Me réveiller avec du Nirvana dans mon radio réveil me met rarement de bonne humeur. Enfin pas que j'aime pas ce groupe. J'adore au contraire, j'ai toujours kiffé la voix de Kurt Cobain, mais vraiment pour se lever du bon pied y a mieux. Surtout si la musique en question est "Rape me". Hm ouais non. Pas top. Je bascule sur une autre station de radio. J-pop... Okay, on se contentera de ça hein. Tant que j'écoute pas trop les paroles ça passe encore.

J'ai dit à Aoi que je la retrouverai à la bibliothèque ce matin, autant ne pas trop traîner sous la douche. Enfin un peu quand même. Je suis pas sorti depuis une semaine. La faute à ma dernière idée. Oui je plaide coupable. J'ai voulu faire un photo montage ridicule de Piu. Pour le fun comme ça. Sauf que je voulais faire ça bien et qu'en plus j'ai presque pas de photos d'elle. Ha et puis parce que sinon c'était trop facile j'ai du m'occuper du journal en même temps sans qu'elle voit ce que je faisais. Sinon j'assume totalement de vouloir utiliser ce montage pour sa photo d'edito pour la prochaine édition. Il est réussi ce serait dommage de perdre ça.

Je me jette un oeil dans la glace. Hm pas trop mal. Les cernes sont pas trop marquées pour une fois. Je dors mieux quand Aoi est là mais ça arrive pas souvent des derniers temps. Et de toute façon je bosse à des horaires un peu aléatoires. Genre la nuit des fois. Je soupire doucement et passe ma main dans mes cheveux. J'ai jamais eu de problème avec mon physique. En vrai je m'aime bien même. Mais bon ça fait pas tout comme on dit. Et c'est clairement pas mon physique qui m'a aidé à me mettre en couple. Ca non.

J'ai du mal à bien comprendre ce qu'elle a pu trouver à quelqu'un comme moi parfois. Je suis un peu tout ce dont elle avait peur ou qu'elle détestait. Un marionnettiste, un Feu, un ex-mafieu même. Donc un mec pas recommandable. Pas que je sois pas heureux qu'elle soit passée au dessus de ça. Mais parfois je doute.

Je pousse la porte de la bibliothèque et la cherche du regard. Elle est au fond devant une table avec tous ses bouquins de cours et ses classeurs. Je m'approche doucement. Elle est tellement concentrée qu'elle ne me remarque pas et je retiens un soupire. Je pose doucement mes lèvres sur sa joue en me penchant.

-Bonjour Princesse.

Ces derniers temps, je n’ai… le temps de rien, justement. Le matin, je me lève, je prends une douche, m’habille, puis m’envole vers la fac. S’ensuit une journée de cours, entrecoupées, souvent, d’heures de creux passées à la bibliothèque, ou, moins souvent, à la cafétéria pour manger un bout, et expliquer le dernier cours de neuroanat à ceux qui ont du mal à suivre. Puis rentrer, manger comme un ogre ce qu’on a pas mangé dans la journée, se remettre au boulot jusqu’à deux ou trois heures du mat’, s’octroyer 15 minutes de pause quand on est vraiment en train de freezer, puis dormir. Jusqu’au lendemain, et recommencer. Tous les jours. Ardu. Pas infaisable, mais ardu. Difficile à vivre, aussi. C’est comme ça depuis que les cours ont recommencés. Et je peux vous assurer que j’ai hâte de briser cette routine quotidienne un peu trop… chargée.

Huo se plaint un peu parce qu’on ne se voit plus énormément, ces dernières semaines. Mais j’ai une montagne de polycopiés à connaître sur le bout des doigts avant la fin du mois, et la fin du mois, elle est bientôt. Dans moins d’une semaine, pour être un peu plus exacte. Ce n’est pas du stress que vous percevez dans ma voix, pas du tout. (C’est une belle grosse crise de panique, mais là n’est pas la question.) Ce matin, il m’a demandé s’il pouvait me rendre visite pendant que j’étais à la bibliothèque, et, contente de pouvoir le revoir, j’ai bien sûr accepté. Après, se lever à 7h pour pouvoir travailler dès 7h30 à la bibliothèque de Terrae, je peux vous jurer que c’est difficile. Mes lunettes cachent un peu mes cernes, je crois ; j’ai vérifié dix fois si j’étais présentable avant de me mettre au boulot. Puis lui temps a passé, je me suis perdue dans mes cours, et j’ai sursauté et sentant ses lèvres sur ma joue.

Elles chauffent un peu et j’étire un demi sourire en le voyant, le cœur battant d’avoir été surprise de cette manière, mais aussi probablement parce que je suis heureuse de le voir. Je me redresse un peu plus, replace une mèche derrière mon oreille et l’embrasse chastement pour le saluer à mon tour.

