Aujourd'hui, c'est la journée de folie de la semaine ! J'enchaîne les maths, puis les sciences. Je suis toujours étonnée d'arriver en vie dans ma chambre le soir. Surtout que maintenant, j'ai mon travail à la bibliothèque qui vient s'ajouter à mon emploi du temps déjà bien chargé, mais je ne vais pas m'en plaindre. J'adore ça ! Bon, je ne suis pas un cas désespéré non plus. Généralement, en cours, ça va trop vite pour moi, du coup, la première chose que je fais en rentrant, c'est relire les chapitres qu'on a vu en classe. Après ça, je m'en sors déjà beaucoup mieux ! Et si vraiment je galère, je vais à la bibliothèque pour voir si je ne peux pas trouver des infos dans des livres ou, en dernier recours, je vais consulter internet. Poser une question aux profs ? Non, mais vous m'avez bien regardée ? Avec mes camarades, j'arrive de mieux en mieux à gérer ma timidité, mais avec un prof, impossible. C'est le fait que ça soit une figure d'autorité, je crois... Je bloque ! À la bibliothèque aussi je réagis de la même manière. Je m'entends bien avec Ipiu et je pense que, malgré les quelques bêtises de débutante que je commets, je bosse bien, mais ça restera toujours, ou du moins pour un bon moment encore, une figure d'autorité, ma cheffe.

La prof conclue son cours, enfin la remplaçante, mais pour moi ça ne change rien. Sauf peut-être que le cours est un peu moins... organisé que d'habitude. Je reste un moment à contempler mes notes, quel désordre ! Il va me falloir deux fois plus de temps qu'à l'accoutumer pour que je mette au propre. La jeune femme qui nous a donné le cours, je l'ai déjà vue plusieurs fois avec Aoi. Je crois qu'elles s'entendent bien. On ne s'est cependant jamais parlé. Je ne pense pas qu'elle sache qui je suis. Je suis sûre que je n'existe même pas pour elle, mais ça ne me gêne pas. Je suis quelqu'un de très discret, alors j'ai l'habitude. En plus, je n'aime pas trop que les profs me connaissent, c'est encore le meilleur moyen de ne pas se faire appeler au tableau ou ce genre de bêtises. Je retiens un soupir. En levant les yeux de ma feuille, je remarque que la plupart des élèves sont déjà en train de sortir de la classe. Je me dépêche de ranger mes affaires. Je n'aime pas être dans les derniers, ça attire l'attention. Et là, c'est le drame. Je sens soudainement un courant d'air s'approcher de moi... ou plutôt une pile électrique. Mlle Hojitake est survoltée et elle me bombarde de questions. Je ne peux m'empêcher d'ouvrir la bouche de surprise lorsqu'elle m'appelle par mon prénom. Comment ça se fait qu'elle m'ait repérée comme ça ? C'est peut-être son lien avec Aoi qui m'a trahie. Je suis foutue. Un milliard (au moins !) d'idées se bouscule dans ma tête. Que va-t-elle me demander de faire ? Pas une présentation s'il vous plaît ! Non, elle me demande si j'ai compris ce qu'elle nous a expliqué. Hmm, je suis mal. Je n'aime pas mentir, mais lui dire la vérité, ça risque de l'embêter et de la décevoir. Et puis, si je lui dis que je ne comprends jamais tout, elle va peut-être me proposer des cours privés, il ne manquerait plus que ça... Pourtant, elle a l'air gentille, un peu plus survoltée qu'Aoi tout de même. Je lui souris timidement.

- C'est bien ça, mademoiselle Hojitake.

Je rougis. J'espère que je n'ai pas trop écorché son nom de famille. Je tapote mon cahier avec mes doigts à cause de la nervosité.

- Eh bien... le cours était... très intéressant... J'aime beaucoup la physique.

Je n'ai pas menti jusque-là. Est-ce que je m'en sors bien ? C'est vrai, j'aime beaucoup cette matière, mais c'est plutôt elle qui ne m'aime pas. Quand je pense que certains n'ont pas besoin de revoir leur cours, que tout est limpide pour eux. Je retiens une moue. Bon, on va dire que je lui ai répondu. Est-ce que taire la vérité, c'est mentir ? Hmm, il va falloir que je réfléchisse à ça.

- Merci.

Ce n'est qu'un léger murmure. Je baisse la tête et continue à ranger mes affaires. Pourquoi j'ai aussi peur d'elle ? C'est vrai, elle est gentille, enthousiaste. En plus, c'est une amie d'Aoi, donc je n'ai pas de soucis à me faire. Mais c'est plus fort que moi. J'ai peur de la blesser ou plutôt de la décevoir, alors je préfère fuir. Je crois que c'est ça, en fait, le problème. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'en fuyant, je suis presque sûre d'atteindre le même résultat. Râaah ! Pourquoi c'est si compliqué !

