Aujourd'hui on était lundi et les cours venaient de se terminer. Abbée soupira d'aise lorsqu'elle rangea ses affaires dans son sac. Elle avait la ferme attention de profiter un peu du reste de la journée, et, ce sac, elle ne comptait pas le rouvrir avant le lendemain. Mais, avant cela, elle devait passer prendre quelques affaires dans son casier. Voyez-vous, la demoiselle aimait beaucoup dessiner; elle avait toujours sur elle quelques rayons et carnets. Seulement, pour les derniers cours elle les avait laissé au casier, afin de préserver sa pauvre épaule d'un poids trop lourd. Le lundi était sa plus grande journée et elle n'avait jamais la place de tout ranger dans son sac.

Elle songea à ce qu'elle pourrait faire en cette douce fin de journée. Dehors, il faisait beau et elle ne voulait pas rentrer directement aux dortoirs. Ses amies comptaient passer un peu de temps à travailler sur un devoir que elle avait déjà fait. Et, comme elle ne se sentait pas l'envie de s'enfermer avec elles, Abbée préféra les quitter. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle allait faire, sûrement se trouver un endroit tranquille -de temps en temps ça ne faisait pas de mal- pour gribouiller sur un carnet. Voilà quelque chose qui lui paraissait plus intéressant que travailler! De toute manière, elle était plutôt bonne élève et pouvait se permettre, de temps à autre, de passer une journée sans s'affairer aux devoirs.

Elle salua gaiement ses amies qu'elle promit de retrouver plus tard aux dortoirs en leur souhaitant bonne chance pour leur devoir. Elle quitta la salle de classe avant elles et se dirigea vers les casiers. La jeune fille fouilla un instant dans son sac, trouva sa clef, et entreprit d'ouvrir celui-ci. Une fois que ce fut fait, elle décida de prendre son carnet.
Elle entrouvrit celui-ci  sans savoir vraiment pourquoi et tomba sur les première pages, et donc de vieux dessins. Elle fit la grimace en remarquant les défauts qui figuraient sur la plupart de ses gribouillis mais fut satisfaite de voir que depuis, son trait avait progressé. Elle tourna ainsi plusieurs pages sans voir que le temps passait. Elle resta ainsi un certain moment, debout devant son casier à feuilleter son carnet.

Je dois avouer qu’il y a des jours sans et des jours avec. Aujourd’hui était un jour avec bonne humeur. Je goutais pleinement le plaisir de la lecture d’un magazine scientifique. « Nature » le numéro datait de quelques mois mais il m’avait fallu un peu de temps avant de trouver le temps de le lire. Non je mens, j’avais eu plein de temps mais je m’étais d’abord pété le poignet et en suivant je m’étais faite refaire la façade par un gentil Terre tout mignon… Ou pas en fait, mais bon le résultat était sensiblement le même. J’avais passé quasiment quatre putains de mois les mains bandées, et j’étais encore en pleine rééducation pour retrouver leur mobilité. Autant dire les choses clairement, j’avais eu tout plein de temps pour lire, je n’avais seulement ressenti aucun plaisir à le faire laborieusement, lutant pour tourner les pages. Bien sûr utiliser une tablette aurait été une idée intéressante, mais je dois avouer que je ne ressens aucun plaisir avec ces outils numériques. Je suis vieux jeu.

Donc revenons un petit peu à notre article. C’était un truc vachement sympa en cela qu’il parlait d’un sujet qui me passionnait. L’apparition du genre homo-sapiens. J’passerais les détails mais cet article était une étude poussée du génome de certains gènes impliqués dans le fonctionnement énergétique de l’organisme. Ils avaient comparés ceux de différentes populations actuelles avec les néanderthaliens. Bref c’était un travail de titan, et c’était foutrement intéressant.

