ARG. MARRE. MARRE. MARRE.

Depuis 7h du matin je dans cette arène à tenter de manier mon élément. IM-PO-SSI-BLE. Il est maintenant 14h, mon ventre vide gargouille, ma tête commence à me faire mal et je fatigue sérieusement. M'allongeant dans le sable de l'arène, tant pis pour mes vêtements, je ferme les yeux quelques secondes puis me relève d'un coup, ma motivation revenue. Encore une fois, je crée une parfaite boule d'air et l'envoie contre un mur en essayant de la contrôler. Seulement, je ne parviens ni à la stopper, ni à modifier sa trajectoire et elle éclate une partie de la pierre, m'envoyant au passage les particules en plein dans le visage et sur les bras. Et je peux vous le dire: ça fait mal, TRES mal. Me passant la main sur la joue, je m'aperçois d'ailleurs que je saigne, et pas qu'un peu. Je regarde mes bras, c'est la même chose.

" J'EN AI MARRE. "

Ah, ça fait du bien! Je m'assois en soupirant. J'ai déjà tenté d'utiliser mon pouvoir de soin mais sans grand succès. Fermant les yeux, j'effleure mon bras de ma main et tente de faire appel à mon pouvoir. Une légère sensation de chaleur se fait sentir, puis tout à coup plus rien. J'observe et vois que la plaie s'est légèrement refermée, mais continue de saigner. Enfin bon, c'est déjà mieux.

Cependant j'en ai un peu assez de m'entrainer seule. Ys m'a bien parlé de quelqu'un, mais pratiquer mon pouvoir avec un parfait inconnu ne m'enchante pas. Alors, je repense à Angie. Après tout, peut être serait-il partant pour une petite session d'entraînement? Et puis... mon ventre gargouille... peut être pourrait-il ramener un sandwich? Je sors mon portable de ma poche et l'appelle:

" Hum, salut Angie, c'est Oksa. L'élève que tu as aidé la dernière fois! J'aurais voulu savoir si tu étais libre. J'ai eu la chouette idée de vouloir m'entrainer à l'arène et... je galère. Tu serais partant pour venir? Ah et... tu pourrais apporter un truc à manger? Parce que je suis ici depuis 7h, et ça devient difficile..."

Un peu gênée et ayant un peu peur de l'avoir dérangé mais ayant en même temps envie de le revoir, j'attends sa réponse avec une drôle d'impatience mêlée d'une légère appréhension.

L’ours ne s’est pas levé ce matin. Il est grognon, il sait qu’il a une machine à faire tourner et une demi-douzaine de choses excessivement importantes à faire, mais les mots flemme semblent écrits en gros et en gras sur son front. A charge d’excuses il faut avouer qu’il a eu un réveil assez difficile, à cinq heures il a ouvert les yeux et n’a pas réussi à se rendormir par la suite. Pourtant il était fatigué mais ses pensées volaient vers la France vers ses amis, sa famille… Et il n’arrivait pas à se rendormir, il avait tout essayé, en vain.
Alors après être resté des heures dans le noir il s’était levé à contre cœur. Il ne travaille pas aujourd’hui. Enfin si, il travaille ce soir car le samedi soir est aussi peu étrangement que cela semble être la période où il est le plus demandé, et s’il bosse en journée il sait qu’il ne peut pas assurer. Alors il ne bosse pas. Il zone, il dessine. Il s’occupe, sauf qu’aujourd’hui tout a mal commencé. La douche brulante qu’il prend réussi à lui éclaircir les idées. Il se sent mieux, il peut enfin se lancer dans cette flopée de petites qu’il avait prévues.
La lessive est expédiée presque aussi rapidement que le ménage, il n’aime pas faire ça alors il ne va pas en plus prendre son temps. Il est comme ça, il expédie le mauvais pour profiter du bon. Sa lessive sèche et fourrée plus que pliée dans son armoire il s’installe avec sa planche à dessins sur son lit. Il dessine de tout et un peu de n’importe quoi.

Soudain son portable qu’il avait oublié (au sens propre du terme il ne souvient pas du tout de l’avoir posé là) sur sa table de nuit se met à vibrer le faisant sursauté. Il lâche son feutre qui vient apporter une tache de plus à ses draps. Ils n’en sont pas à leur coup d’essais. C’est avec curiosité qu’il décroche après avoir vu le nom de son interlocutrice s’afficher à l’écran.

