HRP : si tu veux qu'elle voit quelque chose, il faudra me le dire par MP ;)

Être voyant à Terrae c’était un peu comme souffrir d’épilepsie en cela qu’on avait des moments d’absence au début. C’était d’ailleurs assez relou si on allait par-là, parce qu’en fonction de ce qu’elle était en train de faire cela pouvait s’avérer plus ou moins gênant. Si elle était en train de se brosser les dents, ça allait elle reprenait le plus souvent sans s’être rendue compte de son absence, si elle était en train de lire, elle reprenait en haut de la page, par contre si ça arrivait alors qu’elle descendait les escaliers, cela pouvait se révéler bien plus ennuyeux !
Heureusement ces visions ne duraient jamais plus d’une poigné de secondes quand elle ne se concentrait pas dessus. Car oui, elle voulait réussir à contrôler cette connerie qui lui pourrissait la vie parfois. Donc quand cela se présentait, elle essayait de forcer dessus pour aller plus loin. Peut-être qu’elle aurait un déclic un jour et trouverait le bouton of ? Elle ne comprenait pas encore tellement la nature et le fonctionnement de ses pouvoirs, elle se disait donc avec sagesse que plus elle les rencontrerait plus elle les comprendrait. Elle partait donc aussi souvent que faire se peut en mission d’observation.

« J’imagine qu’être non-voyant est pire… »

L’art de se méprendre sur ce que disent les gens était très développé chez la jeune femme. En réalité pour une fois elle interprétait sciemment les paroles du garçon lui faisant face de travers. Elle ne savait pas quoi répondre. Etait-ce difficile ? Sans doute, comme chaque chose de la vie. Pourtant, elle n’aimait pas se plaindre, et préférait faire la sotte que de dire une évidence, non ce n’était pas tous les jours faciles. Pourtant quand les questions se précisent, ignorer leur teneur n’était plus possible. Elle répond donc avec un peu plus de sérieux :

« Je ne maitrise pas le contenu ni l’instant où elles apparaissent, il n’y a normalement pas de facteur déclenchant si c’était cela qui t’intriguait… Mais quand elles sont lancées j’arrive parfois à tirer un peu dans un sens et à glaner quelques informations… Avec un peu de déduction je peux combler les trous. Par exemple si je veux savoir ce qu’on mangera le lendemain à la cantine et que je vois quelque chose d’orange je sais qu’on aura des carottes ou de la citrouille, ou des abricots… » Ou des oranges, ou des mandarines, ou des clémentines, ou un plat à base de piment. C’était pas si facile en fin de compte. « Du coup, en fait si on reste assez longtemps ensemble il est probable que j’ai une vision et que j’arrive à apprendre quelque chose… Après, l’interprétation pour l’instant, j’avoue que je ne suis pas très douée… »

Elle réfléchit, il craignait le pire pour lui, alors les mots lui échappèrent : « Tu es atteint d’une maladie incurable ? »

Elle savait bien que ce type de maladie ne se voyait pas particulièrement sur la figure des gens. Elle-même, on ne se doutait pas qu’elle prenait une trithérapie quand on la voyait. A la réflexion elle aurait pu poser cette question avec un peu plus de tact, mais elle n’en avait peut-être pas assez pour comprendre que ce n’était pas le type de questions que l’on posait à une personne dont on ne connaissait pas même le prénom.

« Mon nom est Soubagamousso. Afya Soubagamousso. »

Cela se passait encore de commentaires. Elle n’était décidément pas bien adaptée à la situation… Répondant toujours un peu à côté de ses pompes aux attentes de celui qui lui faisait face.

L’incompréhension était courante pour la jeune femme, elle avait l’art de tout interpréter de travers. C’était un don, vraiment, qui lui permettait de trouver belles les choses les plus absurdes. C’était de là que venait aussi sa capacité à inventer des histoires, ne voyant pas le monde comme les autres, elle le racontait avec ses propres mots.
Elle se mordit l’intérieur de la lèvre, confuse de s’être encore une fois égarée, il allait vraiment finir par la prendre pour une idiote. L’était-elle ? Peut-être, elle ne s’était jamais prétendue dotée d’une grande intelligence. Elle ne cherchait pas le savoir, enfin pas en tant que tel, il était un moyen et non un but.