— Bonjour, je souffle pour ne pas faire de bruit.

Mon sourire s’étire, doucement. J’effleure sa joue du bout des doigts, et constate qu’il fait toujours aussi froid dehors à la température de son visage.

— Merci d’être venu, je sais que ce n'est pas spécialement passionnant, je fais en désignant ma montagne de papiers d’un air désolé. Comment vas-tu ?

D’un geste embarrassé, je dégage les affaires que j’avais installées sur la chaise à côté de moi, et l’invite à s’assoir d’un sourire. Puis le perds, et fais la moue.

— Tu as ta tête des mauvais jours, tu as encore mal dormi ?

Elle rougit un peu. Surprise peut-être ? Elle a sûrement perdu la notion du temps. Je la détaille un peu. Ce petit geste machinal qu'elle a de remettre ses cheveux derrière son oreille avant de m'embrasser. Et les lunettes qui lui mangent les yeux et cachent ses cernes. Elle aussi elle ne dort pas assez. Je me sens un peu coupable de prendre de son temps alors qu'elle en a surement besoin pour réviser mais bon... Enfin je me dis ça depuis plusieurs mois. A un moment j'ai aussi envie de dire fuck les révisions. La fac c'est vraiment pour les masochistes.

Elle effleure ma peau et je souris en coin. Ses mains sont chaudes.Il faut dire que ça commence à se rafraîchir dehors. L'hiver arrive bientôt et ça se sent. Pas que ça me dérange. J'aime les saisons froides. Et les couleurs de l'automne.

-Ca me fait quand même plaisir de te voir tu sais, je réponds avec un sourire en coin.

Elle pousse ses affaires et je m'affale un peu sur la chaise à côté en soupirant doucement. Je me renfrogne un peu, met mes mains dans mes poches quand elle me fait remarquer que j'ai surement mal dormi. Je ne répond pas, me contente de faire un petit grognement approbatif. Je pourrais lui dire que je dors mieux avec elle. Ce serait vrai. Mais elle le sait. Et puis j'ai pas envie qu'elle recommence à s'excuser et à culpabiliser. Ca m'agace.

-Pas plus mal que toi.

Enfin elle ne dort pas mal. Plutôt pas assez ce qui est différent. De toute façon moi c'est habituel. Et au moins quand j'ai du mal à dormir je peux toujours rentabiliser ça en bossant un peu. Ca m'évite de fixer le plafond pendant des heures.

-Enfin ça va. Et toi ? Je suis sûr que tu t'es encore levée super tôt. Faut dormir un peu tu sais. Ca t'aidera pas à réviser si tu t'endors sur tes fiches.

Pas que j'y connaisse grand chose mais bon... C'est logique quand on est fatigué on est moins efficace donc au final je sais pas si dormir moins pour bosser plus longtemps a vraiment un intérêt. Y a surement des statistiques là dessus. Y en a sur tout.

Un sourire. Il s'installe et je le regarde faire avec un semblant d'inquiétude. Il a l'air tellement... fatigué ? Pas que je ne le sois pas aussi, je n'en ressens simplement pas vraiment les effets. La faute au café. Disons que si je n'appréciais pas, avant, j'ai rapidement compris son utilité : me laisser éveillée pendant que je planche sur mes centaines de pages de cours à connaître. Parfois, j'aimerais tout balancer, et il m'est souvent arrivé de faire des crises de larmes, tant le rythme était dur à suivre ; à présent, je ressens plus une vague lassitude à l'idée de reprendre le boulot. Boulot dodo boulot, comme on dit. (Ou alors c'est pas comme ça ? Peu importe, c'est exactement ce que je fais.)

— Moi aussi ça me fait plaisir, je souffle, avec un demi sourire. Et arrête, ça va, je dors bien…

Cette fois-ci, j’esquisse une moue embarrassée. Qu’il arrête donc de s’inquiéter pour moi, ce n’est pas comme si je me ruinais réellement la santé. Je fais attention, tout de même ; enfin, je crois. Je ne suis pas encore tombée malade, et j’ai dépassé le stade du surmenage depuis un moment… tout baigne !

Je grommelle un peu lorsqu’il me dit que j’ai encore dû me lever hyper tôt, et croise les bras en me détournant, boudeuse.

— Mêles-toi de tes affaires, je boude. Je dors suffisamment et je ne m’endors pas sur mes fiches, j’ai un rythme de vie presque normal.

Puis, avant qu’il ne puisse ajouter quoi que ce soit, je soupire et continue :

— Bon, non, pas « normal », mais normal pour quelqu’un de ma section. Je veux dire, c’est bon, je ne me tue pas à la tâche, sinon tu me ramasserais à la petite cuillère.