"Mademoiselle Hojitake". Vous y croyez vous ?! Comment ça en jette ! J'en impose en fait. On dirait pas comme ça, mais mes petits bras impressionnent.
... Bon, peut-être pas mes bras. Je pense que techniquement, lorsqu'on est professeur, les élèves ont un minimum de respect pour nous. J'imagine ? En réalité, le seul prof que j'ai réellement connu ici, c'est Aaron, et bizarrement, même si je le respecte, je le respecte d'une autre manière si on peut dire. Comme un ami, et non comme un professeur. C'est assez étrange d'ailleurs. Je l'ai rencontré très tôt lorsque je suis arrivée ici, et de fait, je n'ai jamais vraiment réussi à le voir comme un professeur. Faut dire aussi que dans cet Institut, les professeurs ne sont jamais très vieux... J'en profite pour poser une question essentielle : sachant que même moi je peux donner des cours... Est-ce que les professeurs ici ont vraiment un diplôme ? Ou bien, ces matières-là étant leur passion, ils ont simplement voulu en faire leur métier une fois master ? Je poserais la question, mais... Je redoute la réponse. J'espère que même sans diplôme, on peut être sûrs qu'ils racontent pas de bêtises.
Breeef, la question n'est pas là. D'une voix hésitant, Selvi me répondit que mon cours avait été intéressant, et qu'elle appréciait beaucoup cette matière. Je haussai un sourcil suite à son "merci". Heu mais. Mais... Mais elle a pas compris en fait ?! Non ?! Si ?! Est-ce que mon cours était vraiment bien ?! Ou alors heu... Heu...
C'est décidé, je deviendrais jamais prof ! Je serais trop nulle ! Et puis au bout d'un moment, plus personne ne viendrait, et je serais obligée de faire des contrôles à des chaises vides. Vous m'imaginez faire l'appel face à des fantômes ? Mon dieu, ce serait trop triste. Prof, c'est vraiment pas ma vocation ! Ou à la rigueur, si le public c'est des gamins. Quoi que. Non. Je m'ennuierais trop. Faire de la lecture, et recopier sur toute une ligne chaque lettre de l'alphabet chaque jour, en n'abordant aucune théorie scientifique, je pourrais pas ! J'aurais l'impression de régresser, et en une semaine, j'aurais retrouvé mon âge mental de 7 ans. Si je l'ai pas déjà ? Ouais, non, j'ai tout de même évolué un minimum, non ? Hum... Je ne veux pas de réponse !
Je réalisai alors que j'étais toujours face à elle, droite comme un i, des cours plein les bras, et que je la fixai intensément tandis qu'elle rangeait soigneusement ses dernières affaires. Mon Dieu, la pauvre. Mais je suis affreuse ! Qui fait ça ?! Elle va bientôt porter plainte contre moi pour comportement louche et inapproprié à son égard, et croyez-moi, elle aura parfaitement raison. Je me secouai la tête pour me remettre les idées en ordres, et tentai de reprendre un air normal, et surtout sain.

-Oui, heu, de rien. Merci à toi surtout de m'avoir écouté, et d'avoir répondu à ma question ! Passe une bonne journée.

Je commençai à m'éloigner, avant de faire volte face pour me retrouver nez à nez avec elle qui s'était levée de sa chaise pour sortir de la salle.

-Non, en fait, je tiens quand même à te dire que... Heu... Ben ce serait cool que tu ne m'appelles pas "Mademoiselle". Tu peux m'appeler Mitsuki, hein ! T'inquiète, j'suis pas à ça près ! Puis "mademoiselle", ça me vieillit, même si ça me fait plaisir. Parce que dans un sens, ça me pousse à me dire que tu es respectueuse mais aussi que tu me respectes. Mais en même temps, dans l'autre sens, je ne comprends pas pourquoi tu me respectes, enfin, en tout cas pourquoi tu places une sorte de distance entre nous, et du coup, ça me déstabilise.

Parler longtemps pour ne rien dire, fait.

-Tu penses que je pourrais faire une bonne prof alors ?!

Je laissai à peine une demie seconde de blanc, avant de prendre un air pensif, laissant tomber mon regard dans le vide.

-Mmh. Ouais, non, de toute façon, je ne veux pas devenir prof, je n'y arriverais pas. Et puis ça détruirait tout mon côté créatif !

Je reportai mon regard sur Selvi, et arborai un large sourire.

-Dis moi Selvi ! Tu ne t'y connaîtrais pas en robotique, à tout hasard ? C'est juste une question comme ça, hein, rassure-toi.

Après ma réponse, je pensais que la remplaçante allait me dire un petit truc et partir, mais non. Elle est toujours debout devant moi. Elle n'a pas bougé d'un pouce et n'a même pas ouvert la bouche. J'ai toujours la tête baissée et tente de me concentrer sur ce livre que je range avec une grande application dans mon sac. Bon sang, qu'est-ce que je fais, moi, maintenant ? Au secours ! Est-ce que je l'ai choquée, blessée, énervée ? C'est quoi ce silence ? Je n'ose pas lever les yeux. J'ai trop peur de croiser son regard. Heureusement, elle finit par me répondre et se retourne pour partir. Je retiens un soupir de soulagement, ce ne serait pas très poli, puis me lève. Je vais enfin pouvoir quitter la classe. Je l'ai échap... Quoi ? Mlle Hojitake s'est retournée et recommence à me parler. Je sens mes joues qui se colorent au fur et à mesure de son discours. L'appeler Mitsuki ? Euh, ouai, d'accord. Enfin, je veux bien essayer, mais... ça ne va pas être facile. J'ai beaucoup de mal avec ça. Je respecte trop les gens qui font autorités. En l’occurrence, c'est un peu ma prof, alors je vais avoir de la peine à l'appeler par son prénom, mais je promets que je vais essayer. Je sens qu'elle est contrariée et qu'elle a été blessée par ma non-réponse. Elle enchaîne à une de ces vitesses ! Et voilà que maintenant elle se dénigre. Ah non, ça je ne peux pas laisser passer ! Mais pourquoi est-ce qu'elle est venue me parler, à moi ? Une des pives de la classe ? Un autre aurait pu lui parler des heures entières d'un tas de trucs intéressants, moi je me contente d'ouvrir la bouche bêtement, surprise par cette tempête de mots qui s’abat sur moi. L'ouragan se calme quand je m'arrête sur le mot « robotique ». Non mais... elle a vu mes notes ? Ah non, elle est juste remplaçante, elle n'en sait rien en fait. Malgré le sourire de la jeune femme, je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils. Ce que je m'apprête à faire est un sacré challenge. Il faut que je rassemble mon courage. Le silence s'installe un instant, les battements de mon cœur s'accélère et soudain, je m'élance.

- Mad... Mi... Mitsuki...

Erhm, oui... ce n'est pas encore tout à fait ça.

- Vous êtes très enthousiaste et passionnante. Vos cours sont agréables à suivre, mais pas vraiment à étudier. Je pense qu'il vous manque encore un peu de structure pour que cela soit parfait. Alors ne vous dépréciez pas, s'il vous plaît.

Je n'en reviens pas d'avoir aligné tant de mots sans bégayer. Je rougis. Non, mais je suis qui pour oser lui dire ça ? Hein ? La petite paumée au centre de la classe, celle qu'on ne remarque jamais parce qu'elle ne dit rien et qu'elle ne sait rien surtout...

- Je... je ne suis qu'une élève moyenne. Je comprends rarement la matière du cours et je dois la travailler le soir, généralement cela suffit. Je ne... suis pas la personne la mieux placée pour répondre à vos questions. Il y a des élèves vraiment doués dans cette classe. C'est vers eux que vous devriez aller, je pense...

