me sentir un peu… abandonné, dans un sens. Je sais que c’est stupide, et j’en suis pas fier. Mais je peux pas m’en empêcher, c’est viscéral.
Je me cale un peu plus dans le canapé, essaie de ne pas trop la fixer. Hideko n’arrive pas à me regarder dans les yeux et je la comprends un peu. Même si… j’aimerais bien qu’elle puisse me faire confiance. Au moins un peu. Et elle commence son récit.
Je me force à rester silencieux tout du long, me concentrant sur ses mots, attentif et ouvert. Sa détresse me touche plus que je ne l’aurais voulu, dès le début. Elle évoque son licenciement, sa recherche de calme après ça. Sa voix se met à monter dans les aigus et je glisse furtivement ma main sur la sienne, serrée au maximum, pour lui faire comprendre que je suis là. Que je ne la jugerai pas. Ce n’était pas de sa faute, ce qui est arrivé à l’époque. Même… s’il y a eu des blessés. Elle ne l’a pas voulu, n’est-ce pas ? Tout lui est tombé dessus d’un seul coup, sans qu’elle ne le choisisse. Sans qu’elle ne puisse dire si oui ou non elle souhaitait ces pouvoirs, sans qu’elle ne puisse les contrôler. Elle a blessé des gens. Peut-être tués. Pourquoi on ne m’a jamais mis au courant de ça ?
Immédiatement, je comprends. Parce que je suis son frère. Ils ont certainement voulu se servir de notre proximité, un jour, pour… Je serre les dents. J’ai été con…
Je me force à me reconcentrer sur son récit. Je me souviens encore de ce jour-là. Les infos disaient qu’une bombe avait explosé au centre-ville – tu parles. Et Hideko avait disparu le soir-même. Je m’étais imaginé le pire, vraiment. Des enlèvements, des meurtres, des… Tout. Tout mais certainement pas ça. Pas les labo qui l’ont enfermée, qui lui ont… fait subir tout ça. Des mois. Des putains de longs mois où Hideko avait dû souffrir le martyr. Et moi, j’avais, indirectement, participé à tout ça. Participé à lui faire perdre toute intégrité. Toute—dignité… ?
Comment on peut en venir à se considérer comme un monstre, comme ça ? Laisser croire ça aux gens, ce n’était pas… humain. Peut-être qu’ils sont les pires, au final, ces scientifiques…
Peut-être… que je ne suis pas mieux moi-même.
Mon cœur se brise alors que je vois ses yeux, ses magnifiques yeux se remplir de larmes.

- Chut… chut, Hideko, tout va bien, je murmure en m’approchant, attrapant doucement ses poignets pour embrasser ses mains. Tout va bien, je suis là. Prends ton temps. Ça ne presse pas. On a toute notre vie pour ça. Je suis là, d’accord ? Je ne partirai pas.

Je la prends dans mes bras pour la serrer contre moi le temps qu’elle se calme, embrasse son front avec tendresse.

- Je suis désolé de ne pas avoir pu te retrouver plus tôt, je lâche en caressant ses cheveux, essayant d’atténuer la tristesse dans ma voix.

J’arrive toujours pas à croire tout ce qu’elle a traversé. Tout ce qui a pu lui arriver jusque là…

- Ca ira, Hideko ?



HRP : Bon, du coup c'est court désolée >< J'espère que ça te va ><

HRP : Mais bien sûr que ça me va <3 (ouais, je sais, j'te l'ai déjà dit sur Skype, mais c'est pas grave, je me répète !)

Les larmes couraient à une vitesse folle sur mes joues, comme impossibles à stopper. Misao attrapa mes poignets et embrassa mes mains, dans un geste de réconfort, et je sentis mon coeur se réchauffer, bien que je m'en veuille encore de lui infliger ça. Déjà que je les ai abandonnés, il faut en plus qu'il supporte mes stupides larmes qui ne servent qu'à enfoncer le clou, et à tourner bien comme il faut le couteau dans la plaie qui n'est même plus béante là -non, c'est bien pire je crois !
Misao m'attrapa par la taille et m'attira contre lui, et collant ma tête contre son torse, je tentai de me calmer en écoutant les battements réguliers de son coeur. C'est là qu'il dit quelque chose qu'il n'aurait jamais du dire. Alors qu'il embrassait mon front, passait une main dans mes cheveux, je me décalai de lui et plantai mon regard embué de larme dans le sien, les traits tirés à la fois par la tristesse, mais aussi par la colère. "Ca ira ?" qu'il me demandait...