Enfin, je me remets un peu plus droite sur ma chaise et ébouriffe ses cheveux pour l’embêter un peu.

— Allez Huo, qu’est-ce qu’il a ? T’as l’air de mauvaise humeur, je soupire, un peu attristée. Attends, ne me dis pas que j’ai encore oublié de répondre à un de tes messages ?!

Ce faisant, j’attrape vivement mon téléphone pour voir s’il n’y avait pas en effet un message en absence. Ah, non, même pas… Je relève les yeux vers lui, lui lance un pauvre sourire.

— Ah non, même pas…

J'étire un sourire en coin ironique quand elle me dit qu'elle dort bien. Oui oui bien sûr... Comme un étudiant de médecine drogué au café quoi. Je roule des yeux, un peu agacé. Je n'aime pas ça. J'ai l'impression qu'elle en fait trop. C'est pas une vie que de passer son temps le nez dans ses cours.

-J'aimerais mieux pas. Déjà que là je te ramasse à la grosse cuillère, je fais avec un sourire moqueur.

Elle m'ébouriffe les cheveux et je soupire un peu. Je ne suis pas un gamin qui a besoin de se faire rassurer bon sang. Je suis assez grand pour comprendre qu'il y a des priorités dans la vie. Ce qui m'agace c'est de voir que les cours passent avant moi. Oui c'est important pour elle et oui je le conçois mais ça ne m'empêche pas de trouver ça frustrant.

-Je ne suis pas de mauvaise humeur, je grommelle.

J'en ai juste assez d'avoir l'impression de me retrouver comme avant les vacances. Alors que, bah ouais, ce qu'on a fait c'était pas rien et ça devrait changer quelque chose. Mais c'est pas le cas. Et je suis frustré. Peut-être même plus qu'avant parce que maintenant c'est juste "pas le temps". Je dois être trop exigeant mais merde à la fin. Moi aussi j'aimerais profiter du fait que j'ai quelqu'un dans ma vie qui compte assez pour passer avant tout le reste. Mais visiblement en ce moment c'est pas son cas. J'en ai marre de réagir de réagir comme un gosse de 5 ans qui fait un caprice parce qu'on lui a confisqué son jouet.

Je pose mes coudes sur la table et mon menton sur mes mains croisées. Je suis con. Pour une fois qu'on se voit un peu je gâche notre moment avec ma mauvaise humeur. Je glisse doucement une main sur sa joue avec un sourire.

-Excuse moi je suis juste un peu tendu. J'ai dû me lever du mauvais pied ce matin.

Gna gna gna. Huo, j’aime pas ton humour, je te l’ai déjà dit, nan ? J’esquisse une moue boudeuse et roule des yeux, avant de lui mettre un petit coup de coude.

— Chut, c’est même pas vrai. Je me ramasse très bien tout seule.

J’essaie de plaisanter un peu, mais vraiment, le cœur n’y est pas. Huo n’arrête pas de se plaindre ces derniers temps, et quand il ne le fait pas, il est d’une humeur massacrante. Ça donne pas très envie de s’y frotter, on va dire. Je détourne les yeux en l’entendant me répliquer sur un ton assez lourd que non, il n’est pas de mauvaise humeur. Un peu comme si un chat te gueulait en feulant que non il n’était pas contrarié, et que non, il n’était pas un fichu chat. Et Huo, désolée de te décevoir, mais là, tu es un fichu chat contrarié.

Cette fois, je ne réponds pas, me contente de fixer la table pendant quelques secondes, sans trop bouger. Sa main se glisse sur ma joue, et je ne réagis pas tout de suite. Au bout de quelques secondes, le temps pour lui de terminer de parler, je relève les yeux vers lui, à la fois blessée et lasse. C’est tellement souvent comme ça, en ce moment… Je sais que c’est de ma faute, mais… je ne peux pas me permettre de louper mon année, je ne veux pas revivre ça une seconde fois ; il paraît qu’il faut moins s’acharner sur son travail dans les années suivantes, alors j’ai envie que cette année passe, j’ai vraiment envie qu’elle passe pour-… Pour que tout redevienne comme avant ?

Alors je secoue la tête, détourne à nouveau les yeux.

— Ce n’est pas grave.

Tu vois, Huo… je n’ai même plus envie de me battre pour ça. Parce que semaine après semaine on vit les mêmes choses, on se plaint et on réexplique les choses de la même manière. Pourquoi est-ce que tu ne comprends pas que moi non plus, je n’en peux plus ?

J’étire un sourire. Léger. J’essaie, tout du moins. Ce n’est pas tout à fait ça, mais j’ai le mérite d’essayer.