J’étais tellement intéressée et passionnée d’ailleurs que je ne regardais juste absolument pas où j’allais. J’avais dans l’idée d’aller faire un coucou à Nathanaël (et éventuellement de lui glisser l’article entre les mains, le forcer à le lire pour pouvoir en parler avec plus pendant des heures après, oui c’était du programme.) Du coup j’me dirigeais vers les salles de cours que je n’arpentais plus depuis que j’avais révélé à la directrice ma véritable identité. Bien sûr maintenant je travaillais à la bibliothèque et j’occupais mes journées autrement… Mais je dois admettre qu’étudier avec des camarades était plus distrayant bien qui plus lassant.

Dans ma lecture je faillis ne pas m’arrêter à temps et gouter le doux goût d’acier de la porte du casier ouverte devant moi. Il ne s’en fallu que d’un demi centimètre. Je retenais bêtement ma respiration comme si ça allait changer quoi que ce soit, faisais un pas en arrière et posais mon regard d’améthyste sur la jeune fille blonde à qui appartenait visiblement le dit casier. Elle me regardait surprise. Je lui souris.

« Excuse-moi de t’avoir surprise. »

Le nez fourré dans son carnet, Abbée ne remarquait pas que quelqu'un la regardait. Ce fut quelques instants plus tard qu'elle leva les yeux, tourna la tête et vit que ce qui lui semblait être une élève qui avait les yeux posés sur elle.

« Excuse-moi de t’avoir surprise. »

Sous le coup de la surprise, la demoiselle fit tomber le carnet qu'elle ne tarda pas à ramasser. Puis elle regarda la jeune femme qui se tenait devant elle plus en détail. Elle avait peut-être son âge, si ce n'était plus, Abbée n'avait jamais été douée pour déterminer l'âge des autres comme ça.
Mais qu'importait. Cette jeune fille était blonde comme elle. Elle avait aussi une peau très blanche. Mais, ce qui attira l'attention de la blondinette fut les cicatrices qu'elle avait aux poignets et aux mains. Elle resta un certain moment à les regarder, car une telle chose la surprenait. Elle était curieuse, et se demandait comment une jeune fille qui lui semblait aussi frêle avait pu se faire ça, même si ça ne la regardait pas.
Ces questions lui sortirent de la tête lorsqu'elle remarqua qu'elle ne lui avait toujours pas répondu et que cette dernière n'allait pas tarder à trouver cela impoli. Alors elle se réveilla enfin et lui adressa un grand sourire, avant de se mettre à parler.

-Ho ce n'est pas grave! Il faut dire que ça fait trois heures que je reste plantée là!

Elle se mit à rire en pensant qu'elle avait dû avoir l'air stupide à rester ainsi devant son casier pendant autant de temps. Bon, à présent c'était du passé! Elle sourit une seconde fois à la jeune fille mais ses yeux furent encore attirés sur les cicatrices de cette dernière. Comme elle n'osait pas encore lui demander comment elle s'était blessée, elle les quitta du regard et décida d'engager la conversation pour de bon.

-Je suis ravie de faire ta connaissance, je m'appelle Abbée Austin!

Elle n’est pas grande la femme qui te fait face, pourtant ce n’est pas la première chose que tu remarques chez elle, elle n’est pas grande mais ne parait pas petite. Ce que tu remarques ce sont ces yeux immensément violets. Ils t’aspirent et te retiennent prisonnière, aberration de la nature ? Te dégoutent-ils ? peut-être pas, mais le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils ne sont pas communs, il te mettent sans doute mal à l’aise, mais les tiens ne peuvent se retenir bien longuement de venir se plonger dedans.

La femme, tu ne connais pas encore son nom passe une de ses mains abimées par ses précédentes aventures, dans ses cheveux d’un geste gêné. Ses cheveux blonds cherchent à boucler mais ils ne font qu’onduler, ils lui arrivent à présent aux épaules, les dépassent et partent à la conquête de son dos. Elle sourit doucement, comme si elle souriait pour elle, comme s’il lui était facile de sourire. Ce n’est pas le cas, mais de cela tu ne sauras rien. Elle regarde tes feuilles s’éparpiller sur le sol, voilà une chose qui ne serait jamais arrivée à la rangeuse méticuleuse qu’elle est, des trombones et des post-it auraient organisé tous ses papiers, mais étudiante elle ne l’est plus.