Je baisse les yeux. C'est une chose de savoir qu'on n'est pas excellent, s'en est une autre de l'énoncer haut et fort. J'ai mon orgueil et savoir que je galère, alors que d'autres réussissent, ça m’énerve... mais c'est la vie, alors je serre les dents et continue à travailler, parce qu'au final, c'est en travaillant qu'on réussit.

- Je... suis... désolée.

Je lance un coup d’œil furtif à la remplaçante et tente de la contourner dans l'espoir de pouvoir enfin quitter la classe. Je crois que j'ai fait assez de dégâts comme ça. Il est vraiment temps que je lui foute la paix et qu'elle s'intéresse à quelqu'un digne d'intérêts. Il y a vraiment de sacrés têtes qui suivent ce cours. Je suis étonnée qu'elle ne l'ait pas remarqué et, qu'au contraire, son regard se soit posé sur moi. Je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'elle a bien pu voir chez moi de particulier ?

Si je ne savais pas qu'elle était d'affinité Air, comme Aoi, j'aurais parié sur l'Eau. M'avouer tout ça semblait lui avoir coûté un effort surhumain ! Mais malgré tout, un sourire étira le coin de mes lèvres. La structure, autant être franche, je savais que c'était ce qu'il me manquait. Je n'avais absolument jamais été douée pour organiser mes idées. J'étais terriblement nulle en dissertation, et l'expression écrite me révulsait. C'était pour ça que j'étais particulièrement douée en Physique-chimie ainsi qu'en mathématiques. Ces matières étaient tellement simple ! Il n'y avait qu'à faire les exercices à la suite, juste des calculs, rien de compliqué.
Sauf qu'évidemment, lorsqu'il fallait en venir à créer soi-même le cours, c'est là que ça devenait compliqué. Car, évidemment, créer son cours suppose un plan, une organisation, une structure. Et pas juste des calculs et des dessins. Alors forcément, bah moi, je coince.
Par contre, qu'elle me dise que ce que je disais semblait super intéressant, bien qu'incompréhensible (oui, je sais aussi traduire le charabia des gens timides). C'était tellement adorable ! Et si attentionné ! Je ne pourrais probablement jamais la remercier assez ! Regardez cette bouille si adorable.
Elle croisa alors une dernière fois mon regard avant de prendre la poudre d'escampette. Est-ce qu'elle allait trouver que j'étais une harceleuse si je la suivais ? Hum. Je vais lui laisser de l'avance. Oui mais non, ça fait prédateur ça ! Genre le chat qui chasse la souris, et lui laisse espérer qu'elle va s'en sortir avant d'abattre ses grosses pattes assassines sur lui.
Je me tournai alors que Selvi allait quitter la salle.

-Merci pour ta sincérité Selvi ! m'exclamai-je assez fort pour qu'elle m'entende.

Je lui offris un sourire et me téléportai non loin d'elle pour ne pas être obligée de crier. En même temps, j'admets volontiers que cela ait pu paraître suspect.

-Oh, et désolée de t'embêter comme ça... Je voulais te dire que si tu veux, je peux t'aider pour tes cours hein, c'est pas un souci ! J'adore ça, alors ce serait un bonheur de t'aider à aimer ça toi aussi !

Un large sourire étirait mes lèvres, mais je réalisai bien vite que ce n'était peut-être pas la bonne conduite à adopter. Je me raclai la gorge, tentant d'adopter une attitude plus... Normale.

-Excuse-moi, je suis un peu toujours montée sur ressort... En tout cas, Aoi n'a pas menti, tu es super mignonne ! Tu veux qu'on aille se boire un chocolat chaud pour faire plus ample connaissance ? m'empressai-je de lui proposer avec gaieté.

J'ai déjà fait quelques pas lorsque j'entends Mitsuki me remercier. Sans me retourner, je souris, avant de m'arrêter net dans un sursaut. Elle vient de se téléporter juste devant moi. Je tente de calmer les battements de mon cœur qui s'est emballé. Bon sang, comment je vais lui faire comprendre que je ne suis pas à l'aise pour parler avec mes profs ? Pourquoi ne peut-elle pas concevoir que c'est une épreuve pour moi ? Je sais qu'elle pense bien faire, mais c'est juste horrible. Je ne sais pas quoi lui dire, quoi faire. Je suis inintéressante pour elle. Elle est en train de perdre son temps sans même s'en rendre compte. Je m'en veux de ne pas réussir à lui faire comprendre ça... ou peut-être que... je suis exactement la personne à qui elle souhaite parler ? Justement parce que je ne suis pas un génie... Je ne sais plus quoi penser. Je me sens à nouveau rougir. Faut vraiment que je me calme et que j'arrête de réfléchir autant. Elle ne va pas me manger ! Au contraire, elle est tout gentille, un peu survoltée, mais vraiment sympa et prévenante. Elle me propose même son aide pour mes cours. J'hésite... peut-être que ma seconde hypothèse est la bonne et que je devrais simplement arrêter de me déprécier tout le temps.

Je repense à ma première rencontre avec Aoi. Je m'étais rendue très tôt un matin dans la salle d'entraînement et j'avais failli recevoir une tornade en pleine figure. Je souris à ce souvenir. Je me rappelle le mélange étrange entre admiration et jalousie que j'avais ressenti alors. C'était l'époque où je n'arrivais pas à me servir de l'air, j'avais trop peur je crois, peur du mal que je pourrais faire avec cette puissance que je ne maîtrisais pas. J'avais voulu me faire toute petite, comme aujourd'hui, et simplement observer du coup de l'oeil, mais Aoi m'avait prise sous son aile et m'avait appris à contrôler mon pouvoir. Elle m'avait aidée, comme Mitsuki me le propose aujourd'hui. Mon regarde se pose sur celui de la remplaçante. C'est fou comme une souvenir peut vous apaiser. Ce n'est pas parce que je suis une pive que je suis inintéressante. Au contraire, c'est justement pour les gens comme moi que les profs sont importants. Les autres ont simplement besoin d'être guidé de temps en temps lorsqu'ils s'égarent, alors que moi, j'ai besoin de plus qu'un indice de temps à autre. J'ai besoin d'une main qui m'aide à garder l'équilibre. Un doux sourire se dessine sur mon visage. Je retiens un rire. Pauvre Mitsuki, elle ne va rien comprendre à mon changement d'attitude. Elle n'est pas télépathe. Je prends une profonde inspiration comme pour poser mon esprit.