— Tu sais, si ça t’embête de venir il suffit de me le dire… Ça me dérange pas, c’est pas grave, je sais que tu trouves ça chiant et- Je sais aussi que je fais pas beaucoup d’efforts, tout ça, mais…

D’accord, je n’arrive plus à parler. Je soupire, referme le classeur devant moi. Prendre une pause, une petite pause.

— Tu veux faire quelque chose, aujourd’hui ?

Ne me regarde pas comme ça Aoi. Pas avec ce regard las et fatigué. Je ne veux pas de ça, de cette compréhension. J'en ai assez de rester dans l'attente, de me dire que c'est qu'un moment à passer. J'en ai déjà marre. De me dire que ça doit durer un an. C'est long. J'ai déjà assez peu de temps comme ça. Ca m'agace de la voir comme ça. Fais quelque chose bordel ! Réagit ! Mais arrête de me regarder comme si tu t'en foutais. Ca m'énerve.

-Vraiment ? Tu aurais le temps ? Je réponds, moqueur.

J'en ai marre. Mais j'ai même pas envie de m'excuser. Je le pense. Je ne sais pas quoi faire de ce sentiment d'agacement et de frustration. Je fous tout en l'air. J'aurais pas dû venir. Si c'est juste pour qu'on se dispute autant ne rien faire. J'ai simplement... J'aurais voulu qu'on discute un peu. Pas juste se voir. Parler. Faire un truc ?

Depuis Hong Kong tout est allé trop vite. J'ai beau lui avoir tout raconté... Je ne sais pas ce qu'elle en pense vraiment. On n'a pas pris le temps de se poser pour discuter de ça. J'en aurais besoin pourtant. Au moins pour savoir ce qu'elle en pense maintenant. Si ça a changé, si elle y a réfléchi. Il n'y a pas que ça. Elle est partie cet été. Je me suis pas vraiment inquiété mais j'aurais aimé savoir ce qu'elle a fait.

-Pardon, je soupire.

De toute façon à quoi bon lui proposer quelque chose ? J'ai pas la foi. Si c'est pour qu'on s'arrête en plein milieu alors qu'on a commencé parce qu'elle doit retourner bosser. Non ça serait plus frustrant qu'autre chose. Je me passe une main sur les yeux. J'aurais pas dû venir. Maintenant on va juste se disputer j'avais pas envie de ça.

Mon cœur se serre. Je. Je… Il y a quelque chose se brise en moi. Encore une fois. J’essaie de sourire, de rire. Même nerveusement. Mais je suis comme paralysée, parce qu’une fois de plus… une fois de plus, rien ne se passe comme prévu. C’est. Pourquoi est-ce qu’il réagit comme ça… ? Est-ce qu’il ne comprend pas que moi aussi j’en ai assez ? Il ne comprend pas que c’est difficile pour moi aussi, que je rêverais de me blottir dans ses bras plus souvent ? Mais je ne peux pas, parce que j’ai mes partiels qui pèsent comme un couperet au-dessus de moi, et que ce n’est pas « que » des examens. C’est ce qui va déterminer ce que je ferai de ma vie, c’est ce qui va déterminer ce que je serai. Je n’ai pas envie de continuer à être inutile, je n’ai pas envie de continuer à être une simple guérisseuse, vue comme une sorte de chaman par tout le monde. Je veux travailler dans cet hôpital, soigner des gens, connaître les gestes à faire, à ne pas faire, améliorer mes pouvoirs encore et encore avec la pratique et- Pourquoi est-ce qu’il réagit comme ça ?

Une ombre passe dans mes yeux, qui scintillent légèrement à la lumière de la bibliothèque. Je me détourne totalement. Même lorsqu’il s’excuse, je ne me retourne pas vers lui. Mon expression défaite l’énerverait encore. Je ne veux pas qu’on se dispute. Pourtant, cette fois, cette fois de trop, je n’arrive pas à lui pardonner ses mots. Peut-être que j’abuse, mais je suis fatiguée. J’ai aussi envie de passer du temps avec lui, alors…

Je me lève et commence à ranger mes affaires, sans rien dire. Je les balance dans mon sac, l’attrape au passage et me tourne vers lui.

— Tu viens ?

Ignorer, c’est la plus sage des décisions. J’essaie de me dire que ce n’est pas de sa faute, que c’est simplement parce qu’on est un peu tendus, qu’on se voit pas beaucoup. Parce que je lui ai récemment dit que je ne pouvais pas le voir, peut-être trop souvent. Mais qu’est-ce qu’il veut qu’on fasse ? J’ai déjà tellement de mal… Je suis à la ramasse, je n’arrive à rien. Mes notes sont à peine au-dessus de la moyenne. Alors si je ralentis encore mon rythme de travail, si je m’enlève des heures pour travailler, comment je vais faire… ? S’il arrive quelque chose, qu’est-ce que je vais faire ? Il faut prendre de l’avance, le plus d’avance possible...