« Allo ? » l’interrogation doit s’entendre dans sa voix car elle lui explique toute la situation. Il sourit.

« J’arrive, mais dit Oksa tu manges de tout hein ? Pas d’allergies ? Si je t’amène un sandwich quelconque j’ai pas de raison de croire que tu vas doubler de volume et qu’on va finir notre aprem aux urgences ? »

Il n’a pas souvenir de ça mais dans le doute il a demandé avant de préparer quelque chose. Un Sandwish avec les deux tros trucs qu’il a dans sa chambre, du pain de mie des tomates du pâté. Ce n’est peut-être pas le grand luxe mais quand on n’a pas de frigo on se débrouille comme on peut. Il prend des chips et du coca pour arroser tout ça. C’est tellement light… Il la rejoint dans l’arène et lui fait de grands signes en s’approchant.

Il lance un « Salut ! » sonore et lui colle une bise sur chaque joue. Il la détaille ensuite. « Tu t’es battue contre un chat ? »

La réponse d'Angie me fait rire. Mais sa question moins. Enfin si, mais je n'ai pas envie qu'il le sache alors je lui jette un regard faussement vexé et désigne du menton le mur explosé.

- Non. Contre un mur.

Un sourire se glisse quand même sur mon visage, je n'ai pas réussi à le retenir. Qui plus est, je vois tout ce qu'Angie a ramené et me retient de lui sauter dessus pour lui faire un câlin tellement cela me rend heureuse.

- Ouiii! De la nourriture! A boire!

Mon visage s'illumine. Pour rire, je me mets à genoux devant lui, joignant mes deux mains devant mon visage et fermant les yeux. D'un ton solennel, je lui dis:

- Angie dont je ne connais pas le nom de famille, tu es désormais officiellement mon Dieu.

Puis j'éclate de rire. Les yeux rouverts et les deux mains posées de chaque côté de mon corps, je reprends d'une voix normale.

- Merci beaucoup d'être venu! J'espère que je ne t'ai pas dérangé au moins! En tout cas, c'est cool que tu sois là, comme ça au lieu de me battre contre un mur c'est toi que j'attaquerai...

Mon regard se fait taquin. C'est bien la première fois que je me sens aussi rapidement à l'aise avec quelqu'un.

- Trêve de plaisanterie. Assis toi donc à mes côtés comme ça je ne serai pas la seule pleine de sable et... Ah mais c'est dégueulasse!

Une goutte de sang vient de tomber de ma joue directement sur mon chemisier blanc. Essuyant rapidement ce qui s'apprêtait à couler, je soupire. J'avais légèrement oublié que je n'avais calmé que les saignements de mes bras, et non pas ceux de mes joues.

- Bon, l'heure est grave. Je suis actuellement en train de me vider de mon sang et ne sais pas comment soigner mes joues. C'est des pansements que j'aurais du te demander...

« C’est un match nul ou le mur a gagné ? » Des fois il pourrait se taire, mais il ne l’a pas fait. Il se moque gentiment d’elle, elle a vraiment éborgné le mur. Il la regarde, elle a une plaie sur la joue qui ne saigne plus abondamment mais laisse encore gouter sur sa mâchoire un fin filet carmin. Vraiment, pourquoi les pouvoirs sont-ils si dangereux ? Il ne comprend pas, pourquoi se servir d’une chose si belle pour se battre ? Il voit toutes les possibilités que lui offre son art et il se sent vibrer. C’est magnifique, c’est… irréel. Pourtant il sait que bien souvent la puissance échappe juste aux étudiants qui se blessent ne sachant pas la contrôler. Lui-même, s’est blessé une paire de fois alors qu’il n’avait pas d’intention belliqueuses. Une fois il essayait de former une sphère de terre devant lui et elle avait tout bonnement explosée.
Il lui tend ce qui lui apporté et théâtralement elle s’agenouille pour le remercier. L’homme rit de bon cœur, il a bien compris que c’était du second degré, ce qui ne semble pas être le cas de tous les étudiants ici réunis qui leur jette un regard perplexe. Il fait abstraction, il y arrive assez aisément. S’ils ont quelque chose à redire, s’ils se permettent de juger sans les connaitre ce ne sont pas des personnes intéressantes à ses yeux.

