Un large sourire étire mes lèvres lorsqu’il me dit son nom. Jun… Le même petit Jun que j’ai croisé cet été ? J’essaie de me remémorer son visage, de caler la description qu’Huo me donne sur l’image que j’ai gardée de lui. Ca m’a l’air d’être la même personne, en effet… J’y crois pas. J’ai presque envie d’éclater de rire mais me retiens par politesse. J’arrive pas à croire que le si timide et maladroit Jun puisse être le meilleur ami d’Huo. Quand j’y repense, il avait l’air de le chercher lui aussi… Si j’avais su…
Je ne dis rien et continue à l’écouter, posant ma joue sur mes genoux. Son visage est doux, son expression calme et tendre. Je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de jalousie. Mais ne réagis pas. Préférant ne pas lui laisser entrevoir cette partie de moi. Par pudeur et honte, sans doute. Mais il en parle d’une telle manière… C’est assez embarrassant.

- On voit que tu tiens beaucoup à lui, je souris faiblement en détournant les yeux. Je l’ai croisé une fois. Il a l’air d’être quelqu’un de gentil.

Alors comme ça… Il est titan hein ? C’est bizarre, ça n’a pas vraiment l’air de lui correspondre. Je l’aurais plus vu… Télépathe, je ne sais pas trop. Ou Eau -- morphe ou voyant, qu’importe ? Mais je ne le connais pas assez pour le juger.

- Tant mieux en tout cas si vous réussissez à vous reparler correctement… Comme avant.

Je retiens un petit soupir. Je me sens bête de me sentir aussi mal simplement parce qu’il parle de son meilleur ami. De toute manière, même s’il y avait plus entre eux -- ce qui ne serait pas tout à fait impossible -- ça ne me regarderait pas. Je n’ai pas à me mêler de ses histoires. Même si ça me désespère carrément… Enfin bon, il est feu et je n’attends rien venant de lui.

Comme quoi, je n’avais pas tout à fait tort. Ca y est, je me sens de nouveau déprimée. Enfin, il dit bien qu’il s’est trouvé quelqu’un non ? C’est pas plus mal, non ? Enfin. Je dis ça, pas que ça m’intéresse ouu je sais pas quoi… Non non. Non. Hum. Aoi, tais toi et concentre toi sur le mur. C’est très bien, le mur. Très bien.
Huo se lève en enlevant sa serviette et je ne peux m’empêcher de le suivre machinalement du regard, celui-ci fixé sur son dos. Son dos… Un large tatouage y est visible. Je ne savais pas… C’est un lotus je crois, dans les teintes bleutés qui contrastent beaucoup avec sa peau. Et qui rappelle la couleur de ses yeux… Il est beau en tout cas. Même si je me demande quelle peut être sa signification. On ne fait pas un tatouage pareil pour le plaisir d’avoir un truc joli entre les omoplates.
Je détourne les yeux quand il met son haut, comme prise sur le fait, les joues rougies. Le mur Aoi bon sang, le mur. Regarde le mur et arrête de penser à des débilités.
Il se remet sur le lit et je relève les yeux vers lui lorsqu’il m’interpelle. Mon visage reste quasiment inexpressif -- une simple expression de surprise lorsqu’il évoque le sujet du bal aussi… brusquement. Enfin. Je. Je m’y attendais pas. Je pensais que tout était déjà perdu dans les abysses de l’oubli, et ce depuis un moment. En fait, je l’espérais presque.
Je m’humecte les lèvres, détournant à nouveau les yeux sur… le mur. Finalement, je crois que je devrais y accrocher des trucs, pour donner l’impression de regarder autre chose. Mes doigts se tortillent doucement.

- Ah. Je. Je…

Je sais plus parler. Merci, sublime éloquence qui me quitte au meilleur moment… Sérieusement. Par “j’en avais vraiment envie”, il voulait dire quoi au juste ? Enfin. C’est…

- Tu veux dire quoi par “sérieux” …? je déglutis un peu, les joues écarlates alors que je plonge à nouveau mes yeux dans les siens. Je veux dire… Je suis censée comprendre quoi...?