Je lui lance un petit regard par-dessus mon épaule, alors que je me dirigeais déjà vers la sortie du bâtiment.

— Qu’est-ce que tu as envie de faire ? je répète, un peu plus brusquement que ce que j’aurais souhaité.

Je suis fatiguée…

J’ai pas envie de continuer comme ça. Je l’ai blessée. Encore. Je suis trop con et ça me fait un peu mal mais j’ai tellement… Je ne veux plus ça. Je sais que c’est important, qu’elle aussi en a assez de tout ça mais ça reste plus que ce que je commence à pouvoir supporter. J’avais besoin de temps pour m’adapter à cette idée, de notre relation. Oui ça fait pas loin d’un an qu’on est ensembles mais à mes yeux ce n’est tellement rien. Je voulais plus. C’est peut-être ça mon problème. Ne pas pouvoir me contenter de ce que j’ai ?

Elle range ses affaires. Je l’observe. Son visage est fermé, un peu dur. Je sais que j’ai encore déconné. Une fois de plus. Peut-être même que cette fois elle ne me le pardonnera pas. J’ai déjà du mal à comprendre comment elle a pu le faire. Putain je suis trop con. J’ai même plus envie de m’excuser. J’en arrive à un stade ou tout ça m’énerve trop pour que ce soit vraiment sincère de toute façon. Situation de merde. Je me lève et la suit en dehors de la bibliothèque.

-Je ne sais pas… Ce que tu veux ? On pourrait aller faire un tour au village… Boire un chocolat ?

Je tente de sourire un peu. Il faut que je reste calme. On va passer un moment ensembles et ça ira mieux. Ca ne sert à rien de rester là-dessus. Il vaut mieux profiter. On est tendus tous les deux, ça ne mènera à rien de rester coincé là-dessus.

-On pourra passer à ma chambre après si tu veux. Je te montrerais mes dernières photos. J’ai souvent des jolis couleurs en automne.

Des belles lumières aussi. C’est bientôt Halloween aussi. S’ils organisent une fête costumée j’irais prendre quelques photos. Ca fera une jolie couverture pour la Une. La marche de l’horreur. Je crois qu’ils avaient fait un concours même une fois. Puis y a souvent de la bonne musique et du punch. On peut toujours en profiter.

Je suis tenté de lui prendre la main alors qu’on sort de la bibliothèque. Pas sûr qu’elle est d’humeur, moi non plus, tant pis. Ca m’aurait plu pourtant. Même légers les gestes d’affections me font souvent du bien. Mais je crois que ce n’est pas le moment. Je n’aime vraiment pas cette tension. Ca me fait penser à avant avec Jun. Ce moment où il ne supportait plus d’être seul avec moi après que je l’ai largué. Je n’ai pas envie de penser à ça. Surtout pas maintenant.

Il se s’excuse pas plus, je ne l’excuse pas non plus, et je ne lui offre pas la moindre parole désolée non plus. On en a assez tous les deux, c’est certain. Je crois que c’est plus agaçant encore de se voir s’expliquer à longueur de journée qu’on est désolé d’agir de telle ou telle manière. Mais en sortant, je ne sais pas… On dirait qu’on est comme deux inconnus. Deux inconnus qui se parlent à peine, se voient quelques fois, pour la forme, pour dire qu’on s’est effectivement vus. Qu’on s’est parlés. C’est à la fois triste et dépitant. C’est dépitant, en réalité… Quand est-ce qu’on en est arrivés là ? Cet été, tout allait tellement bien. On était heureux, on allait bien… Et je ne l’ai jamais autant aimé que je l’aime, mais pourquoi on continue à agir comme ça ? Je n’ai pas le choix, vraiment ? C’est une question que je me pose sans cesse depuis des mois. Maintenant… maintenant, tant pis. Profitons. J’ai envie de profiter. Ma main effleure la sienne, doucement, et je lui prends la main avec hésitation. La serre légèrement, dans un contact qui, j’espère, lui fera comprendre que je ne veux pas qu’on en arrive là. Que j’en ai assez qu’on se dispute tout le temps pour ces broutilles.

— Oui, un chocolat ou un thé, ce sera très bien, je lâche, avec un demi sourire.

Nous nous dirigeons vers l’un des cafés de la ville, et je reste silencieuse un moment.

— C’est vrai, tu en as pris beaucoup ? Le journal avance un peu, d’ailleurs ? Je n’en ai pas vraiment pris de nouvelles depuis… un moment, je crois, je soupire.