Pourtant tu sais bien qu’elle n’est pas enseignante bien qu’elle ne semble déjà plus une enfant, elle porte des talons trop haut (est-ce pour ça que tu n’as pas noté sa petite taille ?) mais un chemisier blanc tout simple et une jupe fourreau bordeaux sombre la font passer de la catégorie « ado écervelée » à « femme mature. » Elle ne porte pas ses lunettes sinon te serais tu arrêtée au stade « rat de bibliothèque » pour la désigner. Elle est la reine des rats de la bibliothèque, la bibliothécaire, même si ces derniers mois elle n’a pas trop pu travailler autre part que dans les bureaux, cachée, du fait de son infirmité. Ses yeux sont savamment cernés de noir mais de pas trop, un gloss léger fait briller ses lèvres.

Elle se baisse pour t’aider à ramasser tes dessins éparses, elle profite pour en contempler un ou deux. Tu as un joli coup de crayon, un brin immature, mais il a du potentiel, tu devras travailler et trouver son style, pour l’instant c’est un peu trop… Classique ? Ca viendra avec le temps pense la femme. Elle en a vu des gens doués, elle sait cependant qu’être doué n’est rien sans entrainement. Elle se redresse et te tends les feuilles que tu viens d’éparpiller.

« De même, Ipiu Raspberry. »

Elle te tend sa main jadis blessée qui ne garde de ses précédentes mésaventures que des traces rosées sur cette peau opalescente. Elle remarque le regard que tu leurs portes. Curiosité elle le sent.

« J’ai fait du jardinage un peu intensif avec un Terre, j’ai un peu abimé mes patounes, mais t’inquiète c’est plus moche que ça n’a été terrible. »

Elle resta un long moment à observer la jeune femme qui se tenait devant elle. Le carnet, remplit de feuilles qu'elle tenait négligemment dans ses bras s'étala par terre tandis qu'elle regardait toujours son interlocutrice. Alors durant un moment elle s'affaira à ramasser les feuilles éparpillées sur le sol, et à tout ranger dans le carnet. Après quoi, elle se présenta. Toute joyeuse, elle attendait à présent une réponse de la fille. Mais une chose particulière l'intriguait. Les cicatrices qu'elle avait au poignet. Abbée ne pouvait s'empêcher de les observer. Et elle serait peut-être restée encore longtemps ainsi si la jeune femme ne s'était pas à son tour présentée.

« De même, Ipiu Raspberry. »

Elle regarda cette femme nommée Ipiu en souriant. Elle n'eut toutefois pas le temps de dire quelque chose puisque cette dernière se remit à parler.

« J’ai fait du jardinage un peu intensif avec un Terre, j’ai un peu abimé mes patounes, mais t’inquiète c’est plus moche que ça n’a été terrible. »

...ce qui voulait dire qu'elle avait remarqué le regard d'Abbée sur ces dernières. La jeune fille se maudit intérieurement, en se disant qu'elle allait passer pour plus curieuse qu'elle ne l'était. Ou pas finalement, puisque, curieuse, elle l'avait toujours été. Elle lui lança alors un timide sourire. Puis elle rétorqua ensuite:

-Moi je trouve que tu as l'air courageuse, parce que ça a quand-même l'air super douloureux! Déjà que moi j'arrête pas de me couper les doigts avec les feuilles et que c'est pas agréable, alors j'imagine que ça...

Elle était douillette, Abbée. Et elle était bavarde aussi. Alors parler avec une inconnue ne la dérangeait absolument pas dans la mesure où elle aimait parler et rencontrer de nouvelles têtes. Cette histoire de cicatrices, maintenant qu'elle avait eut une réponse, ne l'étonnait plus autant. Bien sûr, elle ne pouvait s'empêcher, de temps à autre, de les regarder encore. Mais le mystère n'avait plus lieu d'être. Après, peut-être que la jeune fille mentait. Mais Abbée était bien trop naïve pour songer à cela. Elle décida donc de ne pas l'embêter plus longtemps avec une telle chose, et de faire plus ample connaissance.