Elle écoute, et comprend qu’il est quelqu’un de pessimiste qui doit cruellement manquer de confiance en lui. Elle s’en doutait déjà au vu de leur précédent échange, mais cela se confirmait. Elle ne mettait cependant pas en doutes ses paroles qui devaient être le fruit de l’expérience. Il se connaissait mieux qu’elle ne le connaitrait jamais, car elle ne verrait de lui que des extraits. Elle ne connaitrait de lui que ses choix et non ses motivations. Elle ne pouvait donc pas le rassurer sans s’aventurer en terrain inconnu.
Elle décida que ses mots manqueraient de force, mais pourtant c’est avec courage qu’elle essaya de parler. Elle avait passé son enfance à rassurer Adjambo, à inventer des histoires pour la rassurer. Pouvait-elle faire de même pour un inconnu ? Pouvait-elle lui donner du réconfort à travers un conte ? Elle chercha ses mots, mais déjà une pluie de questions l’assaillait. Questions précises d’ailleurs.

« J’ai déjà eu des visions en frôlant des gens dans les couloirs, mais je n’ai jamais trouvé de lien logique… Je veux dire je peux frôler des dizaines de personnes sans que rien ne se produise, et d’un autre côté je peux ne frôler personne et avoir une vision. Je ne pense pas que le contact soit un déclencheur de mes visions, peut-être les oriente-t-il ? Même ça je n’en suis pas certaine car je ne connais pas les personnes que je touche par mégarde et qu’il ne m’est jamais arrivée d’avoir une vision en touchant un ami. »

De fait pour qu’une telle chose arrive il aurait fallu qu’elle ait des amis, mais… Ce n’était pas le cas, elle s’était retrouvée bien solitaire. Elle avait eu besoin de temps, pour accepter, pour digérer. Elle se sentait encore souvent affreuse, comme si la lèpre l’avait défigurée, mais elle était la seule à voir cette laideur. Elle avait pourtant l’impression que tous savaient, que tous la jugeaient quand elle était arrivée à Terrae. Sans doute n’était-ce pas faux, elle avait toujours détonné dans le paysage.

« En effet, parfois j’vais avoir plusieurs fois la même vision, mais je n’arrive en général pas à l’interpréter avant que les évènements ne se produisent… »

Sinon, elle aurait déjà joué et gagné au loto pour envoyer les gains à sa mère… Elle ne perdait absolument pas le nord la petite.

« C’est vrai que comprendre le fonctionnement de ses pouvoirs est difficile, mais ceux des autres… Je n’y avais jamais songé, tu es de quelle affinité toi ? »

Demander de l’aide ? A vrai dire elle y avait pensé, mais quand ses pouvoirs étaient apparus elle avait compris à tord qu’il n’y avait pas de master de son affinité en poste à Terrae. Peut-être qu’à un enseignant elle aurait osé demander de l’aide malgré sa timidité… A une étoile elle n’avait pas osé. Il aurait fallu qu’elle cherche ceux de son affinité dans la foule, leur coure après alors qu’ils devaient être tout aussi perdus qu’elle… Elle n’avait pas osé, pas osé former un groupe de soutien ou se mêler aux autres. Sa timidité était réellement un handicap.

« Il n’y avait pas de master comme moi avant… et je n’ose pas déranger le nouveau… »

Il ne lui faisait pourtant pas peur, elle l’avait aperçu parfois de loin mais n’avait jamais eu le courage de l’aborder pour lui demander de l’aide ou des conseils. Bien qu’il fut plus jeune qu’elle, elle était persuadée qu’elle allait le déranger. Qu’il avait tellement mieux à faire vu qu’il avait été investi de la mission d’être master que de parler à une petite initiée. Son manque de confiance n’était pas des moindres !