Encore. Est-ce que je suis trop égoïste ? Pourtant, je ne le fais pas exprès ; j’aimerais vraiment l’entendre me parler plus de ce qu’il fait, me raconter ses journées, me réserver des moments – plus de moments – pour lui… ça m’agace. Et je m’agace aussi, quelque part. On ne peut pas tout lui reprocher… je suppose. Il faut rester lucide, c’est de ma faute si on en est là… C’est aussi à moi de trouver des solutions, mais j’en trouve absolument pas. Comment on fait ?

On arrive en vue du petit salon et nous rentrons à l’intérieur pour chercher une table. Je commande un thé avant de poser mon sac par terre, déjà frigorifiée. Ça promet pour cet hiver, dites-moi.

— Tu le fais toujours avec Ipiu, d’ailleurs... ? Ou tu as trouvé d'autres personnes pour t'aider ? Tu m'avais dit que tu allais recruter.

Moyen détourné pour avoir des nouvelles. J’ai appris qu’elle était pas trop présente ces derniers temps, et ça m’intrigue un peu. Peut-être qu’il en sait plus ?

J’acquiesce avec un sourire. Sa main effleure la mienne avant de la prendre, légère, hésitante. J’entrelace nos doigts avec douceur, serre un peu. Ça me fait du bien, sa main est chaude dans la mienne. Je joue un peu avec, passant mon pouce sur sa peau dans un petit geste machinal.

-Ca avance bien. On a sorti une édition web pour la rentrée déjà mais il y a toujours du boulot. Il faut trouver des nouvelles idées, essayer des trucs. Enfin je suis toujours dessus dès que je peux.

On arrive en vue du village et sa main est toujours dans la mienne, un peu moins chaude. Elle commence à frissonner. Le salon de thé est là heureusement. Je pousse la porte alors qu’Aoi nous cherche déjà une table. Elle a l’air d’avoir déjà froid. On est pas restés longtemps dehors pourtant. Elle commande un thé et je fais de même alors qu’elle s’assoit.

-J’ai des gens à qui j’ai envie de proposer. Enfin qui pourraient être utiles pour le journal mais niveau compatibilité de caractère on a un peu de boulot…

Ipiu est peu présente ces derniers temps alors j’avance beaucoup moins. Elle est partie comme ça sans dire où elle allait ni pour combien de temps. Je m’inquiète pas vraiment pour elle, c’est une grande fille et elle sait se débrouiller. J’espère juste qu’elle ne fait rien de trop dangereux même si venant d’elle c’est peu probable.

-Ça m’embête un peu que Piu soit pas là ces derniers jours. Elle est plus douée que moi pour écrire en général et j’ai trouvé pas mal d’idées pour des nouveaux articles. Elle m’a pas dit combien de temps elle partait ni où. J’espère qu’il lui est rien arrivé.

Si elle pose la question en tout cas c’est qu’elle ne le sait pas. Donc elle a peut-être pas eu l’autorisation de sortir. Ou alors elle a juste embarqué un Master même si ça m’étonnerait. Bah je m’inquiète surement pour rien. C’est une fille débrouillarde. Et je pense pas qu’elle aurait l’inconscience d’aller provoquer les scientifiques ou pire en étant toute seule. Quoi que…

Lentement, je commence à me calmer. L’ambiance un peu plus énergique du café, où on entend des bruits de discussion, me permet de retrouver un état plus serein. Je crois que c’est le silence de la bibliothèque qui me rend dingue. Ou alors je ne sais pas vraiment. C’est assez compliqué au final… Mais là, je suis bien. Peut-être parce que j’ai l’impression qu’on rediscute à peu près normalement. Que la tension passe, pas très vite, mais elle passe. Et c’est ça qui est important… non ?

On s’installe tranquillement, et j’acquiesce en l’écoutant parler. Edition web, tout ça. Je n’ai pas encore eu le temps de la lire, et je le déplore un peu. Peut-être qu’il faudrait que je me prenne du temps pour ça, quitte à dormir quelques minutes de moins. (Mais quand on sait que je vais dormir qu’au moment où je m’écroule de fatigue, c’est compromis.) Raah.

— C’est vrai ? J’imagine que ça doit pas vraiment être simple… Déjà Ipiu et toi, c’était compliqué à gérer, je souris en coin. Les autres ont l’air si étranges que ça ? Tu m’en parleras un peu ?

Peut-être que je les connais ! Sauf s’ils sont arrivés dans les six derniers mois, auquel cas c’est même pas la peine d’y penser, j’ai rencontré personne à part les gens de ma fac… Là, je commence à me sentir un peu triste. Je suis une mauvaise Master, vous croyez ? Je m’occupe pas assez de mes élèves… ? Gnnn.