-Je suppose que tu es à Terrae toi aussi ? Bien sûr, sinon tu ne serai pas dans l'académie...

Voilà, encore une question idiote et inutile. Mais ça, la blondinette ne s'en rendit pas vraiment compte. Elle préféra afficher un grand sourire, toute joyeuse de rencontrer une toute nouvelle personne.

Elle n’y est pas allée avec le dos de la cuillère sur les euphémismes. Un peu de jardinage, autant dire « un peu de pluie » après un ouragan du type Katrina. Ou, ça « a remué un peu » après un séisme de magnitude neuf. C’était de l’ironie, et elle ne mordait qu’elle-même. Après, non ça n’avait pas été particulièrement douloureux, elle avait plus souffert de la perte de ses mouvements liée aux bandages que des blessures en elles même. Elle n’avait pas menti, c’était plus moche que ça n’avait été douloureux, ce qu’elle ne disait pas –n’avait pas le droit de dire– c’est que ce n’était pas douloureux en comparaison. Comparaison de quoi ? De la vie qu’elle avait vécue, des sévices, des vices qui l’avaient construite et démolie.

Pourtant de cela tu ne verras rien. Elle ne te montrera rien. Elle est juste une adulte affable et souriante. Une de celles qu’on osera aborder, on ne sait trop pourquoi. Son sourire peut-être ? Ou simplement le fait qu’elle semble abordable, qu’elle semble se soucier de toi quand tu lui parles. Et c’est le cas, elle prête attention à ceux qui l’entourent, car c’est sa façon de vivre. Sa façon de continuer à avancer. D’ailleurs, elle te détaille en un regard, il ne lui en faut pas plus.

Tu es une jeune fille que nombreux diraient ordinaire, encore un peu enfantine, tu mets un pied dans le monde des adultes. Tu te pares aujourd’hui de couleurs vives et tu découvriras demain que tu préfères les sombres, tu cherches un style, en possède et maitrise plusieurs. Tu te cherches, comme tous les adolescents du monde, sauf que tu as eu le malheur d’atterrir à Terrae. Elle ne te posera pas de questions, mais elle sait que comme tout un chacun ici, un jour tu t’es sentie vide. Alors les plus belles parures, les plus belles et les plus colorées de tes plumes servent eut-être à combler se trou béant dans une âme bien trop jeune.

Elle t’aide à ramasser tes croquis, parce que ça fait partie des choses que l’on fait quand on est une femme attentionnée. Aaron rirait sans doute de la scène, Nathanaël la trouverait normale, il a le don de ne voir que le meilleur en elle. Pourtant, elle n’est pas cette douce femme qui te regarde. Elle est ce que tu attends qu’elle soit. Ce que tu as besoin qu’elle soit. Ce n’est pas de l’hypocrisie cependant, elle ne le fait pas pour elle, elle le fait pour toi. Elle n’a nul besoin d’amitié pour vivre, c’est une louve solitaire. Pourtant elle sait que les gens d’ici ont besoin de créer des liens pour se sentir exister. Alors elle te sourit simplement, parce qu’elle sent que tu as besoin inconsciemment de ces petites choses réconfortantes que seul un sourire amical peut porter.

Ta question est un peu sotte, et elle voit que tu t’en rends bien compte. Alors elle répond sur le ton de la plaisanterie.

« Non en fait je suis une extraterrestre en mission d’infiltration, si tu veux je t’amène faire un tour sur ma bicyclette magique ! »

Elle fait un clin d'oeil signifiant bien qu'elle rigole.

« Je suis l'une des bibliothécaires, je venais juste chercher un ami pour lui passer une revue, je ne suis plus élève ici. »

Elle comptait rester seule un moment, c'était pourquoi elle avait quitté ses amis.  Toutefois, elle ne voyait absolument pas d'inconvénient à parler avec une inconnue. Elle adorait les nouvelles rencontres! La demoiselle avait alors, pour le moment, oublié son idée de départ, à savoir prendre un peu de temps loin des autres. Elle n'était pas d'une nature solitaire Abbée; c'était même le contraire. Elle avait certes besoin de certains moments seule pour se ressourcer, mais c'était plutôt rare.
Elle sourit à la jeune femme qui lui sourit à son tour.