« Je te préviens d’avance, je suis moins résistant que ce mur… Mais je me défends plus fort ! »

Il lui sourit tout aussi espiègle qu’elle. Il a de la répartie, l’a-t-elle oublié ? Il s’assoit auprès d’elle. Il ne prête guère attention à ses vêtements, il est persuadé qu’un vêtement est quelque chose qui doit vivre avec lui et non pas l’empêcher de vivre. Il a lui-même mangé à une heure décente, alors il la regarde manger. A croire qu’ils bouffent dès qu’ils se croisent ces deux là.
Une goutte de sang vient s’écraser sur le chemisier blanc de la jeune fille. Jadis blanc serait plus approprié. Elle n’a pas tort pour les pansements. Il n’a pas pensé à en prendre, en général il ne positionne les siens qu’après une bonne douche. Il fouille dans ses poches et y trouve un paquet de mouchoirs à moitié vide… Ce qui veut aussi dire qu’il est à moitié plein. Il en tire un et vient l’appuyer sur la joue de la jeune femme aux cheveux bleus.

« A défaut on va essayer d’arrêter l’hémorragie en compressant la plaie. »

Il n’en a pas l’air comme ça, mais il a suivi une formation d’aide aux premiers secours Angie. En même temps il avait tellement peur qu’un de ses élèves lui fasse un jour un malaise en classe et de ne pas savoir comme réagir qu’il y tenait énormément.

" Match nul! Le mur a autant souffert que moi, dis je en riant. Et on verra si tu vas si bien te défendre " poursuis-je avec un sourire taquin.

Cependant, par la suite, un air étonné se dessine sur mon visage quand Angie appuie le mouchoir sur ma joue. Je ne suis pas très à l'aise avec les contacts. Mon regard se fait fuyant et j'attrape la main d'Angie pour l'arrêter. Je le fais avec douceur afin qu'il ne pense pas que je suis en colère.

" Merci beaucoup mais je vais le faire moi même. "

Je lui fais un sourire qui se veut rassurant et ré-appuie le mouchoir contre ma joue. Néanmoins mon regard se fait plus lointain. Non pas à cause d'Angie, mais plutôt à cause de moi. Je ne comprends pas pourquoi je ne parviens pas à utiliser correctement mon pouvoir...

" J'aurais aimé pouvoir les soigner avec mon pouvoir... Mais je n'arrive pas à avoir assez de puissance. Comment tu fais pour gérer ton élément et ton pouvoir? "

Me blesser et m'épuiser commence à devenir assez irritant. Et Angie semble être plus expérimenté que moi! Cependant, une question m'apparait...

" D'ailleurs, je réalise, je ne sais pas quel sont ton élément et ton pouvoir! Tu pourrais me montrer un peu ce que tu sais faire?"

Je me souviens qu'Ys m'a dit qu'il ne pouvait pas m'expliquer comment utiliser les pouvoirs car nous n'avons pas le même. Mais ce que je veux savoir, c'est comment canaliser l'énergie pour donner de la puissance alors même si Angie et moi sommes différents ça ne veut pas dire qu'il ne peut pas m'aider.

« A ton service. »

Il la laisse prendre possession du mouchoir sans remarquer son trouble. Il n’avait pas prévu de laisser sa main sur le visage de la jeune fille mais de lui laisser reprendre la pression à sa place. Ainsi il ne remarque rien. Pour le pire ou le meilleur le futur nous le dirait.

« Bon appétit ! » il lui dit alors qu’elle croque dans son sandwich.

Par contre il remarque par la suite que son regard scrute le vague et se perd à l’horizon. A quoi pense-t-elle ? se demande-t-il. Pourtant il ne l’interrompt pas. Il sait combien cela est désagréable d’être interrompu en pleine réflexion. Et si elle était en train de résoudre le problème de la faim dans le monde en ce moment-même ? Il n’en sait rien, mais dans le doute, pourquoi la déranger ? Ainsi pense ce le grand dadet qui la regarde manger.

Ainsi elle est air. Il n’en savait rien, et aux vues des blessures du mur elle aurait aussi bien pu être terre, ce qu’il avait exclu pour ne l’avoir jamais croisé dans les dortoirs, elle aurait pu être tonnerre. Air était cependant le plus vraisemblable vu l’absence de brûlures visibles sur le mur… Mais ses paroles viennent confirmer les déductions du français.