Huo finit par me donner vaguement des nouvelles d’Ipiu, et j’acquiesce lentement, plissant le nez. Il sait que je me méfie d’elle, mais il ne sait pas pourquoi. Je n’ai pas vraiment eu envie de lui expliquer que sa grande amie Ipiu était une espionne qui bossait peut-être avec l’ennemi. Autant vous dire que là, c’était tendu. D’autant qu’effectivement, je savais pas spécialement ce qu’elle faisait… Bref. N’y pensons pas trop.

— Oh, j’en doute. Elle sait se débrouiller, ne t’en fais pas, c’est une grande fille.

S’inquiéter pour elle… la blague…

— Allez, t’en fais pas. Tu trouveras, je souris. Au pire, tu attendras qu’elle rentre. J’ai pas vraiment de nouvelles non plus, mais on est pas proches toutes les deux alors tu sais…

Pas de « pas spécialement ». Parce qu’on ne l’est pas du tout. C’est comme ça.

— À part ça, tout va bien ? Je sais pas, tu as des nouvelles de Jun, tes pouvoirs, tout ça, ça va ?

J’ai une vague pensée pour Allen et j’essaie de ne pas déprimer lorsque le serveur nous apporte nos tasses. Mon sourire s’affaisse. Ahah… Ahah… Allen est en cure de désintoxication… Et j’ai même pas pris le temps d’aller le voir, alors que c’est à cause de Mitsuki et moi qu’il y est.

Je dois vraiment être une amie affreuse…

Ca me fait du bien de parler de ça avec elle. J'ai parfois besoin d'un avis extérieur aussi sur ce que je fais. Je suis toujours un peu le nez dedans donc des fois c'est difficile d'être objectif sur mon boulot, ça va tellement vite.

-Pour l'instant c'est surtout des gens à qui j'aimerais le proposer en fait. Y a ce gars bizarre que j'ai vu à la bibliothèque, même si je l'aime pas il peut être très utile pour trouver des infos. Il est juste... Fin je crois que la notion de tact et de vie privée ça lui parle pas trop.

D'ailleurs je connais même pas son nom. Je crois. Ouais il me l'a pas dit. Ce type était vraiment très zarbi il faut dire. J'avais jamais vu ça. Genre il a l'air d'avoir pas mal de connaissances sur le monde de la mafia et tout ça. En plus on dirait qu'il est assez doué en informatique. Et pourtant il a mais alors aucun instinct de conservation. Le mec a quand même foutu sa main dans une boule de feu et après il était surpris que ça fasse mal. Une moule ce mec.

J'enchaîne sur Ipiu et elle me réponds qu'elle sait se débrouiller. Curieusement j'en doute pas hein. Mais c'est juste que je l'aime bien. Ce serait con qu'il lui arrive un truc. Elle aime vivre dangereusement cette nana. J'acquiesce doucement. Ouais je suis sûr qu'elle va bien. Elle reviendra bientôt j'espère.

-Je le vois pas souvent mais on parle pas mal par sms. Il a l'air d'aller bien. Enfin à part que son copain a un problème de santé apparemment. Ca a l'air de lui causer du soucis. Mais bon pour ça je peux pas faire grand chose.

Jun est quelqu'un de très... Pas protecteur mais il s'inquiète beaucoup pour les autres. Si c'est son copain encore plus. Enfin j'espère que ça ira pour eux.

-J'm'entraîne pas mal sinon ouais. Enfin en ce moment je travaille plus trop mes pouvoirs. J'ai pas trop le temps et quand j'y vais je préfère taper un peu.

Je fais la moue. C'est vrai que ces derniers temps j'ai un peu négligé mes pouvoirs. J'ai plus souvent envie de frapper un sac que de lui foutre le feu. Je ne sais pas, c'est peut-être parce que ça me défoule plus quand j'en ai besoin. Puis je m'entraîne moins tout bêtement. Moins de temps pour aller le faire donc bon...

-J'ai croisé Mitsuki l'autre jour. Elle veut que je lui imprime des photos d'Australie. Je connais pas trop les autres mais si tu les vois ou que tu as leur numéro tu pourras leur proposer aussi ? Tant que je suis là dedans autant en faire pour tout le monde.

Un gars bizarre croisé à la bibliothèque ? Tiens, je me demande si c’est un habitué. Est-ce que c’est un habitué ? Ou pas ? J’aurais bien posé plus de questions, mais il a pas l’air d’en savoir plus. J’étire un demi sourire en attrapant mon thé et commence à boire lentement, concentrée sur ce qu’il dit ; je manque de décrocher une ou deux fois pendant qu’il parle, parce que mon esprit vogue ailleurs, à dix mille lieues, et je me mets deux bonnes claques mentales. Allons donc. Même plus capable de tenir une discussion normale, Aoi ? Tu ne vas pas me dire que ça fait tellement longtemps que ça, hein ?