- Je... je te remercie... Mitsuki. Tu ne m'embêtes pas, au contraire.

Tu es une de ces personnes géniales qui sont suffisamment patientes pour attendre que je réalise la chance que j'ai de vous rencontrer et que j'accepte de m'ouvrir, de partager quelque chose.

- Pour ton aide, je suis vraiment touchée, mais c'est moi qui ne souhaite pas t'embêter.

C'est vrai, je ne vais quand même pas abuser de sa bonté. La Tonnerre s'excuse ensuite de son trop plein d'énergie. Je souris, puis rougit lorsqu'elle me complimente. Donc elle et Aoi ont parlé de moi ? Souvent ? Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non. Je suis un peu gênée d'être le centre de tant d'attention, mais je tâche de l'oublier assez rapidement. Je laisse le silence s'installer quelques secondes avant de répondre, le temps de réfléchir.

- Euh, je... oui, pourquoi pas.

Est-ce que j'ai vraiment accepté ? Wouaou, je me surprends parfois. J'ai beaucoup d'idées dans la tête, je prends de bonnes résolutions, mais il y a toujours un grand pas entre ce que je pense et ce que je fais ensuite.

- Je... j'ai un peu de temps maintenant ou alors demain peut-être...

Je tortille les sangles de mon sac à dos entre mes doigts. Mitsuki n'a pas précisé d'heure dans sa proposition. Je ne sais donc pas quand elle souhaitait aller le boire, ce chocolat chaud. J'espère que je ne la mets pas dans l'embarras avec ce que je viens de dire. Je lui lance un petit sourire timide en attendant sa réaction.

On dit que les Tonnerres sont compliqués à suivre et à comprendre à cause de leur changement d'humeur, mais personnellement, je trouve ce jugement injuste. C'est vrai quoi, on n'est pas plus difficile à comprendre que les autres ! Regardez Selvi, elle passe de la timidité à la joie -oui oui, j'ai vu ce sourire !- puis à nouveau à la timidité mêlée malgré tout d'une bonne dose de bonne humeur. Ben vous savez quoi, je la trouve aussi changeante que moi ! ... Ouais, bon, ok, je retire ce que j'ai dit ! Heureusement qu'elle n'est pas télépathe, elle aurait pu mal le prendre. Pourtant, je ne pensais pas à mal. Mais en même temps, avouez, c'est un peu vrai : les Tonnerres sont trop mal jugés, c'est pas cool !
Je hochai la tête avec un large sourire lorsqu'elle accepta mon aide. Elle répondit ensuite à mon invitation et je sautillai sur place.

-Super ! On peut passer à la cafet' tout de suite alors ! Sauf si tu veux aller au bar ? Mais ça nous fait un peu de marche... A moins que tu m'emmènes avec toi et qu'on y aille en volant ! m'exclamai-je avec un grand sourire, des étoiles plein les yeux.

Je me passai une main dans les cheveux, totalement survoltée -avouons-le, après tout. En fait, j'avoue que j'étais rarement aussi excitée. N'allez pas me demander pourquoi. C'était probablement parce que je venais de passer une heure entière à parler de ce qui me fait rêver, à savoir la physique. Et aussi parce que j'avais bien dormi cette nuit. Il ne faut jamais me laisser dormir une nuit entière, sinon, je ne tiens plus en place.

-Bon, après, je pourrais aussi nous téléporter... Mais je t'avoue qu'on ne m'a jamais fait voler ! Sans doute parce que je ne l'ai jamais demandé aussi... Enfin, j'sais pas ! Mais ça pourrait être super cool, tu penses pas ?!

Je la regardai avec de grands yeux, avant de m'empresser d'ajouter :

-Enfin, sinon, la proposition de la cafétéria tient toujours ! Je veux pas te forcer à faire quoi que ce soit !

Je me passai une main derrière la nuque en prenant un air un peu... Abruti ? Autant être franche. J'avais vraiment cet air-là.

-Désolée, je sais pas trop pourquoi mais je suis pleine d'énergie aujourd'hui... Promis, je me tiens au chocolat chaud, j'prends pas de café ! Sinon, tu voudras plus jamais me revoir et je risque d'être triste alors.

Bavarde. C'est marrant, parce que sur tous mes bulletins scolaires, c'est jamais apparu. Et puis là, depuis que je suis à Terrae, je n'arrête plus de parler ; impossible de tenir ma langue. J'ai bien tenté le truc du "tourne sept fois ta langue dans ta bouche" mais ça marche pas trop. La dernière fois que je l'ai fait, j'ai oublié ce que je voulais dire. Enfin, en soi, c'était peut-être une bonne chose pour les autres, ça m'a évité de parler trop, mais dans le fond, moi, j'étais frustrée.

Je suis soulagée lorsqu'elle me propose d'y aller tout de suite. J'ai eu peur un instant qu'elle ne se trouve empruntée de me dire qu'elle avait quelque chose dans l'immédiat. En même temps, en réfléchissant un peu, je ne pense pas que Mitsuki soit quelqu'un qui se ferait du soucis pour ça. Elle n'est pas comme moi... heureusement, sans doute. Je hoche la tête suite à sa proposition d'aller à la cafétéria, puis laisse ma bouche s'ouvrir et une expression de surprise et de peur se dessiner sur mon visage à son idée d'aller au bar en volant. Elle est sérieuse là ? Je n'ai pas même songé une seule fois à essayer de voler seule, alors avec quelqu'un. Non non non non, je ne tenterai pas cette expérience qui, je le sais déjà, serait désastreuse. Je ne suis encore que novice après tout. Eh oui, il n'y a pas qu'en physique que j'ai de la peine et que je traîne.

Je n'ai pas le temps de placer un mot qu'elle enchaîne déjà. Je sens que je serai fatiguée à la fin de la journée, moi. La jeune femme me fixe un court instant, me laissant à peine le temps de repenser à la seule fois où quelqu'un m'a téléportée, Ludmila. Un frisson me parcourt le dos. Je me demande quand les souvenirs de cet événement arrêteront de me faire cet effet... si cela s'arrêtera un jour. Mitsuki s'excuse et je lâche un petit rire, avant de prendre une brève inspiration. Il va falloir que je réponde à tout ça et si possible de manière cohérente. Hmm, ce n'est pas gagné...