-Non. Non ça n'ira pas. Misao, ça n'ira pas si c'est toi qui t'en veut... Je suis partie. Je vous ai abandonnés. Tous les trois. Alors ne t'excuse pas, je t'en prie. Je ne dis pas que je veux que tu m'en veuilles -même si je sais qu'une part de toi m'en voudra toujours. Mais je veux au moins que tu n'endosses pas la responsabilité de tout ça. Ce n'est pas de ta faute... Rien de tout cela ne l'est. Alors... S'il te plaît...

Je m'essuyai maladroitement les yeux, avant de lui offrir un sourire tremblant, secoué encore par quelques sanglots. Je repris ses mains dans les miennes, et arborant toujours ce sourire un peu gauche, je tentai de reprendre mon récit, serrant peut être encore un peu fort ses mains, sans doute de peur qu'il s'en aille, que tout cela ne soit qu'un rêve, ayant peur que ces retrouvailles ne soient qu'un mauvais rêve.
Je reniflai alors discrètement, aussi pour parvenir à parler correctement, et serrant mon courage à deux mains -ou en l'occurrence la main de Misao- je repris, le voix tremblante, mon récit. Mon regard, une nouvelle fois, fuit celui de Misao.

-Quand j'ai repris mes esprits... Quand j'ai repris mes esprits, le village était en feu. Il y avait des gens qui couraient partout, qui criaient à l'aide qui...

Je serrai encore un peu plus ma prise sur la main de mon frère, revivant avec horreur cette scène qui m'avait assez marqué pour me hanter jusqu'à la fin de mes jours.

-Ils... Ils étaient tous là, mourant... Et moi je... Je...

Des larmes recommencèrent à couler de mes yeux. Je ne sais plus si je m'étais maquillée aujourd'hui, mais il ne devait plus rester grand chose de cet effort matinal si j'y avais passé un tant soit peu de temps ce matin.

-J'ai... J'ai détruit tout le village... J'ai tué ces gens... Misao si... Si tu pouvais savoir à quel point je me suis sentie monstrueuse ce jour-là... J'étais là, à genoux sur le sol, totalement folle... Tous ces "pouvoirs" m'avaient échappé et je... J'étais comme une coquille vide. Je ne pensais plus à rien... Je me contentai d'observer, sans rien ressentir... Quand, plus tard, j'ai repassé en boucle cet instant, quand je l'ai revu dans mes rêves -ou devrais-je dire cauchemars- je m'en suis tellement voulu... C'était atroce...

Je me rendis compte à cet instant que j'avais tellement mal au coeur, tellement peur ; j'étais tellement mal, que j'avais assez serré la main de Misao pour planter mes ongles dans sa peau. Repérant ce léger détail, je sursautai et retirai immédiatement ma main de la sienne, plongeant mon regard vitreux dans le sien si doux.

-Je suis désolée ! Excuse-moi Misao je... Je n'avais pas fait attention... Pardon... Pardon...

J'avais l'impression d'avoir re-vécu cette affreuse scène. Et actuellement, je me sentais assez mal dans ma peau pour vouloir détruire toutes les glaces de la Terre afin de ne plus jamais croiser cet immonde visage. Finalement, je baissai les yeux, remarquant que j'avais déjà repris mon coussin dans mes mains, le torturant de toute part, stressée, nerveuse, mal à l'aise comme jamais.

-C'est... c'est ce jour-là que j'ai rencontré Ryu. Alors que les dernières flammes terminaient de lécher les maisons, alors que ce silence de mort s'était installé dans la plaine, il est arrivé. Il a posé une main sur mon épaule, mais je n'ai pas réagi. En fait c'était... Tu sais, souvent, certaines personnes disent qu'il y a plusieurs étapes avant de perdre la raison, et normalement, à la dernière étape, tu deviens assez folle pour redevenir sauvage. Mais je crois que moi, j'avais dépassé ce stade. Je ne ressentais tout simplement... plus rien. J'étais totalement absente, vidée, morte.

Mon récit était décousu, et j'en avais bien confiance, mais j'avais énormément de mal à m'exprimer avec des phrases construites. Tout se bouleversait dans mon esprit, et j'avais énormément de mal à tout trier.
Prenant une petite inspiration, je repris :

-Il m'a pris la main et m'a aidée à me relever. Je regardai dans le vide, j'étais totalement absente. Même encore maintenant, je ne comprends pas pourquoi il a absolument tenu à m'aider... Mais il a été là...