Plutôt que de lui répondre qu’il est terre il lève sa main, paume vers le sol et se concentre. Un château de sable s’élève rapidement. Il maitrise de plus en plus, mais ne cherchant jamais à projeter la terre contre quoi que ce soit les blessures qu’il récoltaient n’étaient pas dû à une quelconque idée belliqueuse. Il passait son temps à la façonner, la sculpter sous toutes ses formes. L’artiste continuait à s’exprimer avec son nouveau don.
Les remparts se creusent de créneaux, les tours s’affinent alors qu’il se concentre… Puis alors qu’il se relâche, le château redevient poussière et s’effondre.

« Je sais pas si ça fonctionne pareil pour votre pouvoir, mais je n’y arrivais pas tant que je voulais absolument y arriver… »

Ça a quelque chose d'étrange, les démonstrations de magie. Un peu comme un rêve de gamin. Je suis des yeux ce sable que Angie fait vivre. Et soudain, comme le ferait un être humain, il s'effondre, meurt.

« Je sais pas si ça fonctionne pareil pour votre pouvoir, mais je n’y arrivais pas tant que je voulais absolument y arriver… »

Tout ça me laisse songeuse. Peut être que j'ai peur de ce pouvoir finalement. Peut être qu'il me donne moins envie que ce que je crois. Ou peut être que c'est de moi dont j'ai peur. Après tout, être quelqu'un d'instable avec des pouvoirs instables, ce n'est pas forcément rassurant. C'est même carrément flippant en fait. Pourquoi personne n'y a jamais songé avant? Il faut être fou pour tous nous rassembler dans un institut alors que nous pouvons tous dégénérer à tout moment! Malgré la légère panique qui se passe dans ma tête, c'est dans le plus grand des calmes que je me tourne vers le jeune homme.

" Dis, Angie, tu n'as jamais eu peur de faire du mal avec ton pouvoir? Qu'un jour de colère tu ne le contrôles plus? qu'il t'échappe complètement?"

Mes questions doivent lui paraitre bizarres. Avec un petit rire gêné, je tente de les justifier.

" Enfin, ça a quelque chose de dangereux non? Si nous sommes à Terrae, c'est souvent parce que notre passé est une charge, quelque chose de difficile. Alors nous sommes tous plus ou moins sujets à des crises non? Imagine si nos pouvoir nous échappaient tous..."

J'ai parfois trop d'imagination je crois. Et j'en dis trop. Je crois que je suis bonne pour l'asile avec mes " imagine " et mes " si "...

La violence, ainsi c’est cela qu’elle craint ? L’homme peut le comprendre, ayant longtemps eu peur de ses remous intérieurs, de cette vague de haine qui déferlait sur celui qui avait le tort de faire déborder la coupe. Il avait peur de cette violence verbale qui s’abattait sans prévenir sur celui qui n’en était pas la cause mais avait eu le tort de le contrarier au mauvais moment. Il n’avait jamais eu les poings ni la force de blesser le corps de quiconque mais ses mots, tels des lames affutées avaient su à de nombreuses reprises mordre la chair de ceux qu’il aimait.
La raison à cette déferlante n’était autre que sa magnanimité en général, reclassant tous les petits accrocs de sa vie comme des petits riens, des pas grands choses. Il accumulait souvent en silence, explosant à l’improviste sans signes avant-coureur. Il savait qu’il pouvait faire du mal.

« Je ne pense pas que nos pouvoirs nous rendent plus dangereux que nous l’étions avant, quand la colère voile notre esprit, chacune de nos actions peut être destructrice. Que ce soit nos pouvoirs ou nos mots, ils meurtrissent autant les uns que les autres… oh je sais bien entendu les mots ne sont pas censés blesser au sens littéral du terme, mais dans la mesure où ils peuvent pousser certaines personnes à se faire du mal… N’est-ce pas la même chose ? Et pourtant nous continuons… Nos actions ont toujours un poids, il serait prétencieux de croire qu’elles en ont plus maintenant que nous avons des pouvoirs. »

Il lui sourit, pas certain que ce fussent les mots qu’elle voulait entendre. Elle préfèrerait sans doute qu’il lui dise que les master règleraient le problème… Mais le mal serait déjà fait. Il soupire.