« Tu étais plus qu’initié avant ? » elle fronce les sourcils « c’est possible de retourner en arrière ? »

En voilà un drôle de nouvelle. Elle avait toujours pensé que le flux des pouvoirs était linéaire comme celui du ruisseau, grandissant au fil des embranchements pour devenir fleuve puis océan. La nouvelle la déstabilisa assez. Cette question en entraînait d’autres, si l’on pouvait rebrousser chemin pouvait-on aussi changer d’affinité ? Recommencer ailleurs car notre caractère avait changé ? L’horizon s’élargissait et si une partie d’elle aimait cela, l’autre cherchait encore une certaine stabilité et se trouvait horrifiée que ce qu’elle croyait acquis puisse disparaitre.
C’était étrange de sentir cette fracture en elle. C’était un peu comme si deux filles cohabitaient dans ce corps, celle courageuse et en quête d’aventures et d’histoires qu’elle avait toujours été et la craintive qu’elle était devenue. Elle ne savait qui des deux elle était, ou qui des deux elle voulait être. Elle se contentait encore comme beaucoup de monde ici de vivre dans le déni de ce qui lui était arrivé. Cherchant à passer sous silence ce vide qu’elle avait ressenti et ressentait encore souvent, pour vivre… Ou plutôt survivre.

Cependant l’aigreur et la noirceur n’étaient pas dans son tempérament et pas ce qu’elle voulait montrer d’elle-même. Elle devait aller de l’avant, marcher sans s’arrêter ou se retourner pour ne pas chuter. La vitesse lui donnait une certaine stabilité.

« Quitte à ne rien contrôler, tu voudrais qu’on ne contrôle rien à deux ? Je veux dire, on pourrait s’entrainer ensemble, en cas de grosse galère il y en aurait bien un des deux pour aller chercher de l’aide. »

Pragmatique n’est-ce pas ?

Elle n’avait jamais entendu parler de Tomoe. Elle ne connaissait réellement que les masters qu’elle avait rencontrés en cours, sur la faible période où elle y était allé avant de se rendre compte qu’elle n’y comprenait rien arrivant à peine à déchiffrer quelques mots… Elle revenait de loin. Le nouveau master elle en avait entendu parler par les autres, ceux à qui elle n’osait pas adresser la parole effrayée qu’elle était par leur nombre. Son nom était sur nombre de lèvres, et elle en avait simplement entendu parler, il était jeune. Cela avait choqué, dérangeant ceux qui ne maitrisaient pas leurs pouvoirs mais se voyaient déjà faire la une d’un comics… Elle ne savait même pas à quoi il ressemblait.

« Les enfants ont un savoir autre que le nôtre, un savoir qui leur est propre, mais parfois pas les mots pour le transmettre. »

Peut-être se révèlerait-il meilleur enseignant que des masters plus chevronnés car sa vision du monde était autre ? Elle ne savait pas, ne jugeait pas, et n’osait pas le déranger car elle ne doutait pas qu’il y ait d’autres élèves plus en souffrance qu’elle… Et que de toute manière elle n’était pas capable de se dire qu’elle allait déranger qui que ce soit… Jamais. C’était un effort sur sa timidité qu’elle n’était pas capable de faire, se mettant parfois en danger de ce fait.
La timidité pouvait se révéler un sacré handicap quand il vous coupait du monde extérieur et vous isolait. C’était ce qu’elle vivait depuis quelques temps ici et si elle n’était pas contrainte de parler aux gens, elle n’entamait pas la discussion. C’était, pour parler franchement, un boulet sans nom.

Elle méditait ses paroles, ainsi on pouvait quitter Terrae ? Elle avait toujours pensé que c’était un pacte que l’on passait en acceptant ses pouvoirs… Celui de ne pas partir, elle n’avait pas une forte personnalité, ou du moins avait perdu cette part d’elle-même en fuyant sa famille. Elle avait donc accepté ces faits qui au fond l’arrangeaient bien, lui donnant un prétexte et pseudo sentiment de légitimité. Elle ne pouvait revenir sur sa parole, cela justifiait donc qu’elle reste ici et garde des contacts assez éloignés avec les siens…
Elle s’était rattachée à ces certitudes car elles lui apportaient un certain confort. Maintenant pourrait-elle continuer à vivre ainsi ? Rien n’était moins sûr. Elle commençait à paniquer un peu, un vent de malaise soufflait sur des braises qu’elle avait crues éteintes. Comme toujours elle cacha sa honte et ses doutes se prenant au jeu d’une conversation qui l’en distrayait. Elle ne posa d’ailleurs pas plus de questions sur le sujet de peur d’entendre les réponses. On pouvait quitter Terrae, c’était donc un fait.