- Non, ne t'excuse pas et tu ne me forces pas.

Bon, comment je lui présente la chose ?

- Entre la cafetéria et le bar, ça m'est égal, mais...

Je fais une pause, gênée. Pourquoi c'est aussi difficile à admettre ? J'ai peur de la décevoir, voilà le problème.

- On ne va pas pouvoir y aller en volant. Désolée... tu sais, je... je n'ai jamais essayé, donc ce n'est pas une bonne idée. Ce n'est pas parce que je suis guérisseuse que je dois risquer de te blesser.

Je baisse les yeux, toujours gênée, puis me racle la gorge, avant de reprendre doucement.

- Une autre fois peut-être...

Ces derniers mots, je les ai dit plutôt à moi-même qu'à mon interlocutrice. Je me rends compte soudain de mon réel retard, si on peut appeler cela comme ça. Je suis à Terrae depuis deux ans... deux ans. Je n'arrive pas vraiment à y croire. Tout est passé si vite et tant de choses se sont produites. Deux ans et toujours novice, n'est-ce pas bizarre ? Il me semble que mes camarades vivent leur étoilisation plus tôt que ça, mais je n'en suis pas certaine. Je me demande si mon angoisse face à ce qui risque de se produire pourrait avoir un effet « retardateur » sur cette étape. C'est vrai, j'y pense moins qu'au tout début, lorsque j'avais encore peur de l'air, mais cette pensée me traverse l'esprit régulièrement. Et depuis la guerre avec les scientifiques, je dois avouer que mes craintes se sont accentuées. Voir tant de violence, risquer de mourir, voir ses amis se mettre en danger,... est-ce que je supporterais d'être la cause de tant de souffrance ? J'essaie de me souvenir de ce qu'Aoi m'avait dit lorsque je lui avais posé la question. Il y a souvent des blessés, parce que nos pouvoirs prennent le dessus sans qu'on ne puisse les contrôler. J'essaie à chaque fois de me rassurer en me disant que c'est mon pouvoir de guérisseur qui pourrait s'activer, mais cela signifierait que quelqu'un souffrait, ou peut-être serait-ce de l'autoguérison. Je frissonne à nouveau. Rien ne me rassure finalement. Suis-je la seule à me poser tant de questions à ce sujet ? Suis-je simplement lâche ? Je commence à me sentir mal. Il faut que je me calme et que j'arrête de penser à ça. C'est à chaque fois la même chose, le même cheminement, pour arriver aux mêmes interrogations, aux même doutes et je tourne en rond. Alors, soit j'en parle à quelqu'un, soit j'arrête d'y penser, parce que ressasser toutes ces idées ne m'est d'aucune utilité, au contraire. J'en deviens presque malade.

Je ferme les yeux, prends une inspiration et reporte mon attention sur Mitsuki qui me regarde. Suis-je restée silencieuse longtemps ? M'a-t-elle parlé ? J'ai l'impression d'avoir déjà vécu ça, peu importe. Je décide de faire comme si de rien n'était. Je n'ai pas à l'embêter avec mes questions existentielles.

- Bon, on y va alors ?

Je lui souris avec douceur.

J'étais... Peut être un poil trop excitée aujourd'hui. J'en ignore la raison. Probablement est-ce tout simplement dû à mon hyperactivité ? Sans doute ! Cela n'empêche que j'avais bien l'impression d'avoir mis Selvi mal à l'aise. Jusqu'à ce que je réalise que ce qui la mettait mal à l'aise était ma proposition d'y aller en volant. Je compris alors qu'elle n'était pas sûre d'elle (ouais, j'aurais du le remarquer avant, je sais) mais je n'en tins pas rigueur. En réalité, j'avais, moi, toujours été un peu trop tête brûlée et... Parfois, c'était bien mieux de prendre son temps. Bien mieux, oui...
Je lui souris alors, mais me retrouvais gênée lorsque je vis son regard se perdre un instant dans le vide. J'ignorais à quoi elle pensait, mais je fus immédiatement prise de remords. J'étais bien trop vive et en plus, je l'avais mise mal à l'aise en lui demandant de faire quelque chose qu'elle m'avouait être incapable de faire ! De toute façon, j'avais toujours été nulle en relations humaines. J'étais toujours trop... Comment formuler ça ? Trop active, trop oppressante, trop en forme. Et en prime, je demandais toujours les mauvaises choses. Bref, j'étais nulle quoi. Des fois, j'aimerais savoir de qui est-ce que je tiens ça... C'est peut-être étrange, mais malgré la femme superbe qu'est devenue Maman, je suis sûre, dans le fond, que je tiens ça d'elle. Parce qu'elle ne m'a que trop rarement (=jamais) parlé de son passé... Alors que papa, lui, me racontait beaucoup d'histoire avec ses amis.
Finalement, Selvi revint à elle et... Et me permit de revenir à moi également puisqu'elle nous proposa de bouger. Je sursautai.

-Ah mais oui ! Excuse-moi, j'étais partie loin dans mes pensées et j'ai même pas réalisé qu'on était debout comme des i en plein milieu du couloir !

Je lui offris un large sourire et commençai la marche.

-C'est parti alors ! Je te propose la cafétéria, c'est plus près !

Toute souriante, j'avançai en regardant un peu partout autour de moi avant de reporter mon regard sur Selvi.

-Et tu sais, t'inquiète, c'est pas grave hein, je t'obligeais pas à me faire voler ! D'autant que Aoi et Allen ne m'ont jamais emmenée quelque part en volant parce que, selon les dires d'Allen en tout cas, je ne suis absolument pas stable comme fille. Il trouve que ce serait trop dangereux d'emmener une fille qui tient pas en place dans les airs avec lui.

J'eus une moue enfantine.

-C'est pas très gentil de sa part mais... Bon, je pense que je peux le comprendre ! Même s'il ne réalise pas que je peux aussi être très sage lorsqu'il le faut.

Ouais, enfin, ça, c'est pas dit non plus.