« Je sais bien, que croire que nos pouvoirs sont sécures est une erreur, mais en tous les cas c’est en les réfrénant, en se retenant pour ne pas apprendre en s’en servir… Là serait le réel danger, car la colère a tôt fait de lever le contrôle de ce que l’on ne maitrise pas pleinement. Alors je ne dirais pas que je n’ai pas peur de mes pouvoirs, je n’en ai pas plus peur que de prendre le volant de mon taxi, mais je n’ai pas plus peur qu’avant de la colère. »

Si les paroles d'Angie sont dures, elles m'apportent quelque chose. Oui, nous sommes toujours dangereux. Mais à ce moment là, c'est ne plus oser sortir de chez soi car on risquerait de se prendre une voiture. En un sens donc, ses mots ont réussi à me toucher. Je ne dirais pas que je suis complètement rassurée, mais je me sens en confiance avec moi même. Après tout, je me sais capable de me contrôler.

C'est là que je l'ai senti. Ce vent, à l'extérieur et en moi. Ce fut comme une impulsion. Souriant à Angie, je me tournai ensuite vers le sable. Je fermai les yeux et me concentrai. Je les rouvris, et tendis les mains devant moi, sans trop les lever pour autant. Alors, j'y arrivai. Le sable, sous la légère force de mon vent, se souleva. Et dans les airs, c'est une sorte de château abstrait que je tentai de dessiner. Laissant tomber le sable au sol, je riais.

" Mon château il est plus beau que le tien! "

Je lui tirai la langue et me levai, le visage illuminé. J'étais comme ça, depuis toute petite, enthousiaste pour pas grand chose. C'est simplement que je ne le montrais pas toujours.

" Je pense que j'ai compris comme ça fonctionne ! "

Pensive, j'observai le jeune homme. J'avais envie d'essayer quelque chose. De le tenter. Mais pour cela, il fallait qu'Angie ne soit pas au courant de ce que c'était. Sinon ça ne serait pas pareil.

" Est-ce que tu me fais confiance?"

J'attendis sa réponse, une lueur d'amusement dans les yeux.

Il comprit qu’elle avait compris. La peur ne menait qu’à l’inaction. Il fallait vivre, toujours plus fort. Bien sûr que l’homme était dangereux pour ses pairs, mais il avait toujours été ainsi. On n’allait pas arrêter de vivre par prudence ? La crainte serait toujours mauvaise conseillère il le savait. Alors, plutôt que de s’y vautrer, il fallait apprendre à la maitriser.

Il la regarde se lever et voit son vent entrainer les grains de sable, c’est assez étrange, ne lutant pas pleinement contre leur pesanteur, les grains se trouvent plus nombreux à la base de l’édifice qu’à son sommet formant un drôle de dégradé. C’est un joli effet, il devrait essayer, mais ce que crée l’aléa, la main de l’homme a bien du mal à reproduire. Un peu à la manière de ses falaises, beautés naturelles qui créent l’admiration et parfois même la dévotion.

Alors déjà c’est faux, tout à fait faux. Son château n’était pas plus beau que celui d’Angie, il était plus gros… Et si elle voulait jouer à qui a la plus grosse, elle avait de bonnes chances de perdre car l’anatomie en avait décidé ainsi. Pas plus beau mais différent, autre. Ils étaient sans doute loin d’avoir le même imaginaire. Pourtant l’homme ne s’aventura pas sur ce terrain glissant qu’était le beau. Il savait que dès lors on ne pourrait plus l’arrêter, l’ancien professeur d’arts plastiques était d’ailleurs bien ouvert sur ce sujet.

Qu’était-ce que le beau ? Variait-il avec les modes ou s’imposait-il pleinement à celui qui le regardait ? La question était vaste pour l’esprit étroit des hommes, et il pensait que chaque individu avait le droit d’y apporter une réponse différente. Et s’il trouvait beau ces chaussures criardes, qui pouvait lui dire qu’il manquait de goût sans lui imposer les siens ?

Quand on parle de question glissante, en voilà une qui aurait dû allumer des warnings dans la tête du châtain. Genre un panneau à la mode Las Vegas avec pleins de néons autour qui clignoteraient. Un truc avec une belle mise en garde du genre « Attention » ou « Terrain glissant. » Un simple « méfies-toi » eut fait l’affaire. Il faut croire qu’il ne possédait pas ce type d’instinct de survie car il répondit sans réfléchir :

« Oui, je te fais confiance. »

Ce qui entre nous soit dit était une erreur. Ne jamais faire confiance à quelqu’un qui vous regarde ainsi. Elle préparait un mauvais coup dont il allait au mieux être le complice, au pire être la victime.