« Tu crois qu’on pourrait créer des nuages ? » première idée basique mais pourquoi pas ?

S’entrainer à deux c’était-elle qui avait soumis l’idée, elle ne s’était pas attendue à ce que ce soit si… immédiat ? Elle ne pouvait pas faire marche arrière, elle n’avait aucune raison de refusée malgré son sentiment que les choses allaient trop vite ?

« C’est d’accord ! On se retrouve ici dans dix minutes ça te suffira ? » demande-t-elle avec entrain.

Quelques minutes plus tard elle est de nouveau là à l’attendre elle s’est contenté de troquer son pull et son legging bigarré pour quelque chose de plus sombre, d’uni. Elle ne voulait pas salir les habits qu’elle affectionnait, elle avait déjà eu bien du mal à les dégoter dans une friperie.

Elle l’attend avec patience, se frottant doucement les mains pour ne pas les laisser refroidir, le froid est un étrange ennemi qui savait rendre pénible la plus ensoleillée des journées d’hiver. Elle a beau être différente des occidentales cela lui fait plaisir qu’il note qu’elle s’est changée, cela montre qu’il fait attention à elle. Qu’il la voit et ne fait pas que la regarder. C’est très différent, et si elle ne peut se permettre de le montrer, cela lui la fait remplit de joie. Sa question n’appelant pas de réponse elle se contente d’hocher la tête :

« Direction la salle d’entrainement ! Tu crois qu’il y a toujours un master pour surveiller là-bas ou que les élèves sont censés gérer tous seuls si ça leur échappe ? »

Elle n’avait jamais fait attention quant à la présence ou pas « d’adultes responsables » dans cette pièce. Cette expression était bien sûr à nuancer, car parmi les masters comme ils venaient de l’évoquer il y avait maintenant un enfant, et surtout parmi les masters il y en avait plusieurs qui n’étaient pas RESPONSABLES, bien qu’elle préférait croire le contraire.
Elle n’est plus tellement anxieuse et au contraire plutôt impatiente. Elle a ce caractère fort qui lui fait toujours faire les choses dans lesquelles elle s’engage à fond. Ils prennent la direction de la salle d’entrainement. Au début elle avait cru que la salle d’entrainement servait aux entrainements sportifs, un peu comme une salle de musculation. Elle s’était rendue compte de son erreur en y rentrant par mégarde.

Alors qu’ils marchent les paroles d’Allen lui reviennent et elle s’exclame :

« L’air a une pression ? Mais alors il est comme l’eau ! »

Elle ne connaissait rien de ces principes absconds de physique. Elle constatait et apprenait sur le tas. Elle n’était pas loin de la réalité, l’eau et l’air étant deux fluides ils se ressemblaient assez. Assez pour avoir des similitudes, assez pour être travaillés de la même façon. Presque, ils étaient en réalité plus proches que bien des choses, l’eau existant sous trois formes, peut-être les masters eau pouvaient-ils maitriser l’air en maitrisant la vapeur ? A son niveau elle n’osait l’imaginer, les éléments étaient intriqués de sorte qu’à haut niveau pouvait-on user de l’un sans ébranler les autres ? Les masters maitrisaient-ils les choses à l’état moléculaire, atomique ? C’était une question qu’elle ne pouvait se poser mais elle trouvait toujours étrangement surprise de voir les liens que l’enfant monde avait tissé entre les choses.
Elle était très enthousiaste. Elle ne fut qu’à peine étonnée de découvrir que la salle était quasiment vide en ce quatorze février. Etrange non ?

HRP : je ne savais pas si on restait sur ce sujet ou si on en ouvrait un autre, je te laisse décider !