Face à face, nous nous hypnotisons mutuellement en plongeant dans le regard de l'autre. Quelle force, quelle beauté et quelle fragilité dans ces yeux. J'aimerais m'y baigner comme dans l'océan, sombrer dans leurs profondeurs mystérieuses. Perché sur le rebord, je regarde l'horizon au loin, me préparant à sauter sans retour, lorsque soudain, doucement, mon assurance reflue et se replie sur elle-même tout au fond de moi. Je cligne des yeux, un peu ahuri, pour me rendre compte que sa main a lâché la mienne un peu à regret, en s'y accrochant du bout de l'inertie de ses doigts.

Quel dommage que cette force m'ait abandonné. Maintenant j'entends des voix résonner entre nous et j'en aurais presque peur, j'en aurais peur si il ne me restait pas un peu de tiédeur au creux de la main, déplacée et quelque peu surnaturelle dans la fraîcheur de la nuit déjà bien avancée.

Elle détourne la tête d'un mouvement simple et beau, unique. Ses cheveux glissent sur son épaule lisse et me cachent son profil immobile. Je voudrais bien les repousser pour pouvoir encore la regarder mais je suis comme figé, enfoncé dans quelque chose d'épais et transparent qui m'entoure de toute part. Je ne peux même pas contracter le plus petit muscle de mon corps -c'est incroyable car malgré tout je respire- Curieux comportement dû à la soudaine inhibition d'hormones de la...
Chut, esprit cartésien.

Elle ouvre les lèvres, comme à bout de souffle, puis se ravise.

_ Bonne nuit.

Elle me sourit, déjà lointaine quoique merveilleuse de lumière, puis se détourne et entrouvre sa porte, me laissant apercevoir le désordre qu'on y a laissé il y a des années, en se changeant.
Un peu de clarté s'accroche encore à sa robe avant que la porte se referme sur elle impitoyablement.
Et une fois de plus je me retrouve seul dans l'obscurité, à écouter les lointains bruits du monde.
Un peu désemparé, je me retourne d'un air incertain vers la direction de ma chambre. Ce fut une soirée vraiment étrange... mais pas désagréable. Enfin à présent mon seul désir est de me jeter de tout mon poids sur mon lit et de m'y blottir jusqu'à ce que l'oubli me prenne.

Montant l'escalier, je me remémore le numéro de ma porte et bataille quelques instants avec la serrure. Les clés devraient comporter une petite ampoule led pour éclairer la serrure, ce serait plus pratique.
Je pénètre dans la douce senteur de forêt du parfum que je composais ce matin, laisse tomber mon sac sur le tas des choses qui ont débordé de mon placard un peu plus tôt. Puis je m'écroule en travers de mon lit, fermai es yeux en accueillant avec plaisir les rêves qui peupleraient mes quelques heures de sommeil, sans savoir que je reproduisais les gestes d'Isis au même moment qu'elle.
Et sans savoir que je me réveillerais un peu plus tard avec un mal de crâne incroyable, sous les rayons d'un soleil déjà presque à son zénith et dans un costume chic qui ne m'appartenait pas.