« Oui, je te fais confiance. »

Je souris, mais plus calmement. M'approchant d'Angie, je prends la parole d'une voix douce.

" Ok. Alors ferme les yeux "

Je recule lentement sans le lâcher des yeux pendant qu'il ferme les siens. Quand je suis à une bonne dizaine de pas de lui, j'inspire profondément. Je murmure pour moi même: " Tu peux le faire. Tu peux y arriver".

Je lève mon bras droit devant moi, la main tendue, et récupère une partie de l'air autour de moi afin de créer une boule d'air tenant pile dans ma main. J'observe Angie, puis ma boule. J'ai toujours été plus douée dans les situations d'urgence. Quand il est vraiment nécessaire d'agir, j'y arrive. Me concentrant, je donne à la boule la force nécessaire pour la propulser vers le visage de l'homme. Je la laisse parcourir la distance et au dernier moment, tente de l'arrêter. Je ferme les yeux et les rouvre. La boule s'est arrêtée, frôlant le nez d'Angie. Je souris et la fais monter dans les airs pour l'éclater.

" Bon maintenant on passe aux choses sérieuses! Garde bien les yeux fermés!"

Je referme les yeux. Ce que je vais tenter de faire est plus dur. Et demande plus de force.  Je tends une nouvelle fois ma main droite et rassemble à nouveau une boule d'air. Mais cette fois-ci, je me concentre dessus afin de la faire tourner. Au bout de quelques secondes, je parviens à comprendre comment donner une direction à l'air. Je souris. De cette manière, si j'arrive à la faire tourner plus vite, cela fera une mini tornade d'environ 5cm de haut et de large, je n'ai pas besoin de plus. Je marmonne entre mes dents, concentrée: " Voyons si je peux en faire plus... "

J'enlève lentement ma main de sous la première mini tornade, me concentrant pour que cette dernière reste en l'air. Je retends ma main droite, et parviens à en créer une deuxième. Au bout de quelques minutes, 4 mini tornades volent devant moi. Je commence à fatiguer et me dis qu'il est temps d'arrêter et de passer à la suite de mon idée. J'envoie une des tornades se poser aux pieds d'Angie. Une seconde au niveau de ses genoux. La troisième vers son torse et la dernière à côté de sa tête. Dans un dernier effort, je parviens à les faire tourner autour du garçon. Je rigole, heureuse d'avoir réussi. Ainsi, Angie doit avoir la sensation d'être entouré d'une sorte de voile d'air, faible certes, mais c'est tout ce que je suis capable de créer pour le moment.

" Tu peux ouvrir les yeux!"

Enfin, je lui dis ça mais pense à légèrement écarter la mini tornade tournant autour de sa tête auparavant.

" Alors? Tu en penses quoi?"

On peut souligner que l’homme n’a remarquablement pas l’esprit mal placé, ou décidément une case en moins car il ne se méfie absolument pas de la jeune femme. « Ferme les yeux » est pourtant un ordre on ne peut plus dérangeant non ? Il fait perdre un sens autant que le contrôle de la situation au pauvre blaireau qui s’y soumet. Elle aurait pu l’embrasser, entrainant les foudres de son copain le meurtrier sur la tête du pauvre Angie qui n’avait rien demandé. Remarque, il eut suffi de bien moins que cela pour qu’il s’en prenne à l’ancien enseignant. (N’est-ce pas ?)
Il ferme les yeux et c’est loin d’être une situation confortable. La vue aide à stabiliser l’équilibre, et il en manque c’est certain. Pourtant, aussi étrange que cela fut, il ne chute pas plus, à l’écoute de son corps, il sait où sont ses membres et les maintient dans une position stable. La tension est palpable pour celui qui l'aurait touché, mais heureusement nulle main mal intentionnée ne viendra en rendre compte.
Lorsque la demande de fermer les yeux est faite, l’homme doit luter pour les laisser clos, ce n’est pas l’absence de croyance en la jeune femme qui le pousse à les ouvrir mais cette peur enfantine qui gronde en chacun : c’est dans le noir qu’arrivent les mauvaises choses. Ainsi la nuit devient lieu de tous les méfaits. Pourtant il ne bouge pas d’un centimètre, peut-être un peu de lucidité et s’il avait vu la boule d’air tourbillonnant de à l’orée de son visage, cela l’aurait-il paniqué ? Aurait-il sursauté se mettant en danger ? Nul ne le saura car c’est les yeux clos qu’il s’est présenté devant cette épreuve.
Il a lutté pour ne pas les ouvrir alors que ses sens lui rapportaient des choses qu’ils n’avaient jamais ressenties. Son cerveau avait bien du mal à comprendre ce qu’il se passait d’ailleurs, il interprétait sans y croire les sensations qui lui arrivaient. Essayait-elle de lui faire un gommage du bout du nez ? Un nez de clown rempli de courants d’air ?

