La pièce était petite, silencieuse, seuls nous deux étions là. De grandes étagères aux vitres marquées d’empreintes de doigts peinturlurés gardaient dans leur ventre de grands pots colorés. Des pinceaux, des toiles, des coffrets de crayons et de peintures y étaient également stockés. Ce barda était entreposé là, sans rangement, posé à la va-vite. Face à ce petit détail caché dans l’ombre des rideaux, Swann eut une longue pensée. Qui était vraie, bien au-delà de sa propre personne. Une pensée très présente, mais loin de lui. Il le pensait, s’imaginant alors décrire son environnement comme dans un livre, à la troisième personne. Comme s’il avait été forcé de penser ça, l’œuvre d’un écrivain qui, derrière, devait dire quelque chose. C’était impersonnel à lui, et pourtant, il le pensa, il n’avait pas ce choix fondamentalement humain qu’on offre aux personnages de romans. Un pantin parmi une foule de marionnettes. Penser est bien difficile. Encore ce mot, encore.

« Les artistes ne sont jamais organisés, préférant un soin et une application remarquable dans leur travail. Il n’est pas rare de découvrir des ateliers où s’empilent toiles, déchets, peintures, outils et saletés. Cela va de même pour les chanteurs ou les écrivains. C’est un bazar monstre. On touche du doigt cette matérialisation de la personnalité, et on s’y fait attraper, happer comme une mâchoire sanglante. On coule à l’intérieur de cet univers carrément différent du nôtre, on souhaite en sortir vite, pas moyen. Et une avalanche de mots nous écrase, nous tombe dessus, comme ça. Paf. Alors s’exigent des manières conventionnelles pour s’en dépêtrer, comme celles nécessaires pour y pénétrer. Je déteste les artistes. Ma chambre est bien mieux rangée. J’en suis peu fier. »

Swann sourit. Il avança dans la pièce et, dirigé par un instinct très animal, ouvrit les tiroirs du bureau. Des papiers, des cours, quelques pinceaux, des gouaches entamées. C’était déjà mal organisé, secouer tout ceci n’allait pas être remarquable le moins du monde. Le troisième tiroir contenait un trousseau de clés desquelles pendait un papier chiffonné, où étaient inscrites toutes les clés respectives aux objets scellés. Ce n’était pas si difficile, en fait.

Swann, souriant et silencieux, ouvrit l’armoire des gouaches, et celles des pinceaux. Il en prit trois de tailles différentes, et emprunta un gros pot de peinture blanche ou argentée dont le couvercle était mal refermé. Il posa les affaires sur la table près de laquelle se tenait Noah d’une raideur pareille à la justice. Les chaises avaient été empilées au fond de la salle. Sûrement une femme de ménage avait dû passer et nettoyer les lieux à grandes eaux. Mais non, c’était improbable : les armoires étaient toujours aussi sales ; les fournitures toujours aussi mal rangées ; l’air toujours aussi étouffant par la poussière agitée par Swann. N’était-elle plus utilisée ? Pourtant, les traces de peintures sur les vitres n’étaient pas tout à fait craquelées, et une odeur pestilentielle de peinture qui prend les narines dominait les lieux. C’était donc de mystère et de perte de temps que cette salle était habillée aujourd’hui. D’accord. En manipulant les chaises, Swann ne tomba pas. Il s’installa face à Noah et prit un pinceau qu’il trempa directement dans l’eau blanche. Il se mit à peindre la petite clé délicatement. Mais le résultat n’était pas beau. Pas beau du tout. La peinture n’était pas uniformément répartie le long de la clef, et ses doigts, couverts de blanc, avaient déposées leur marque sur l’objet. Non, ce n’était surtout pas un travail de qualité.