-Sinon, tu t'entraînes avec Aoi alors ? C'est une bonne prof ? Je suis sûre qu'elle est trop gentille ! Cette fille est tellement parfaite... Elle doit être trop adorable !

Je souris à Mitsuki lorsqu'elle m'avoue s'être, elle aussi, perdue dans ses pensées. Au moins, je n'ai rien raté. On se met ensuite en route vers la cafétéria, plus proche que le bar. Je me demande ce que les autres étudiants vont dire en me voyant boire un chocolat chaud avec une prof, même remplaçante. Je pense être restée suffisamment discrète pour que la plupart des habitants de Terrae ne me connaissent pas. Même certains de mes professeurs ne sont pas conscients de mon existence, c'est dire. Donc, au final, l'expérience ne sera certainement pas traumatisante. Je souris.

En chemin, la jeune femme tente de me rassurer. Aoi et Allen, un autre de ses amis si je me souviens bien, ne prendraient pas le risque de voler avec elle. Je lâche un petit rire. C'est vrai qu'avec toute cette énergie, ça ne doit pas être facile de gérer une petite virée parmi les oiseaux. Enfin, c'est ce que j'imagine. Pauvre Mistuki, condamnée à ne jamais voler. Non, je prendrai le risque une fois, pour lui faire plaisir.

- Quand je saurai, je t’emmènerai une fois. Promis.

J'accompagne ma réplique d'un sourire sincère. Puis mes pensées vont vers Aoi.

- Oui. Elle a la gentillesse de me consacrer du temps pour que je m'améliore. Elle est géniale ! J'ai de la chance de l'avoir comme amie

Je souris en écoutant les compliments de mon interlocutrice pour Aoi. Je suis contente qu'on soit du même avis. En même temps, le contraire serait étonnant. Elles sont meilleures amies après tout ! Je les envie, je crois. Je n'ai pas de meilleure amie, quelqu'un à qui tout confier, tout partager. J'ai bien quelques amies, Célia, Aoi et Ludmila par exemple, et j'en suis heureuse, mais mon caractère m'empêche d'ouvrir complètement ma carapace. Je ne pense pas pouvoir un jour avec le genre de relation que partage Aoi et Mitsuki. En lieu et place d'une confidente en chair et en os, je couche mes joies et mes peines sur papier. C'est sans doute ma manière à moi de gérer ma vie, mes problèmes, ...

- Ça fait très longtemps que vous vous connaissez, non ?

J'ai posé cette question assez timidement. J'aimerais en savoir plus sur elles. Comment elles se sont rencontrées, par exemple. J'aimerais bien entendre des anecdotes rigolotes sur ce qu'elles ont pu vivre ici à Terrae. Et pourtant, je ne prendrai pas le risque de poser la question. Peut-être que ça viendra dans la discussion.

Je souris doucement à la proposition de Selvi. Elle était vraiment gentille... Mais je pense qu'en apprenant à me connaître davantage, elle allait très vite changer d'avis.
La description que me fit Selvi des entraînements qu'elle avait avec Aoi ne me surprit pas. J'imaginais Aoi exactement comme Selvi me la décrivait. Elle devait être terriblement douce, attentive, calme, patiente... Certainement pas le genre de personne à descendre quelqu'un juste parce qu'il n'a pas réussi son exercice. C'est sûr que ça n'avait rien à voir avec les entraînements que j'avais pu passer avec Aaron. Bon, il me criait pas dessus, hein ! Jamais. En même temps, moi, si on me crie dessus, je suis encore pire après, et c'est un vieux cercle vicieux, ça devient invivable, plus pour l'autre que pour moi d'ailleurs. M'enfin. Disons que nos séances d'entraînements devaient probablement être plus sportives que celles que passe Selvi avec Aoi. Mes séances d'entraînement avec Ys sont plus sportives aussi... Je crois que le côté sport vient un peu de moi. Mais pas que ! Hé, attendez. On est quand même des Tonnerres nous. J'imagine que c'est dans notre nature d'être intenable et impulsif... C'est même sûr. Sinon, c'est qu'on m'a menti.
Je revins à la réalité quand Selvi me posa sa question.

-Oh euh... Hé bien oui, ça commence à dater maintenant que j'y pense !

Je réfléchissais à la question tandis que nous franchissions la porte de la cafétéria et nous dirigions vers le comptoir des commandes.

-Ca doit bien faire quatre ans maintenant ! Après ce n'est pas si loin que ça non plus. On s'est rencontrées à notre arrivée ici. Je suis arrivée en même temps que mon meilleur ami avec qui je vivais déjà. Bah c'est Allen ! Tu sais, celui dont je viens de te parler ! On a rencontré Aoi et on s'est très vite rapprochés. C'était cool ! Aoi est l'une de mes meilleures rencontres. Bon, après, c'est aussi ma première rencontre, ça aide un peu ! Mais elle est toujours souriante et à l'écoute, ce qui, avouons-le, n'est pas de tout repos avec moi, je le sais ! Mais enfin. On allait en cours ensemble, ou on n'y allait pas ensemble aussi, haha... C'était vraiment cool.

Repenser à tout ça m'avait remonté le moral. Je levai finalement les yeux vers la femme qui nous faisait face. Nous venions d'arriver au comptoir.

-Deux chocolats chauds s'il vous plaît !

Et j'ajoutai, avant que Selvi n'y songe.

-Je t'invite, souris-je.

Ouais, j'étais fier. J'allais dépenser en deux secondes l'argent que je venais de me faire avec cet heure de remplacement. Haha. C'est la vie, hein ! Je m'en fous, ça me fait plaisir de lui offrir !
Réglant la dame, je pris notre plateau et m'installai à une table non loin, prenant ma tasse pour moi et laissant le plateau à la jeune Air.

-Et toi, tu as rencontré Aoi il y a longtemps ? D'ailleurs, vous vous êtes rencontrées comment ? J'adore savoir tous ces petits détails...

J'écoute la réponse de Mitsuki avec attention, tout en la suivant dans la cafétéria. Quatre ans ! Wouaou, rien que ça ! Je tâche de me souvenir de chacune des informations qu'elle me transmet. Ainsi, Aoi est sa première rencontre. Je souris en pensant à ma première rencontre, Celia. Je me demande si c'est pour tout le monde pareil. Si la première rencontre est importante, si le lien qui se crée est fort pour tous. J'ai eu la chance de faire la connaissance d'une personne formidable, Mitsuki aussi, alors pourquoi pas les autres ? En fait, c'est ce que je souhaite à tout le monde. Surtout vu l'état dans lequel on arrive...