Il dû se retenir d’éternuer, tout comme il dû se retenir encore une fois d’ouvrir les yeux quand elle dit qu’elle passait à la vitesse supérieure. Cela lui rappela plus ou moins une soirée, bien des années auparavant où l’un des convives de ses amis l’avait choisi lui parmi tous pour être victime ou en ses termes "assistant" de son spectacle. Le jeune homme à l’allure encore plus étrange que la sienne faisait des bolas enflammées. Il lui avait ainsi donné une série d’ordres terrifiants auxquels Angie s’était plié, ne bougeant pas, quand on le lui avait demandé, d’un seul millimètre de peur de voir les boules de feu mordre sa chair. Parfois il avait retenu sons souffle sans même s’en rendre compte. Impressionnable qu’il était dans sa jeunesse, il avait fini la soirée sous les caresse de l’artiste. Heureux des joies que lui procuraient son célibat.

Bientôt il eu l’impression de se retrouver au centre d’un courant d’air formé par plusieurs ventilateurs, encore une fois ses eux restèrent clos avec difficulté. N’étant pas sûr de ce qu’il ressentait il aurait aimé mettre une image pour mieux trier son fouillis de sensations. Elle lui permit enfin d’ouvrir les yeux, et il se rendit compte qu’il avait encore une fois retenu son souffle. Il inspira une grande goulée de l’air qui lui manquait avant de répondre à sa question :

« CA FERAIT FUREUR DANS UN PARC D’ATTRACTIONS, t’sais après celles où on finit trempés ? »

J'éclate de rire tout en libérant l'air des mini tornades, et par le même coup Angie. Je m'assois dans le sable, sentant la fatigue arriver. La réaction du jeune homme me fait très plaisir, et je rougis légèrement mais décide de le taquiner un peu.

" Comment ça après celles où on finit mouiller? Non, non, non! elles défonceraient tout mes mini-tornades, ça serait THE attraction! "

Je lui souris et passe la main dans mes cheveux. Le fait d'avoir saisi comment fonctionne mon pouvoir libère mon imagination. Soudain, des possibilités s'ouvrent devant moi.

" Est-ce que deux éléments peuvent fonctionner ensemble? ou deux pouvoirs? Enfin, j'ai la sensation de ne pas être très claire... Est-ce que deux personnes possédant des pouvoirs peuvent, ensemble, créer quelque chose par exemple?"

Je ne suis pas certaine d'être très compréhensible mais tant pis, on va espérer qu'Angie comprenne. Lancée dans mon idée, je continue.

" Imagine un parc d'attraction fait uniquement grâce aux pouvoirs! Mêler la terre et l'air... Ou mieux! le feu et l'eau! ça serait génial non??"

Un grand sourire éclaire mon visage. Ça y est, j'ai compris la magie de Terrae. En nous permettant de vivre nos pouvoirs, l'institut nous accorde une nouvelle vie, un nouveau monde différent qui comble le vide en nous. Les pouvoirs finalement ne sont peut être pas si dangereux. Peut être qu'au contraire, c'est ce qui nous protège. En nous apportant quelque chose, ils enlèvent une part de la tristesse que nous vivons chaque jour.

« Tu sais dans un parc d’attraction on est censé s’amuser en restant en vie… le feu et l’eau ça finit vite fait en personnes ébouillantées… » il la chambre.