Et cette pensée me réchauffa le coeur. Après tout ce que je venais de revivre, penser à ce geste qu'avait eu Ryu envers moi m'avait plus qu'aidé, et il continuait encore à le faire. Alors que j'étais encore dans un état lamentable il y a quelques minutes, mes larmes commençaient à se tarir en songeant à ces moments plus doux, à ces instants de paix. Je relevai les yeux vers Misao, désormais prête à affronter son regard.

-Il m'a emmené avec lui et nous avons été... Je ne sais même plus où. Dans un entrepôt abandonné, ou une grange. On a vécu là longtemps, et il m'a aidé à maîtriser mes pouvoirs. Il m'a rassuré, m'a répété encore et encore que je n'étais pas un monstre, que tout n'était pas entièrement de ma faute. Même si encore maintenant, quand j'y re-pense, je ne peux m'empêcher de me dire que je n'ai été qu'un horrible monstre, ça m'a fait du bien d'entendre Ryu me dire tout ça. J'avais besoin de quelqu'un qui avait confiance en moi...

Je marquai une légère pause. Je n'aurais peut être pas dû dire ça. Misao aurait pu être cette personne... Mais parce que j'avais fui, ça n'avait pas été lui. Quelqu'un d'autre avait pris ma place et...

-Il m'a donc aidé, progressivement, à reprendre confiance en moi. Ca a été vraiment dur... Il m'a fallu beaucoup, vraiment beaucoup de temps avant que j'accepte de me revoir dans un miroir. Mais j'ai réussi et... Et alors il m'a dit que je pourrais ouvrir une grande école. Il m'a raconté l'histoire d'une fameuse Ancienne Terrae. Grâce à lui, j'ai compris le sens de ces Appels que je ressentais, toutes ces voix dans ma tête, ces appels à l'aide qui avaient manqué de me rendre totalement folle. Lorsque j'en ai été capable, j'ai donné ses pouvoirs à Ryu. Il a pu à son tour évoluer, découvrir ses pouvoirs...

Un petit rictus naquit sur mes lèvres, et j'essuyai les dernières larmes qui commençaient à sécher sur ma joue.

-Malgré tout, comme en souvenir de son passé il est resté... Comme complémentaire, vis à vis de moi. Chaque Master possède un greffe, c'est à dire un pouvoir en plus. En ce qui concerne Ryu... Le sien est de contrôler directement l'énergie des gens. Ainsi, que je m'emporte, même si je perds le contrôle, il peut intervenir, et me retenir...

J'inspirai doucement, retrouvant une respiration plus calme, mes sanglots désormais apaisés. Je me frottai les yeux du revers de la main.

-Voilà... Je crois que je t'ai tout dit...

En réalité, non. Je n'avais pas encore évoqué Daisuke mais... Etait-ce nécessaire d'en parler là, maintenant ? Après tout ce que je venais déjà de lui dire...?

Je me mords la lèvre face à sa réaction, à laquelle je ne m'attendais pas réellement. Hideko, pourquoi continues-tu à t'infliger ça ? Ce n'est pas de ta faute, et tu le sais, au fond de toi. Tu n'y es pour rien. S'il te plaît. Arrête de pleurer, de tant t'en vouloir ; je n'ai pas envie que tu te haïsse. Je n'ai pas envie que, toi, tu prennes cette responsabilité toute seule. Alors ouais, tu es partie... Tu m'as laissé tomber. Tu nous as abandonnés sans un mot, papa, maman et moi. Mais franchement, avec ce qui est arrivé, tu crois qu'on va encore t'en vouloir comme ça ? De toute manière, là, on est de nouveau ensemble tous les deux. Je n'ai jamais cessé de te chercher ; jamais un seul instant. J'avais trop d'espoir, je savais que tu étais là, quelque part, et je devais te retrouver. Venir de moi-même. J'ai fait ça pour toi, parce que je savais – ou, du moins, je souhaitais le croire – que tu avais besoin de moi. Alors même si je t'en veux, même un tout petit peu, ne crois pas que ce n'est pas parce que tu es partie ; tu n'y pouvais rien. Mais je t'en veux de ne pas avoir cherché à me contacter après ça. De m'avoir laissé sans nouvelles pendant six ans. Mais pour ça... Pourquoi tu t'en veux, nee-san ? Ces pouvoirs sont tombés du ciel, tu ne les as pas désirés. Ils sont venus à toi, toi parmi sept milliards d'être humains. Une chance sur sept milliard, c'est toi qui a été choisie. Pourquoi n'arrives-tu pas à en être fière, malgré tout ?
Cependant, j'acquiesce lentement et embrasse sa joue humide avec un sourire doux.