« Non en fait je suis une extraterrestre en mission d’infiltration, si tu veux je t’amène faire un tour sur ma bicyclette magique ! »

-Ho, c'est vrai ?!

Elle aussi plaisantait bien sûr. Elle était très naïve mais pas non plus idiote. Mais elle était toujours enthousiaste, et aimait répondre à la plaisanterie par la plaisanterie.
Il était vrai que sa question était idiote. Bien sûr que cette jeune femme était à Terrae, sinon... hé bien sinon elle ne serait pas là, tout simplement

« Je suis l'une des bibliothécaires, je venais juste chercher un ami pour lui passer une revue, je ne suis plus élève ici. »

La blondinette avait pourtant pensé qu'il pouvait s'agir d'une élève. Sûrement à cause de sa petite taille. Mais qu'importait. Abbée hocha énergiquement la tête lorsqu'elle entendit la réponse. Ainsi donc, elle était bibliothécaire... ça signifiait qu'elle avait sûrement déjà dû la croiser un jour.

-Autant pour moi alors ! J'ai pensé que vous étiez une élève!

Un moment de silence survint, mais la jeune fille se remit bien vite à parler. Elle n'aimait pas le silence, elle le trouvait angoissant! Et, de toute manière, elle avait toujours quelque chose à dire!

-Je suis sûre que je vous ai déjà croisée un jour alors! Je vais toujours à la bibliothèque pour travailler! C'est le seul endroit à peu près calme. Aujourd'hui je me suis accordé quelques petites instants de repos parce que j'étais en avance. Toutes mes amies ont dû y aller par contre! Je les plains un peu par une si belle journée...

Elle arrêta de parler un moment, avant de se rendre compte que ses paroles risquaient d'être mal comprises.

-Ho, je ne veux pas dire que la bibliothèque est un endroit ennuyeux hein ? Moi même en dehors des devoirs j'y passe du bon temps! C'est juste que pour une journée comme celle-ci après des heures et des heures de cours c'est toujours mieux de passer un moment dehors...

Et elle disait la vérité.

Le passage au vouvoiement ne plait guère à ta compagne. Elle n’est pas si vieille que ça, franchement. Si ? Peut-être, après tout elle na aucune idée de son âge réel, combien de temps est-elle restée en stase ? Combien d’année a-t-elle perdues ? Elle n’en sait rien, elle ne veut pas savoir. Elle a peur de savoir. Elle aimerait grandir, elle aimerait pouvoir dire « j’ai assez de vécu pour qu’on me vouvoie. » Se serait vrai par ailleurs, l’espionne aux miles visages a vécu différentes vies, mais elle n’a jamais arpenté le chemin de la sienne. C’est un peu dommage de se réveiller un matin et de se rendre compte qu’on est vivante… Elle n’y était pas préparée.

Elle pourrait te dire de la tutoyer, elle ne le fera pas, comme elle ne t’a pas repris lorsque tu l’as fait. Elle te laisse libre de le faire. Si le « vous » sort plus naturellement, elle ne t’imposera pas de la tutoyer. Cependant, ne va pas croire que cela ne la gêne pas, elle n’a aucune raison de recevoir cette marque de respect de ta part, elle ne t’es nullement supérieure. Elle plus âgée, a plus d’expérience, mais elle n’a rien fait pour mériter ton respect. Alors oui, ça la gêne, mais elle n’est plus à ça près. Se contraindre pour le bien d’autrui, elle commence à être une vraie pro dans l’domaine.

