Dieu que ça fait du bien une journée comme ça. J’ai l’impression qu’aujourd’hui tout s’est trop bien passé, j’ai réussi à être prête à l’avance et du coup j’ai fait un truc qui m’était genre pas arrivé depuis noël, je me suis maquillée ! Ouai rien que ça, bon je ne parle pas du petit trait de crayon autour des yeux et du mascara, ça bien évidement c’est ma petite routine, j’ai une salle gueule depuis l’accident, je ne sors plus vraiment assez pour pigmenter mes joues j’imagine. Faut que j’me débrouille pour aller cramer au soleil dès que le temps aura décidé d’arrêter de nous la jouer genre douche irlandaise. A merde c’est écossaise… Oh et puis zut, je ne sais plus, mais si je continue à tremper mon fauteuil aussi régulièrement il finira sans doute par rouiller.

Bref tout ça pour dire que j’ai réussi à mettre un peu d’anticernes, de blush et de poudre à paupières, pas de fond de teint hein ? Il ne faut pas abuser tout de même, j’ai un peu de respect pour ma peau, et les ravalements de façade je les laisse à celles qui aiment la maçonnerie. Je ne me farde plus autant qu’avant et mes pinceaux ne m’ont servi qu’à me donner bonne mine, mais pour moi c’est une victoire, j’ai même réussi à remplacer mon habituelle couette par une tresse. C’est con, mais… Cela me remplit de joie, les victoires sont rares contre le handicap. Enfin, je suis dans une phase de progrès mais je suis restée trop longtemps dans le coma m’ont dit les médecins. Normalement la majorité des progrès se font dans les six mois après l’accident, et j’en ai dépensé trois à pioncer. Autant dire que j’ai joué et j’ai perdu. Vous m’direz à jouer au plus con on n’est jamais gagnant.

La journée s’est poursuivie sur le même refrain, tout s’est bien passé. Du trajet jusqu’à la bibliothèque aux commandes qui sont arrivées à l’heure et sans aucune erreur. Cela mérite d’être souligné car en général si l’erreur ne vient pas de l’expéditeur, c’est de nous qu’elle vient, commander un exemplaire de trop ou de moins dépend souvent d’un malencontreux click. Aujourd’hui rien de tel à déplorer.

Je suis de bonne humeur alors que je sors de la bibliothèque. Il doit être quinze heures, je n’ai pas encore repris des horaires pleins. J’attends d’arrêter totalement les séances de rééducation avant. Enfin, maintenant c’est plus de la réadaptation mais bon… Les docteurs pensent que je peux encore un peu gagner, mais je ne suis pas dupe pour deux sous, les ergothérapeutes m’apportent aujourd’hui plus que les blouses blanches.

Il fait beau, le soleil brille, les oiseaux chantent… J’me dis que je n’ai plus rien à faire avant un petit moment… Genre demain matin, donc si je veux rentrer à Terrae en roulant, c’est tout à fait jouable non ? Et puis aujourd’hui tout se passera bien c’est bien évident. J’aime faire des généralités du bonheur, me dire qu’il continuera toujours. Je sais que je suis trop optimiste, mais j’ai envie de croire que je me sentirais toujours aussi bien qu’en ce jour où le soleil éclaire mes joues et où mes bras chauffent sous l’utilisation que j’en fais. Essayez-vous de vous déplacer en fauteuil roulant, ça vous fera les bras vous verrez.
Je suis tellement bien que je ne vois pas les nuages s’amonceler au loin, je me concentre sur le moment présent, le paisible bien-être. Sauf qu’ils finissent par s’épaissir et par craquer. D’abord c’est une petite bruine qui crachote, je prends la direction d’un abri providentiel qu’offre le balcon d’une habitation bordant la route qui mène à l’école. Bien entendu avant même que je ne m’y mette au sec des déferlantes se chargent de me tremper jusqu’aux os. Au temps pour moi, mon maquillage et ma chemise blanche. Si je fais confiance au maquillage waterproof, qui bavera comme il se doit quand même parce que je refuse de mettre des cents et des miles dans des produits de beauté, autant la chemise beige… Je ne peux lui faire aucune confiance. La traitresse une fois mouillée se colle à moi comme un chewing-gum et me transit de froid. J’use de mon pouvoir pour augmenter un peu ma température corporelle mais cela ne m’enlève en rien cette sensation désagréable du linge mouillé et collant.
C’est avec un soupir de soulagement que je gagne l’abris…