— Parce que les notions de tact et de vie privée te parlent, peut-être ? je lâche avec un sourire en coin, avant de lui souffler un baiser.

C’est vache. Mais avouons que je n’ai pas totalement tort. Il est capable de s’immiscer dans la vie privée des gens à un point, parfois ; il m’assure que non, mais je sais que c’est pas vrai. En même temps, journaliste, moi je dis, ça explique déjà pas mal de choses hein ! Mais promis, c’est pas méchant. C’est juste que… c’est une déformation professionnelle, je sais qu’il y peut rien, mais ce serait faux de dire qu’il n’est pas comme ça, vous comprenez ?!

On continue à parler un peu, et je grignote le petit biscuit posé sur le bord de ma coupelle en m’appuyant sur ma main. Mon regard file une fois vers l’horloge murale, puis une seconde fois. Je fronce néanmoins les sourcils à la mention des soucis de santé du petit ami de Jun. (Déjà, j’ai tiqué au mot « copain » mais je vais éviter de faire une remarque. C’est pas de ma faute, je savais pas, moi !)

— Ah bon ? Il passe souvent à l’hôpital tu crois ?

… Aoi, tu n’es pas du tout compatissante, là. Je rougis un peu et fais la moue, reprends une gorgée de thé.

— Je veux dire… je comprends qu’il se sente mal, c’est normal. Tout le monde s’inquièterait.

Oui oui, tout le monde, même moi, même si j’ai l’air d’être une fille sans cœur. Ahah… Ahem.

Je l’écoute encore parler, regarde une nouvelle fois vers l’horloge murale, puis me perds dans mes pensées. J’espère que son copain ira mieux, tout de même. C’est triste d’être là, à côté, et de ne pas savoir quoi faire. Quoi dire. Attendre que le temps passe et que la maladie l’emporte. Mais je dois être pessimiste. Peut-être un peu trop…

Huo s’arrête de parler, et je relève les yeux vers lui. Ah. Ah, euh. Pouvoirs. Il a parlé de ses pouvoirs, non ? Et… de Mitsuki ? Mais c’est quoi le lien ? Ah… photos, peut-être ?

— Ah, euh, oui ! Oui j’en parlerai à Selvi, je fais en reprenant le fil de la conversation à l’envers, de mon mieux. Joyce je la côtoie pas vraiment, faudra voir avec Mitsu, et… et… c’est bien si tu t’entraînes un peu ! Je suis contente ! J'aurais bien aimé voir ça, mais... Enfin... Voilà... Moi aussi j'aimerais bien m'entraîner un peu, de nouveau... Mais voilà, faut faire des choix !

Hum. HUM. Ahah. Il va pas mal le prendre, hein ? Il sait que je parlais pas de lui ? Il va forcément le ramener à nous....

Mais mais... Voilà je vais bouder. Je croise les bras et fais la moue. Je respecte la vie privée des autres d'abord ! Bon j'ai quand même prévu de poser des caméras chez quelques master pour prendre des photos compromettantes maaaiiis c'est pas pareil ok ? C'est- C'est pour les besoins de l'enquête voilà !

-J'ai du tact d'abord ! Je fais pas les people moi...

Les caméras c'pas pareil c'est juste pour faire rire. Ca rend les Master plus humains je trouve. Genre de voir qu'ils ont aussi leurs défauts même avec leur attitude de gens badass et trop stylés. La preuve, Aoi fais encore cramer des casseroles même en étant passée Master.

Elle semble tiquer un peu au fait que Jun a un copain. Je pensais que je le lui avais dit pourtant... Ou alors c'est le fait qu'il soit malade ? Je rigole un peu. Aoi est jalouse ? Je ne pensais pas... Enfin je suppose que si c'est Jun elle a plus ou moins des raisons. Elle regarde l'horloge, semble perdue un moment dans ses pensées alors que je lui parle. Je soupire légèrement.

-Je suppose ouais. Je l'ai jamais vu personnellement mais connaissant Jun il doit beaucoup s'inquiéter pour lui. Enfin il est comme ça. Il s'en fait toujours pour les autres.

Elle ne m'écoute pas vraiment. Elle attends juste que le temps passe. Pourquoi quand j'essaye de faire un effort elle doit forcément aller dans l'autre sens ? Je pensais qu'on passait un bon moment là. Qu'elle pensait à autre chose un peu. J'en ai assez si ça ne sert à rien

.-Tu pourrais pas une fois ? Juste qu'on se refasse un petit entraînement ?

Genre un qui finisse pas en claquant la porte comme les autres. Hm mauvaise idée, pense à autre chose. Je grimace un peu. Je suis encore agacé. Marre. C'est elle qui a voulu qu'on fasse une pause pour se détendre tous les deux. Alors pourquoi elle ne fait pas d'effort ?