– Promis Hideko. J'arrête de m'en vouloir. Mais alors toi aussi. Je sais que tu ne souhaitais pas tout ça.

Ma hère sœur reprend ma main dans la sienne pour s'encourager, certainement, et continuer à parler, la voix chevrotante. Je la regarde en serrant doucement sa main pour la rassurer, silencieux mais attentif. Mon cœur se glace petit à petit. Ces pouvoirs l'ont obligée à faire tant de choses... À tuer, à détruire ; à perdre son humanité, vivre comme un cobaye, puis un exilé. Et moi, je me plaignais de ne plus la voir... Vraiment. Je n'aurais jamais survécu à tout cela. Je sursaute un peu lorsqu'elle évoque ses cauchemars qui la hantent et une légère grimace d'affliction défigure mon visage que je tentais de garder, jusqu'ici, le plus neutre possible pour ne pas lui laisser percevoir ma tristesse. Ses ongles s'enfoncent lentement dans ma peau, avant qu'elle ne s'en rende compte et ne s'éloigne, paniquée.

– Ch, chhh, Hideko, ça va, c'est pas grave. Tu m'as pas fait mal ; regarde, c'est rien.

J'esquisse un geste pour la prendre dans mes bras mais elle attrape le coussin avant, le serrant avec la force du désespoir. La voir aussi mal me fait de la peine. Elle me manque, ma Hideko vive et pleine de vie, moqueuse et joyeuse.
Sa rencontre avec l'homme qui partage maintenant sa vie me tire un léger froncement de sourcils. Ryu, qui la retrouve, l'aide et l'emmène loin, l'entraîne à se contrôler, à contrôler ses pouvoirs. Et encore une fois, je me sens étranger à cette femme. Quelqu'un en qui elle avait confiance. Parce que lui était là. Et que moi je ne l'étais pas.
Mon regard se détourne malgré moi et mon cœur se serre. Je ressens une légère impression de distance, à nouveau. Pourtant celle-ci n'est plus simplement physique. Comment j'ai pu ne pas aller la retrouver ? Peu importe où elle se trouvait, j'aurais dû la chercher plus. Mais en avais-je seulement le droit ? Moi, un scientifique, comme ceux qui lui ont fait du mal ? Comment je peux encore la regarder en face ? Je n'ai aucun droit d'être ici, aucun droit de lui demander des explications, de me tenir près d'elle, près de son mec, de son fils. J'ai été con. Tellement, tellement con.
Je me mords la lèvre et baisse les yeux. J'ai pas le droit de m'opposer au bonheur qu'elle a d'être avec Ryu par pur égoïsme.
Son récit terminé, je laisse un long silence s'étirer, sans trop savoir quoi dire. Doucement, j'effleure sa joue, tente un sourire gauche.

– Désolé, je souffle. Et merci de m'avoir parlé. Je comprends un peu mieux. Et je...

Mes yeux fuient vers la fenêtre, je m'interromps pendant ce qu'il me semble être une éternité. Me reprendre. Je dois me reprendre.

– Il me faut un peu de temps pour assimiler. Mais merci. Désolé.

Je me mords la lèvre, incapable de produire une phrase cohérente. Encore sous le choc, un peu blême. Que dire ?

– Je serai là pour toi, Hideko. Malgré tout ça. Je... Je sais que t'as des questions. Tu peux me les poser si tu veux. Ou alors attendre un peu. Parce que...

Comment tu veux que je sois capable de te parler de tout ce que j'ai fait pour te retrouver... en sachant ce qu'eux-même t'ont fait subir ? Hideko... j'aimerais tellement pouvoir m'enfuir.