Non, en fait non, je veux pas comprendre. Mon dieu je vais mourir. Huo tu me fais chier…

Ce que je lis dans ses yeux me trouble énormément. J’ai un instant d’inattention, pendant lequel j’essaie de comprendre ce qu’il me dit. De comprendre, sans pour autant partir dans des délires fantasmatiques ou que sais-je encore. Mais là, c’est tellement dur de ne pas espérer. De ne pas me dire qu’en effet, ce baiser qu’il m’a volé le soir de Noël pouvait signifier autant pour lui que pour moi. Ou même signifier quelque chose, tout simplement. Autre chose qu’un mauvais coup, qu’une taquinerie de plus. Mais c’est aussi tellement étrange… De me dire qu’Huo l’avait réellement voulu, avec moi, sans s’en amuser par la suite. Parce que c’est ce que font certains. Et même si j’ai appris, lentement, à lui faire un peu plus confiance, je ne sais pas si… je serais vraiment capable de croire en ce qu’il me dit pour le moment. Même si j’en meurs d’envie, et que je suis sur le point de faire un arrêt cardiaque.
C’est stupide d’autant se prendre la tête sur des sentiments, mais j’ai toutes les raisons de douter de la sincérité de la personne que j’aime. Surtout quand elle est aussi tête brûlée que ce crétin. J’ai pas envie qu’on abuse encore de la confiance que je porte en autrui…
Je déglutis lentement. Tente de reprendre une respiration calme. Ma réponse. Il faut que je donne une réponse. Là, maintenant, tout de suite ? Je ne sais pas si j’en serais capable. C’est trop brusque. Jusqu’à il y a quelques minutes, j’étais encore convaincue à environ deux cent pourcent que l’éventualité qu’Huo puisse éprouver le moindre sentiment à mon égard était proche du zéro absolu.

- Non, je… C’est pas…

Je me mords la lèvre. Qu’est-ce que je dois dire ? Aoi, c’est pas le moment de buguer là.
Mes yeux se fixent sur la couette alors que je me cache presque derrière mes genoux.

- C’est embarrassant, je soupire en fermant les yeux. J’ai l’impression d’avoir des hallucinations…

Mes dents torturent mes lèvres. Je n’arrive pas à le dire. Je n’arrive pas.

- Tu ne te moques vraiment pas de moi ?

J’ai une toute petite voix, timide et maladroite. J’ai vraiment envie d’y croire. Envie de croire en lui… Alors pourquoi je n’y arrive pas ?

Je me mords la lèvre. Évidemment que j’aimerais pas que ce soit une hallucination, espèce de débile. Si je tenais pas un minimum à toi, je… Je t’aurais même pas laissé me prendre dans tes bras comme tu l’as fait tout à l’heure, et je n’aurais pas dansé avec toi à Noël. Pas comme ça. Parce que quoi qu’on en dise, Huo et Allen… Ce que je ressens pour chacun d’entre eux est complètement différent. Allen, mon meilleur ami. Et Huo… Voilà. J’avoue que j’aimerais être capable de lui donner une réponse -- mais pour l’instant, mon cerveau ressemble plus à un champ de bataille après passage d’une bombe. De la bouillie. Pas très ragoûtant, mais je ne vais pas non plus me mentir à moi-même.
Il me parle de sincérité… Mais c’est quoi, au juste ? Ce n’est pas parce qu’on dit être sincère qu’on l’est. Ce n’est pas en disant, par la suite “Hé, je voulais pas te faire de mal, je suis sincère. Désolé, hein ?” qu’on règle les problèmes, ou qu’on peut parvenir à se faire entendre. Alors oui, Huo n’a rien fait. Mais il y a encore trop de choses que je ne comprends pas à propos de lui, à propos de moi aussi, et auxquelles je n’arrive pas à me soustraire. C’est vrai, c’est étrange. De repenser à tout ça, de refaire l’amalgame avec Huo alors que la situation n’a strictement rien à voir avec celle d’il y a trois ans. Mais j’ai trop peu confiance. En moi, déjà. Alors forcément… Je peux difficilement croire en tous les autres. Même si ce n’est pas une raison valable, je sais que je ne peux pas. Je ne sais pas si je pourrais un jour ; mais j’ai fait déjà tant de progrès. Même si j’ai rechuté depuis presque deux semaines. Mais là… Vraiment. Je crois que je suis pas encore prête à assumer mes sentiments, et à me confronter à ceux des autres. Pas quand il s’agit d’amour… je crois.
En même temps, il ne parle pas d’amour, ni de rien du tout. Il continue à me parler de ce maudit baiser comme si c’était la seule chose qu’il y ait jamais rien eu entre nous ; et ça me fait aussi un peu mal. C’est aussi ça qui me fait croire qu’il ment, ou au moins qu’il surjoue. Parce qu’Huo se cache si bien derrière un masque… Je ne sais pas quoi en penser. Normalement, dans une situation pareille, on ne réfléchit pas autant… Ça me désespère et m’agace.