Je laisse la Tonnerre commander et tente de protester lorsqu'elle me dit qu'elle m'invite, mais sans grand succès. Je marmonne alors un timide merci, gênée, et prends le plateau avant de suivre mon interlocutrice. Une fois assise, elle me retourne alors ma question. Je prends le temps de réfléchir un instant et ne peux m'empêcher de sourire.

- C'était il y a un peu moins de deux ans si je me souviens bien.

Je marque un petit silence. Deux ans déjà... comme cette période de ma vie me paraît loin. Je ne parvenais pas à utiliser l'air en ce temps, je venais d'être initié. C'est grâce à Aoi que j'ai réussi à me libérer de mes peurs.

- Je... je m'étais rendue à la salle d'entraînement, presque par hasard, et j'avais décidé d'y faire un tour, espérant ne croiser personne.

Je ne sais pas si je dois vraiment tout lui dire, mais ça sort comme ça et, sur le moment, je n'y réfléchis pas vraiment en fait.

- Et... j'ai failli percuter une tornade en entrant.

J'éclate de rire. Je ne sais pas pourquoi, mais ce souvenir provoque toujours chez moi une certaine hilarité, une onde de joie. Sans doute le souvenir de ma surprise, l'absurdité de la situation, le visage de mon amie et, finalement, la pensée de tout le bonheur que cette rencontre m'a apporté.

- C'est comme ça qu'on s'est rencontré. Je lui ai demandé si je pouvais la regarder. Je n'arrivais pas à utiliser l'air à ce moment-là. Je crois que j'avais trop peur et puis je m'y prenais vraiment mal. Aoi a dû me cerner assez vite, car elle a persévéré, doucement, et a réussi à me faire cracher le morceau. Finalement, elle m'a appris à utiliser mon pouvoir. J'ai eu beaucoup de chance de la rencontrer et pas seulement pour l'air.

Je souris.

- J'étais encore plus timide que maintenant, à l'époque.

Mon sourire s'élargit. J'ai quand même bien progressé depuis mon arrivée ici. Oh, je ne deviendrai jamais extravertie, mais j'ai moins peur de parler aux gens. Je sais que je suis d'une nature calme et assez solitaire, ce qui ne changera jamais et c'est une part de moi que j'aime, mais ma timidité s'est amoindri. J'en ai l'impression du moins.

Je brasse mon chocolat chaud avec ma cuillère, puis boit une gorgée. C'est vrai, j'ai rarement été si bavarde en si peu de temps. La barrière insurmontable que je pensais érigée entre Mitsuki et moi, à cause de son statut de remplaçante, s'est brisé en un tour de main. Je ne peux m'empêcher de sourire, fière de moi.

J'imaginais tellement Aoi, dans cette salle d'entraînement, en mode badass ! Oui, parce que moi, dans mon imaginaire imaginatif, même si Aoi cache grave son jeu derrière son petit sourire mignon et ses mimiques toutes douces, je sais que c'est une guerrière de fifou. Naaaan mais si ! Attendez, déjà, imaginez-là en train de manier un katana ! Parce que ouais, j'vous l'ai dit, derrière sa gueule d'ange, elle cache bien son jeu ! Alors moi, dans ma tête, dès que je l'imagine, je la vois avec des petites cicatrices discrètes un peu partout, témoignant d'une grande guerre de laquelle elle serait ressortie vainqueur et en vie (logique). Elle a aussi souvent des mouvements vachement sûrs, arrêtés, et tout le tralala dans mon imaginaire, genre pour prouver sa détermination, sa concentration, et sa confiance en elle.
Bref, ça sert à rien d'en ajouter plus en fait, en gros, comme je l'ai déjà dit : dans mon imaginaire, elle est HYPER badass. Pas qu'elle le soit pas en vrai... Vous n'allez pas me faire dire ce que j'ai pas dit quand même ?! Et me pousser à ressortir les mêmes arguments, hein ? Hum. J'me soûle...

Je haussai un sourcil quand Selvi m'annonça qu'elle était encore plus timide avant. Nan mais parce que je suis pas bêbête, hein, j'ai quand même un peu remarqué au début qu'elle voulait pas me parler... J'suis chiante et insistante, que voulez-vous ! Mais alors comme ça, elle était encore plus timide ? Hanlàlà, je sais pas comment Aoi a réussi ! Moi, j'ai jamais aidé ou entraîné des personnes timides. En même temps, les pauvres quoi ! C'est vrai ! Ils pourraient en venir à me détester ! Je suis tellement pas timide qu'ils pourraient avoir l'impression que je me moque d'eux et que je les force à faire des trucs horribles quoi ! Alors que je suis pas comme ça !
Bon, après, allez me trouver un Tonnerre timide, hein. Et pis des élèves en général ; personne veut jamais travailler avec moi et personne me demande jamais mon aide, je me demande comment je dois le prendre tiens !

-T'as fait énormément de progrès avec Aoi alors, à ce que j'en déduis ! Elle doit être tellement bien comme professeur ! Parce qu'elle est tout le temps super gentille, super douce, et surtout, elle écoute vachement les autres...

Bon, j'avoue que j'ai peut-être un peu de mal à tenir compte des réflexions des autres... hm.. Chacun ses défauts, hein !

-Moi, j'ai toujours tendance à vouloir aller trop vite, mais aussi à pousser les autres à aller trop vite... Je sais que c'est pas bien, mais c'est plus fort que moi, c'est fou ! Enfin bon, peut-être qu'un jour j'apprendrai à ne pas ignorer cette petite voix en moi qui me dit de ralentir le move.

Ouais, suffit de voir le cours de physique/chimie que je viens de donner, hein. J'suis sûre que personne n'a rien compris parce qu'en plus, j'ai dû manger la moitié de mes mots en voulant parler trop vite...

-Sinon ! Tu viens d'où à l'origine Selvi ?

Parce que je ne suis familière qu'avec les noms japonais et anglais, et "Selvi", ça me dit pas grand chose...