« Et tu n’aurais pas intérêt de dire que mon domaine est ennuyeux, sinon je serais obligée de te prouver le contraire, ça nous prendrait des heures à toutes deux. »

La bibliothèque est un endroit magique, les livres sont apaisants, ils sont des fenêtres sur des univers, mais ils sont aussi des fenêtres sur notre univers. Certes pour la femme qui te fait face ils sont souvent dépassés, et elle préfère étudier directement sur des articles du net. La science avance vite, trop pour qu’elle puisse tout suivre, mais même sans être une experte dans tous les domaines et sans tout maitriser, elle lit tout ce qui sort sur les sujets qui l’intéressent… Et parmi ces derniers on trouve bien entendu l’antropobiologie, le sujet dont traite l’article qu’elle veut faire lire à Nathanaël. La cloche sonne à nouveau. Mince. Il doit avoir repris les cours pour le coup, elle pourrait l’attendre jusqu’à la fin de ces derniers mais ne le fera pas.

« Si tu me prêtes un papier et un crayon je t’emmène dans un endroit génial pour profiter d’une journée si agréable… a la réflexion en fait le papier je ne te le rendrais pas, je compte écrire dessus. »

Bah… c’est vrai quoi, autant préciser direct, sinon, elle pourrait pas faire ce qu’elle a en tête la petiote bibliothécaire.

Elle s'était à peine rendue compte du vouvoiement. C'était quasiment un réflexe. Certes elle avait commencé par la tutoyer car elle lui avait semblé être une élève. Maintenant qu'elle avait appris qu'elle bibliothécaire -et donc plus âgée qu'elle- elle s'était mise à la vouvoyer sans vraiment y prêter attention. Une question d'habitude, elle avait toujours vouvoyé ses aînés, on l'avait élevée comme ça. Ainsi, elle ne se rendit pas compte qu'une telle chose pouvait gêner son interlocutrice. Elle avait continué à parler sans vraiment s'en soucier.

« Et tu n’aurais pas intérêt de dire que mon domaine est ennuyeux, sinon je serais obligée de te prouver le contraire, ça nous prendrait des heures à toutes deux. »

La blondinette hocha la tête et se mit à rire. Elle l'avait déjà dit, elle aimait la bibliothèque. Elle aimait parfois s'y réfugier. C'était un endroit serein où le silence régnait et où on pouvait vite s'évader en ouvrant ne serait-ce qu'un ouvrage. Elle en savait quelque chose, c'était ce qu'elle avait fait la semaine dernière, et elle recommencerait sûrement dès qu'elle en aurait l'occasion et l'envie.
La cloche sonna, et Abbée fut soulagée de se rendre compte qu'elle n'avait plus cours pour aujourd'hui. C'était agréable de se savoir libre pour la fin de la journée.

« Si tu me prêtes un papier et un crayon je t’emmène dans un endroit génial pour profiter d’une journée si agréable… a la réflexion en fait le papier je ne te le rendrais pas, je compte écrire dessus. »

-Vraiment ?

La jeune fille regarda Ipiu d'un air interrogateur. Elle ouvrit de grands yeux rond en se demandant de quel endroit il pouvait s'agir. La question ne se posait même pas. C'était facile de piquer sa curiosité et c'était ce que la jeune femme venait de faire à l'instant. Abbée lui fit un grand sourire avant de partir à la recherche de quelques feuilles où rien n'était gribouillé. Elle se saisit ensuite d'un crayon qu'elle tendit, avec les feuilles, à son interlocutrice. Puis elle la regarda encore, avec une lueur dans le fond des yeux.

-Dites, c'est quoi comme endroit hein ?

Elle avait vite oublié son idée qui consistait à passer un peu de temps seule; la curiosité avait finit par l'emporter. A présent, elle attendait impatiemment une réponse de son interlocutrice.

« Vraiment, je compte laisser le papier et le journal dans le casier de mon ami, du coup je ne pourrais pas te les rendre. »

Explication somme toute assez logique. Elle se moque un peu de toi, mais c’est plus pour t’asticoter et te faire sourire plutôt que pour être méchante. Si elle avait été méchante elle t’aurait laissée te démerder avec tes feuilles éparpillées et aurait passé son chemin. Elle se serait sans doute moquée aussi. Peut-être. Non en fait… Elle aurait marché dessus… Ne se souciant même pas de ta présence. Oui, elle pouvait aussi être cette personne au cœur de pierre, elle l’avait longtemps été. Assez pour s’en souvenir, assez pour l’avoir oublié. Elle peut être qui elle veut. Elle peut être qui tu veux.