- Désolée Huo, je…

Je me mordille la lèvre, jouant avec ma manche trop longue.

- J’ai besoin de temps, je soupire. C’est vrai que c’est un peu… enfin je pensais pas qu’on aurait une discussion pareille un jour.

Mes yeux se détournent vers la fenêtre, comme si j’espérais pouvoir cacher la rougeur de mes joues de cette manière.

- J’ai peur de dire une bêtise si… je réponds maintenant. Alors laisse moi juste un peu de temps. S’il te plaît…

Un peu de temps pour rassembler assez de courage…

À peine mes mots sont-ils prononcés que je les regrette. J’ai l’impression d’avoir en face de moi un type désespéré qui vient d’apprendre la mort de toute sa famille. Bon, allez, peut-être pas à ce point. Mais la déception que je lis dans ses yeux, elle, n’est pas factice.
Mon coeur se serre. Je pourrais me reprendre, lui dire que je tiens à lui malgré tout. C’est ce que je voulais faire. Mais sous le stress, j’ai… J’ai oublié, tout simplement. Et je me rends compte qu’il n’a pas besoin de ça. De petits mots, lâchés comme ça, comme lui le fait parfois. Peut-être que lui non plus… n’ose pas ? Il n’y a pas de raison qu’il soit plus à l’aise que moi, sentimentalement parlant, simplement parce qu’il est plus vieux. Et qu’il a de l’expérience.
Je me sens bête. J’ai une boule qui se forme dans mon ventre alors que je me rends compte que je l’ai sûrement réellement blessé en disant ça de cette manière. Mais qu’est-ce qu’il voulait que je fasse ? Je ne suis même pas encore totalement capable de m’avouer ce que je ressens pour lui. Alors le lui dire… à lui ?
Huo se lève et j’acquiesce lentement, n’osant le regarder. Je ne comprends même pas. Comment il pourrait ressentir ce genre de chose à mon égard ? Alors que je passe mon temps à lui dire de me lâcher, de me laisser tranquille, de lui dire qu’il est bête et qu’il me saoule, que j’en ai assez de son comportement de sale gosse ? Comment il pourrait à moins d’être totalement masochiste ?
Bon sang Aoi, dis quelque chose…

- Toi aussi Huo… Porte-toi bien, je murmure en tortillant mes doigts, gardant les yeux rivés vers le bas pour qu’il ne voit les légères larmes qui y perlent.

Trop de choses en même temps, mon coeur ne peut plus gérer. Je me fais vieille…
Je respire profondément et le regarde sortir de la chambre. Doucement, peut-être un peu faiblement, je réponds à son sourire et à son signe de la main. Lorsque la porte se referme, mon bras retombe mollement sur le lit, et mes yeux partent dans le vague. J’aurais dû le retenir. Je ne veux pas encore être toute seule.
Je me lève soudainement pour baisser un peu le chauffage et attraper un objet en passant, avant de me rouler en boule sous ma couette. Je m’endors finalement, serrant contre ma poitrine la petite boîte noire, le cristal rougeoyant pulsant à l’intérieur au rythme de mon coeur.