J'écoute Mitsuki parler d'Aoi, puis d'elle-même. Oui, Aoi est géniale et j'ai énormément appris avec elle. Je me demande ce que ça aurait donné avec la Tonnerre. Je n'ai jamais vraiment été bonne élève quand un enseignant me poussait. Enfin, c'est ce qu'il me semble. J'ai plutôt tendance à me ratatiner et à perdre confiance en moi, je crois. Il me faut de la douceur. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas me secouer de temps en temps, mais il y a l'art et la manière. En même temps, j'aurais tellement envie de la rendre fière... je pense que je me démènerais pour ne pas la décevoir. Hmmm, tout ceci est très complexe. Je sors de ma réflexion lorsque mon interlocutrice reprend.

- Eh bien, je suis Suisse. Après, c'est vrai que mon nom et mon prénom ne font pas très helvétiques... mais je n'ai jamais pensé à demander à mes parents d'où ça venait. Je crois qu'ils ont choisi le prénom parce qu'il le trouvait joli, mais sans penser à son origine. Je me demande où ils l'ont entendu...

Étonnamment, penser à mes parents ne me fait pas si mal que ça. J'en veux toujours un peu à mon père et je ne suis pas certaine de pouvoir lui pardonner complètement un jour, mais ce n'est plus aussi fort qu'avant. Je suis plutôt triste en fait. Triste de savoir ma mère seule, triste de le savoir seul, triste que les choses se soient passées ainsi. J'ai longtemps cherché un responsable, quelqu'un sur qui mettre la faute, et pendant longtemps cette personne a été mon père, mais je me dis que, finalement, ma mère y est aussi pour quelque chose... La vie a fait son œuvre. Je pense alors à Elio. Peut-être que si on avait continué à se voir, on se serait vraiment rapproché. Peut-être que j'aurais osé faire le pas... mais la vie a décidé de nous éloigner. C'est sans doute un peu fataliste comme idée. Après tout, on pourrait lutter contre ce qui arrive, essayer de se battre pour rester près de ceux qu'on aime. On pourrait... mais on ne le fait pas, car cela demande de l'énergie, un effort, et c'est pénible. Alors, on préfère fermer les yeux, se laisser guider par le courant. On entre dans une douce léthargie et lorsqu'on se réveille, on se rend compte qu'il est trop tard. Que le moment de faire un effort est passé, que l'occasion ne se présentera plus et tout ce qu'il reste n'est que du gâchis. Alors, la seule chose qu'on peut encore faire, c'est pleurer et faire le deuil de ce qu'on n'aura jamais plus ou de ce qu'on n'aura jamais eu.

Il est trop tard pour mon père et ma mère, depuis bien longtemps, mais est-il déjà trop tard pour moi ? Ne suis-je pas atteinte par cette vicieuse léthargie ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Mon humeur fait du yoyo, comme ma volonté d'ailleurs. Par moment, je me sens bien, sûre de moi, confiante et deux minutes plus tard je suis au fond du trou, ensevelie sous une tonne de doutes, de reproches et une bonne dose de culpabilité et d'amertume. Cela fait beaucoup de sentiments mélangés, mais ça m'arrive, oui.

Je sors subitement de mes pensées et me dépêche d'afficher un sourire à Mitsuki. Je me doute que mon visage n'a pas du respirer la joie pendant mon silence et je ne veux pas l'inquiéter. Tout va bien. J'en profite pour me remettre à parler et essayer de relancer la conversation.

- Et toi ? Raconte.

Je hochai la tête suite aux explications de Selvi. Je ne savais même pas que la Suisse était une région... Helvétique ? Ca se dit ? Je n'étais vraiment pas douée en géographie. Mes seuls intérêts à l'école s'étaient toujours portés sur les mathématiques, la physique, et la chimie. Alors vous vous doutez bien que la géographie, j'ai rapidement tiré un trait dessus ! Tout ce qui s'éloignait du Japon, je ne connaissais plus. Et même le Japon, je n'étais pas très calée dessus, en fait... Il m'arrivait souvent de confondre certaines régions. C'était vraiment pas glorieux, pour ainsi dire.
Un silence s'installa par la suite, et je commençai à me sentir un peu mal à l'aise, n'osant pourtant pas le briser. A l'expression qui s'affichait sur le visage de Selvi, j'avais peur de faire une bêtise en ouvrant la bouche... Comme cela m'arrivait si souvent, par ailleurs. J'étais un peu le genre de fille à enchaîner les boulettes.
Je ne pus m'empêcher de me demander ce qui l'avait plongé dans ses pensées comme ça, pensées qui n'avaient pas l'air forcément très joyeuses d'ailleurs. J'étais un peu gênée d'être dans cette position-là, aussi me contentai-je de me concentrer sur mon chocolat et sur les autres personnes présentes à la cafétéria. Je sursautai lorsque la voix de Selvi parvint à mes oreilles, et je reportai mon regard sur elle, qui arborait un joli sourire, me laissant perplexe.

-Heu... Moi je viens du Japon. Ce n'est pas très original, hein ! J'habitais dans la banlieue de Tokyo... Donc vraiment pas loin d'ici.

Je me passai une main derrière la nuque, un peu mal à l'aise, ne sachant pas quoi ajouter. Parce que oui, ça m'arrivait d'avoir des absences et de ne plus savoir quoi dire.

-Et mon prénom est bien japonais pour le coup, haha.

Ce rire... Mais ce rire ! J'ai l'air tellement mal à l'aise, ça me tue. Je suis tout sauf naturelle. Faut que je me reprenne, d'habitude rien ne m'atteint !

-Ca signifie "Jolie lune". Mes parents l'ont choisi parce que... Je sais pas en fait. J'imagine qu'ils avaient un intérêt commun pour la lune, ou encore que cette dernière symbolise quelque chose de fort pour eux. Je ne leur ai jamais demandé précisément.

Je touillai mon chocolat chaud après avoir rajouté une moitié de sucre, et offris un petit sourire à Selvi.

-Dis-moi Selvi... Ca me gêne de te demander ça, mais à quoi pensais-tu tout à l'heure ? Tu avais l'air embêtée ou... Je ne sais pas. Ca n'avait pas l'air d'aller bien fort.