Sérieusement qui serait assez fou pour prendre plaisir à monter dans une tornade. C’est peut-être esthétique vu de l’extérieur, mais de l’intérieur, ça doit être sacrément flippant. Sans parler du fait que l’air n’a pour l’instant pas créé une tornade autour de Charlie-Ange mais bien quatre petites autour. C’est bon sans doute plus compliqué à maitriser vu le nombre mais bon, ce n’est pas comme s’il s’était retrouvé enfermé au sein d’une immense tornade. Cela fait beaucoup moins peur, il a eu l’impression qu’on l’entourait de jets d’air dans le genre… sèche-cheveux ? Ouai l’analogie est bonne et il se mare bien à regarder les expressions qui défilent sur son visage.

Il voyait très bien où elle voulait en venir cela dit. Ce serait sympa s’ils pouvaient allier leurs pouvoirs, ne pas seulement agir dans leur coin, mais construire des choses ensembles… Ce ne serait pas mal non ? Ou détruire remarque, ça dépendait un peu de la façon dont chacun vivait ses pouvoirs. Non ? Il n’était pas encore persuadé que chaque être humain avait la construction dans les veines, enfin en théorie. En pratique, il ne faisait pas la différence et offrait toujours le bénéfice du doute à ceux qui essayaient de le détruire.

« Essaie de pas bouger, à toi de me faire confiance ! » lance-t-il sur un coup de tête.

Il va falloir assumer ce qu’il vient de dire, ce qui n’est pas aisé. Faire se mouvoir le sable est déjà assez difficile, essayer de le faire bouger de manière uniforme sans qu’il s’effrite est bien plus difficile. Il faut se concentrer pour ne laisser aucun espace mort. Il faut garder le contrôle de plusieurs paramètres. Il n’y arrive pas tout à fait et ce n’est pas un stable tapis qui s’élève mais plus un truc mouvant. Il se concentre un peu plus pour le rigidifier et essayer de le faire se soulever d’une poignée de centimètres… Mais bientôt il se sent haletant et essaie de la faire redescendre sans trop de heurts. Ce qui n’est pas évident, heureusement qu’elle ne s’est pas élevée de plus d’une poignée de centimètres car l’atterrissage est plutôt rude. Ce n’est pas comme s’il l’avait lâchée au dessus du sol, il l’y a juste fait retourner un peu vite !

« Désolé, ça va ? »

Je m'indigne. Me croit-il vraiment capable de vouloir tuer des gens?

" Angie! quand même! Il suffira de sélectionner les gens qui iront dans cette attraction. Genre les gosses bien insupportables qui crient tout le temps et courent partout... "

Bon, ok, il avait raison. Mais il était pas obligé de le dire! Mon sourire se crispe quand j'entends les mêmes mots que j'avais employés précédemment. Oups. J'ai peur.

J'avais raison d'avoir peur. Vous savez, cette expression, avoir la sensation que le sol se dérobe sous vos pieds? Eh bien j'ai vécu l'inverse. Lentement, mais sûrement, Angie a rassemblé un tapis de sable sous mes fesses et non pas sous mes pieds puisque je suis assise. Tapis pas du tout stable d'ailleurs. Tapis qu'Angie s'amuse à lever de quelques centimètres, me faisant décoller.

" Euh... Angie... Ça bouge... Tu peux..."

BOUM. Avant que j'ai fini ma phrase, mes fesses heurtent le sol. Je n'étais pas bien haut, heureusement, mais je reste silencieuse quelques instants, sans répondre à sa question, toute étonnée de l'expérience. Mais d'un coup, un sourire radieux éclaire mon visage, et je me lève d'un bond.

" IMAGINE CHACUN AVEC NOTRE ÉLÉMENT ON ARRIVE A FAIRE UN TAPIS VOLANT ET ON FAIT DES COURSES!!! "

Ok ça va carrément trop loin. Néanmoins il faut bien admettre que ça serait chouette! Je regarde le jeune homme et souris. Je ne sais pas trop comment, il a réussi à me faire dépasser ma timidité. Avec lui, je ne cache pas ce que je pense, je le dis franchement, quitte à avoir l'air ridicule. Je trouve ça drôle quand même, qu'une personne inconnue peu de temps auparavant devienne par le plus grand des hasards ce qu'on pourrait voir comme un ami. Plus calmement qu'auparavant, je reprends la parole d'un ton faussement menaçant.

" Par contre, la prochaine fois que tu t'amuses à me soulever comme ça sans me prévenir, je te le fais manger ton sable. Et je ne plaisante pas. "