Aujourd’hui elle sera une adulte un peu folle. Quelqu’un qui peut prendre soin et te montre un monde plus beau qu’il ne l’est vraiment… ou peut-être qu’elle te montre un monde beau comme il devrait l’être ? Elle se saisit d’une feuille que tu lui tends et note d’une écriture fine et féminine dessus d’un petit mot. Lis l’article sur les néandertals. Il est cool. J’aimerais en parler avec toi ! Bises, Ipiu. Elle glisse ensuite Le papier et la revue dans le casier de son ami. Elle signe Ipiu et non Toumai bien qu’il soit au courant pour cela. Ils ont décidé de continuer de l’appeler Ipiu, elle a décidé qu’elle porterait ce nom.

Non, elle ne l’a pas décidé. Elle n’a juste pas trouvé l’intérêt d’en changer, le courage d’imposer. Elle ne sait même pas qui était cette enfant que ses parents ont appelée Toumaï, c’est un nom un visage, une myriade de sensations et de souvenirs indistincts. Alors elle signe encore Ipiu, ne sachant qui peut être cette fillette et ne devinant pas qui  est la femme qu’elle veut devenir, l’ancienne espionne n’est plus grand-chose. Plus personne en réalité… Si ce n’est la femme qui te fera découvrir les cieux de Terrae.

« Tu sais grimper aux arbres ? »

En réalité il y a plusieurs endroits qu’elle pourrait te montrer, elle sait trouver la beauté autour d’elle. Ce serait tellement mieux si elle la trouver en elle aussi. Plus agréable pour elle. Plus vivable pour elle. Que voulez vous, il est difficile de s'accepter quand on a pas appris  qui on est.

Impatiente, la jeune fille regardait son interlocutrice avec des étoiles dans les yeux. Celle-ci venait de piquer sa curiosité, ce qui était très facile à faire avec elle...
Un endroit génial ? Dès qu'elle avait entendu ces mots, elle avait tendu du papier et un crayon à la jeune femme. Mais à bien y réfléchir, elle l'aurait fait même si elle ne lui avait rien promis en échange.
Qu'importait. Elle lui tendit donc feuille et papier en lui demandant de quel genre d'endroit il pouvait bien s'agir. Son impatience, s'était sûrement fait ressentir dans sa voix pensait-elle, mais elle ne voyait pas pourquoi elle devrait feinter le calme alors qu'elle ne voulait qu'une chose; connaître cet endroit.

Elle vit son interlocutrice noter quelque chose sur le papier. Certes elle était curieuse mais pas malpolie. Ainsi, elle ne regarda pas les mots qu'Ipiu gribouillait. Il devait sûrement s'agir d'une note à un élève pensa-t'elle lorsqu'elle la vit glisser cette feuille dans un casier. Quand elle revint à sa hauteur, elle se remit à parler.

« Tu sais grimper aux arbres ? »

La demoiselle sourit à cette question. Courir, faire la course, sauter, faire des galipettes ou encore grimper dans les arbres étaient des choses qu'elle faisait toujours malgré son âge. Elle aimait s'amuser, et l'amusement passait parfois par des choses comme celles-là. Parfois on trouvait cela étrange. De la voir avec pareille énergie. C'était une vraie pile électrique disaient les autres. Une vraie gamine aussi. Pour elle, tous les prétextes étaient bons pour s'amuser!
Ainsi, elle n'hésita pas une seconde, d'un air tout enjoué, elle répondit à la jeune femme.

-Bien sûr que je sais y grimper! Je le faisais souvent quand j'étais petite, et pour rien te cacher, je le fais encore maintenant!
Alors ? On y va ?

La blondinette fourra rapidement son carnet dans son sac et, en sautant quasiment sur place, attendit les mots d'Ipiu.

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