HRP : Désolée pour le retard et la taille >.< J'ai fait ce que j'ai pu mais ça vaut pas ton post :p

Le baiser de Misao sur ma joue me réchauffa le coeur et m'aida à reprendre le fil de mon récit. Je serrai la main de Misao dans la mienne, avant de me rendre compte que les ongles étaient rentrés dans sa peau, après quoi je le lâchai d'un coup. Misao tenta de me rassurer, mais j'avais du mal à l'entendre, ou à comprendre ce qu'il disait, je ne sais pas, tant j'étais perdue dans mes propres paroles, dans mon histoire, dans mon passé.
Finalement, je terminai mon récit, tant bien que mal, et un long silence s'en suivit, avant que mon frère ne se décide enfin à rerouver la parole. Il s'excusa et me remercia, sans que je ne comprenne pourquoi. A mon tour, je lui rendis un sourire gauche et sentis mon coeur se serrer lorsque j'aperçus son regard qui me fuyait. Mais malgré tout, je comprenais. Je ne pouvais pas lui en vouloir.
Mes yeux se posèrent sur mes mains, et je me perdis un instant, tandis que Misao terminait difficilement ses phrases.
Je relevai le regard vers lui, douloureusement, mais le cachant au maximum.

-Ne t'inquiète pas. Je ne te forcerais pas à me parler de ce que, toi, tu as vécu, maintenant. Tu as besoin de temps ; j'ai besoin de temps. Nous venons tout juste de nous retrouver, alors...

Ma phrase resta en suspens tandis que je tournai la tête, cherchant quelque chose, même anodin, qui pourrait me permettre de détourner mon attention.

-Alors... tentai-je de reprendre.

Le nouveau, le silence s'imposa et je retrouvai le calme, mêlé à tous mes tourments qui avaient refait surface.

-Ne t'en fais pas, achevai-je finalement en posant mes yeux bleus, si semblables aux siens, sur son visage.

J'essuyai mes joues, décidant que j'avais assez pleuré pour aujourd'hui.

-Je t'aime, Misao. C'est tout ce qui compte pour l'instant. Pour moi en tout cas...

Doucement, tendrement, je serre sa main dans la mienne. Je suis content de voir qu'elle comprend les raisons pour lesquelles je n'ai pas envie d'en parler. Mais pourtant, ce n'était pas si dramatique ; c'est elle qui a vécu le pire. Et pourtant c'est elle qui s'en veut le plus, je crois. Alors que tout ça n'est pas de sa faute... Longtemps, j'ai été déchiré entre ma fidélité pour ma sœur et mon travail de recherches en laboratoire. Mais j'ai fait ça pour elle, du moins je le crois... Je ne pense pas être devenu un monstre. Un peu insensible, certainement, mais pas encore un monstre. Je ne le veux pas.
Avec un sourire un peu faible, j'embrasse les joues qu'elle vient d'essuyer. Ma chère petite sœur...

– Moi aussi je t'aime, sœurette. Je resterai là, alors quand tu auras envie de me voir... Ben, n'hésite pas, hein. J'ai peur de me sentir un peu seul.

Mon ton semble guilleret, mais je pense pourtant ce que je lui dis. J'ai tellement peur d'être à nouveau seul, de ne plus savoir quoi faire. De tourner en rond encore une fois en attendant que le temps passe, que je trouve enfin ma voie. Peut-être qu'au fond, ce n'est pas non plus ici que je pourrais la tracer ? J'aimerais bien, pourtant. Pouvoir être avec elle, c'est tout ce qui a jamais compté pour moi, et bien plus encore maintenant que je l'ai retrouvée. Mais si finalement je me rends compte qu'au final, ce n'est pas ça qui m'importait le plus ? Qu'est-ce que je ferai ?
J'ai l'impression d'avoir perdu de vue ce que je suis, mes idéaux et mes désirs. Et ce n'est pas vraiment pour mon plus grand plaisir.
Je caresse sa joue avec un sourire, l'enlace brièvement.

– Je pense que je vais te laisser pour aujourd'hui Hideko. Je suis fatigué, et j'aimerais bien me reposer un peu ce soir...

Pourquoi tu fuis, Misao ? Pourquoi tu fuis ?

– Prends soin de toi ! J'essaierai de pas trop te déranger, vu que tu dois avoir du boulot, mais... Enfin je repasserai. Fais un gros bisou à Daisuke de ma part. Et salue... Ryu.

Son nom m'est comme arraché. Mais je n'y prends pas garde, me levant en étirant un large sourire.

– À la prochaine Hideko.

Lentement, je me dirige vers la porte en me retournant pour lui souffler un baiser, comme si rien ne s'était passé. Pourtant, j'ai mal. En ressortant en ville, je m'arrête devant la vitrine d'un magasin et aperçois enfin la rigidité de mon visage. Un sourire faux, abominable, qui me donne envie de l'arracher.

Bienvenue à Terrae, Misao Honda.